Un langage sensible
au devenir
Dans le magazine Philosophie, n°72
de septembre 2013, un intéressant entretien avec Françoise Dastur, « une
grande figure de la phénoménologie française ».
« Le temps est insaisissable et le langage même est une manière de
pétrifier ce qui ne cesse de nous échapper. Aussi faut-il partir en quête d'un
autre langage, sensible au devenir »
Françoise Dastur p 73
→ de plus en plus sensible à cette nature du langage, d’immobiliser, de
dévitaliser aussi, de pétrifier donc ce qui advient, en premier lieu parce
qu’il n’en peut extraire qu’une infime mesure. Mais sans désespoir quant à la
possibilité d’en dire quelque chose en raison de cette quête, en effet, d’un
autre langage, d’un autre agencement du langage susceptible de le rendre
« sensible au devenir ». Nicolas Pesquès dans son entretien avec
Alain Veinstein à propos de Juliau 8, 9,
10, ne dit pas autre chose.
Lire (Françoise Dastur)
« Lire c'est redonner vie à une parole morte, toujours de façon très
personnelle. » Ibid p. 74
→ ici aussi profond accord, accord de plus en plus évident même avec cette idée
du rôle très actif, essentiel du lecteur. Et cela quel que soit le niveau de la
lecture…Ne dit-on pas par exemple d’un Pascal Quignard en quête de textes
oubliés de l’époque romaine, qu’il ressuscite
des livres, des auteurs ?
Du flotoir, avec Fred Griot
« le but du journal [flotoir], du carnet de notes, si je lui en
sais un, n’est pas en soi d’accumuler un savoir, une quantité, même de mots,
mais des éléments, des capacités de compréhension.
éléments : fait de mots, oui, évidemment, par eux, avec eux, mais ne se
grisant pas d’eux-mêmes.
capacités de compréhension : et donc de voir, d’admettre, d’accepter,
parfois de refuser.
tenter de « perce-voir » : comment l’on vit, comment ça se
déroule, comment ça roule, coule…
tenir cette vigilance-là, mener cela continûment, c’est un fil ténu à ne pas
casser. » Fred Griot, Refonder.
[...]
« le fait du passage…
nos petites traces comme marques de cette grande affaire qu'est le temps...
(ibid.) »
De l’appartenance (Derrida)
Excellent dossier de Frédéric Neyrat dans le magazine Philosophie à propos de Jacques Derrida. Je relève cette citation
de Derrida : « chaque fois qu'une identité s'annonce, chaque fois qu'une
appartenance me circonscrit, si je puis dire, quelqu'un quelque chose crie :
attention, le piège, tu es pris. Dégage, dégage toi ». (81)
Déconstruire, c’est… (Derrida)
« déconstruire c'est 1.
Montrer que derrière les oppositions conceptuelles règne leur imbrication. 2.
Renverser la hiérarchie. 3. Rendre possible l'événement. Valoriser
l'étranger, le féminin, le dehors, l'écrit, etc. C'est valoriser ce qui est
autre, hétérogène, incalculable, échappant à tout ordre fixe » 82
→ Ce qui compte c'est d'éviter la prise en glace, c'est de sans cesse délier ce
que l'habitude, la tradition, la paresse ont lié, souvent de manière
inextricable.
« La déconstruction n'est ni un nihilisme ni un relativisme : elle ne
montre pas que tout est artificiel et que tout se vaut, mais ouvre nos réalités
à ce qui les excède. » (82)
Du doute (Catherine Weinzaepflen)
« Me méfie de tout ce qui a valeur conclusive. Je pense et écris à
partir du doute. Sinon comment continuer ? » (entretien
avec Liliane Giraudon pour Poezibao)
Derrida et le Derridex
« L'écriture n'est donc pas le moyen de communication d'un message
signifié et identique à lui-même, mais elle se communique en altérant chaque
fois sa signification, à chacune de ses répétitions dans un contexte différent. »
(in Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une
introduction, 173)
→ Et aussi en fonction du terrain où elle tombe autrement dit ce qui revient à
poser la question du lecteur.
Je voudrais évoquer ici ma discussion avec l'auteur de cette très excitante
entreprise qui porte le nom de Derridex.
Je m’étais interrogée sur le bien-fondé d’émettre à partir d’un texte, en
l’occurrence ici les livres de Derrida, des sortes de formulations qui ne sont
pas des citations, mais qui extraient le sens d’un passage du livre. Je me
rappelle d’ailleurs que dans ses Carnets
de notes Bergounioux parle souvent de la nécessité d’extraire ses lectures !
L’auteur du Derridex, Pierre Delain,
dit Delayin, m’écrit en effet :
« Je suis particulièrement sensible à la remarque que vous avez faite dans
votre billet
: "Établir de courtes formulations. Mais sont-elles totalement
respectueuses de l'idée du texte. Si on le fait pour son usage propre ce n'est
pas un problème. Cela peut le devenir si on partage cette lecture."
C'est une question que je me suis posé moi-même dès le départ (car certaines
personnes pourraient prendre le commentaire ou la proposition pour le texte
lui-même). Mais finalement, en quoi cela diffère-t-il de n'importe quelle autre
présentation ou analyse ou commentaire d'un texte (par exemple celles que vous
faites vous-même dans vos pages, ou celles que fait Marc Goldschmit dans son
livre)? Si j'analysais le texte sous la forme classique du livre, ou la forme
répandue du blog, vous n'y verriez aucun inconvénient. Mais en choisissant
d'écrire d'une façon qui transgresse un peu les normes de l'écriture linéaire,
je fais apparaître de façon visible toute l'ambiguïté de la notion d'auteur. Il
me semble que c'est précisément l'effet de la dissémination de l'écriture, de
son énergie aphoristique dont il est question dans la proposition que vous avez
choisie.
Et un peu plus tard, autre précision de sa part, fort intéressante, sur la
démarche :
« Pour revenir à votre argument initial (peut-être cette façon de
fabriquer des propositions est-elle valable en privé, mais faut-il vraiment la
rendre publique?), il se trouve qu'au départ, cette idée m'est venue à propos
de Lacan et non pas de Derrida. Comme j'avais du mal à déchiffrer ses textes,
je me suis mis à fabriquer ces propositions et à les écrire sur des cahiers
(donc purement privés!). Ils m'ont été bien utiles, mais au bout d'un certain
temps je ne les ai plus consultés, et ils sont devenus illisibles (même pour
moi). Donc quand j'ai commencé à m'intéresser à Derrida, je me suis dit qu'en
rendant public ce travail, je serais peut-être forcé de le faire beaucoup plus
sérieusement et méthodiquement, et qu'il me serait plus utile à moi-même.
Ensuite, j'ai été pris dans une sorte de défi, et c'est devenu de plus en plus
gros et tentaculaire. Ça prend beaucoup de temps, mais je crois que ça en vaut
vraiment la peine (en tous cas pour moi) - et puis, il faut bien dire qu'il y a
beaucoup de visiteurs, c'est même surprenant. Donc, c'est aussi quelque chose
comme un don pour les autres.
→ même si ce que nous produisons l’un et l’autre n’a rien à voir, je suis
sensible à la démarche qui me rappelle un peu celle de Poezibao, partir d’une exploration privée, du déchiffrement d’un
univers, pour moi la poésie contemporaine, pour lui l’œuvre de Derrida et la
rendre plus rigoureuse en la menant publiquement !
Et pour compliquer un peu (délicieusement !) les choses, voici un autre
énoncé relevé, non pas dans le site Derridex, mais dans le livre de Marc
Goldschmit sur Derrida, lequel me pose aussi souvent le problème de la
citation, du Goldschmit ou du Derrida ???!!!
Sylvie Germain
Bel entretien avec Alain Veinstein, dans le cadre de l’émission du Jour au
lendemain, du 24
septembre 2013 ;
« J’écris en écrivant » dit-elle et lui « le personnage a l’autorité du songe
», après qu’ils ont évoqué le songe de Constantin (Piero della Francesca) et
qu’elle a établi la différence qu’elle fait entre songe et rêve….