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Rédigé par Florence Trocmé le 26 février 2013 à 17h44 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Gide,
journal, notules
Philippe Didion en ses notules,
dont il prépare une édition papier, cite Gide : « le nombre de choses
qu'il n'y a pas lieu de dire augmente chaque jour ».
→ oserais-je dire que j’ai le sentiment inverse ? Mais peut-être parce
qu’il ne s’agit pas de choses personnelles ?
Que ça mais c’est déjà ça
Beaucoup aimé cette réflexion d’une jeune cantatrice hier sur France
Musique. Elle dit qu’elle met son iPhone en route pendant les représentations,
pour s’enregistrer et pour faire ensuite son petit débriefing, que cela lui
permet de mettre les choses à leur juste place. Ni génie, ni nullité : je ne suis que ça, mais c’est déjà ça.
→ travail incessant de bien se situer, ni dans l’autosatisfaction idiote ni
dans le dénigrement pas beaucoup plus subtil. A la juste place. Et comme en toutes choses, musique en particulier,
c’est ce juste qui est
difficile !
L’affaire de la photo
Je reviens sur l’histoire de cette
photo, hier. Car non seulement sa diffusion est scandaleuse (mais la
personne qui l’avait mise en ligne dans son scoop.it, après le petit
commentaire que j’avais laissé pour dire mon sentiment de révolte, l’a
supprimée et j’ai eu ensuite beaucoup de mal à la retrouver). J'ai dû en effet la rechercher car je l’avais évoquée dans une lettre à Valérie Rouzeau qui connaît si
bien Sylvia Plath. Lorsque je lui ai décrit la scène, elle a tout de suite eu
des doutes. Et vérifications faites, après que j’ai finalement retrouvé la
photo et la lui ai envoyée, elle est quasi sûre qu’il ne s’agit pas de Sylvie
Plath. Et elle s’appuie sur des données très précises et très convaincantes.
→ Une des questions, à mon avis cruciale, que me pose cette affaire est la
suivante : pourquoi, à partir du moment où je sais ou suppose qu’il ne
s’agit pas de Sylvie Plath, la charge émotive de cette image diminue pour moi
considérablement ? Me semble ici posée toute la problématique de l’image,
photo en particulier, dans la mesure où elle est susceptible d’être truquée.
Entendre par là toute manipulation, qui n’est pas forcément une manipulation
directe sur le cliché mais qui peut aller très loin, toutes les dictatures et
propagandes du monde ne nous l’ont que trop appris.
Et pourquoi ce qui était insupportable pour moi, si c’était Sylvia Plath, le
devient moins si c’est une anonyme, alors même que le cliché est toujours aussi
atroce ? (on peut soupçonner aussi une mise
en scène de très mauvais goût).
Et double difficulté ici puisque je ne veux pas décrire l’image, pour ne pas
ajouter à l’insupportable. Pour ne pas le diffuser, surtout.
Christian Zimerman (piano)
Belle et rare interview (il n’en donne quasiment jamais) du pianiste
d’origine polonaise Christian Zimerman, dans le magazine Pianiste. Je l’ai trouvé humain et très humble alors que j’avais
une image de lui froide et hautaine. Ce que je voudrais surtout retenir dans le
petit filet du flotoir, c’est quelque
chose qu’il dit à deux reprises et qui me renvoie, une fois encore, à Celibidache :
« Très souvent, en tant que pianiste, on fait des sons. Certains d’entre
nous, plus professionnels, arrivent à faire de la musique. Et peut-être que les
plus grands artistes que j’ai rencontrés jouaient la raison pour laquelle cette
musique avait été composée » et il y revient à la fin de l’entretien,
répondant à la question de Bertrand Dermoncourt : qui y a-t-il de plus
important pour un artiste ? « Pour moi, c’est la crédibilité.
L’artiste est la première victime de la musique qu’il joue. Il doit être touché
par elle de façon authentique pour être crédible. Tout le savoir-faire, la
technique, l’étude du style, le piano choisi, etc., tout cela vient après. Ce
qui prime, c’est la passion qui nous anime lorsqu’on joue et le fait d’être
crédible. [...] Au départ, vous jouerez l’œuvre, puis plus tard la musique, et
plus tard encore vous jouerez la raison pour laquelle la musique a été
composée. »
→ frappant cette façon de revenir deux fois et avec les mêmes mots. Autant dire
que l’idée est centrale. Pour l’heure je comprends la dernière partie de la
progression comme la possibilité de recréer l’œuvre un peu comme si on l’avait
composée soi-même, de mettre ses pas dans ceux du compositeur. Une sorte de
graal. Et humilité de Zimerman qui montre comme c’est rare de l’atteindre. On
parle souvent de moments de grâce dans un concert, un concert de très belle
qualité mais où soudain quelque chose de différent advient : sans doute
qu’alors on passe de faire de la musique
à jouer les raisons pour lesquelles cette
musique a été composée. Et bien sûr cela renvoie aux idées de Celibidache
de la musique comme un tout, qui doit être connue, travaillée, littéralement
possédée dans le détail, puis transcendée
(c’est son mot) par la vision totale de l’œuvre, contenue dans chaque note.
Tout cela dans le Magazine Pianiste
(mars-avril 2012, n° 79), que je dévore alors que je n’ouvre plus les Classica et autre Diapason qui me tombent des mains. Sans doute parce que Pianiste est plus concret, plus précis.
Pas de « baratin » sur les CD ou les œuvres, de beaux entretiens avec
les pianistes, la partie partitions avec les commentaires, la présentation de
partitions et d’instruments, toujours très intéressante.
Adam Laloum (piano)
Et satisfaction aussi de retrouver dans ce même numéro, Adam Laloum, entendu
il y a quinze jours à l’Église Américaine de Paris et qui annonce son deuxième
disque, Schumann, avec la sonate op. 11
et l’Humoresque. Ce qu’il dit de son
histoire avec cette dernière œuvre, qu’il a « écoutée en boucle par
Arrau » alors qu’il avait 15 ans et la façon dont il l’a petit à petit
approchée est très belle. Ce tout jeune pianiste (23 ans je crois) est plus
qu’intéressant.
Des langues toujours (Anne-Marie
Soulier)
Lisant le Flotoir, Anne-Marie
Soulier m’écrit :
« Je ne sais pas si la langue française a pu “sauver” la langue allemande
(G-A. G. se limite sans doute ici à son expérience personnelle de “libération”
intérieure du parler nazi) - je crois que toute langue nouvelle n’est
“étrangère” qu’au début, et encore ! Pour moi c’est chaque fois un immense
trésor à découvrir, dans lequel se trouve forcément LE mot qui va enfin me dire
la vérité. Car je ne peux me détacher de la conviction que la langue
“maternelle” nous a forcément menti (parce que maternelle ? Ou parce que
présentée comme unique ?) ».
→ la langue maternelle nous ment-elle, ou bien nous a-t-on menti dans la langue
maternelle ? Ce qui l’aurait durablement entachée. Importance essentielle
sans doute de toutes ces premières liaisons, celles qui se font entre ces mots
que nous découvrons petit à petit et les impressions au sein desquelles ils
naissent. Ce qui ferait que le langage n’est jamais abstrait, en tous cas pour
ce qui a été acquis dans l’enfance mais lié, irrémédiablement, pour chacun, à
ses expériences de vie. Mon mot n’est jamais le tien, mais parfois grâce à mon
mot je peux comprendre le tien. Et il se peut que la poésie s’adresse
précisément à cette oscillation du mot entre sens établi et sens subjectifs…
Anne-Marie qui est poète et traductrice, notamment du norvégien revient un peu
plus tard sur cette question du mensonge de la langue maternelle :
« Oui, je crois profondément qu’“il est menti aux enfants dans leur
première langue”. Pas seulement à cause des mensonges rassurants (Père Noël,
grand-père parti au ciel, etc.), mais plutôt mensonges par omission, parce que
malgré ses richesses toute langue est limitée, insuffisante, impuissante à
épuiser le monde. Beaucoup de gens ont peur des langues “étrangères”, peur de
faire des fautes, d’y être mal jugés, de ne pas “s’y reconnaître”, mais si on
réfléchit leur simple existence est au contraire une source de renouvellements
extraordinaires, un soulagement sans fin. Et tant pis si on ne les “maîtrise”
pas, il ne s’agit pas de maîtriser mais au contraire de rester humble et
curieux. »
→ je ne veux que cosigner ces propos : ne pas être intimidé par la langue
étrangère, se l’approprier petit à petit. Par elle découvrir sa propre langue
et d’autres manières de parler, de dire le monde. Pointer les failles et les
manques de l’une mais en les mettant en rapport avec les richesses de l’autre
et cela dans les deux sens. C’est en cela de G.-A. Goldschmidt est à la fois
passionnant, très humain et profondément émouvant : ce passage d’une
langue à l’autre, il l’a vécu littéralement dans sa chair, de façon à la fois
douloureuse mais aussi jouissive. On mesure la différence d’approche par
exemple avec celle plus distanciée, peut-être plus académique d’un Wismann. Il
y a un côté « bras le corps » chez Goldschmidt qui secoue le lecteur
et le tire par la manche, très fortement.
De l’identité (H. Cixous)
[Hélène Cixous, 1. Chapitre Los] Confirmation
de la problématique de l'identité. L’auteur retrouve des feuillets sur lequel
elle aurait pris des notes au cours de la nuit. Elle écrit : « Ce moi
est dans l’absolue ignorance des faits. Celle qui fut moi comment la désigner. Aucun
pronom sujet ne lui va. » (p.91)
→ je trouve très frappante cette dernière assertion, aucun pronom sujet ne lui va. Je l’éprouve si souvent et pas
seulement pour moi-même mais en lisant. Je supporte très mal le fait que l’on
écrive il ou elle pour parler de soi, cela crée une sorte de malaise, tout comme
le on. Et le tu ne m’enchante guère non plus car on ne sait pas si l’auteur s’adresse
à lui-même ou à quelqu’un d’autre. Et il est vrai que le je est souvent lourd à porter ou à écrire et qu’il y a de nombreux
exemples d’écrivains qui se sont interdit d’y avoir recours. Alors quel pronom
en effet… comme si l’écrivain d’aujourd’hui vivait en une telle ère du soupçon qu’il serait délogé de
tout identité stable, ni je, ni tu, ni il ou elle.
Et de manière plus anecdotique, on peut relever que les correcteurs
orthographiques intégrés au traitement de texte supportent mal les je pris à la troisième personne, comme
ci-dessus le je est ! Ou le celle qui fut moi d’HC !
Du rêve (Hélène Cixous)
Rêve, non seulement parce que je pense que toute la prose d’Hélène Cixous
fonctionne sur un régime qui est beaucoup plus celui du rêve que celui d’un
récit.
Mais aussi parce qu’elle note, très justement (et je n’y avais pas jusque-là prêté
attention) « la précision maniaque du rêve ».
→ Ne se réveille-t-on pas parfois avec en effet le souvenir de détails extrêmement
précis, la forme d’un objet, une couleur, une voix ? Et avec ce sentiment
parfois que cette précision donne sa réalité au rêve ! ?
Retour à Hélène Cixous
Je reprends le prière d'insérer car je suis tout de même bien perplexe
devant cet opus ; j’y lis cela qui l'éclaire un peu : « ce n'est pas
un récit c'est un aujourd'hui même [...]
c'est une synchronie. Un instantané symphonique : il se passe ici-et-maintenant,
à toute vitesse. À sa condensation, à ses sursauts, à son éternelle jeunesse, à
son allure précipitée de revenant de la mémoire, on pourrait le prendre pour un
rêve » et un peu plus loin : [...] l’univers du Livre-que-je-n’écris-pas : c’est une infinité de présents. Il
est structuré comme une fleur »
→ Alors me dire que je ne sais pas encore lire les fleurs, qu’on ne sait lire
que les feuilles ? Qu’il faut changer de mode de lecture comme l’auteur
semble avoir changé de mode d’écriture, pour entrer dans une toute autre forme ?
Il y aurait comme un empilement de temps dont seules seraient lisibles les
traces des pliures ? Avec effet de sursaturation du récit, autour de ce qui
ressemble à deux personnages masculins Carlos et Isaac. On a parfois l'impression
qu'il faut faire rentrer tout cela de force et en force dans la page. Mais
Cixous n’emploie-t-elle pas le mot-clé de condensation,
cette technique propre au rêve, découverte pas Freud. Qui lie fortement ce qui
semblait épars à la veille consciente ?
Pascal et G.-A. Goldschmidt
Retour au Poing dans la bouche où
le jeune garçon découvre Pascal, pages qui me renvoient à des souvenirs étonnamment
similaires. Je me souviens du petit
livret d’œuvres choisies bleu et crème, trouvé dans un placard de la salle d’études,
au collège. Premier choc peut être non seulement de la rencontre avec une œuvre
littéraire mais aussi avec l'idée d'une lecture pour soi, autonome, de se
décaler très légèrement de la tutelle des adultes. De découvrir un quant à soi
par la lecture, une autonomie créative d’univers intérieur qui ne doive plus
automatiquement aux adultes tutélaires…
→ se demander aussi si vers cet âge-là, entre 12 et 13 ans, ce ne fut pas la
première rencontre avec la métaphore, avec ce qu’elle peut avoir de fécond. Souvenir
très fort du « roseau pensant » et de ce point perdu entre l’infiniment
grand et l’infiniment petit. Le monde semblait soudain béer comme en aval et en
amont, au-dessus et en-dessous. Un peu comme quand il cesse d’être plat à un
moment donné, parce que l’on découvre le temps et l’espace, petit à petit. Et
souvent sa petitesse dans ces dimensions-là. Depuis la fascination pour les
deux extrémités du spectre, l’infiniment grand des galaxies, des trous noirs et
l’infiniment petit des quarks, des bosons, des particules n’a plus cessé.
De la commotion (G.-A. Goldschmidt)
« L’inconstance, le défaut de concentration empêchaient des lectures
prolongées où les choses se construisent et se mettent en place, s’enrichissent
peu à peu d’elles-mêmes. Il me fallait du soudain, de la commotion, du
foudroiement et de l’exaltation. »
→ mais pourquoi donc voir dans cette curiosité un défaut, n’est-ce pas cela
justement, cette passion si vivante qui fait toute la force de ce récit. On
pourrait rapprocher quelqu’un comme Wismann de ceux qui font des lectures prolongées où les choses se
construisent, mais peut-on avouer que l’on se sent tellement plus proche de
la méthode Goldschmidt ?
Inexpugnable souveraineté : G.-A.
Goldschmidt
Et à ce point du récit, une sorte de révélation. Il y a d’abord cette
phrase terrible : « on avait voulu me mettre à mort parce que j'étais
quelque chose que je ne savais pas que j'étais. » dit Goldschmidt, qui
parle alors d’un état de faute sans
culpabilité, d’une suffocation
initiale, comme de s’enfoncer le
poing dans la bouche (c’est donc là, p. 29, la référence de son titre)
Mais aussi en même temps la découverte majeure de l'inexpugnable souveraineté : je suis, en dépit de vous !
Il faut citer le passage, essentiel, en entier : « Sciemment les
adultes acculaient à la honte indicible, à une situation sans issue, mais dont
on ne savait pas encore alors qu’elle pouvait vous mener à une inexpugnable
souveraineté, c’est cela que je découvris en ce jour de 1943 : je suis, en
dépit de vous ».
→ serait-ce se sentiment-là, celui de l’inexpugnable
souveraineté, qui serait le cœur de la résistance au pire ?
Rédigé par Florence Trocmé le 26 février 2013 à 17h42 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 24 février 2013 à 20h43 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lectures
Commencé le nouveau livre d’Hélène Cixous, Abstracts et brèves chroniques du temps, 1, Chapitre Los. Et Le Poing dans la bouche de G.-A.
Goldschmidt
Parcouru aussi la nouvelle édition des Cantos
de Pound ainsi que les quatre dernières parutions de Paul Louis Rossi, Un monde analogique, ouvrage publié à
l’occasion d’une Un monde analogique,
édition bibliothèque municipale de Nantes, éditions Joca Seria, 2012, Le Pont suspendu, Jean-Michel Meurice, éditions Virgile, 2012, Démons de l’analogie, joca seria, 2012, et un Paul-Louis Rossi, dans la collection « Carnet recomposé »,
conçue par l’Association Les Traces habiles.
Hélène Cixous
Et me revoilà partie dans un nouveau livre d’Hélène Cixous, Abstracts et brèves chroniques du temps, 1,
Chapitre Los. Hélène Cixous qui parle dans son prière d'insérer, où elle
s’adresse à « Mes Lisants », de ce livre comme un chapitre du livre-que-je-n’écris-pas. Sentiment donc
qu’il s’agit du Livre, d’un sur-livre, d’un méta-livre, dont elle dit
étrangement qu’il la précède comme une
colonne diffuse (curieux cette allusion biblique. Ne me semble pas usuelle
chez elle ? )
Et cela magnifique : « C'est toujours alors, et seulement quand on a
traversé le désespoir, qui ne cesse d'espérer, et que l'on a atteint le calme
que l'Inattendu absolu arrive. »
Et bien sûr le thème de sa mère, dont on sent bien que la fin approche, (Eve
doit avoir quelque chose comme 104 ans), cette fin qu’Hélène Cixous redoute
depuis tant d’années et tant de livres : « je ne devais, ne pouvais
être au bord de maman à l'instant sans instant suivant. » (15), écrit-elle
rapportant un de ses rêves.
→ Extraordinaire « définition » de la mort si l’on y songe : l’instant sans instant suivant. De la
vie et de la mort.
Je me sens reprise par cette fascination si peu explicable qu'exerce sur moi la
prose d'HC. Si peu partageable aussi avec tous ceux qui n'entrent pas dans
cette œuvre (je les rencontre souvent) ou ont renoncé à la suivre il y a très
longtemps.
« Rien ne m’étonne plus, ni la vie ni la mort, cependant tout me surprend,
la forme du temps est la forme d’une ville intérieure, j’habite à plusieurs
adresses, j’ai plusieurs moi à loger, je me visite diversement » (16)
→ cette dernière note me semble une bonne clé pour lire Hélène Cixous. Il y a
bien cette multiplicité, ce changement de pied constant, cet éclatement du
texte, dont on sent bien qu’il naît à la fois d’une pensée intensément associative
et qu’il est infusé par des bribes de rêve. Hélène Cixous a beaucoup écrit sur
le rêve et la part fondamentale qu’il joue dans sa création et elle est, pour
moi, une des rares qui fassent un usage littéraire convaincant du rêve. Même « mon »
cher Butor tend à m’ennuyer quand il est dans ses rêves (Que Liliane Giraudon a
raison de s’approprier les auteurs, même si chez elle, parlant de son Pouchkine
par exemple, il s’agit aussi de dire non pas : comment l’entendez vous, mais : comme le vivez-vous ?, car il s’agit bien de vivre avec
eux !)
Hallucinant et admirable portrait de
vieillesse (Cixous)
« Le travail du vieillissement est interminable », dit Hélène
Cixous qui n’aura cessé d’en observer le travail sur le visage de sa mère.
« Le parchemin est chaque jour re-dévoré re-tavelé, oxydé, rouillé. Le
soir je baise des croûtes de joue. Une étrange vie contraire broute l’épiderme,
se hâte de kératiniser chaque millimètre de ce qui s’appelait peau hier et
devient cuir moisi, tissu vérolé. Il y a quelqu’un dans le corps acculé qui ne
se rend pas [...] Le visage est la scène d’un partage de pouvoir : tous
les traits, la structure enfoncée, appartiennent au Grand Chiffonnier, mais les
yeux vivent encore, pétillent, cherchent, s’étonnent, appellent, surnagent.
Rien ne m’étonne plus, ni la vie ni la mort. Cependant tout m’étonne ? »
(17)
Poésie et connaissance, Pound et
Rossi
Feuilletant la nouvelle édition des Cantos
de Pound et les quatre dernières parutions de Paul Louis Rossi, je me rends
compte que tous ces livres reposent sur une somme considérable de
connaissances. De nature encyclopédique, incluant l’Histoire, la botanique, la
géographie et bien d’autres domaines encore.
Et je m’interroge, bien superficiellement à ce stade, mais il s’agirait de
poser un jalon, sur la question poésie et connaissance, poésie comme façon de
subsumer des connaissances, voire de les conserver comme un patrimoine (en
danger). Les inscrire au patrimoine mondiale de la Poésie. Auxeméry dit dans un
article que je vais publier prochainement dans Poezibao que les modèles de Pound étaient Homère et Dante et qu’il
visait à une forme totalisante.
Question annexe, quid de la poésie qui exclut complètement le monde et quid de
la littérature axée sur l’ego ?
Une photo insupportable
Je viens de voir sur internet une photo atroce et que je trouve
inadmissible de diffuser : il s’agit de Sylvie Plath après son suicide.
[pour une fois je suis intervenue, j’ai laissé un commentaire disant ma
réprobation et à mon grand soulagement la personne qui avait mis cette image en
ligne l’a supprimée]
Avec Cixous, ça coince
Avec Cixous ça coince même si certains passages me sont délectables. Mais
je n'y comprends pas grand-chose à ses personnages. Ce Carlos est-il Carlos
Fuentes? Et Isaac ? C'est toujours un peu étrange avec elle car on sait
tant sur sa mère, sur son frère, même sur sa fille et son fils et rien sur ses
amours. Sauf Derrida qui n'est pas un amour mais un ami.
Et toujours ce style où les frontières entre réalité imagination et rêves
s'interpénètrent, mais j’ose me demander si parfois le lecteur n’est pas un peu
exclu de ce jeu. Même en essayant de ne pas se fixer au détail, on se perd et
le détail est là, il fait donc sens, mais quel sens ?
Neo Rauch
Découvert au cours d’allemand l’œuvre de Neo Rauch que je ne connaissais
pas du tout. Et qui ne m’emballe guère a priori. Mais qui est sûrement très
intéressante. Dans la reproduction de notre manuel, un étrange mélange :
un personnage dont je suis sûre qu’il est repris d’un tableau ancien, célèbre
ou qu’il représente un personnage célèbre, avec dans les bras non pas un enfant
mais un adulte réduit à la taille d’un enfant, le tout faisant penser au Roi
des Aulnes. Et à droite un personnage à une autre échelle encore, avec un
appareil de photo dans les mains et qui pourrait être un autoportrait. Cet
artiste, m’apprend une vidéo diffusée au cours, a été exposé
il y a peu au musée Frieder Burda
de Baden Baden, dans ce si beau bâtiment de Richard Meier que je connais
bien ! Et où j’ai vu à la fin de l’été une exposition passionnante
sur Fernand Léger et Henri Laurens.
Faire partager une découverte (Georges-Arthur
Goldschmidt)
Retour à Georges-Arthur Goldschmidt dont le livre A l’insu de Babel m’avait tant passionnée. J’ouvre Le Poing dans la bouche (Verdier, 2004)
que je m’échine à écrire Le Point dans la
bouche, comme si je voulais évacuer la dimension de violence rentrée de ce
poing étouffant au profit du point sur le i, du point de ponctuation !
Et que j’aime que dans sa belle introduction G.-A. Goldschmidt dise que lorsque
certains livres ont joué un rôle essentiel dans une vie, on éprouve le besoin
de « raconter cette découverte ». N’est-ce pas ce que fait ce Flotoir, sans cesse, raconter des
découvertes, même si toutes ne sont pas de nature à changer le cours d’une vie
(mais aucune jamais n’est lettre morte
ou indifférente, ceux-là je les laisse de côté, toujours des livres qui d’une
manière ou d’une autre touchent, interrogent, souvent secouent ou délogent du
confort intérieur !)
G.-A. Goldschmidt ajoute que « c’est par la langue française que la langue
allemande fut sauvée de sa contamination par le nazisme qui la marqua du crime
à tout jamais »
La Bruyère (G.-A. Goldschmidt)
Le jeune garçon allemand réfugié dans un internat en Haute-Savoie et sans
doute à la fois très malheureux et très indocile, se voit donner enfin une
punition intéressante : recopier « Le distrait » de La
Bruyère ! « C’était la première fois que j’écrivais du français de
cette façon-là. J’eus l’impression de planer au-dessus du texte, je n’avais
jamais encore remarqué le bizarre et pittoresque agencement de toutes ces lettres
qu’on n’entendait pas, pour la plupart, quand on lisait à haute voix [...] Dans
la détresse quotidienne, cette langue que je recopiais ainsi faisait un
surprenant et merveilleux refuge »
et il faut poursuivre la citation pour bien comprendre de quoi il s’agit :
« Tout était différent de mon allemande maternel. Tout s’y passait
autrement. Sous les phrases parfaites de La Bruyère se profilait, malgré moi,
cette langue allemande. Elle était là, bloc d’effroi et de terreur » et de
là il glisse insensiblement dans une description très forte de ses sensations
et sentiments en Allemagne, avant son exil forcé « personne ne disait
rien, mais tout le monde savait, même moi, je sentais bien que le paysage que
je voyais était à double fond [...] il y avait une terreur sans fond qui
remontait à la surface ». (pp. 13 et 14)
« Cimenter les esprits », G.-A.
Goldschmidt et Klemperer
Je me sens renvoyée à ma toute récente et si prégnante lecture de LTI de Klemperer, lorsque je lis ici :
« cet allemand-là, froid, sec, graniteux, coupait tout, décapitait,
glaçait, figeait, c’est comme si le régime nazi avait ingurgité, phagocyté la
langue et s’en servait pour cimenter les esprits »
Il développe ensuite cet antagonisme si douloureux en lui entre cet allemand-là
et son allemand d’enfance « les bruits, les couleurs, les consistances,
tout s’apprend dans l’émerveillement de la langue maternelle, la maison, le
jardin, l’école forment les sédiments de l’être-soi. La langue, c’est le train
qui passe dans le lointain, haut sur roues, ce sont les reflets de l’eau sous
la voûte du pont, ce sont les voix qui appellent, le Rascheln des feuilles mortes dont le pied retourne
l’épaisseur » (16)
→ la langue dite maternelle, la première connue, et tout ce monde inouï qu’elle
s’incorpore petit à petit, ces jeux de lumière, ces sonorités, ces bruits
proches et lointains, les voix, dépôt, substrat en effet de l’être-soi. Alors
quelle douleur pour le tout jeune garçon, dix ans, onze ans, d’être acculé à
avoir honte de son origine & de cette langue. En raison de ce que les nazis
en ont fait. Et le déchirement de cette ambivalence, même si on pressent que le
français va peut-être l’aider à résoudre.
Force du récit qui superpose très finement les deux temporalités, tellement
proches pour l’enfant qu’il pourrait les confondre, ce qu’il a vécu et ressenti
en Allemagne avant de la quitter, ce qu’il vit en France, dans un profond
isolement. Car « sous la langue d’accueil, l’autre langue continuait à
vivre, cette langue qu’on avait dans le corps et au travers de laquelle
s’étaient mise en place les impressions
premières ».
Et en Allemagne aussi la persécution au quotidien des Juifs par tous, qui me
rappelle la terrible phrase adressée au père de Mireille Gansel. C’est aussi un
professeur, en classe, qui refuse à l’enfant une carte de l’Allemagne qu’il
distribue aux autres et qui lui dit : « Wenn ein Jude deutsch spricht, lügt er, quand un Juif parle allemand, il ment ». (18)
On comprend mieux alors les tensions quasi insupportables qui devaient déchirer
le tout jeune garçon. Au cœur au fond de trois langues, les deux allemandes,
celle de l’enfance et celle des nazis et le français.
Toutes ces pages traversées par le terrible récit des années de terreur sonnent
en écho, en permanence, avec le livre de Klemperer, dont le livre LTI se trouve
cité quelques pages plus loin (23)
Sur la langue (G.-A. Goldschmidt)
Dans cet univers si sombre, l’auteur réussit à faire sourire son lecteur,
par exemple quand il parle de cette faculté de la langue allemande de
construire à l’infini des mots composés… ainsi de cet exemple par lui
choisi : « le pancréas = la glande de la bave du ventre (Bauchspeicheldrüse) » ! [Bauch, le ventre, Speichel, la bave, Drüse,
la glande]
Il y a en effet une vitalité, une drôlerie parfois chez Goldschmidt qui était
très perceptible dans l’émission Répliques,
où il dialoguait (si on peut dire !) avec Heinz Wissmann.
Encore les grands mots de la langue
allemande
Un autre passage amusant chez G.-A. Goldschmidt sur la fabrique des mots, lorsque
tout jeune il prend conscience que « tous ces auteurs solennels et barbus [...]
employaient les mêmes mots simples que [lui] et que tout le monde. Ils se
contentaient d’en faire des paquets plus ou moins longs qui, en français, se
détachaient les uns des autres, Weltvervollkommung,
idée bien allemande, donnait : perfectionnent du monde, ce qui ne voulait
pas dire grand-chose mais passait pour profond. » (25)
Question (autour de G.-A. Goldschmidt et
d’Hélène Cixous)
Quelque chose qui ne parle pas du temps est-il encore lisible pour moi ?
Pourtant je ne peux pas faire à Hélène Cixous le reproche de ne pas parler du
temps ! Mais par exemple, arrivée déjà aux 2/3 du livre, je m’étonne de
n’avoir pas encore lu quoi que ce soit, à propos de ce mot de son titre, los, à propos de son usage dans les
camps. Ce los qui me semble partout,
absolument partout, dans L’Espèce humaine
d’Antelme par exemple. Il serait passionnant au demeurant, d’en savoir un peu
plus sur le rapport d’Hélène Cixous avec les langues étrangères, elle qui a
écrit une thèse sur James Joyce, elle dont la famille maternelle vient
d’Osnabrück en Allemagne, elle qui est d’origine juive ashkénaze par sa mère et
sépharade par son père. Doit-on aussi comprendre qu’il y aurait chez elle un
déchirement entre les langues ? Peut-être ce thème est-il abordé dans le
livre de Frédéric-Yves Jeannet, mais je ne m’en souviens plus (Rencontre terrestre, Galilée,
2005)
Rédigé par Florence Trocmé le 24 février 2013 à 19h43 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 20 février 2013 à 16h23 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Eugénie
Goldstern (Mireille Gansel)
C’est encore une forte et émouvante expérience de traduction que mène
ensuite Mireille Gansel et qu’elle relate dans Traduire comme transhumer, quittant (en apparence seulement) les sentiers
de la poésie pour ceux de l’ethnologie. Il s’agit de l’œuvre d’Eugénie
Goldstern, une jeune ethnologue chassée d’Odessa par les pogroms de 1905,
réfugiée à Vienne, exterminée à Sobibor en 1942, exploratrice de l’arc alpin « qu’elle
arpenta, toutes frontières abolies, pour partager, découvrir, comprendre, décrire
la vie des habitants des vallées les plus reculées ». (85). La traductrice
ressent ses textes comme des « pierres de lumière », en raison de leur
capacité d’émerveillement et de « cette empathie et ce respect envers les
vies les plus simples, qui sont l’hospitalité de celui qui arrive en étranger. »
→ Ne pourrait-on tenter d’avoir cette attitude vis-à-vis d’un livre dans lequel
on arrive en étranger, par définition, avec le respect et l’empathie comme
qualités intrinsèques de l’accueil qu’on tente de lui faire !?
Mireille Gansel montre aussi dans ces pages ce qu’il advint à l’ethnologie en Autriche,
dès 1924, où les idéologues du nazisme ne pouvaient qu’être profondément
hostiles à cette approche d’une « géographie à la fois de l’exil et de l’appartenance
partout où se rencontre l’être humain ».
Eugénie Goldstern fit aussi un important travail de collecte linguistique, recueillant
avec rigueur et minutie les mots et tournures des vallées, des hameaux, leurs
variantes. Quant à sa langue, c’est un « allemand irréductible,
inaliénable » et le traduire représenta pour Mireille Gansel un « long et méticuleux apprentissage d’un
humanisme qui part du particulier le plus humble pour interroger un universel
des quêtes de l’homme dans l’espace et le temps. »
→ où l’on voit une fois de plus quel est le mouvement profond de la quête de
Mireille Gansel, au travers de toutes ces expériences de traduction : la
recherche de l’humain, de l’expérience humaine.
→ je note aussi que cette phrase pourrait s’appliquer à son expérience de
traductrice, partir de quelques singuliers, Kunze, les Vietnamiens, Nelly
Sachs, Eugénie Goldstern pour mettre en évidence chez eux un universel des quêtes.
Admirable conclusion (Mireille Gansel)
Le travail sur l’œuvre d’Eugénie Goldstern amène Mireille Gansel, qui se
trouve alors dans une haute vallée suisse très reculée qu’Eugénie Goldstern
arpenta vers une conclusion que je reprends intégralement ici:
« Je me souviens bien de ce matin de fonte des neiges où, assise à une
antique table, sous les poutres noircies, soudain je réalisai que l’étranger ce
n’est pas l’autre, c’est moi, moi qui ai tout à apprendre, à comprendre de lui.
Ce fut sans doute ma plus essentielle leçon de traduction. » (89).
[On peut lire dans Poezibao une note
de lecture de ce livre]
L’aura des mots (Reiner Kunze)
Ce livre, dont le but est de dénoncer les graves atteintes portées à la
langue allemande par la réforme
de l’orthographe de 1996 est technique et très difficile pour moi. Mais
petit à petit des îlots de sens émergent. Et la page 30, qui explique ce beau
titre L’Aura des mots, est très
frappante et j’aimerais tenter de la traduire.
Il serait intéressant de voir sur la question de l'écriture en deux unités
distinctes de ce qui existait auparavant aussi sous forme liée et généralement
avec un sens spécifique, si on peut trouver des équivalents en français. Si non
et sinon? Mais la langue française ne se construisant pas du tout comme l’allemand,
langue dite agglutinante, ce n'est sans doute pas très pertinent et un bon
exemple se trouvera plutôt par hasard au fil de la lecture et relèvera
davantage d'une vague analogie.
Du déchiffrage et du cerveau droit
Le livre de Pascal Le Corre, La magie
du déchiffrage (sous-titré méthode de
lecture à vue pour tous les instruments) semble fondé à la fois sur son
expérience de pédagogue et de pianiste, mais aussi sur les connaissances qu’il
a acquises dans le domaine de la psychologie cognitive.
Et même s’il est plus spécifiquement dédié à la question du déchiffrage, j’y
trouve de nombreux enseignements qui me semblent utiles pour le jeu de partitions
longuement travaillées aussi et peut-être même dans d’autres domaines comme la
lecture.
Pour résumer sans trop caricaturer, on peut dire que devant une partition à
déchiffrer, il y a deux approches possibles du texte : l'une analytique,
l'autre globale. L'auteur suggère à celui qui souhaite déchiffrer d'adopter une
méthode globale et intuitive de perception de la musique plutôt que de
s'attacher à la note et il propose de s'observer déchiffrant une musique facile
pour soi : attitude du corps, respiration, sonorité et surtout peut-être,
langage intérieur. Il propose de bien comprendre la différence entre ce qui se
passe quand on est dans une approche très analytique tentant de lire toutes les
notes et ce qu'il en est quand on est dans une perception plus globale du
texte.
Cette double approche reposant sur l’usage que l’on fait de son cerveau, prédominance
à gauche où se fait, on l'a vu récemment avec le livre de Stanislas Dehaene (Les Neurones de la lecture), la
reconnaissance des lettres ou bien cerveau droit.
→ En tous cas une occasion de s’interroger sur sa propre manière de
fonctionner, dont on devine qu’elle devrait idéalement et quel que soit le
domaine concerné, recourir de manière équilibrée aux deux parties de notre
cerveau.
→ Cela met aussi pour moi en évidence le caractère inhibiteur du recours au
fonctionnement analytique, cherchant en permanence à mieux faire, à contrôler en continu les paramètres du jeu, notes,
pulsation, etc. et à réparer toutes les erreurs, ce qui finit par entraver
toute spontanéité, et en définitive revient à ne faire aucune confiance à son
sens musical. Une fois un certain travail accompli (indispensable), arriver à
se détacher de la lettre (qui est ici la note) et entrer dans une approche plus
globale.
Le livre est clair : il faut arriver à « jouer sans contrôle mental
excessif », à bien comprendre que « nos états internes agissent sur
nos stratégies et nos savoir-faire ». Et que « lorsqu'on
déchiffre ou joue en étant peu sûr de soi ou de ses moyens, on aura tendance à
contrôler ou à vérifier ce que l'on fait (puisque ça ne fonctionne pas bien
tout seul. !) »
→ ce qui s’appelle être mis devant des évidences ! Et du coup comprendre
la source de certaines de ses difficultés.
Musique (Clara Haskil)
Écoutant Clara Haskil dans un concerto de Mozart, cette impression soudain
que l’orchestre s’incline : je veux dire qu’il est comme pris par le jeu
de la pianiste et l’enserre avec une sorte de tendresse et d’écoute très
surprenantes. (Premier mouvement du concerto n° 13 en do majeur KV 415, Rias Symphonieorchester,
dir. Ferenc Fricsay, enregistrement de 1953).
Et dans ce même concerto, la surprise d’une cadence qui n’est pas une de celles qui sont le plus couramment
jouées ! (N.B. : dans la musique concertante, le mot cadence désigne une sorte d’improvisation
que le soliste joue à un endroit précis de l'œuvre musicale, pendant que les
autres instruments s'immobilisent sur un point d'orgue. source)
Dictionnaire
Toujours cette petite pointe de satisfaction à ajouter des noms importants
au dictionnaire de Word. Je ne sais pas très bien s’ils sont inclus in fine dans le logiciel ou seulement
localement sur mon ordinateur : je me souviens, mais c’était il y a
longtemps, de demandes en ce sens de Microsoft : accepteriez-vous que nous incluions dans le dictionnaire les mots que
vous y avez ajoutés. Faites, faites, pour Ferenc Fricsay, Reiner Kunze,
Nelly Sachs par exemple !
Rédigé par Florence Trocmé le 20 février 2013 à 16h20 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 19 février 2013 à 14h16 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Nelly Sachs (Mireille
Gansel)
J’avance doucement dans le très beau Traduire
comme transhumer de Mireille Gansel et j’en viens à toute la partie qui est
consacrée à Nelly Sachs. Le moment même fait sens, elle n’est pas venue au
début du chemin d’apprentissage. Elle vient à Mireille Gansel alors même que
celle-ci a déjà une grande expérience et une longue pratique de la traduction,
mais plus encore qu’elle a beaucoup réfléchi, comme ce livre l’atteste, au geste de traduire (même si bien sûr une
part de cette réflexion a sans doute cristallisé
pour ce livre).
Avec Nelly Sachs toutefois, son habituelle manière de faire, aller à la
rencontre de l’auteur, est impossible, car elle entreprend de traduire toute sa
poésie vers les années 90 et que la poète est morte en 1970. Mireille Gansel
tente néanmoins un voyage à Stockholm où N. Sachs s’était réfugiée mais c'est
dans la bibliothèque du Collège International des Traducteurs littéraires à
Arles qu'elle trouve le lieu propice à son approche de l’œuvre.
En écho à la méthode de l’exégèse juive
Mireille Gansel décrit en détail sa méthode de travail, une méthode qui s’est
imposée à elle pour sa traduction de Nelly Sachs, à partir de quatre cahiers
dont elle prit conscience qu'ils pouvaient correspondre aux quatre sens de
l'écriture selon l'exégèse juive : littéral, allusif, sollicité, secret. (75)
→ je note ici comment cette grille de lecture à niveaux multiples pourrait être
féconde dans l’approche de la poésie.
Cette progression dans l’œuvre, pas à pas et d'un cahier l'autre, atteste de
l'émotion de la traductrice et suscite celle de son lecteur. Et puis il y a
cette intelligence des sources. En si peu de pages, dire tant sur la langue de
Nelly Sachs et montrer comment elle est marquée et très subtilement enrichie
par sa longue fréquentation des écrits de Martin Buber (notamment sa traduction, avec
Rosenzweig de la Bible), Buber qui s’exprimait dans l'allemand des Juifs de
Galicie.
Leçon de lecture
C’est aussi, via le travail de traduction, une sorte de leçon de lecture de
Nelly Sachs mais aussi plus générale à laquelle semble inviter Mireille Gansel.
Elle montre la recherche des rythmes, s’arrête sur les emplois innombrables de
la particule ver.
→ Et je me souviens ici que Reiner Kunze a écrit un livre (Die Aura der Wörter) pour dénoncer certains aspects de la réforme
de l'orthographe allemande car ils portent atteinte à la richesse, à la
polyvalence de la langue. Et qu’il insiste notamment sur la question de la séparation des
préfixes des verbes, génératrice d’ambiguïté (exemple :
badengehen, "subir un échec", et baden gehen,
"aller se baigner", [doivent désormais s’écrire] tous deux baden
gehen], et d’un appauvrissement du
lexique et des possibilités de combinaisons de la langue.
Toutes ces pages (77 à 80) sont passionnantes pour qui connait un peu
l'allemand. Et je relève avec bonheur, comme chaque fois qu’il est
question de musique, l'allusion au
compositeur et hautboïste Heinz Holliger qui a composé sur certaines œuvres de
Nelly Sachs. (79)
Mireille Gansel ouvre aussi au passage des chemins, des pistes, par exemple via
une allusion aux traductions de la Bible d’un côté par Luther (elle est
considérée comme la source de l’allemand moderne) et de l’autre par Buber & Rosenzweig
Toutes ces pages concernant Nelly Sachs sont profondément émouvantes et
accompagnatrices. Elles montrent ce que c'est qu'une démarche de l'esprit de
haute exigence alliée à une recherche de profonde humanité dans le respect du
poète, de l'œuvre, de l'immense douleur sur laquelle est construite l'œuvre. Et
le lecteur ne se sent jamais brusqué par l’auteur, mais au contraire respecté. C’est
un sentiment rare.
D’une cohérence (Mireille Gansel)
Et l'on prend conscience que dans leur apparente diversité, avec ces
antipodes que sont l'Allemagne et le Vietnam, ce sont toujours des œuvres
d'auteurs qui ont été en proie à la persécution, à la censure, à la guerre que
traduit Mireille Gansel. Il y a comme chez Claude Mouchard une sorte de fil
rouge, celui de la plus grande souffrance humaine.
Transhumer (Mireille Gansel)
Échange avec Mireille Gansel sur cette question du transhumer de son titre, transhumance dont elle s’attache à montrer
qu’il n’y a là rien d’abstrait, que ce n’est pas une métaphore mais quelque
chose de très concret. Elle me fait part aussi d’une remarque de son préfacier,
ami et grand connaisseur de la transhumance, Jean-Claude Duclos sur le fait que
j’ai écrit que l’on passait de l’univers clos propre à l’hiver à celui, ouvert,
qui serait propre à l’été. Ce ne serait pas juste eu égard à ce qu’est en
vérité la transhumance.
→ réfléchissant à tout cela, je me demande soudain si ce ne serait pas le propre d’une bonne métaphore, que de brouiller le clivage
entre abstrait et concret, entre théorie et image, entre savoir et expérience.
Henry Bauchau et les “déliants” (Marc Dugardin)
Marc Dugardin, dans une lettre, me parle de «“l’art poétique” d’Henry
Bauchau (le jaillissement du poème, comme sous une “dictée”; le fait que, dans
la musique où on l’a d’abord “entendu”, il précède la pensée ; l’analogie
que l’on peut faire, mutatis mutandis,
entre les associations dans les rêves et l’enchaînement des mots du poème,
etc.) Poème de gratitude certainement (pour lui, plus largement pour les “déliants”,
pour ceux qui permettent que la parole “ne se retourne pas contre elle-même”) »
→ je note cette idée d’écrivains déliants
qui me renvoient à la perception de maints effets
de la lecture : ces sensations physiques et psychiques qui naissent du
contact avec le livre. Sentiment d’étouffement, de révolte, de rejet, d’enfermement
dans la parole de l’autre, qui serre comme un étau et parfois au contraire
ouverture, liberté, respiration et surtout une forme de dynamisme : cette parole-là
n’est pas empêchante (comme celle qui écrase, ne laisse aucune place à la
pensée personnelle), elle est bien déliante,
elle donne un élan, celui de continuer à chercher, d’aller de l’avant, de
creuser, d’explorer, de tenter, de mener sa propre expérience. C’est une parole
qu’on peut accueillir et faire sienne, sans qu’elle vous lie, vous assujettisse.
Si je reprends la métaphore du gué, certains livres sont comme des pierres
cul-de-sac, à partir desquelles rien n’est possible. D’autres sont de
merveilleux relais, des appuis pour l’élan à toujours reprendre.
Timbales (Claro)
Dans l’intéressant blog du traducteur Claro, je relève :
« dans le 2ème mouvement de la Symphonie n°9 de Beethoven, la timbale
frappe régulièrement un rythme de sicilienne tantôt au sein de l'orchestre,
tantôt seule où elle interrompt la course du Scherzo. C'est, historiquement, la
première fois où la timbale sort de son rôle habituel de simple
"renfort" rythmique (elle intervient parfois seule) et joue autre
chose que la tonique et la dominante. » (source). (Et tant pis pour l’anachronisme ! "Tönet, Ihr Pauken! Erschallet trompeten!" "Roulez timbales, sonnez
trompettes" !(Bach, cantate BWV 214)
Rédigé par Florence Trocmé le 19 février 2013 à 14h13 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 17 février 2013 à 11h21 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Se faire l’interprète (Mireille Gansel)
Je poursuis la lecture de Traduire
comme transhumer où Mireille Gansel continue à poser les étapes de son chemin
de traduction et de traductrice, pas à pas, chapitre par chapitre.
Cette belle idée a le mérite de bien mettre en valeur et en évidence les
moments-clés de ce parcours très particulier, ce « chemin d’apprentissage »
dont on sent bien qu’il est conditionné par une recherche très profonde de sens et de
vérité. De justesse aussi pourrait-on
dire.
Frappant aussi de voir comment elle éprouve le besoin d’aller à la rencontre de
l’auteur et même si cela implique un long voyage, des conditions matérielles
difficiles. C’est ainsi qu’après avoir reçu le choc des poèmes de Brecht, elle
s’en va frapper à la porte du Berliner Ensemble, non sans avoir franchi divers
obstacles pour pouvoir accéder au Berlin Est des années 60. Et là elle
rencontre Helena
Weigel qui l’autorise immédiatement à assister à toutes les répétitions de
la troupe. Elle la verra notamment incarner Antigone
et cela lui fera dire : « la Weigel n’"interprète pas". Elle "se fait
l’interprète". Immense leçon de traduction. »
→ Immense leçon aussi sans doute pour la musique, même si je sens que je ne
perçois pas toutes les implications de la nuance, qu’il va falloir creuser. Ce
que je note, c’est une sorte d’effacement de la personne qui devient seulement
celle qui porte d’un point à un autre, du livre et de l’auteur au spectateur ou
au lecteur. Personne qui bien sûr existe dans toute son épaisseur, ne serait-ce
que pour donner corps au personnage, au texte, mais qui n’est plus Helena
Weigel, un peu comme si elle avait revêtu beaucoup plus qu’un costume de scène,
un double corps, une double identité. On pourrait presque oser un terme fort, transsubstantiation. Et penser le plus
loin possible l’articulation entre faire
(interpréter) et se faire (interprète)
Le traducteur, le musicien, l’acteur se laissent transformer en profondeur par
ce qu’ils interprètent. Si possible dans l’effacement de leur ego et par
communication avec des couches plus profondes d’eux-mêmes. Au demeurant quand l’ego
reste présent, que ce soit chez le musicien ou chez le traducteur, c’est
souvent insupportable, comme une poussière dans l’œil ! Il y a quelque
chose en trop, qui fait écran. Ils font le singe au lieu de se faire l’interprète !
Une arche entre des rives sans pont
(Mireille Gansel)
Puis le livre aborde la découverte de Reiner Kunze. Poète d'Allemagne de l'Est,
interdit dans son propre pays, traducteur des plus grands poètes tchèques. Un
soir d’hiver, Mireille Gansel découvre « un petit livre de poèmes de la
couleur rêche des papiers d’emballage » et qui porte ce titre Sensible Wege [en allemand, sensibel au singulier, sensible au pluriel] : « avec
chaque pas / tendre une arche / entre des rives sans pont »
→ Comment s’étonner, à ce stade de la lecture, de la citation de cette si belle
formule d'une arche comme jetée entre des
rives sans pont. Superbe métaphore de la traduction. Plus encore quand le
traducteur choisit des auteurs ou des textes encore totalement inédits en France.
→ Je note aussi que Mireille Gansel termine souvent ses courts chapitres par
une remarque sur la traduction ou la langue comme si elle jetait cette fois une
arche vers le chapitre suivant. Ce qui souligne la cohérence de sa démarche.
Un mot, seulement (Sensibel, Mireille Gansel)
J’en viens à l’histoire très emblématique du mot sensibel que j’ai entendu raconter pour la première fois un soir de
juin 2010 à la librairieTschann à Paris, lors d’une lecture
de Reiner Kunze, en présence de sa traductrice Mireille Gansel.
Ce mot dans ce poème si limpide dont
elle a compris qu'elle ne pourrait le traduire que si elle prenait le risque de la rencontre et du questionnement. (37)
Et ce sera le voyage et la rencontre dans la modeste cuisine des Kunze
surveillée par la Stasi, l'écoute du poète lisant, la découverte de sa langue « territoire
de confluences de deux langues, celle de son enfance et celle des poètes
tchèques » (p.39). Et la réponse à sa question, comment traduire sensibel : « dans l’aura de
cette langue poétique, le mot sensibel
résonna comme un sismographe infiniment précis. Je proposais de le traduire par
“fragile” et je sentis que cela sonnait juste. »
Mais au chapitre suivant, nouvelle rencontre dans la nouvelle maison des Kunze,
au bord du Danube, puisqu’ils ont dû quitter la RDA. Et les propos du poète sur
la pétrification des cœurs l'amènent à
modifier son ancienne traduction, renoncer au mot fragile pour revenir à sensible.
→ On pourrait certes dire : tout ça pour traduire sensibel par sensible ! Je crois au contraire que c'est une belle
leçon de probité intellectuelle laquelle est sans doute souvent trop peu
présente dans le travail de traduction : trop rapide et superficiel, pas assez
attentif à la nuance, à la variation et surtout peut être dans une trop grande
méconnaissance de l'auteur et de son contexte.
→ à certains égards, je suis aussi renvoyée ici à mes conversations avec
Auxeméry, qui a mis trente ans de sa vie à traduire Olson, accumulant le
maximum de connaissances sur le contexte, notamment la ville de Gloucester, sur
la côte Est des États-Unis, cœur du livre Maximus,
sur les usages du temps, sur la langue aussi, en son état du temps de l’écriture
des poèmes d’Olson. Même écoute, très fine, très attentive, qui se développe et
se forme en faisant travailler l’oreille, exactement comme en musique ! à
la fois par la connaissance de tout ce qui peut contribuer à la compréhension
mais aussi par une longue fréquentation du texte et par l’attention à ce qui en
émane.
Le monocorde (Mireille Gansel et le
Vietnam)
Mais dans la vie de Mireille Gansel, il y a aussi un très long épisode qui
peut surprendre au premier abord, si on ne comprend pas le sens profond de sa
démarche : le Vietnam. Après s’être sentie mobilisée de façon intense et urgente par la guerre et
avoir commencé à explorer le fonds de littérature vietnamienne du Musée de l’Homme,
elle connaît un enchaînement de circonstances qui l’amène à partir au Vietnam
où elle accomplira pendant deux ans un très grand travail de traduction (après
avoir bien sûr appris le vietnamien). Sa bibliographie
atteste bien de tout cela.
Je retiendrai surtout ici la belle histoire du monocorde, cet « instrument
des musiciens aveugles ambulants » et la « poignante et envoûtante
modulation des mots-syllabes de cette voix sans parole et dont chacun s’appuie
sur une échelle de six tons. ». « Âme de la poésie vietnamienne », dit avec une grande humilité la traductrice qui reconnaît : « rien à
voir avec l’onomatopée, ni l’allitération que je m’étais si fièrement appliquée
à élaborer dans l’enthousiasme et l’ignorance de mes premières traductions de
poésie vietnamienne. » !
→ C’est émouvant que ce soit cet instrument de musique, apparemment frustre et
pauvre, qui ait ouvert un sensibel Weg,
un chemin fragile et sensible à la traductrice pour approcher cette littérature
à l’origine si étrangère pour elle.
→ et toujours cette recherche du plus juste
(on peut l’entendre ici au sens musical) puisque Mireille Gansel a appris à
jouer un peu du monocorde, peut-être parce qu’elle a senti que « parvenue
à cet extrême du travail, la traduction ne peut que se retirer sur la grève des
mots absents ». (59)
Grève des mots absents qui renvoie à l’arche jetée entre deux rives sans pont
Rédigé par Florence Trocmé le 17 février 2013 à 11h16 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)