Inflammation
et dépression
« Des niveaux élevés de
protéine C-réactive, un marqueur de la maladie inflammatoire, apparaissent
aussi associés à la détresse à la dépression psychologique selon cette étude
danoise publiée dans l’édition en ligne du 24 décembre des Archives of General
Psychiatry. Si ces résultats n’indiquent pas que la dépression n’est qu’une
maladie inflammatoire, ils suggèrent l’opportunité de tester si l'ajout
d’anti-inflammatoires aux antidépresseurs pour le traitement de la dépression
pourrait améliorer sa prise en charge. » (source)
→ une piste très intéressante. Et une fois encore l’idée qu’en cherchant à côté
de la cible, parfois on trouve. Je pense au baclofène dont les propriétés
thérapeutiques dans les cas d’alcoolodépendance semblent prometteuses et à un
diurétique qui améliorerait les symptômes de certains autistes…
Magazine Pianiste, Anne Queffélec et Marie Jaëll
Hier soir, une fois n’est pas coutume, passé un long et très bon moment dans
un magazine. Il s’agit de Pianiste et
ce n’est pas la première fois que j’y trouve de quoi alimenter ma réflexion sur
la musique. Alors que les magazines spécialisés Diapason ou Classica me
tombent des mains, tellement je les trouve ennuyeux.
Dans ce numéro une interview très intéressante d’Anne Queffélec, en
avant-première de "la Folle Journée de Nantes" fin janvier.
→ "La Folle Journée" : ce type de manifestation n’a-t-il pas résolu la
quadrature du cercle : une approche populaire, destinée au plus grand
nombre et surtout aux prétendus non-sachant et une grande exigence. Inutile de
dire que je pense que dans le domaine de la poésie, mis à part peut-être
certaines éditions de MidiMinuit-Poésie,
à Nantes aussi au demeurant, on est très loin du compte, le besoin de
populariser se conjuguant en général avec une navrante médiocrité… C’est aussi
que dans le domaine de la musique classique, la tricherie et l’amateurisme sont
impossibles. On ne peut jouer n’importe comment du piano ou de la clarinette,
on ne peut jouer qu’après des milliers et des milliers d’heures d’étude, de
solitude, de doutes, d’échecs. Pas question de monter sur scène avec un bout de
papier, de faire trois pitreries éructantes et de recueillir les
applaudissements. Anne Queffélec évoque son nouveau disque dont le programme m’intéresse
beaucoup. « Satie & Compagnie » qui sortira en janvier propose en
effet des pièces de musiciens peu joués, comme Séverac, Ferroud, Hahn, Dupont, Kœchlin
et Schmitt : « je suis lectrice fervente et récurrente de Vladimir
Jankélévitch, philosophe pianiste, fou de musique française et en particulier
passionné de Gabriel Dupont ».
→ joie de voir ici évoquer Jankélévitch et ses si forts propos sur la musique. J’en
suis également une lectrice récurrente. Et ses livres sont classés dans ma
bibliothèque musicale, tout naturellement !
« La notion de musique contemporaine me paraît artificielle. La musique ne
se réduit pas à une époque donnée. Toute musique qui me touche m’est
contemporaine. Bach et Mozart me sont aussi proches que Dutilleux, dont j’ai
enregistré l’œuvre intégrale pour piano, ou Ligeti dont j’aime tant les Études » (Pianiste, n° 78, janvier/février 2012, p. 30)
Et cela, à marquer d’une pierre blanche, mais dont je suis tellement,
intimement, convaincue : « mon apprentissage n’était pas fini, et je
le sais toujours, bien en accord en cela avec Mozart qui écrivait sur le cahier
d’une de ses élèves : “Chi piu sa,
meno sa !” plus on en sait, moins on en sait”.
→ notamment parce que plus on avance dans le déchiffrage ou le déchiffrement
d’un monde, plus on prend conscience de son étendue et de ce qu’elle a
d’inaccessible. C’est aussi vrai dans le domaine de la musique que dans celui
de la poésie.
Et comment ne pas souscrire à la conclusion de l’article : « Oui, la
musique classique est élitiste, non parce qu’elle s’adresse à une classe
sociale privilégiée, mais parce qu’elle s’adresse à l’élite de chacun, sa
meilleure part. Quand on parle de musique de nos jours, il s’agit massivement
de vaiétés, de rock, etc. Pourtant, l’existence du Sistema au Venezuela, cette organisation qui permet aux enfants
défavorisés d’avoir accès dès leur plus jeune âge à la musique, en dit long sur
les effets bienfaisants de la pratique musicale. Très récemment les Suisses ont
inscrit et voté dans leur Constitution la nécessité de l’éducation
musicale. » (ibid.)
Et dans le même numéro un article intéressant sur Marie Jaëll, une des rares
femmes musiciennes, de la même époque que Cecile Chaminade, ou Augusta Holmes
→ et de nouveau cette surprise concernant le travail de la mémoire. Lisant le
nom de Marie Jaëll, immédiatement a surgi le nom de Wissembourg et je me suis
vue, dans le musée désaffecté, découvrant des objets qui ont appartenu à la
musicienne. Souvenir tellement vague que je n’étais pas sûre de moi, jusqu’à ce
que je lise dans l’article que Marie Jaëll était née dans le village de
Steinseltz, à proximité immédiate de Wissembourg. Validation de ma remémoration ! Marie Jaëll qui fut non seulement une grande pianiste mais aussi une
pedagogue de la musique tout à fait remarquable.
Les reflets des reflets (Isabelle Pariente Butterlin)
« Les reflets des reflets, en principe, vont à l'infini, rappelle
Merleau-Ponty. Mais où se termine le ruban d'asphalte de la route ? Et où
s'écrira la dernière ligne d'écriture, qui traverse le langage comme la route
traverse le paysage ? » (source)
→ double écho immédiat : l’expérience, depuis l’enfance sans doute (raison
pour laquelle elle est toujours aussi forte), du reflet de reflet. Les miroirs en face à face dans l’entrée de
l’immeuble d’enfance (toujours fréquenté !) et cet écho avec la
terrifiante question, posée aussi très tôt dans la vie : « qui
suis-je », formule quasi chamanique aux effets redoutables de dépersonnalisation
immédiate et répétée. Comme l’image dans le miroir qui fuit au fur et à mesure
qu’on croit la saisir.
→ et bien sûr écho aussi avec la lecture en cours du livre de Bernard Noël
autour d’Opalka, qui a bien écrit sa dernière ligne, un jour de 2011, ce qui
était exactement son projet, tel qu’il l’avait conçu presque cinquante ans
auparavant. Fascinante trajectoire vers le terme, le but, la visée de la vie.
Je relève aussi cette très belle remarque d’I. Pariente : « Écrire
est une méta-activité. Elle peut accompagner, enregistrer, toutes les activités
qui sont les nôtres, et même celles qui ne sont pas les nôtres, y compris
l'écriture. »
Fred Griot, de la citation
La note d’Isabelle Pariente entre
en écho immédiat avec celles publiées ce matin par Fred Griot ! :
« les citations, leurs places dans le journal, dans le travail, la façon
dont elles nourrissent : elles sont là pour être retenues, même si leur
accumulation les rend paradoxalement moins mémorisables. le journal est alors
comme une vaste base de données de la recherche, où l’on peut assez facilement
retrouver trace des éléments collectés, analysés, utilisés, des moments, des
phases, des périodes. le vaste corpus textuel qu’il constitue devient alors,
une fois passé dans les couches, les stratifications, empilements,
accumulations des notes passées, à nouveau explorable dans son épaisseur par
une recherche par mots-clés. et cela va permettre de s’y re-trouver, va
permettre quand nécessaire, plus tard, le suivi des préoccupations, des durées,
des mouvements progressifs-régressifs, de la recherche, de l'écriture… de sa
genèse… l'épaisseur d'un corpus sert alors aussi de matière pour le poursuivre. »
(source)
→ c’est bien sûr l’expérience du Flotoir,
qui tourne en ce moment autour de 500 pages par an. Cette base de données construite comme une digue contre l’oubli ! Ce radeau pour flotter sur
le temps. Et qui devient matière. Peut-être d’une forme d’œuvre.
Énergie (Opalka, Bernard Noël)
« la matière qu'on voit sur un
détail est faite d'une certaine quantité d'énergie impossible de tricher avec
cela » (Le Roman d’un être, 52)
→ Et s'il en allait de même en littérature et si ce que l'on perçoit c'est une
quantité d'énergie.
→ La notion d’énergie si chère à Antoine Emaz. Une forme d’énergie, née sans
doute d’une forme d’émotion, comme origine du poème ? Ceux qui portent
cette énergie, ceux qui la singent ? Ceux qui sont créés dans ou à partir
de ce flux d’énergie, ceux qui sont nés de la simple habileté
intellectuelle ?
Combien de temps (Opalka)
LA question pour chacun de nous.
Notre tendance à le croire sans limites. La certitude pourtant de son
achèvement. Opalka a vécu ce mouvement vers la fin d’une façon incroyablement
tangible et concrète, à la fois par l’accumulation et la disparition.
Accumulation des chiffres, jusque dans les parages du 5 millionième qui
marquera le terme de son entreprise, disparition progressive des chiffres, pris
tout à fait volontairement dans la masse du blanc de la toile, un peu comme le
vieillissement atténue la force vitale, jusqu’à la rendre parfois presqu’imperceptible :
« j'ignore combien de temps au juste durera le passage au blanc puis le
blanc lui-même »
Opalka qui dans un autre contexte écrivait en 1987 :
« Le temps dans sa durée et dans sa création et le temps dans notre
effacement, être à la fois vivant et toujours devant la mort, c'est cela le
vrai "suspense" de tout être vivant, présence d'une conscience, d'un
raccourci, d'être déjà là en traçant cette seule réalité. Cette perception est
un prolongement, une ouverture qui s'élargit sur le monde sans écarter la
jouissance, mais toujours avec l'idée omniprésente de la nature propre à la
vie, à son écoulement, à son émiettement comme et avec chacun, afin que les
questions sur le vécu puissent donner une concordance lisible de la même
réalité, de sorte que la pensée ne soit pas seulement mienne et que l'on puisse
se rencontrer dans notre unus mundus. (Roman Opalka -
"Rencontre par la séparation", AFAA, Paris, 1987, source)
La question de 1%, zinc et titane
(Opalka)
Il ne s’agit pas d’un
« truc » technique ; cette pratique est consubstantielle au projet. Voici
en quoi cela consiste : « Arrivé au nombre “1 000 000”, en
1972, [Opalka] décide de faire évoluer son travail. Dès lors, à chaque nouvelle
toile entamée, il ajoute 1% de blanc dans la peinture servant au fond de sa
toile, initialement noir à 100%. Petit à petit, les fonds blanchissent,
marquant d'une nouvelle manière le temps qui passe. Toutefois, afin de ne
pouvoir être accusé de “fraude”, Roman Opałka veille à utiliser deux blancs
différents, un pour ses nombres (blanc de titane) et un pour le blanchissement
progressif de son fond (blanc de zinc). Aussi, même sur ses toiles les plus
récentes (donc les plus blanches), on peut encore distinguer le tracé des
nombres en regardant la toile sous un certain angle. (source)
Saut temporel (Opalka)
P. 55 de Le Roman d’un être, on passe brusquement en 1990 et on est
tellement impliqué par la lecture dans la progression à tout petits pas dans
les nombres que l'on a le sentiment de faire un saut énorme
Cette bavure de la lecture sur la réalité, la petite rémanence. Comme la
visuelle. L'oubli ne serait-il pas arrimé à la surface par cette petite
rémanence ? (question chère à Mathieu Brosseau !)
La parole d'Opalka se fait plus large, plus philosophique ; il situe son
geste et son concept dans l'histoire de la peinture : « pour le
peintre extrémiste c’est-à-dire exigeant que je suis il n’est plus possible de
faire un tableau après Malevitch Pollock Rothko Klein je me suis donné une
possibilité avec l’espace-temps offert par ma vie [...] nous avons touché des limites
nous sommes dans le silence qui suit l’explosion c’est ce silence que je
peins » Opalka qui ajoute, démontrant ainsi la logique interne implacable
du projet : « J'ai des exigences au sujet de la vérité c'est-à-dire
de la logique de la cohérence. » (57)
Médiatisation de l’art (Opalka)
« l'art d'aujourd'hui est très
médiatisé et c'est le présent qui compte si une œuvre est durable elle
compromet le présent. » (58)
→ raison sans doute pour laquelle les œuvres d’art importantes sont si
insupportables aux dictatures de tout poil (y compris la dictature de
l’économie et de la finance).
La nécessité et le jeu
Cette opposition entre l’œuvre née
d’une absolue nécessité et celle qui repose, même brillamment, sur le jeu, de
nouveau présente : « tout chez moi obéit à la nécessité avec un côté
émotionnel et moral chez les autres il y a ce côté jeu ce côté réversible ils
peuvent faire des corrections alors qu’on ne peut corriger sa vie je ne peux
rien effacer dans ce que je fais je m’y suis engagé comme on s’engage dans
l’acceptation de sa vie ». (65)
→ et ce qui serait passionnant c’est que quelqu’un qui connaît très bien
l’œuvre de Bernard Noël, je pense à Anne Malaprade bien sûr, puisse démontrer
en quoi Bernard Noël ne pouvait qu’être fasciné par l’œuvre d’Opalka et en quoi
les deux œuvres sont intimement proches.
« le drame de l'objet tableau ne me suffit pas c'est le drame de l'homme à
travers le tableau le drame de l'homme incorporé au tableau qui m'importe. »
(66)
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