Webern et des Forêts
Belles pages de Michèle Finck (in Épiphanies musicales en poésie moderne) sur ce qu’elle pense être la première à détecter, l’influence de Webern sur Louis-René des Forêts. Il s’agit d’aller toujours plus dans le sens de la concentration, pour l’écrivain, versus le « bavardage ».
→ pour moi aussi, concentrer davantage ce qu’il y a à dire, être plus sélective et resserrer le propos.
Écoute hypnosique
Cette notion d’écoute hypnosique introduite par Rosolato (M. Finck, p. 192).
Poétique du son
En faisant une recherche sur cette notion de Rosolato, je tombe sur ce bel article de Michèle Finck, dont il faudra me souvenir quand j’écrirai l’introduction de la nouvelle section de Poezibao, Musique et poésie :
« La poétique du son, qui engage un travail comparatiste à l’intersection de la poésie et de la musique, cherche à combler une lacune : à écouter la force de conviction par laquelle une œuvre se définit dans son aptitude à donner à entendre la langue, ses gisements sonores et rythmiques, ses virtualités acoustiques, comme pour la première fois. Un tel essai de poétique du son s’impose d’autant plus qu’il a été jusque-là laissé dans l’ombre, par les poètes et les critiques, au profit d’une poétique de l’image. Henri Meschonnic dresse le constat : “Le XXème siècle poétique en Europe s’est joué tout entier sur l’image. De l’imagisme anglais à l’imaginisme russe, du futurisme italien au surréalisme (...). L’image les unit par-dessus les plus radicales oppositions”. Héritière de Baudelaire, la critique consacrée à la poésie a assumé le legs de ce culte de l’image et y a reconnu à son tour sa “grande, [sa] primitive passion”. La lecture doit désormais sortir davantage de l’orbite de l’image et donner une chance accrue à l’aventure du son en poésie. La concentration sur le dialogue entre le poète et le musicien et sur les enjeux de la musique verbale peut permettre un dépassement de la double tentation du concept et de l’image, qui ne cesse de solliciter tour à tour la conscience poétique et critique occidentale moderne. Il y va d’une définition du poète en termes d’inventeur d’une acoustique. » (source)
Confusion conceptuelle
Michel Chion parle de son côté de notre « confusion conceptuelle autour du son ».
À partir d’André Tubeuf
Grand profit, grand « usage » à l’écoute des podcasts des 66 entretiens d’André Tubeuf proposés sur Qobuz. Je me reconnais, toutes proportions gardées, dans ce qu’il dit à propos de la formation personnelle, du côté autodidacte, du rejet des programmes.
J’en retire aussi des enseignements pour le futur de ma recherche : « ne pas tout manger sous prétexte de curiosité. ». Il montre en effet très bien comment il s’est toujours tenu à l’écart des systèmes, à la marge du système académique, ne retenant que ce qui lui faisait usage. C’est une règle essentielle que j’applique de plus en plus. Chercher par moi-même ce qui m’est nécessaire, utile, ce qui me fait usage. Donc, oui, survoler un maximum des livres reçus pour me faire une idée mais ne pas leur consacrer trop de temps si cela doit être aux dépens des lectures essentielles, de celles qui font avancer.
Concision
Résumer, densifier, concentrer, faire la part du silence.
De la tension
Notion très féconde qui vient en quelque sorte activer, réveiller ma récente lecture de Francis Wolff (Pourquoi la musique ?), qui pourtant ne me semble pas m’avoir fait si grand usage. C’est l’idée de tension dans la musique. Tension et attention. Une tension dans la musique qui n’est pas celle de la mélodie, mais celle de l’harmonie, vers où cela va, comment cela va-t-il finir (se résoudre pourrait-on dire).
À maintes reprises Tubeuf dit qu’il a trouvé dans la musique ce qu’il n’avait pas trouvé dans la philosophie.
Dans la musique, ouverture et tension, un temps que l’on va passer ensemble, jusqu’à sa conclusion.
Tension et attention
Essentiel pour lui l’idée que l’homme ne vaut que par sa puissance d’attention. Il faut développer cette dernière. Enseigner, c’est développer la puissance d’attention des élèves.
Il y a là une énergie tensionnelle ; que l’on peut capter.
→ Cette sensation, dans certains enregistrements, de Perahia par exemple, qu’il y a bien cette tension, qu’elle est comme allumée aux premières notes et qu’elle se tend comme un arc électrique jusqu’à la dernière. En fait, c’est assez rare et cela suppose de la part du pianiste un immense travail de conception de la pièce, de sa dynamique apparente et cachée, de sa pulsation, de ses pôles, de ses détours même. Qui seraient l’équivalent de ces digressions dans la parole, dont Tubeuf fait aussi un magnifique éloge et qui me fait de nouveau tant penser à la manière de progresser d’André Hirt dans ses livres.
Le tensionnel, quelque chose qui va se passer selon le temps, mais qui ne se laisse pas aller, qui se constitue : architectural, minéral, consistant physiquement.
Et développer l’attention, c’est développer la capacité de se fixer sur de l’abstrait qui au début ne me dit rien et qui va petit à petit donner lieu à des images (le principe de la lecture chez l’enfant, autrefois, quand l’enfant n’avait que cela comme loisir, la lecture).
Les trois chiens et les sonates (A. Tubeuf)
Dans l’épisode 59 (?), André Tubeuf prend ce curieux exemple. Imaginer un chien donné, c’est un chien donné, puis deux, puis trois et à partir de là, on en vient à une idée de chien, qui n’a rien à voir avec un chien donné. Il préconise d’écouter la même œuvre dans plusieurs interprétations (dans son exemple « la si bémol » de Schubert, de les apprendre par cœur, afin de finir par se faire une idée propre à soi de l’œuvre. C’est un peu la réponse à ma question, comment écouter ?, et je pense que par rapport à ce qu’il a connu (à ses débuts, dans les années 50, il achetait encore des 78 tours !), pour quelqu’un qui voudrait appliquer cela aujourd’hui, c’est grandement facilité par un bon site de « streaming » musical, autrement dit une immense discothèque en ligne.
Du jeu au piano (A.Tubeuf)
Je pense qu’il occulte soit une frustration soit l’idée qu’on pourrait lui faire un reproche à ce sujet, quand il écarte d’une main l’idée que jouer l’œuvre au piano c’est mieux la connaître. Ce point de vue est celui de Barthes, qu’il méprise, je l’ai déjà constaté (il le trouve daté et dit ici que la façon dont il jouait devait être trop médiocre pour l’aider à comprendre l’œuvre). Ici pour une fois je ne suis pas du tout d’accord avec lui. Approcher l’œuvre au piano ne veut pas dire la jouer comme Serkin ou Brendel, mais l’entendre d’une autre façon, isoler possiblement des phrases, scruter d’un peu plus près le texte. Je pense au contraire que c’est profondément utile pour améliorer son écoute et c’est dans ce sens que je me suis mise à travailler depuis que j’ai mis au point ma nouvelle méthode, sans professeur. Tubeuf ne parle jamais de la pratique instrumentale et une fois encore, je pense qu’il y a là sans doute un petit point douloureux pour lui. Qui a commencé la musique, c'est-à-dire l’écoute de la musique, à partir de 15 ou 20 ans seulement et qui s’est formé entièrement seul à l’aide de disques, à raison de plusieurs heures d’écoute chaque jour.
Écoute différente, écoute recueillante
André Tubeuf fait une remarque qui me semble importante : on n’écoute pas Bach comme on écoute Schubert.
Il y a, dit-il, une praxis de l’écoute, forcément solitaire, et répétée, humble et dans l’absence de soi, en ne rajoutant rien de soi, ouverte, recueillie, recueillante. « Voilà ce qui m’arrive dans cette écoute ». (n°57, excellent de bout en bout). Il parle dans un autre entretien des interprètes qui le forcent à écouter et des autres.
Avant-mémoire
Chez Schubert, les paysages et même les paysages d’avant-mémoire. (A. Tubeuf).
La deuxième oreille
Très beaux propos d’André Tubeuf sur l’écoute, déjà remarqués dans les séquences sur l’enseignement. Détecter l’écoute dans le regard des élèves. Le regard qui écoute.
Il y a selon lui « une deuxième oreille au fond de la première, que la plupart des gens ne trouvent pas »
→ il me semble évident que je suis à la recherche de cette deuxième oreille. Aussi bien dans le domaine de la lecture, que dans celui de la musique, ou dans l’écoute des autres. Entendre ce qui émane.
Poésie
Arriver à me frayer le bon chemin, trouver les poèmes ou les poètes (ce n’est pas forcément la même chose) qui me font usage, comme ces belles lectures hier de l’allemand Günter Eich (1907-1972), ce matin de la toute jeune finlandaise (née en 1990) Auli Särkiö (qui est aussi musicienne et critique musicale, est-ce un hasard ?)
De la musique (Thomas Mann)
Ma lecture d’été, le Docteur Faustus de Thomas Mann en français et en allemand simultanément.
Pages admirables sur la musique : p. 83, par exemple, une des rares bonnes définitions de la musique : « une manifestation de suprême énergie, rien moins qu’abstraite, mais sans objet, une énergie dans le pur, dans le clair éther. » Et à propos de la musique de Beethoven sur laquelle est centrée tout ce chapitre : « Cette musique est l’énergie en soi, l’énergie même, non abstraite mais à l’état réel. Tu remarqueras que c’est là presque la définition de Dieu. » Puis il décrit le deuxième et dernier mouvement de l’op 111 comme « la plus dramatique, la plus pleine de péripéties, la plus excitante suite d’évènements, de mouvements, composée uniquement dans le temps, en divisant le temps, en remplissant le temps, en organisant le temps. »
→ oui, la musique comme une suite d’énergies, d’entités d’énergie organisant le temps.
Il faut alors tenter d’entendre « comment c’est conduit, agencé, comment un thème est amené et autre abandonné, dénoué ; comment son dénouement prépare du nouveau… »
→ voilà bien des clés pour l’écoute, celles que je cherche. Voir comment cela se déroule, les thèmes, leurs répétitions, variées ou non, leurs oppositions, leurs dénouements, leurs métamorphoses, la constitution, le redéploiement, l’extinction de l’énergie.
Brèves de lecture (A. Lugrin et F.L Demorgny)
→ Angela Lugrin dans En dehors (éd. Isabelle Sauvage) relate, de façon très précise et très prenante, son expérience de professeur de français à la prison de la Santé. C’est un beau livre qui permet de mieux appréhender cet univers complexe et de suivre plusieurs jeunes hommes, aux profils très différents et la façon dont ils reçoivent ce cours, dans le cadre de leur préparation au bac (que plusieurs vont décrocher, certains avec mention). Contrastes étonnants entre la personnalité de ces garçons, l’ambiance du cours et le programme, Le Cid et Les liaisons dangereuses. L’écriture d’Angela Lugrin est forte, jamais complaisante, très vivante.
Extrait : « la parole dans ce cours est un pluriel en acte. Elle dessine une constellation étrange, ponctuée ici et là de tentatives d’analyses de texte, de passés composés qui perdurent dans la situation d’énonciation, de gradations, de subordonnées relatives qui n’en finissent plus, d’images qui prennent possession des espaces vides. Des incandescences. Et puis de quelques grandes rigolades collectives. » (p. 63)
→ Françoise Louise Demorgny, Rouilles (éditions Isabelle Sauvage). Un petit livre que l’on lit d’une traite dans une sorte d’envoûtement pour cet univers étrange, qui n’est pas sans faire songer au Pierre Bergounioux des Forges de Syam, au Jean-Pascal Dubost de Fondrie, à Valérie Rouzeau quand elle évoque le métier de ferrailleurs de son père et aussi fugitivement à Mary-Laure Zoss.
Une femme qui se dit à son troisième cheval (entendre troisième partie de sa vie, selon une formule qu’elle dit empruntée à Erri de Luca) ne découvre que tardivement sa passion pour la ferraille et plus précisément la rouille. C’est le fil conducteur du livre et le prétexte à évoquer sa famille, ses parents et grands-parents, l’enfance et maints objets. J’ai choisi ce matin plusieurs extraits du livre pour l’anthologie permanente de Poezibao.
Extrait : « Elle sait bien la louise du troisième cheval, qu’elle n’est pas de taille à ralentir la marche de l’oubli, la venue du grand vide qui s’installe là où était quelque chose. Quelqu’un. Et qu’incrédule, désemparé, l'on cherche.
Elle sait combien il est dérisoire de glaner dans un sillage ces petites miettes de rouille, les légères traces d’un souffle, les bribes d’un nom, des brins, fétus, brisures, paillettes. Tous ces maigres témoins d’un passage.
Autant vouloir forcer l’eau à remonter sa pente. « (p. 35)
Je trouve aussi une formulation qui me fait penser à mon amie Maryse Hache : « la louise petite a une grand-mère Louise, morte depuis toujours » (p. 22)
Le jeu des prénoms
Hier en un grand moment de lecture (A. Lugrin, F.L. Demorgny), croisé tant de prénoms à saveur d’antan qui font résonner le passé personnel ou collectif : Fernand, Rose, Marcellin, Firmin, Léonie. Prénoms et époques, prénoms et classes sociales, aussi nous disent plusieurs études de sociologie.