Déni du manque (C. Hubin)
J’ai presque fini ma première lecture de Rouleaux de Christian Hubin. Il en va avec lui comme avec Philippe Jaffeux, il faut revenir sur ses formulations, selon des heures et des humeurs différentes, car toutes ne percent pas (comme la lumière) dans les mêmes circonstances. Il en va du contexte, au sens le plus large, celui de la vie, celui des lectures, celui de l’avancée dans telle ou telle œuvre connexe.
« Retrait sans nom de quelque chose dont manquer même va disparaître ; dont nous manque de ne rien avoir. » (p. 111)
→ Une de ces redoutables formulations qui semblent tromper l’esprit qui croit les comprendre et, les creusant, s’aperçoit qu’elles fuient littéralement. Mais il me semble qu’ici il est question de quelque chose d’infiniment grave, l’effacement programmé du manque. Éteindre le manque, l’idée même du manque, c’est une conduite dictatoriale. Faire en sorte que le manque n’ait plus droit de cité. Je pense à la Corée du Nord, par exemple.
Plus de livres d’abord, puis abolition du manque du livre ensuite. Il s’agit aussi de préjuger de l’existence de tel ou tel manque chez l’autre. La redoutable formule « tu n’en as pas besoin ». Qui a le droit de dire cela à autrui, qui sait ce dont autrui a besoin ou pas ? Toutes choses, je le pressens, que je vais retrouver dans Critique du Jugement de Pascal Quignard que j’aborde tout juste et qui me déborde déjà par sa profondeur et sa richesse.
Du jugement, avec Quignard, en effet
…avec ce gros livre, admirablement édité et imprimé comme toujours chez Galilée, Critique du Jugement.
Dans son introduction Pascal Quignard donne sept définitions, dont on comprend vite qu’elles concernent ceux qui peuvent être vecteurs du jugement : le journaliste professionnel, l’éditorialiste, le critique, le lecteur professionnel, le juré, le professeur.
Il ne s’exonère pas de sa propre expérience : « Partout, pour peu qu’on réclamât mon expertise, je jugeais de tout à partir de je ne sais quelle compétence interne (arrogance) ou en suivant un inexplicable sentiment d’intégration aveugle (surmoi) plus hardi et déterminé qu’assumé et conscient. J’ai tout quitté en 1994. Je commençai une troisième vie qui quitta le jugement. »
Et donc de préciser que ce que l’on va trouver dans ce nouveau livre, ce n’est pas une critique de la presse, des jurys, etc. mais une critique du jugement.
→ Ces propos me parlent très fortement. Je suis obnubilée par la question du jugement à laquelle me confronte en permanence l’existence même de Poezibao. Je me souviens fort bien avoir répondu à des amis qui, connaissant ma passion de la musique et mes quelques connaissances dans ce domaine, me demandaient pourquoi je ne faisais pas de la critique musicale, que je ne me sentais aucune légitimité pour le faire. Peu importe ici le degré de légitimité, souvent relatif, de ceux qui pratiquent la critique musicale, mon opinion quant à ma légitimité n’a pas variée. Tout au plus puis-je m’engager dans le partage de ce que je connais, faire état de mes choix, tout en sachant qu’ils sont à 90% subjectifs. Et je ne fais même pas allusion au terrible conditionnement lié au fait de s’inscrire dans un temps historique déterminé et dans une histoire individuelle.
Mais pourquoi serais-je plus légitime dans l’exercice de la critique littéraire ? Quels sont les critères de ce travail-là ? Je n’ai pas de réponse. La seule et unique que je puisse faire est travail, travail, travail. Il me semble qu’une certaine capacité à juger, très sommaire, s’établit au fil des lectures incessantes, depuis des années. Mais je ne me fais aucune illusion : je serais parfaitement capable de laisser passer un chef d’œuvre ! Et de soutenir des œuvres tout à fait médiocres.
Je suis constamment à la recherche de critères, parfois même de clés presque magiques, qui me permettraient de savoir si une œuvre est importante ou pas, si elle apporte quelque chose. Presqu’à la manière d’une analyse de sang : oui, il y a bien matière à…, à tel dosage !!!! Plaisanterie bien sûr, mais qui exprime bien mon désarroi (et sa composante morale). Car tout choix exposé publiquement est de facto une forme de jugement.
Il y a donc souvent la tentation de quitter le jugement ! Ce qui veut dire fermer Poezibao, c’est évident. Cela viendra un jour. Il restera sans doute le flotoir, avec sa subjectivité clairement énoncée sinon assumée.
Du jeu avec le corps
Mais quand et comment le jugement se met-il à jouer un rôle dans une vie d’homme ? Pascal Quignard se penche sur le développement du petit enfant : « L’homme ne connaît véritablement que ce qu’il rejoue avec son corps. Il rejoue oculairement tout d’abord, puis il rejoue aves les mains, puis il rejoue avec l’ensemble du corps qui se met à répercuter – comme un miroir de chair – ce qu’il perçoit dans le visible. Plus tard il rejoue avec le langage. Puis il rejoue encore dans la mémoire à l’aide du langage. L’enfant en grandissant est une arborescence de ces rejeux. » (p. 18)
→ Autrement dit dès le début il y a imitation et donc modèle. Le petit enfant modèle son être sur celui de sa mère, son père, etc. Il leur fait ce don et ce don est vital : « l’homme reçoit en rendant ce qu’il reçoit. »
D’où cet arrière-fond indestructible, chez tout homme : « restent toujours autour du parleur devenu mûr, adulte, quand il parle, dans l’air qui l’entoure, bien des gestes anciens ébauchés, fossiles, simiomorphes, étranges, fantômes errants qui projettent leur danse elliptique, oubliée, phylogénétique, irrésistible, silencieuse. (Critique du jugement, p. 19)
L’œuvre originale (P. Quignard)
« Dans une société l’œuvre originale est le véritable objet neuf. Il surgit comme un jusque-là jamais vu dans le visible. L’objet sans sujet. C’est ainsi que dans le monde familial, comme dans le monde social, l’écart le plus radical est celui de l’œuvre.
L’œuvre, par rapport à l’objet manufacturé, artisanal, définit l’objet singulier imprévisible.
Ce qui n’est pas attendu et qu’aucune norme n’encadre. » (p. 21)
→ Selon sa méthode habituelle, Quignard procède par petits blocs qu’il donne souvent l’impression de sculpter, très concrètement, comme s’il partait d’un amas, plus ou moins indistinct, fermé, obscur, au sein duquel, par éclats, il va dégager une figure, un sens. Ouvrir une meurtrière dans le mur du temps ou de l’incompréhension. Chaque bloc a son autonomie, mais on se doute aussi que c’est une tesselle de la grande figure en cours de montage.
L’individualisation (Quignard)
Il va donc s’agir pour l’être humain d’accéder à une individualisation, à partir de ce fond commun. « L’individualisation, qui vient à la suite de la socialisation comme une étrange perversion, impose le courage presque "héroïque" de rompre les liens affectueux et incroyablement imprégnants de la bande généalogique. » (p. 21)
→ Fort ce mot de bande généalogique. Comme une harde, une meute ! Si difficile de diverger ! De quitter les rangs ou la chaleur du groupe. De s’abstraire de « la douce morosité de la dépendance », car ce ne sont pas « le vice ou la faute ou la transgression qui sont les principaux tentateurs du désir humain mais la norme. »
→ Et une fois de plus, au risque de se répéter, dire et redire comme la lecture peut avoir, dans les années de formation, ce pouvoir d’aider à diverger, notamment par l’inouïe pluralité des mondes qu’ouvrent les livres. Pluralité qui met en péril la norme donnée localement pour seule viable.
Penser a deux sens
dit ensuite Pascal Quignard. « Le premier sens est pédagogique : c’est s’emprisonner dans le monde linguistique en l’acquérant dans toutes ses règles [...] lier le doxique en faisceaux fascinants. [...] Le deuxième sens de penser [...] suppose que l’on ait franchit l’étape de l’identification linguistique en sorte de pouvoir abroger en partie la domination de la langue sur la psychè. Il suppose l’écriture. »
→ Cette double articulation est bien la clé du travail du poète. Identification linguistique aussi poussée que possible mais pour pouvoir ensuite la démonter, la détruire ou la contester de l’intérieur, la repenser. Et donc cette idée que j’ai toujours eue, que la poésie peut et doit être la fine pointe de la pensée. Il s’agit, dit Quignard, dans sa langue si particulière, pétrie de langues anciennes de « se distancer de l’imperium ». « C’est desceller la fonction "je" de la réversion du dialogue ; c’est éloigner son corps du foyer reproducteur [...] c’est se désolidariser de la bande généalogique, puis de la communauté de bandes, c'est-à-dire la nation, puis de la communauté des morts, c'est-à-dire la religion. » (p. 23)
La prégnance des débuts
Mais c’est une entreprise éminemment difficile tant sont prégnants les affects des premiers temps : « C’est ainsi que l’appartenance, les premières saveurs au fond de la bouche rappelant leurs joies singulières, et pour la plupart, définitives, les premières cadences, les premières mélodies, les premières demeures sont aussitôt constitutives à la mère perdue.
Au contenant perdu.
Le premier paysage, le premier rivage, la première neige, le premier Noël, les mets préférés, le son de la langue natale gagnent toujours sur l’exil. » (p. 25)
→ Ce qui me renvoie aux mots de Thierry Martin-Scherrer concernant les musiques originaires, ces premières musiques qui furent nôtres, très jeunes et qui nous marquent d’un sceau indélébile, qui formatent souvent nos goûts de telle sorte qu’aller dans une autre direction demande un effort d’accommodation parfois considérable. Il y aurait là un mur qui ne peut être entamé que par la puissance de la répétition. Car comme disent les Shadocks, « en essayant continuellement on finit par réussir, donc : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »
Cas de conscience
Grand dilemme pour la conscience moderne : « tel pays va acheter x Rafales ». Alors, oui, bonheur pour ceux qui vont les fabriquer, mais dans le même temps, recul de fond devant cet oiseau-là, au potentiel de destruction considérable.
Le même dilemme souvent entre ce qui « favorise l’emploi » et ce que cela implique comme atteinte à la nature ou au simple bon sens (barrages énormes, centrales nucléaires, fermes ((et non pas plateau)) de mille vaches), et ainsi de suite, oui, suite, suite, suite, enchaînement fou vers toujours plus haut, plus grand, plus puissant et plus destructeur potentiellement.
Mithridatisation
Tout aussi redoutable pour la conscience contemporaine ce phénomène qui fait que, saturée par l’universelle relation de l’horreur, urbi et orbi, elle en vient à ne plus connaître l’émotion. Elle assiste, dans un sentiment d’impuissance, à l’enchaînement des tragédies et des catastrophes. Un bel article de Sylvie Kauffmann dans Le Monde, le disait il y a peu. Elle faisait un parallèle entre la crise des boat people à la fin des années 70 et les drames de la dite Mare Nostrum aujourd’hui. Relatant la visite à l’Élysée, le 26 juin 1979, des frères ennemis, Sartre et Aron, elle concluait : « C’était il y a trente-six ans. Aujourd’hui, la communauté internationale est confrontée à une crise humanitaire d’ampleur comparable. Cette fois, ce n’est pas le golfe de Siam qui engloutit les naufragés, mais la Méditerranée. La France a-t-elle à ce point changé que ces appels à la solidarité soient inimaginables aujourd’hui ? Où sont les intellectuels ? Les ONG ? Les archevêques ? Les maires ? Les présidents ? » (Le Monde du 24 avril 2014)
La mithridatisation consiste à inoculer ou s’inoculer des doses croissantes d’un poison pour se rendre petit à petit insensible à son effet. Ici l’inoculation n’est pas volontaire (est-ce si sûr ? Quels ressorts humains là-dessous, quelle volonté politique surtout ?) mais l’effet est le même. Désensibiliser.
Les « intellectuels » pourraient aider à prendre au moins conscience de ce phénomène. Mais où sont-ils, que font-ils ?
L’inévitable (Keith Jarrett)
Un bel entretien avec le musicien dans le dernier numéro de la revue Pianiste. A la question « comment décidez-vous de ce que vous allez jouer quand vous êtes seul en scène sans aucun programme préétabli ?, Jarrett répond : « L’inévitable doit advenir et non pas ce qui est évident. Un accord de ré majeur peut littéralement me crier au visage pour être joué. Je dois donc jouer cet accord de ré majeur. Ce que j’appelle l’inévitable, c’est ce qui, quand on se met en situation d’ouverture totale, apparaît comme étant la seule chose possible à jouer. Et vous n’avez même pas la possibilité de porter un jugement sur cette sensation [...] Quand un auditeur est touché par ce qui se joue, c’est que quelque chose de l’ordre de cet inévitable lui a été transmis. » (Pianiste, n° 92, mai-juin 2015, p. 33)
→ n’en va-t-il pas exactement de même en poésie ? Le lecteur est touché quand il sait qu’il n’a pas à faire avec un jeu plus ou moins gratuit de l’esprit, fut-il brillant, mais à quelque chose d’inévitable. Ce que rappelait aussi Veinstein dans le début des Ravisseurs : ce qui a été écrit était-il inévitablement à écrire pour celui qui l’a écrit. Tellement souvent le sentiment que le poète a cherché un sujet, un truc, parfois une contrainte, pour cacher qu’il n’a rien d’inévitable à dire. Simplement l’envie d’écrire, une nécessité plus ou moins grande sans doute et respectable. Mais pas une question de vie ou de mort (de l’esprit, de la conscience, de l’âme).
« Je ne juge plus rien » (Pascal Quignard)
Je suis profondément remuée par les propos de Pascal Quignard sur le jugement, propos qui vont même jusqu’à indiquer une voie possible. « Je ne juge plus rien. J’ai jugé pendant vingt-cinq ans (de 1969 à 1994) puis je me suis désengagé de tous les gages que je recevais des institutions qui m’avaient jusque-là engagé ? Aussitôt j’ai perdu toute hiérarchie (de nature artisanale) à l’intérieur de ce que j’écrivais et j’ai égaré toute anticipation (plus thématique que technique) dans les lectures que je faisais. Tout à coup je lus vraiment. Je veux dire par là que je ne remplis plus un jeu de rôle ni même une fonction dans ma lecture. Ce que je perds en faculté de juger (comparer) je le gagne en capacité à penser (méditer). Il n’y a plus de point de vue dans ma vision. L’idée de tuer, ou de hiérarchiser, ou d’élire, s’est retirée. Même l’idée de guetter. L’affût s’est perdu. [...]
Lire n’est plus une spécialité
Lire "vraiment" ne juge pas
Quand on lit vraiment toute position subjective s’annule et tout habitus social s’anéantit avec l’identité elle-même que la lecture ravage. » (Critique du Jugement, p. 34)
→ selon mon expression, chérie au point d’en avoir fait le titre de la revue littéraire de Poezibao, c’est peu de dire que je suis ici Sur Zone ! Tout y est. Et je sais qu’il me montre le chemin des années à venir, désengagement du jugement, de plus en plus (et cela va loin, car je sais que choisir pour Poezibao est bien entendu déjà juger, ô combien) pour entrer toujours plus profondément dans ma vie de lectrice, mais où lire ne sera plus une fonction, une obligation (de résultat). Il me semble que ma tendance à rédiger de moins en moins de « notes de lecture », et de me concentrer sur cette pratique si différente qu’est le journal de lecture s’amplifie. Le journal de lecture est plutôt le récit d’une expérience et tente de dire comment on vit, on pense, on aime, on perd pied, avec un livre. C’est tout autre chose que le compte-rendu, la recension, la critique, la note qui impliquent comparaison, évaluation, entre ces deux pôles absurdes qui sont l’encensement imbécile et la mise à mort cruelle.
« Assentir au sentir autre » (Quignard)
Quignard dit un peu plus loin « La lecture vraie c’est s’abîmer dans ce qu’on a sous les yeux sans souci du futur. [...] C’est la rotation complète du "se tourner vers l’autre", à la fois dans le décollage de la sidération et dans l’effraction de l’autonomie. Ce n’est plus peser le pour et le contre. Ce n’est plus distinguer entre ce qu’on veut faire sien et ce qu’on entend rejeter. C’est assentir, avec un peu d’angoisse, totalement, au sentir autre. » (p. 35)
→ ce serait le point où tendre, c’est aussi une admirable éthique de la lecture. Non pas s’approprier, non pas se chercher, soi, dans le livre, ne pas trier ce qui convient et ce qui gêne, mais dans un premier temps accepter d’être totalement déstabilisé puis tenter d’entrer, en vérité, dans le sentir autre.
Il se pourrait que l’enfant et le jeune adolescent soient plus proches de cette capacité à sentir autre que l’adulte formaté par le système. Pure nostalgie du fol emportement dans le livre, à en perdre sa propre identité, des années de première jeunesse. Aujourd’hui trop souvent, méfiance et préjugés à l’ouverture d’un livre et ce comportement prédateur, prendre ce qui nous convient, oublier le reste comme une vieille enveloppe sur le bord du chemin. Oui éthique de la lecture, si difficile !
« Le jugement est dans les mots » (Pascal Quignard)
écrit Pascal Quignard. Il est aussi dans les concepts dirait sans doute ici Yves Bonnefoy.
Devant ce constant, Quignard n’a qu’une ressource, un poème :
« Le jugement est dans les mots.
Il ne pousse pas dans la clairière.
On ne le voit pas sur la lande,
à cru sur le cheval qui erre.
Le vent ne le soulève pas au-dessus de la boue et des arbustes sur le sol
ni les galets ne le roulent sur les bords de la mer.
On ne le trouve pas dans les fourrés ni la bruyère,
ni dans les nuées qui passent,
ni sous l’aile de la buse,
ni sous le saule. » (p. 37)
→ le jugement n’est pas dans les éléments, dans la nature, dans les processus vitaux, le système veineux ne juge pas du bon ou du mauvais cholestérol. Le jugement nait dans le groupe humain, par comparaison, le petit, le frêle, le tordu versus le grand, le costaud, le beau, etc. « Filtrer, cribler, vanner, trier sont le même. C’est ainsi que la technique diacritique, en Grèce post-tragique, c'est-à-dire en Grèce philosophique, vient constituer le jugement. » (p. 45)
Une dimension politique
Quignard pourrait parfois donner le sentiment d’être dans sa tour d’ivoire, loin du monde et des hommes. Il n’en est rien et il sait mêler à ses auteurs anciens, aux langues de jadis, aux guerres et querelles antiques ou du Moyen-Âge, une réflexion sans concession sur le monde contemporain. « La pensée n’est pas profitable à la société qui l’exècre. La communauté ne supporte pas la trahison du penseur par rapport à la base religieuse et au stock mythique qui font passer lignages, liens, hiérarchies, frontières, fortunes valeurs, lois, normes. » (p. 45)
Quignard le lecteur ne lit pas que Virgile ou Hadewijch d'Anvers, il lit Husserl, il lit Foucault… et Spinoza, ces trois derniers cités présents dans une même double page : « Il n’y a pas de différence de nature entre la carte d’identité et la liste de proscription. [...] tout est jugement en vue de la mise à mort » (p. 47)
→ même s’il n’en parle pas ici, bien penser la question actuelle des données personnelles que nous semons à tous vents, moi la première. Laissant à d’obscures puissances le soin d’établir, non plus une simple carte d’identité, mais un vrai portulan pour naviguer dans nos passions, nos goûts, nos habitudes, nos pulsions, un vrai portefeuille de cartes d’identités. En vue de la mise à mort, sinon du corps (mais comment oublier la Gestapo, la Stasi, le KGB, pourtant si proches dans le temps !?), du moins de l’esprit. Le système mondial et mondialisé exècre la pensée. Gisèle Berkman l’a bien montré dans son beau livre La Dépensée. Empêcher de penser pour mieux faire dépenser, mais surtout manipuler à satiété, à fin de profit et de pouvoir. Usurper l'identité.