Trous noirs
« D'après les premières estimations de la première campagne d'observation de Ligo, il se pourrait qu'une onde gravitationnelle provenant de la fusion de trous noirs frappe la Terre à peu près toutes les quinze minutes. Voilà de quoi espérer de nombreuses observations et, à la clé, une meilleure compréhension des trous noirs et de leur naissance. » (Futura Sciences)
Vieux jours
Tendance à accumuler des provisions (livres et disques) pour mes vieux jours sauf que je n’ai pas encore décidé quand ils commenceront.
Corps et conscience
Jean-François Billeter : « L’observation nous apprend que ce n’est pas la conscience qui pense mais le corps (…) dans la nuit du corps des éléments éparpillés se sont associés et ont produit par voie d’intégration une synthèse, autrement dit une concentration et une intensification de l’activité qui l’ont rendue sensible à elle-même. » (36)
Toute cette « Esquisse » n° 15 est importante. J’aime la concentration de la pensée de Billeter, il va droit au but, ne délaye pas. « Réfléchir, c’est laisser la pensée faire son travail, en lui donnant le temps qui est nécessaire. » Billeter encore : « une décision se forme comme une idée, par un processus d’intégration qui se développe au sein du corps et se manifeste à la conscience ». D’où cette impression parfois de surgissement de l'idée ou de la décision. Ou la révélation tout aussi inattendue d'une solution que nous cherchions depuis longtemps.
Et enfin cela, très important, à propos de la volonté, dont je sais depuis longtemps que, sans motivation profonde, souvent inconsciente, elle est impuissante : « La volonté qui se manifeste ensuite dans l’action n’est pas autre chose que la puissance d’agir née du processus d’intégration. » (37)
Nature et musique
Bien intéressant le premier chapitre du livre d’Emmanuel Reibel intitulé Nature et musique, que je lis pour Res musica. Dans sa préface, il développe l’idée qu’il y a eu bien des manières de comprendre l’idée de nature au cours des siècles et que la musique reflète ces conceptions différentes : « Les évocations musicales de la nature se sont articulées à l’histoire de l’idée de nature. » (15) Il me semble que le livre est construit sur cet axe-là, livre qui s’ouvre par un excellent chapitre sur Les Quatre Saisons, dont on aurait pu penser que c’est un sujet rebattu. Eh bien, pas du tout, il fourmille de points de vue, de données, de références passionnantes. Il y est dit notamment que les concerti des Quatre Saisons sont « le parachèvement d’une tradition imitative née à la Renaissance ». Que la musique, par essence non signifiante, a compensé un certain déficit mimétique en tentant de représenter par des sons des parties de la nature (24)
Oblique et voix
J’entre enfin dans le livre de Christine Jeanney, Oblique. Je dis enfin, parce que je connais le texte depuis longtemps, mais que j’avais achoppé sur la lecture sur liseuse ou sur écran. Le livre papier est aujourd’hui sorti chez publie.net et et me donne accès à une vraie lecture, en profondeur. Il y a de très belles choses dans ce texte, notamment sur les voix, ce qui fait écho à ma lecture de Ryoko Sekiguchi : « les voix comme des proues en marche préviennent que des membres des têtes des os et des regards vont suivre » (38). L’art de Christine Jeanney repose souvent sur une observation très fine, un décryptage poussé des sensations et des perceptions auxquelles on ne fait pas attention pour toutes sortes de raisons. C’est un livre comme hanté, avec des présences palimpsestes que l’on devine à peine, qui passent, disparaissent, reviennent, insistent. Il y a comme des filigranes dans le papier. Texte écrit à l’encre sympathique. Les ombres avaient sans doute besoin du papier, pour moi en tous cas, pour sortir des pages !
→ Je m’interroge sur la question des voix qui restent sans corps, ces voix de la radio qui nous sont familières, parfois pendant des années. Voix qui nous sont devenues presqu’intimes, comme ces visages vus et revus soir après soir dans les journaux télévisés et que l’on prendrait presque pour une connaissance amicale si on les croise dans la rue. Oui étonnement souvent en voyant le corps de la voix.
Musique
Le livre semble aussi imprégnée par la musique, témoin cette très belle note : « Monteverdi donne la liste des instruments de l’Orfeo dans son livret, et parmi eu un Flautino alla Vigesima seconda, "une petite flûte à bec à la vingt-deuxième", une flûte qui sonne trois octaves au-dessus de la note écrite. » (Oblique, p.39)
Musique encore
Ravel, musique pour piano, intégrale, Bertrand Chamayou
J’ai écouté le début du premier disque et je cherche à éviter tout effet de saturation comme celui que j’ai ressenti au concert où B. Chamayou a donné en une seule soirée cette intégrale. Je parviens ainsi à donner à chaque œuvre, à chaque écoute, l’attention et l’intensité nécessaires et j’ai trouvé de très belles choses. Les Jeux d’eau sont vraiment réussis, avec un perlé et une liquidité magnifiques et Miroirs est très beau aussi, notamment le début des « Oiseaux Tristes », « Une Barque sur l’océan ».
Je me sers des écoutes faites pour Res musica pour travailler les œuvres en même temps, les réécouter à fond, les classer dans ma tête (pour Ravel, les différents ensembles étaient un peu flous), me documenter sur elles.
Autre disque, Les Donneurs de Sérénades, Fêtes galantes et la bonne chanson de Verlaine, divers musiciens, Carl Ghazossian, ténor et David Zobel, piano. Des réussites diverses mais une idée très belle : choisir des mélodies écrites par divers musiciens, dont certains quasi inconnus, sur les mêmes poèmes de Verlaine.
La musique intérieure
André Hirt m’écrit, le 20 février : « De plus en plus, je n'entends plus la musique qu'en moi, tout au long de la journée. »
→ Il est curieux de constater, recherchant un passage dans une lettre, comme il est court et elliptique, alors que depuis que nous l’avons lu, il a tellement travaillé et cheminé en nous que nous pensions trouver un fragment bien plus long à relever !
Nature et musique
Je continue ma lecture du livre d’Emmanuel Reibel, Nature et musique et je suis toujours aussi intéressée par son propos. Voilà un livre remarquablement bien fait, bien construit, sans aucun délayage mais fourmillant d’idées et d’ouvertures que le lecteur peut développer par lui-même ou corroborer en allant écouter les œuvres évoquées. Belle puissance de synthèse perceptible par exemple dans un court passage sur Rameau (p.45) rendant parfaitement compte de ses travaux théoriques et de la manière dont il a établi les lois de la musique tonale. Le fil historique et le fil musical sont constamment tissés ensemble, avec également des allusions à la philosophie, à la littérature, à la vie des idées. On apprend à chaque page. Le fil conducteur est l’évolution de l’idée de nature et comment cette évolution se traduit dans les œuvres, de manière concrète. Par exemple de Descartes à Rousseau, en rapport avec la conception des jardins. Les transitions sont bien amenées. On en arrive au chapitre III consacré au thème de l’orage et surtout à Beethoven et à sa Pastorale. Et on découvre qu’en un seul concert en 1808, ont été données rien moins que les premières auditions du concerto n° 4 pour piano, des symphonies n°5 et n°6 et de la Fantaisie pour piano et chœur !!!
Vision mémorielle
Dans Oblique, on assiste à une sorte d’exploration aléatoire et intuitive d’une mémoire qui n’est pas que mémoire propre à soi, mais mémoire généalogique, avec en « inputs », les données venant de sources très diverses, recueillies au fil du temps, malaxées souvent par la conscience, ou reprises au présent par petites enquêtes discrètes auprès de ceux qui sont encore là pour dire le passé. Un tableau très étonnant (p.47) de cette mémoire, de « tous ces paysages et ces visages [qui] font comme une brocante d’horizons rétrécis, rangés en sorte de bocaux qu’on aurait alignés (…) dans chaque bocal un fragment, échantillon du monde. » (en lisant Christine Jeanney)
Langage de la musique
Chez Christine Jeanney, une belle et surtout juste manière d’insérer des éléments du vocabulaire de la musique dans le texte. Ainsi de ces enfants autour d’une fontaine avec leurs bras qui se touchent, « legatissimo ». Bien sûr, ce sont des mots italiens aussi, et l’Italie joue un rôle essentiel dans cette histoire familiale-là.
J’entends le début de L’Histoire du Soldat de Stravinsky ici : « a marché vers les Alpes », écho de « Marche depuis longtemps déjà. /A marché, a beaucoup marché. » (Le texte est de Ramuz.).
Une fratrie fragile
Très forte évocation de tous ceux-là qui sont les nôtres et qui ne sont plus. Que nous n’avons même jamais connus et dont nous sommes faits. Mais nous avons si peu de mémoire et de conscience généalogiques ! « Une fratrie fragile nous lie ensemble, indécelable, forte de sa vie propre, débordante. » (p.60)
Un instrument qui s’accorde…
« Le corps humain est un instrument qui s’accorde dans chaque langue », écrit Jean-François Billeter dans son « Esquisse n° 17 ».
→ et pour moi toujours cette question, non résolue : chaque corps humain émet-il une fréquence donnée, une note. Suis-je un fa# ou un sol bémol ?
Écouter la musique en soi
À la suite d’une amorce d’échange sur ce thème avec André Hirt, je réfléchis à cette question d’écouter la musique en soi, sans support matériel. Je voudrais développer cette faculté. Comme mon père qui « se » jouait la Sonate pour violon et piano de Franck, la nuit, quand il ne dormait pas. Il la jouait et la travaillait sur son violon, il en connaissait donc la partition, les notes. Sans parler des divers enregistrements qu’il en possédait.
Je sais que j’ai cette faculté. Lisant Emmanuel Reibel, je peux facilement convoquer intérieurement Les Quatre Saisons, la Pastorale, l’ouverture de la Création de Haydn. Mais ce ne sont que des fragments, des thèmes, des mélodies isolées. Il faudrait apprendre plus de musique par cœur mais je n’ai pas encore trouvé la méthode. Les danseurs gravent en quelque sorte la musique dans leurs gestes, dans leurs corps. En écoutant de la musique, puis-je esquisser des mouvements qui en accueilleraient la forme, l’élan ? Suivant en cela la fameuse méthode proposée par les arts de la mémoire anciens, qui suggéraient d’inscrire les éléments dont on souhaite se souvenir dans une sorte d’image intérieure, paysage, pièces d’une maison, etc. Le pianiste n’est-il pas une sorte de danseur qui inscrit aussi la musique dans son corps ? Ma difficulté à mémoriser la musique que je joue ne viendrait-elle pas d’un manque d’inscription corporelle ? Billeter insiste sur le fait que penser vient du corps : « l’observation nous apprends que ce n’est pas la conscience qui pense, mais le corps ». (Esquisse n° 15). Il faudrait peut-être par des exercices simples inscrire davantage les pièces travaillées, dans ses gestes, dans son corps. Mémoire de forme ! Est-ce cela que proposait Marie Jaëll ?
Telling a story
Je relève sur le site The Strad, ces propos du violoncelliste Raphael Wallfisch qui répondent sans doute à certaines de mes interrogations sur la musique. Pourquoi le récital de Lukas Geniušas m’a-t-il subjuguée de bout en bout, me donnant à chaque pièce le sentiment de me prendre par la main et de m’entrainer dans un monde (une manière de raconter une histoire) alors que celui de Bertrand Chamayou, s’il a suscité une forme d’admiration, n’a pas eu cet effet-là et m’a laissée souvent un peu au bord du chemin ?
“The biggest problem with today’s playing is that people want to sound smooth and nice; everything is ironed out flat,’ says cellist Raphael Wallfisch. "Because instrumentalists make sounds without words, we often forget about telling a story. We get so bogged down with technical aspects of playing that we forget to give that big, open, direct message, which a singer does much more naturally. I use songs, speech and gesture every day in my teaching and practising, because when you listen to music, you want to be told something. The singing voice, breathing, all the things singers do naturally – these are what we should aim to emulate as string players."
(source)
→ je me souviens aussi de ce documentaire sur Bernstein où on le voyait demander à un jeune musicien aspirant pianiste ou chef d’orchestre, je ne me souviens plus, d’imaginer le début de la pièce orchestrale ou instrumentale comme une scène d’opéra et de chanter les motifs comme s’il était un personnage.
Orgue
Je viens de faire un petit flash pour Res musica sur l’inauguration de l’orgue du Konzerthaus de Vienne, qui vient d’être restauré. Les orgues de salles de concert sont à l’honneur puisque viennent aussi d’être inaugurés ceux, neufs, de la Philharmonie de Paris et de l’Auditorium de Radio France. Et je tombe sur l’incipit de cet article de Jacques Drillon qui m’enchante : « Parler d’orgue avec un spécialiste revient à se faire expliquer la théorie des cordes par un physicien. Ce ne sont que fonds, mixtures, récits sur le plein jeu, rasettes et salicionals... L’orgue est un monde à la fois immense et clos, avec ses lois propres, ses habitants à cervelle hypertrophiée, ses experts plus ou moins fous, son répertoire bizarre. ».
Poésie n’est pas…
Je relève ces mots d’Auxeméry dans une note de présentation du poète Clayton Eshleman écrite pour Poezibao :
« poésie n’est pas simple jeu de langage ou exposition d’ego ou variation plus ou moins formellement achevée sur thèmes convenus, mais exploration permanente des profondeurs de l’être. Et la caverne est entièrement en nous, autant qu’elle est ce composé de roc, de tuf, de boyaux minéraux et végétaux, de pigments déposés sur ses parois, ce complexe habité de visions et d’énigmes. User de la parole poétique est toujours et avant tout apprendre à déchiffrer, pour soi-même et pour tous, les signes que les désirs & les angoisses propres à ce qui constitue le fond même de l’humain ont déposé sur les murs des abris, précaires et toujours menacés, où notre existence a trouvé depuis la nuit des temps, & trouve encore à se réfugier. La parole poétique explore, et ne saurait faire que cela (selon des modes de réalisation qui évidemment évoluent, & se transforment eux-mêmes en fonction des lieux où elle se réalise, & des temps où elle naît & choisit de se manifester), elle parcourt, examine, sonde, décrit, mais décrit avec le scalpel de l’esprit le plus aiguisé, le plus affuté, le moins lâche, et donc affronte, en vérité, tout ce qui de et dans l’humain fait horreur autant que ce qui fait joie. »
(note sur Clayton Eshleman pour Poezibao)
Fragmentation
« Dès qu’il se mettait au piano [Edwin Fischer] nous avions un sentiment immédiat que la première note du mouvement était connectée à la dernière. Quand Furtwängler dirigeait c’était la même chose. J’entends chez certains pianistes aujourd’hui une tendance à la fragmentation qui me gêne (…) Aujourd’hui tous les musiciens sont fascinés par les détails. C’est pourtant le flot de la musique qui doit les porter, pas le contraire. Avec Fischer, j’ai pris conscience qu’elle nous amène à faire au même instant des choses contradictoires : trouver et se perdre, donner et rester sceptique, se contrôler et s’oublier, anticiper le parcours entier et pourtant faire sonner chaque phrase comme si elle était inventée dans l’instant. »
→ Ces propos du pianiste Alfref Brendel (Diapason, n° 644, mars 2016, p. 20) éclairent profondément nombre de mes intuitions en matière de musique, et surtout depuis que je retourne assidûment au concert.
Penser, classer
Un bon fil, celui par exemple du thème « nature » dans la musique, permet de faire rentrer plein de petits lapins dans leur clapier.
Écologie sonore
Dans le livre d’Emmanuel Reibel, Nature et musique, je découvre le concept d’écologie sonore, développé par Murray Schafer. Il y est question notamment du World Soundscape Project, qui vise à collecter une immense mémoire sonore. « Après la photographie, la phonographie réclame ses lettres de noblesse. » (153)
En ce moment bien particulier où Ryoko Sekiguchi m’a (nous a) enjoint (e)(s) d’enregistrer les voix de tous ceux qui nous sont chers et proches. Rêverie s’ensuit sur une immense bibliothèque de voix soigneusement datées et référencées mais aussi d’ambiances sonores. Et cette idée que l’enregistrement peut permettre de mieux entendre. Il ne discrimine pas, sauf par éloignement du micro, alors que nous trions sans cesse le sonore qui nous entoure. Il en va de même pour une photo, elle enregistre tout du plan alors que nous ne voyons que partiellement et parfois pas du tout ce plan. C’est toute l’histoire du film Blow up.
Lévi-Strauss et Picasso
Citation à creuser, que je ne comprends pas dans l’immédiat, mais qui me fait signe : « L’esprit travaille inconsciemment dans une direction comparable à celle de la nature. » (cité par E. Reibel, p. 159), qui ajoute une seconde citation qui éclaire peut-être un peu les choses, une remarque de Picasso : « La peinture, ce n’est pas copier la nature, mais apprendre à travailler comme elle. »
Le sens des mots
Je poursuis ma lecture, pas à pas, des Esquisses de Jean-François Billeter. Dans la n° 18, il explique que le sens des mots résulte de synthèses imaginatives, indépendantes en apparence, propre à chaque individu.
Voici une enfant de 14 mois qui apprend le sens du mot nez. Des centaines de nez vont se présenter dans sa vie, associés à toutes sortes d’expériences, nez réels, dessinés, filmés, nez sentant, nez blessé, nez trop ou pas assez, etc. Elle est au tout début de l’empilement des occurrences et de la constitution du mille-feuilles du sens. Et il va en être ainsi pour tous les mots
De la phrase
Deux remarques importantes de Jean-François Billeter
‘Quand je forme différentes phrases, je sais que je tire parti de ressources et d’un art combinatoire. » (46)
Et cette idée que les linguistes ont travaillé surtout sur la phrase écrite et qu’ils ont oublié que la phrase était un geste.
Et de faire une comparaison superbe avec le geste musical : « Je déchiffre une partition, j’ai devant moi une suite de notes, je les joue séparément l’une après l’autre, puis je les enchaîne de façon à ce qu’elles produisent un motif. J’introduis dans leur suite un geste qui les relie et je leur donne par là un sens : je dis quelque chose. » (47)