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Rédigé par Florence Trocmé le 29 septembre 2013 à 11h19 dans photomontages | Lien permanent
Un langage sensible
au devenir
Dans le magazine Philosophie, n°72
de septembre 2013, un intéressant entretien avec Françoise Dastur, « une
grande figure de la phénoménologie française ».
« Le temps est insaisissable et le langage même est une manière de
pétrifier ce qui ne cesse de nous échapper. Aussi faut-il partir en quête d'un
autre langage, sensible au devenir »
Françoise Dastur p 73
→ de plus en plus sensible à cette nature du langage, d’immobiliser, de
dévitaliser aussi, de pétrifier donc ce qui advient, en premier lieu parce
qu’il n’en peut extraire qu’une infime mesure. Mais sans désespoir quant à la
possibilité d’en dire quelque chose en raison de cette quête, en effet, d’un
autre langage, d’un autre agencement du langage susceptible de le rendre
« sensible au devenir ». Nicolas Pesquès dans son entretien avec
Alain Veinstein à propos de Juliau 8, 9,
10, ne dit pas autre chose.
Lire (Françoise Dastur)
« Lire c'est redonner vie à une parole morte, toujours de façon très
personnelle. » Ibid p. 74
→ ici aussi profond accord, accord de plus en plus évident même avec cette idée
du rôle très actif, essentiel du lecteur. Et cela quel que soit le niveau de la
lecture…Ne dit-on pas par exemple d’un Pascal Quignard en quête de textes
oubliés de l’époque romaine, qu’il ressuscite
des livres, des auteurs ?
Du flotoir, avec Fred Griot
« le but du journal [flotoir], du carnet de notes, si je lui en
sais un, n’est pas en soi d’accumuler un savoir, une quantité, même de mots,
mais des éléments, des capacités de compréhension.
éléments : fait de mots, oui, évidemment, par eux, avec eux, mais ne se
grisant pas d’eux-mêmes.
capacités de compréhension : et donc de voir, d’admettre, d’accepter,
parfois de refuser.
tenter de « perce-voir » : comment l’on vit, comment ça se
déroule, comment ça roule, coule…
tenir cette vigilance-là, mener cela continûment, c’est un fil ténu à ne pas
casser. » Fred Griot, Refonder.
[...]
« le fait du passage…
nos petites traces comme marques de cette grande affaire qu'est le temps...
(ibid.) »
De l’appartenance (Derrida)
Excellent dossier de Frédéric Neyrat dans le magazine Philosophie à propos de Jacques Derrida. Je relève cette citation
de Derrida : « chaque fois qu'une identité s'annonce, chaque fois qu'une
appartenance me circonscrit, si je puis dire, quelqu'un quelque chose crie :
attention, le piège, tu es pris. Dégage, dégage toi ». (81)
Déconstruire, c’est… (Derrida)
« déconstruire c'est 1.
Montrer que derrière les oppositions conceptuelles règne leur imbrication. 2.
Renverser la hiérarchie. 3. Rendre possible l'événement. Valoriser
l'étranger, le féminin, le dehors, l'écrit, etc. C'est valoriser ce qui est
autre, hétérogène, incalculable, échappant à tout ordre fixe » 82
→ Ce qui compte c'est d'éviter la prise en glace, c'est de sans cesse délier ce
que l'habitude, la tradition, la paresse ont lié, souvent de manière
inextricable.
« La déconstruction n'est ni un nihilisme ni un relativisme : elle ne
montre pas que tout est artificiel et que tout se vaut, mais ouvre nos réalités
à ce qui les excède. » (82)
Du doute (Catherine Weinzaepflen)
« Me méfie de tout ce qui a valeur conclusive. Je pense et écris à
partir du doute. Sinon comment continuer ? » (entretien
avec Liliane Giraudon pour Poezibao)
Derrida et le Derridex
« L'écriture n'est donc pas le moyen de communication d'un message
signifié et identique à lui-même, mais elle se communique en altérant chaque
fois sa signification, à chacune de ses répétitions dans un contexte différent. »
(in Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une
introduction, 173)
→ Et aussi en fonction du terrain où elle tombe autrement dit ce qui revient à
poser la question du lecteur.
Je voudrais évoquer ici ma discussion avec l'auteur de cette très excitante
entreprise qui porte le nom de Derridex.
Je m’étais interrogée sur le bien-fondé d’émettre à partir d’un texte, en
l’occurrence ici les livres de Derrida, des sortes de formulations qui ne sont
pas des citations, mais qui extraient le sens d’un passage du livre. Je me
rappelle d’ailleurs que dans ses Carnets
de notes Bergounioux parle souvent de la nécessité d’extraire ses lectures !
L’auteur du Derridex, Pierre Delain,
dit Delayin, m’écrit en effet :
« Je suis particulièrement sensible à la remarque que vous avez faite dans
votre billet
: "Établir de courtes formulations. Mais sont-elles totalement
respectueuses de l'idée du texte. Si on le fait pour son usage propre ce n'est
pas un problème. Cela peut le devenir si on partage cette lecture."
C'est une question que je me suis posé moi-même dès le départ (car certaines
personnes pourraient prendre le commentaire ou la proposition pour le texte
lui-même). Mais finalement, en quoi cela diffère-t-il de n'importe quelle autre
présentation ou analyse ou commentaire d'un texte (par exemple celles que vous
faites vous-même dans vos pages, ou celles que fait Marc Goldschmit dans son
livre)? Si j'analysais le texte sous la forme classique du livre, ou la forme
répandue du blog, vous n'y verriez aucun inconvénient. Mais en choisissant
d'écrire d'une façon qui transgresse un peu les normes de l'écriture linéaire,
je fais apparaître de façon visible toute l'ambiguïté de la notion d'auteur. Il
me semble que c'est précisément l'effet de la dissémination de l'écriture, de
son énergie aphoristique dont il est question dans la proposition que vous avez
choisie.
Et un peu plus tard, autre précision de sa part, fort intéressante, sur la
démarche :
« Pour revenir à votre argument initial (peut-être cette façon de
fabriquer des propositions est-elle valable en privé, mais faut-il vraiment la
rendre publique?), il se trouve qu'au départ, cette idée m'est venue à propos
de Lacan et non pas de Derrida. Comme j'avais du mal à déchiffrer ses textes,
je me suis mis à fabriquer ces propositions et à les écrire sur des cahiers
(donc purement privés!). Ils m'ont été bien utiles, mais au bout d'un certain
temps je ne les ai plus consultés, et ils sont devenus illisibles (même pour
moi). Donc quand j'ai commencé à m'intéresser à Derrida, je me suis dit qu'en
rendant public ce travail, je serais peut-être forcé de le faire beaucoup plus
sérieusement et méthodiquement, et qu'il me serait plus utile à moi-même.
Ensuite, j'ai été pris dans une sorte de défi, et c'est devenu de plus en plus
gros et tentaculaire. Ça prend beaucoup de temps, mais je crois que ça en vaut
vraiment la peine (en tous cas pour moi) - et puis, il faut bien dire qu'il y a
beaucoup de visiteurs, c'est même surprenant. Donc, c'est aussi quelque chose
comme un don pour les autres.
→ même si ce que nous produisons l’un et l’autre n’a rien à voir, je suis
sensible à la démarche qui me rappelle un peu celle de Poezibao, partir d’une exploration privée, du déchiffrement d’un
univers, pour moi la poésie contemporaine, pour lui l’œuvre de Derrida et la
rendre plus rigoureuse en la menant publiquement !
Et pour compliquer un peu (délicieusement !) les choses, voici un autre
énoncé relevé, non pas dans le site Derridex, mais dans le livre de Marc
Goldschmit sur Derrida, lequel me pose aussi souvent le problème de la
citation, du Goldschmit ou du Derrida ???!!!
Sylvie Germain
Bel entretien avec Alain Veinstein, dans le cadre de l’émission du Jour au
lendemain, du 24
septembre 2013 ;
« J’écris en écrivant » dit-elle et lui « le personnage a l’autorité du songe
», après qu’ils ont évoqué le songe de Constantin (Piero della Francesca) et
qu’elle a établi la différence qu’elle fait entre songe et rêve….
Rédigé par Florence Trocmé le 29 septembre 2013 à 11h17 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Rédigé par Florence Trocmé le 24 septembre 2013 à 11h26 dans photomontages | Lien permanent
Le syndrome de Blow Up
Je pense à ce foisonnement, à ce fourmillement de réalité sur les berges de
Seine récemment et aussi en chacune de mes photos. Photos comme entrée dans une
forme de réalité, comme constat de l'indigence de la perception consciente, en
découvrant le monde si riche de ce qui s'est inscrit à un instant t au 500ème de seconde sur le capteur de
l'appareil. On pourrait appeler cela le syndrome de Blow up.
Anthologie du vert
Tentée par l’idée de construire une anthologie du vert. Elle me vient en
lisant America Solitudes de James
Sacré.
« L'ensemble du paysage tient bon/dans la continuité et variations de ces
verts. » (p 85)
ou encore
« Un arbre entièrement mort dans les gris cendre de son écorce/A l'air
d'être un geste qui médite au bord de tout ce vert,/ Mais de façon plus
gravement silencieuse/Que ne le fait mon poème. (85)
Écriture du voyage (James Sacré)
Souvent du mal avec ces écritures. Pas chez Sacré, mais qui semble avoir
vraiment parcouru longuement, largement le territoire américain (il a même vécu
là-bas, je crois)
Belle question sur le travail du livre : « va savoir /Ce qu'un poème
arrange en trains de mots /A travers du temps et ces espaces parcourus! »
« On a vu un peu, mais qu'est-ce qu'on a su ? (92)
→ Vrai du voyage comme de la vie !!!!
Le nom des arbres (James Sacré)
Passage qui me renvoie à ce que je ressens toujours comme une forme d’infirmité :
ne pas savoir nommer les arbres, les plantes, les fleurs que je croise. Leur
donner uniquement ce pauvre nom générique (et je ne parle même pas de la
privation de la splendeur des noms latins !) :
« J’aime bien connaître le nom des arbres qui sont là, je regarde un orme
(a Chinese elm tree m’a dit
quelqu’un) [...] Le nom des arbres plus que celui des personnes / Qui donnent
le leur à tant de rues dans les villes de partout, autant qu’à de beaux
endroits dans les campagnes. / Les arbres se contentent / D’un seul nom pour
une même espèce, donnant sans même y penser / Ce qu’ils ont de particulier à ce
nom commun. » (America Solitudes,
p. 95)
→ cela rejoint aussi ma longue réflexion sur l’anonymat dans toute son
ambivalence : rejet violent de l’anonymat qui permet de vitupérer lâchement
sur tant de sites Internet (les commentaires chez Pierre Assouline ou sur le
site du Monde sont à cet égard tristement exemplaires) mais aussi conviction
qu’une forme d’anonymat, en politique par exemple, pourrait déjouer les visées
personnelles (le lien entre le nom dit propre et l’égo).
Retour aux arbres, toujours avec James Sacré
« Les arbres reprenant
Le respir à peine visible de leur vert » (105)
→ très belle notion, déjà faite mienne, du respir de l’arbre, le respir du vert
incluant donc toutes les métamorphoses dues à la lumière…
James Sacré en Amérique
Je continue à avancer dans James Sacré. Toujours ce va et vient entre ce
qu'il observe et note souvent magnifiquement (même si je suis souvent gênée par
ces tournures populaires qui font comme des grumeaux dans la pâte du livre) et
l'écriture du poème.
« C'est peut-être à cause du temps gris
Que vient ce sentiment d´être à la fois proche et seulement passant
Par le travers d'un silence qui sait
Que l'éternité s'en fout
D'être une éternité. » (132)
→ et je note sa belle remarque sur les jeux de l’ombre et de la lumière, qui
forment un « jeu de coulisses mobiles » (153). Très juste
représentation d’un phénomène qui m’a frappée cet été, que de voir l’ombre puis
la lumière débouler comme une véritable avalanche sur une colline, par le
simple jeu du soleil et des nuages…
De la technique (Derrida)
Dans le livre sur Derrida (Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une introduction), très passionnante analyse du
rapport entre les cultures et les moyens de communication et la technique d’une
époque donnée, notamment à travers la question du téléphone chez James Joyce : « L'histoire
de la pensée, et de la pensée de l'être, est donc inséparable d'un état et
d'une époque des communications et des techniques ; c'est pourquoi la pensée de
Joyce est bouleversée par le téléphone. »(129)
« Une révolution technique empirique est alors toujours en retard sur la
révolution technique littéraire qui lui correspond ; elle se précède toujours
déjà elle-même et s'inscrit dans la littérature puisque la littérature ne se
limite ni à la page ni au livre et qu'il n'y a pas de hors texte. » (130)
Le temps déréglé (Derrida)
« La technique est ce qui met l'avant et l'après hors de leurs gonds.
Penser son temps c'est aussi penser la technique, et il s'agit alors de penser
le dérèglement de la chronologie par la technique ». (Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une introduction, p.136)
→ Il suffit à cet égard de penser à la question de l'enregistrement, de la
reproductibilité des émissions, des podcasts etc. etc.
Car en effet « la technique est ce qui dérègle les valeurs de l'espace et
du temps. Ce dérèglement du temps par la technique, qui fait passer l'avenir
avant le passé et le passé après l'avenir fait justement apparaître ce que Derrida
appelle spectre. Les “spectres” ou “fantômes” apparaissent dès qu'il y a
inscription ou enregistrement technique : “comme nous savons que, une fois
prise, une fois captée, telle image pourra être reproduite en notre absence,
comme nous le savons déjà, nous sommes déjà hantés par cet avenir qui porte
notre mort. Notre disparition est déjà là.” » (136)
La trace (Derrida)
Et on retrouve la trace : « comme la possibilité la plus générale de la
trace consiste à pouvoir être reproduite en l'absence de ce qui l'a produite,
la reproductibilité technique est constitutive de la trace, et il faut penser
la trace comme revenant » (137).
Belle remarque aussi sur la photographie « lorsque l'on regarde une
photographie comme le fait Derrida, on aperçoit que l'image me survivra, et
qu'elle a d'ailleurs commencé à le faire dès qu'elle est “prise.” Celui que je
peux voir sur la photographie c'est moi, mais ce n'est déjà plus moi, c'est
déjà un autre, c'est moi tel que je pourrais être vu après ma mort, puisque
cette image de moi commence à me survivre dès qu'elle existe » (137)
→ faire l’expérience de regarder des photos de soi dans cet état d’esprit,
d’imaginer quelqu’un du futur la regardant peut-être, ne sachant même pas notre
nom, comme cela nous arrive avec tant de photos d’ancêtres… le visage survivra
peut-être au nom, visages anonymes, yeux grand ouverts sur leur disparition.
De l’enregistrement
Il me faudra réfléchir sur ces idées, à partir de la question de
l'enregistrement sonore, de cette trace ce que j'ai toujours voulu garder des
émissions de France Culture ou de France Musique (bricolages insensés pour
parvenir à enregistrer en mon absence, à l’époque où il n’y avait ni
rediffusion ni podcasts, ce qui fait que ce qui n’avait pu être capté en direct
était irrémédiablement perdu). Cela m'apparaît comme assez central, dans ma
façon d'être, de connaître, d'apprendre.
« Toute présence vivante est précédée et déconstruite par cette revenance
pré-posthume du scripturaire, du sonore, du photographique, et du
filmographique. » (138)
Suit une allusion à Ghostdance film
sur Derrida dont j'ai entendu parler pour la première fois aujourd'hui même,
dans un tout autre contexte.
De ces notes
Et il va advenir cette chose étrange, si j'y parviens, que certaines de mes
notes publiques du flotoir auront un référent
fantôme (en ce sens qu’elles auront été induites par un texte, un livre, un
auteur que je ne peux nommer publiquement). Puisque si X a accepté de dialoguer
avec moi sur son livre, il m'a demandé
qu'il n'en soit fait aucun état dans le flotoir
public. Il y a donc un "journal de lecture" en cours, totalement occulté, mais
qui ne peut qu’imprimer sa marque à l’entour, sur les notes voisines du flotoir.
Résistance à Derrida
« La déconstruction ne peut donc être confondue avec une pensée nihiliste
puisqu’elle travaille à libérer de nouvelles possibilités de pensée. La
multiplicité des concepts que Derrida thématise, investit, et découvre est
telle qu’on doit en effet reconnaître que son travail est aux antipodes de tout
nihilisme et de toute piété. C’est d’ailleurs cette nouveauté et cette création
de concepts qui inquiètent le plus : que faire et comme lire, comme
tolérer en philosophie une pensée qui parle d’autre chose et qui en parle
autrement, qui parle de parjure et de
serment, de promesse , de don et de contre-don, d’écriture, de grammatologie,
de dissémination, de différance, de destinerrance, de clandestination,
de cartes postales, de facteurs de la vérité, d’envois, de spectres, d’hantologie,
de tympan, de grammophone, de ouï-rire,
de Schibboleth, de dates, de parages, de rives, de mono-linguisme
de l’autre, de voix, de signatures, de traces, de cendres, de crypte, de secret, de mal d’archive,
de circonfessions, de glas, de fleurs, de cannibalisme,
de mondialatinisation, etc. Comment,
en effet, les institutions de la philosophie pourraient-elles tolérer cela
qu’elles ne peuvent entendre et qui les déconstruit ? (154)
Les langues en Inde
Article dans le Monde, daté 7 septembre 2013, sur les langues en Inde.
extraits :
« Sur les 850 langues identifiées dans le pays – 300 n'avaient jamais été
documentées –, près de 200 sont menacées de disparition car parlées par moins
de 10 000 locuteurs. »
Un recensement titanesque a été mené. « Les langues retenues devaient
comporter une grammaire et un vocabulaire uniques. Des instituteurs, des
paysans, des universitaires ont ainsi retranscrit des milliers de légendes, de
chansons, sans oublier les mots employés pour désigner les couleurs. "Ces
mots sont généralement les derniers à disparaître quand une langue est proche
de l'extinction", justifie Ganesh Devy », responsable de cette
initiative.
« Que nous apprend l'évolution du langage sur les transformations de la
société indienne ? "L'appauvrissement du vocabulaire employé pour
décrire la végétation ou encore la faune traduit la rupture des liens
écologiques entre les habitants et leur environnement", estime Ganesh
Devy. »
Du commentaire de texte
« L'idée du livre, qui renvoie à une totalité signifiante, est
profondément étrangère à l'énergie aphoristique et destructrice de l'écriture »
→ Ces propos sont un commentaire du derridex, issu de La Grammatologie de Derrida. Non pas une
citation mais une sorte de condensation de la pensée.
Je suis intéressée par cette manière de travailler à partir d'un texte. Établir
de courtes formulations. Mais sont-elles totalement respectueuses de l'idée du
texte. Si on le fait pour son usage propre ce n'est pas un problème
Cela peut le devenir si on partage cette lecture.
→ Cela dit, je trouve cette pensée très forte, l’antinomie entre le livre,
clos, achevé, arrêté forcément à un moment donné du processus et l’écriture. J’ai
dit à Matthieu Gosztola dans l’entretien
pour la Cause Littéraire, que j’étais
plus intéressée par ce qui est en cours, en formation, dans la création que
parce ce qui est achevé, le produit fini en quelque sorte. La chaîne de
montage, l’usine m’intéressent plus que le supermarché !
Rédigé par Florence Trocmé le 24 septembre 2013 à 11h24 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Rédigé par Florence Trocmé le 03 septembre 2013 à 10h38 dans photomontages | Lien permanent
Proust
Passionnée par les cours au
Collège de France d’Antoine Compagnon. En ce moment la série Proust, Mémoire
de la littérature. Je découvre l’univers des cahiers de Proust, que je ne connaissais
pas même si j’avais bien entendu parler des paperolles…. Antoine Compagnon
donne au début du deuxième cours une description saisissante de Proust,
travaillant dans son lit, au milieu d’une muraille de cahiers et carnets, ses
cahiers et carnets de brouillon dans lesquels des années durant il a écrit des
notes, des ébauches, des fragments de son immense roman. Toujours pour moi
cette fascination du cahier, du carnet (Valéry)…
Je relève cela : « L'ensemble des documents conservés à la
Bibliothèque nationale de France, à Paris, rue de Richelieu, comprend
essentiellement 75 Cahiers de brouillon et 20 Cahiers d'un manuscrit pour la
partie du roman qui va de Sodome et Gomorrhe au Temps retrouvé. Mais
la classification officielle est largement erronée, car elle confond brouillons
et manuscrits » et cela : « De la même manière, le classement
thématique ou narratif, qui fait correspondre chaque cahier de brouillon à une
section précise du roman achevé en 1927 à titre posthume, devrait être remplacé
par un autre, stratigraphique, qui restituerait les différentes étapes
successives de la rédaction de l'œuvre, en 1909, en 1911, en 1914 et à partir
de la Grande Guerre. Un fragment de brouillon correspond à un état du chantier,
bien plus qu'à un segment du récit. On aurait ainsi plusieurs couches se
recoupant parfois, ou plutôt une série de cercles concentriques, avec des
transversales, mais tous à partir du Contre Sainte-Beuve. L'analyse
interne aussi bien que matérielle des cahiers, celle des quelques séries
numérotées par Proust et l'étude comparée de la biographie, de la
correspondance et des documents manuscrits pourraient y aider. » (Bernard
Brun, ici), car bien évidemment ce qui me parle ici, c’est la manière, la
méthode, le côté stratigraphique, l’accumulation de couches successives…. Et la
manière proliférante dont s’est sans doute construite la Recherche, mais
cela je pense qu’Antoine Compagnon va l’aborder plus avant dans les cours
suivants. « la volonté de créer un réseau de correspondances internes est
née d'une intention de l'écrivain, bien sûr, mais surtout de sa façon de
rédiger dès le départ, à partir d'un noyau qui se développe dans tous les
sens. « (Bernard Brun, encore).
Et bien sûr aussi, je pense mutatis mutandis au flotoir, à cette
manière de bourgeonner sans fin sur quelques mêmes tiges, de développer
toujours les mêmes thèmes… de les reprendre, les compléter, les amender, les
faire varier, presqu’au sens musical du mot….
Antoine Compagnon
De plus en plus prégnante cette
idée que La Recherche c’est un peu comme la Bible pour certains, un
livre qu’on a toujours avec soi et qu’on ouvre au hasard, sûr d’y trouver
quelque chose qu’on n’a pas encore vu. Frappant à cet égard d’entendre Antoine
Compagnon montrer comment soudain il a « vu » telle allusion
baudelairienne non aperçue encore malgré sa fabuleuse connaissance de l’œuvre
et comme le paysage en a été changé pour lui.
J’aime la façon dont à l’intérieur de son cours, par des allusions et des
citations, mais aussi puisque c’est son sujet dans cette série, à l’intérieur
de l’œuvre de Proust, il met les œuvres en perspective, il opère des
rapprochements, il montre des sources possibles pour la réflexion.
Einstein & Mozart
J’ai eu l’occasion d’entendre de
manière fortuite et plus ou moins prolongée des extraits de La Grande
Traversée Einstein, une série d’été de France Culture. Ce que j’ai entendu
m’a passionnée, m’a paru très accessible malgré la difficulté des thèmes
abordés et j’ai podcasté toute la série.
Mais ici je veux noter surtout cela : Thibault Damour raconte qu’Einstein,
à qui on disait que sa notion d’espace-temps était extrêmement difficile à concevoir,
répliquait en évoquant Mozart. Ce dernier aurait écrit que « ce qu’il y a
de plus beau après la composition d’un morceau, ce n’est pas de l’entendre dans
le temps mais, comme le dit Mozart en inventant un néologisme allemand de le sur-entendre
d’un coup, en bloc, d’écouter ce morceau de musique du début à la fin sans le
passage du temps. »
→ Ce qui me renvoie, bien sûr, aux innombrables remarques de Celibidache,
relevées il y a quelques mois dans le flotoir, sur le fait qu’un
musicien, jouant la première note, devait comprendre qu’elle contenait toute la
pièce et avoir toute cette pièce en lui « sans le passage du temps »,
comme dit Thibault Damour.
Et dans ces émissions on rappelle souvent à quel point Einstein, qui jouait du
violon, était un fin musicien.
Sur-entendre
Faisant une recherche sur cette
notion mozartienne, je relève cet intéressant extrait d’un article de Bruno
Lussato à propos de certains critiques musicaux : « Pour eux la
musique s'appréhende de manière sensuelle, par le toucher (la pulpe sensuelle
des doigts), par le goût (la dégustation au propre comme au figuré), par
l'odorat (le parfum d'un accord), par l'ouïe (l'art de combiner les sons de
manière agréable à l'oreille) mais certainement pas par la vue qui dévoile
l'appréhension profonde de la structure des partitions, ce que Mozart appelait
"sur-entendre", et Beethoven "la musique par opposition au bruit
qu'elle fait". (ici)
A rapprocher donc une fois encore des propos de Celibidache. (voir ici par exemple)
Bruno Lussato dont je découvre qu’il était non seulement un sémanticien mais
aussi un grand musicologue, spécialiste du Ring de Wagner sur lequel il a
publié un livre de plus de 1000 pages chez Fayard…(bel entretien ici avec lui sur ConcertoNet en 2005 : )
Bruno Lussato
Frappée aussi de ce qui est dit
dans la notice Wikipédia de l’auteur : « L'Entretien, Apocalypsis
cum Figuris, grande œuvre de sa vie, en perpétuelle évolution, ce journal
de plusieurs tomes a été donné, puis continué pour la Bibliothèque nationale de
France où il est conservé au département des manuscrits anciens. Ces livres
sont conçus comme une sorte de livre d'heures ; il y regroupe tout ce qui peut
l'inspirer dans son travail ou dans ses passions : enluminures, musique
classique, calligraphie, montages photographiques, art moderne. Chaque livre se
découpe en séquences qui s'entremêlent et racontent une histoire différente. Il
y écrit par à-coups, et chaque tome est sur un thème particulier et sous une
forme différente. »
Je relève aussi cela sur le site de France Culture : « La variété des catégories,
reflète celle des centres d'intérêts de Bruno Lussato. En dépit de leur
hétérogénéité, on relève deux constantes : leur sujet est l'information sous
toutes ses formes, leur dynamique est celle du décodage. Une partition de
Beethoven, un film comme Rashomon, un manuscrit calligraphié, un conte
populaire et ses variantes, Guernica de Picasso, une émission sur le
végétalisme, l'organigramme d'une multinationale, les images des tortures en
Irak, les imprécations des terroristes, les discours électoraux, tous ces
bruits du monde, ont pour matière première des signes formalisés, organisés
selon des codes et des paradigmes plus ou moins explicites. Ce sont des cartes,
dont le territoire reste souvent secret. Il arrive qu'une carte soit immuable,
alors que le territoire a changé (C'est le cas des grands glissements de sens
et des changements des paradigmes) D'autres fois, au contraire, c'est la grille
de lecture qui subit des déformations et des influences occultes alors que le
territoire est stable. (Shakespeare et Molière ont exprimé des ressorts du
comportement humain qui sont toujours actifs) [...] Le décodage a pour but, non
seulement de mettre à nu les ressorts de la création mais aussi, la
signification souvent occulte, de ses déformations : mode, esprit du temps,
snobisme, politiquement correct ou désinformation.
L’Atelier contemporain
Grand plaisir à voir reparaître cette revue dirigée par François-Marie
Deyrolle. Un dossier « Pourquoi écrivez-vous sur l’art ». Comme
toujours contributions assez inégales, mais de très belles choses. Joël Bastard
évoque pour commencer sa manière de jouer à l’imprimeur quand il était tout
enfant et quelque chose que j’avais bien oublié mais que j’ai pratiqué aussi
les transferts d’images de magazine par trichloréthylène ! Comme lui, je
me rends compte que j’ai fait avec mes encres de Chine et mes poèmes des livres
d’artiste à exemplaire unique sans le savoir ! Bergounioux, ici bien
académique et ennuyeux… il l’a vraiment fait à sa table de peine, ce texte-là. Beaucoup aimé en revanche les textes
simples, mais profonds et surtout tellement respectueux de l’autre, l’artiste
avec qui ou à partir de qui on travail, de Ludovic Degroote. Ou le texte de
Marcel Cohen. Très intéressée par le texte de Jean Frémon dont j’ignorais qu’il
avait travaillé avec Jacques Dupin. Et touchée par un écrivain que je connais
peu, mais qui écrit ici de belles choses, Eric Pessan.
L’Atelier Contemporain, Alexandre Hollan
Numéro inégal comme tout bon numéro de revue… mais une grande cohérence
dans l’approche du thème qui traite au fond des rapports de l’écrivain et du
peintre. Un beau dossier Monique Tello, peintre, avec des notes d’Antoine Emaz
et d’autres de Ludovic Degroote. Suis frappée aussi de voir comment les auteurs
se racontent, c’est vrai notamment de Bruno Krebs qui semble très empêtré dans
les histoires papa-maman (père peintre, Xavier Krebs, mère actrice, sans doute
Nathalie Krebs….) qui pourtant reste intéressant et même émouvant ou de Frédéric
Valabrègue qui raconte des histoires de son enfance et de territoire avec son
grand frère.
Par ailleurs bel ensemble de notes, très original, du peintre et dessinateur
Alexandre Hollan. Des notes d’atelier et de vie qui me font un peu penser
parfois à celle d’Antoine Emaz.
Rédigé par Florence Trocmé le 03 septembre 2013 à 10h16 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent