Dresde,
encore
Hier mis la dernière main à
mon mini-exposé sur la destruction et la reconstruction de la Frauenkirche de Dresde. Pourquoi le sort
de cette ville me hante-t-il à ce point ? Et toutes ces sources
littéraires qui convergent là en un point focal, Alain Lance qui me parle ce matin
d’un poème de Volker Braun, la chaîne première entre Thomas Bernhard et Hélène
Cixous (si mon souvenir est juste, évocation par cette dernière d’un texte de
Bernhard, terrible, où il raconte avoir marché dans les décombres de la ville sur
quelque chose, qu’il a pris pour une main de poupée et qui était celle d’une
petite fille…), et maintenant Sebald. L’impression étrange, mais comment être
sûre qu’elle n’est pas artificiellement fabriquée intérieurement, qui m’a
semblé régner dans cette ville, sous l’effervescence de la vie. Marquage des
lieux par l’histoire, mais aussi par la littérature, souvent en strates
impossibles à distinguer.
Démons de l’analogie
Et cette question liée, d’où
viennent nos tropismes vers tel ou tel pays, tel ou tel peuple, alors qu’apparemment
rien ne l’explique dans notre petite histoire individuelle ? J’ai aussi
reçu hier deux livres de Paul Louis Rossi Démons
de l’analogie et Un Monde analogique :
il parle de cette expérience, que j’ai immédiatement reconnue : « à
peine ai-je énoncé une idée, recueilli une impression, entendu une parole, qu’elle
se dirige avec une surprenante agilité vers une autre sensation, une autre
vision, une autre perception semblable ou contraire [...] Cette ordonnance me
donne à l’avance une sorte de joie, car je sais, une fois écrite la paraphrase –
une fois achevée la construction – qu’elle révèlera sa propre figure, sa vérité
qui ne réside pas dans le sens, mais dans sa propre organisation. » (Paul
Louis Rossi et Eric Fonteneau, Un monde
analogique, éditions Joca Seria, bibliothèque municipale de Nantes, 4ème
de couverture)
→ démons ou dieux de l’analogie, ce flotoir
ne leur est-il pas entièrement voué… ? Et je retiens dans la citation de
Paul Louis Rossi, ce dernier mot, organisation.
Il me semble parfois tirer un nombre important mais limité de fils sur une
longue période et que chacun, tout en suivant son cours propre, finit par
rencontrer, momentanément ou plus durablement, les autres fils, pour tisser,
parfois, une sorte de figure. Ce constat a cela de réconfortant qu’il permet de
prendre conscience qu’en dépit de ce qui trop souvent semble dispersion, il y a
une forme de cohérence, comme si tout le for intérieur se dessinait, se
modelait selon des lignes assez stables et précises. Un peu plus haut dans
cette présentation du livre, il est fait allusion à une exposition consacrée à
Paul Louis Rossi « dans laquelle l’inscape
ou paysage intérieur invitait à la spéculation imaginative comme mode d’élucidation
du monde ». N’est-on pas ici bien « sur zone » !!!????
Christa
Wolf et Tchekhov
J'aime
toujours énormément quand un écrivain m'amène vers un autre écrivain. Hier
soir, c'est Christa Wolf qui m'entraîne vers Tchekhov… elle décrit, toujours
dans Un jour dans l’année, une
journée de 1983 qui s’ouvre par une lecture d’Oncle Vania et elle s’étonne de trouver dans ce livre ce qui lui
semble être une des toutes premières défenses de l’environnement dans les mots
que prononce le médecin Astrov, à propos des forêts : « il faut être un
barbare insensé pour brûler dans son poêle cette beauté, pour détruire ce que
nous ne pouvons recréer. L'homme est doué de raison et de force créatrice pour
accroître ce qui lui a été donné mais jusqu'à ce jour il n'a rien créé, il n'a
fait que détruire. Il y a de moins en moins de forêts, les fleuves se
tarissent, le gibier se fait rare, le climat est pourri, et chaque jour la
terre devient plus pauvre et plus anonyme. » (Rappel, Oncle Vania : 1897)
Hier, cet article sur l’embolie des arbres ; aujourd'hui le début de la
conférence de Doha dont, dès maintenant, personne ne semble rien attendre.
Ce que la littérature peut déclencher (Gerd Wolf)
Un peu plus loin Christa
parle avec son mari Gerd, qui s'étonne de l'incroyable
écho qu'ont pu susciter pendant des décennies des prises de position exprimées
dans des livres assez peu volumineux, comme par exemple les textes de Blok.
C’est chaque fois surprenant, ce
que la littérature peut déclencher, dit-il. Dans un cercle restreint, lui répond Christa, C'est déjà ça, réplique-t-il enfin.
→ c’est dans le « déjà ça » que doit se concentrer sans aucun doute
le combat pour l’art, la littérature… sans grandes illusions, mais avec l’idée
qu’il y a surtout un relais à transmettre. Une espèce à protéger…
→ dans la citation de Tchekhov, si terriblement prémonitoire, cet adjectif d’anonyme… on en parle assez peu, lorsque
l’on parle des espèces en voie de disparition, des paysages saccagés, etc. La
question de l’uniformisation. Qui fait que le centre-ville de la plupart des agglomérations,
en France mais aussi dans d’autres pays, est identique… que tout ce qui a
façonné, strate après strate, l’identité de tel lieu est bouleversé au point
que les repères deviennent impossibles à percevoir et que ce qui peut encore
émaner de cette histoire-là est comme étouffé (boucle bouclée me semble-t-il
avec les premières réflexions de ce jour sur Dresde). La destruction des traces
n’est jamais très bon signe.
Silencieux, déracinés, fantomatiques (Sebald)
Après avoir refermé De la destruction, Sebald toujours et retour
à Les Émigrants, avec l’histoire
tellement mélancolique, forte et belle de Paul Bereyter. Pour l’instant, je ne
sais rien encore de la méthode de W.G. Sebald : est-il parti de
personnages ayant réellement existé, a-t-il reconstruit leurs vies ? Il y
a des photos, en noir et blanc, difficiles à lire dans le format du livre de
poche, mais qui de ce fait peut-être ont cette aura propre aux photos très
anciennes (Didi Huberman ?) et ce pouvoir de donner un sentiment très
particulier du temps. Croisent dans les parages à la fois Walser et Benjamin,
peut-être en tant que figures d’errants, de Wanderer
plus ou moins éternels, désormais partie intégrante de nos figurations
intérieures (auxquelles vient s’agréger aussi la figure de Pessoa…). Que nous
disent-ils ? Un début de réponse peut-être avec la courte présentation au
dos du livre : « Sebald se remémore – et inscrit dans nos mémoires –
la trajectoire de quatre personnages de sa connaissance que l’expatriation (ils
sont pour la plupart juifs, d’origine allemande ou lituanienne) aura conduits –
silencieux, déracinés, fantomatiques – jusqu’au désespoir et à la mort ».
Très belle traduction de Patrick Charbonneau, livre qu’il faudra tenter, un peu
plus tard, de lire en allemand….
Et toujours tant d’échos, de rapprochements, de liens avec le contemporain,
bombardements de villes ici, fugitifs, expatriés, émigrants, sans papiers,
rejetés, bannis, poursuivis, partout…
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