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Rédigé par Florence Trocmé le 25 avril 2017 à 14h31 dans photomontages | Lien permanent
Balises: forêt, forêt sonore
Une journée de bonheur
Je lis Une journée de bonheur, de Pascal Quignard, paru chez Arléa. Réinterprétation radicale du carpe diem, trop souvent détourné, affadi, loin de sa vraie signification qui serait non pas cueille le jour mais plutôt arrache-le.
« Le verbe legein, en grec, c'est tout à la fois ramasser, cueillir, collecter, dire, lire. Anthos étant la fleur, une antho-logie est une cueillette de fleurs sélectionnées pour leur beauté, dans le premier instant de leur magnificence. Un choix de couleurs, de pétales, de calices, de corolles, de parfums merveilleux afin de tresser une couronne ou de composer un bouquet. L'Histoire de la même manière est un recueil de morts héroïques. Une "citation", à proprement parler, est une fleur qu’on a arrachée à un livre plus ancien et qu'on a introduite dans un livre plus récent ? » (Pascal Quignard, Une journée de bonheur, p.16)
→ j’aime bien cette idée de la citation comme d’une fleur (ou d’un caillou au demeurant, j’ai plus ici de cailloux annotés que de fleurs séchées !) que l’on cueille dans un livre. J’utilise souvent le mot transplanter pour parler de ces prélèvements que j’effectue dans les innombrables livres que je visite et où je fais une collecte, qu’ensuite je serre ailleurs, dans ce Flotoir, glossoir, potager, chambre d’enregistrement, etc.
Musique contemporaine
Ce constat, une fois de plus et qui n’est pas sans m’interroger : seule la musique contemporaine me parle du monde tel qu’il est. Il y a une évidence dans ce constat. Ce que j’entends là, dans des œuvres pourtant parfois aux antipodes les unes des autres, c’est la matière et la manière même du monde d’aujourd’hui et de ces cinquante dernières années, celles que j’ai traversées. Et parfois, je ne peux écouter qu’elle et chaque œuvre, dans sa singularité, m’apprend quelque chose de ce monde si difficile à appréhender, si chaotique. Et composant Muzibao, j’ai l’impression de travailler, là encore, sur cette interrogation du monde.
Trois lieux
Dans son livre Après l’union, Antonio Rodriguez croise l’histoire de l’Europe à travers trois lieux clés - Birkenau, Omaha Beach et Verdun- et sa propre histoire familiale. Ce pourrait être problématique, cela ne l’est pas, c’est au contraire très fort sur le plan poétique.
Voyage d’hiver
Je me suis lancée dans l’apprentissage par cœur des poèmes du Winterreise de Schubert. En allemand bien sûr. Je ne sais pas jusqu’où j’irai, peu importe. Mais l’intérêt -puisque le parti de cette idée d’apprendre par cœur est aussi de se regarder apprendre, de réfléchir sur la mémoire, ses tours et détours- est de se confronter à des textes assez différents. Je constate malheureusement que les textes précédemment appris s’effacent vite, il faut donc les reprendre, les consolider.
Alors oui à ce « Fremd bin ich eingezogen, Fremd zieh ich wieder aus », « étranger je suis venu, étranger je repars » ce début de « Gute Nacht », le premier lied du Winterreise qui résonne si fort dans le monde d’aujourd’hui.
Une frontière
Je relève dans un beau texte écrit par Sylviane Dupuis, en guise de laudatio pour la remise du prix Louise Labé 2016 à Pierre Voélin, cette remarque :
« Là encore, Voélin se situe me semble-t-il à la frontière : entre l’héritage – qu’il a sans aucun doute intégré à sa poétique – d’une poésie romande attentive avant tout (de Roud à Philippe Jaccottet) au monde sensible, aux choses humbles du quotidien, à l’appel des oiseaux ou à la quête d’une lumière au sein de l’immanence, et celui, tragique et questionnant presque désespérément l’humain à partir de sa négation, de la poésie de l’"après-Shoah": celle d’un Paul Celan – exemplairement –, de Primo Levi, de Nelly Sachs, ou de Hilde Domin. (De l’air volé nous apprend que c’est la visite, à onze ans, du camp de Dachau, cette "invraisemblable promenade au cœur du silence" avec son grand-père qui lui tenait la main, et les "questions insoutenables" surgies de cette expérience, qui seraient à l’origine de la vocation du poète) : parce que (je cite) "la poésie reste la seule parole humaine qui puisse s’avancer jusqu’au cœur des catastrophes et sonder l’humain jusqu’au cœur. « J’aime les poètes qui n’ont pas déserté les lieux d’inhumanité contemporaine » et qui posent la seule vraie question qui importe : "comment l’homme peut-il redevenir humain" »
La musique
Cette citation de Jérôme Orsoni : « Cette fiction [au début et autour, Steve Reich] cherche cependant à dire nous pour combler ce vide qui est aussi (ce n'est pas impossible) le problème de tout ce qui se dit à propos de la musique (pas le problème de la musique) : que la musique n'est ni un langage ni ineffable. C'est nous, c'est-à-dire : il y a quelque chose qui circule entre la musique et toi et moi quand nous l'écoutons qui n'est ni linguistique ni impossible à dire. Ce n'est pas un problème de sémantique (au sens de parler des objets). J'ai pu vouloir appeler ça acouphènoménologie parce que c'est quelque chose qui grésille hors du langage et que l'on cherche à dire quand on parle de la musique, c'est quelque chose qui vibre hors du langage et que l'on cherche à cerner quand on parle de la musique et qui est la musique. (Jérôme Orsoni, Au début et autour, Steve Reich, Les éditions Chemin de ronde, p. 12)
La découverte d’une œuvre
A la question de savoir quelle œuvre de Reich, il a entendu en tout premier, Jérôme Orsoni, toujours dans un curieux jeu de dédoublement, répond : « Eh bien, d'abord : Piano Phase, pièce de mil neuf cent soixante-sept, reprise sur le disque "Early Works", que justement Jérôme écoute. Ce n'est pas la première plage du disque. Mais, c'est par celle-ci que Jérôme a découvert Steve Reich. Or, Jérôme aime particulièrement les œuvres par lesquelles il découvre la musique d'un musicien, d'un compositeur. Quand il aime l'œuvre d'un musicien par laquelle il le découvre alors, pour Jérôme une signification s'attache à cette œuvre, une sorte d'aura. Pas une aura benjaminienne. Non. Une aura relationnelle qui rappelle à chaque écoute dans quelles circonstances on a aimé pour la première fois la musique d'un musicien, d'un compositeur. » (p.18)
Steve Reich
Quant au livre de Steve Reich lui-même, Differents phases, il est principalement composé d’introductions (qui furent sans doute des notes de programmes de concert) à ses différentes œuvres. C’est instructif et cela constitue un excellent guide d’écoute, d’autant que les notes de présentation sont très souvent complétées par des exemples musicaux. On trouve aussi des textes plus généraux. Avec de belles remarques : « Ce que je veux en tant qu'interprète dans un ensemble musical, c'est qu'on me dise exactement ce qu'il faut faire et constater qu'en le faisant bien, je contribue à la beauté de la musique. C'est ce que j'attends de mes propres compositions et de celles de tout compositeur ; c'est ce que j'ai cherché et trouvé en étudiant les musiques balinaise et africaine. Le plaisir que j'éprouve en jouant n'est pas de m'exprimer, mais de me soumettre à la musique et d’expérimenter l'extase d'en faire partie. »
ou encore :
« Certaines choses ne peuvent être dites que musicalement » (p. 194)
Une Passion
J’ai longuement écouté, à deux ou trois reprises, cette semaine La Passion selon Marc, une passion après Auschwitz, œuvre de Michaël Levinas qui a été créée cette semaine en Suisse. Eh bien, précisément, ce qui se dit dans cette œuvre, dans ce triptyque qui associe un kaddish, l’évangile de Marc et des poèmes de Celan, ne peut être dit que musicalement.
De l’écoute
Steve Reich cite William Carlos Williams “I am wide /awake. The mind / is listening”. (Je suis tout / attention, l’esprit / est à l’écoute) et d’ajouter : « je préfère adresser ma musique à un auditeur totalement en éveil, capable d’une attention pénétrante, plutôt qu’à quelqu’un qui se contente de planer et ne fait que recevoir une multitude d’impressions éphémères. » (p.196)
→ sauf que selon moi une première écoute, éventuellement planante, certainement soumise à une multitude d’impressions, peut très bien être la voie d’accès à l’autre écoute, en éveil. Il y a beaucoup d’œuvres que j’ai découvertes, un peu par hasard, par la radio sans écouter vraiment. Et soudain quelque chose m’a parlé et il m’a fallu savoir de quoi il s’agissait, qui était le compositeur.
→ La citation de Williams vient de « L’orchestre », poèmes utilisés par Reich dans une de ses œuvres.
Un guide pour l’écoute ?
Toujours avide de directions pour mieux écouter la musique, l’écouter autrement, je relève cette remarque de S. Reich à propos de son Octet : « Dans mon Octet, vous concentrez vous sur les pianos — c'est la section rythmique de croches rapides ininterrompues — ou sur les cordes qui investissent bien plus l'espace sonore ? Les instruments de soutien comme les cordes ou l'orgue électrique évoluent souvent très lentement dans mes œuvres, alors que le bavardage qui y foisonne est comme une fourmilière trépidante : la métropole bourdonne mais les nuages dans le ciel passent lentement au-dessus des champs. Cela permet à l'auditeur de ne pas forcément écouter telle ou telle chose et de réaliser que plusieurs évènements musicaux se produisent en même temps. C'est de cette simultanéité entre un mouvement lent et un mouvement rapide que je veux faire émerger la musique. » (p.198)
→ magnifique cette métaphore des deux flux, le flux turbulent, agité, bourdonnant, fourmillant de la vie des hommes au fond et le flux lent, comme indifférent à tout cela, du temps, des nuages.
Une vision de Steve Reich
« Un jour, j'ai eu une vision dans laquelle la lumière devenait une métaphore de l'harmonie, de la tonalité. Vous savez, bien sûr, que les notes d'un piano ne sont pas toutes les notes qui existent : la vibration est continue du son le plus bas au son le plus haut que nous pouvons entendre. À partir de cette vibration continue du grave à l'aigu, et sur plus d'un millier d'années, les musiciens occidentaux ont peu à peu sélectionné et organisé les notes que nous trouvons sur le clavier et sur tous nos autres instruments. Ces notes, ainsi que le système harmonique que nous avons utilisé pour les ordonner, sont pour moi comme une lumière rayonnante qui échappe à la nuit infinie de toutes les vibrations existantes. Et quand j'écoutais Water Music de Haendel ou Rake's Progress de Stravinski, j'avais la vision d'une sorte de nef de lumière, flottant sur un fleuve, dans les ténèbres les plus sombres.
J'ai fini par comprendre que les conventions humaines sont, en un sens, la lumière : une sorte de navire sur lequel nous voguons, sur lequel nous vivons et sans lequel nous mourrons. La construction humaine que nous appelons musique n'est qu'une convention, une chose que nous avons fait évoluer tous ensemble et qui ne repose sur aucune loi définitive ou absolue. Dans mon esprit, elle descend, navire de lumière, un noir couloir interminable, préservant sa flamme aussi longtemps que possible. Ni plus, ni moins. » (p.199)
Autre partition
Ce qui est étrange c’est que la partition qu’un autre joue, à un moment donné, restera gravé en nous, alors que lui-même en aura sans doute tout oublié. Tel personnage de l’enfance, figé par la mémoire, dans telle attitude, tel dire, telle action, image à tout jamais « arrêtée » ainsi en nous alors que lui n’en sait plus rien ni de cette trace ainsi laissée.
La mer
Ce vers admirable d’Henri Droguet (le lire encore et encore) à propos de la mer, si juste, un alexandrin : « liquide canopée de la mer omnivore » cité par Michaël Bishop dans une note de lecture consacrée au livre Désordre du jour.
→ canopée me semble si juste à au minimum deux points de vue : le mouvement de balancement et l’immense masse cachée sous cette aire de contact mouvante avec l’autre monde.
Winterreise
« Le Voyage d'hiver forme un tout, une composition avec des références et des allers-retours qui se croisent, mais chacune des vingt-quatre pièces est une unité indépendante ; elle n'est pas soumise à un dessein unitaire dont elle tirerait son sens. Les étapes s'isolent et surgissent à neuf. C'est l'invention même qui domine, comme dans une estampe de la main d'un maître, un acte pur, un acte limité ; il s'essouffle en s'affirmant, ou s'achève en s'arrêtant. D'où leur aspect parfois énigmatique : les lieder, ce sont aussi des « moments » ou des « impromptus », une plénitude dans le minimal, due au raccourcissement que lui apporte le texte, lui-même déjà réduit et plié sur lui-même. Ce serait donc, dans une perspective spatiale, un exploit lié à la redite; l'aire d'une préexistence est comblée par le dédoublement.
Les poèmes utilisent des formes littéraires, empruntées à des exercices spéculatifs très précis. Le voyageur les appelle à lui, elles s'intègrent dans ses explorations, et font partie du voyage » (Jean Bollack, in Franz Schubert, voyage d’hiver, livre-disque La Dogana, avec Stephan Genz, baryton et Michel Dalberto, pianiste.
Reich & ses influences
« Outre la musique classique occidentale, le jazz fait partie de mes premières influences, en particulier le be-bop, Miles Davis et Kenny Clarke, ainsi que le jazz dit "modal" de John Coltrane. Davis m'a enseigné qu'un petit nombre de notes pouvait être plus efficace ; Clarke, qu'une pulsation légère, flottante et plutôt simple pouvait être plus marquante qu'une pulsation « pleine » et saturée ; et Coltrane, que l'on pouvait faire de la musique avec très peu de changements harmoniques. » (p.255)
La musique
Extrait de « la chronique du 20 » d’André Hirt (pour Muzibao) : « À la vérité, la musique est bien un monde, mais qui n’est pas du monde. Et en même temps, ce n’est guère un monde : on ne peut y vivre, surtout y survivre. C’est une irréalité qui n’est pas une illusion. Le monde de la musique n’existe pas (du reste, la musique tout court n’existe pas tout comme Dieu qui est n’existe pas, sauf le Christ) et c’est néanmoins en lui que nous reconnaissons, pour les plus musiciens davantage même que dans le langage, la réalité et la vérité de nos émotions comme de nos pensées. Nous sommes entièrement ici mais nous sommes véritablement d’ailleurs, comme Mélisande. »
Et cela encore :
« La musique s’inaugure par conséquent en brûlant l’image du monde, en faisant silence et en ouvrant par ces biais des espaces infinis et des temporalités spéciales. Et c’est bien lorsqu’il n’y a plus d’image que la musique peut commencer, c’est-à-dire venir, elle qui n’a pas à proprement parler de commencement puisqu’elle ruissèle depuis l’immémorial en déroutant, comme si elle avait percé son lit, le fleuve de l’oubli. »
Elles ne s’adressent à personne
« La musique ne s’adresse à personne en particulier. Son seul équivalent est la bouteille à la mer dont parle Paul Celan à propos de la poésie. Mais la musique est une bouteille de cette sorte, valant pour elle-même, que le hasard ou la chance font ramasser, malgré le désert qu’est devenu l’époque » (André Hirt)
→ que cela m’aide à supporter le silence abyssal dans lequel, si souvent, tombent les publications de Poezibao ou de Muzibao. Ce sont des bouteilles à la mer. Elles ne s’adressent à personne ou autrement dit, à tout le monde. Et il ne m’appartient pas de savoir à qui, où et quand. Je dépose et la vie, le hasard disposent.
Les hommes musiciens
Toujours dans cette chronique, qui tourne autour de cette notion qui pourrait paraitre paradoxale mais qui s’impose progressivement, au fil de la lecture, comme étonnamment pertinente, le désert musical, cette remarque d’André Hirt sur le « petit nombre d’hommes-musiciens. N’entendons pas par là le nombre, substantiel, de personnes qui pratiquent ou écoutent de la musique, car à la limite il s’agit de quasiment tout le monde, mais de celui, très restreint, qui, même parmi les poètes, littérateurs et philosophes existe et pense musicalement, ce qui est déjà tout autre chose que d’assister bourgeoisement à un concert. Cette caractéristique est de solitude et sa signification toute intérieure et invisible. Les conditions de l’existence et de la pensée musicales, ces existentiaux et transcendantaux très spéciaux en effet ne sont pas très fréquentés. Ce petit nombre vit à part, un peu comme une société secrète, comparable à celle, évoquée un moment par Pascal Quignard, du Cabinet des Lettrés. L’existence se passe à trouver l’un ou l’autre compagnon. Et lorsque cela a lieu, alors le langage devient superflu et on se comprend, non pas de personne à personne, ce qui est impossible, mais objectivement et réellement, dans le souffle et le ravissement des voix, et des chemins de la musique. »
Elle glisse entre les doigts
« Comme le sable, ou l’eau, la musique glisse entre les doigts. Mais la réalité est justement de cet ordre, ondoyante et fluente, plus rapide que toute image, plus lente que le temps lui-même, et c’est en cela que la musique est son expression la plus immédiate. »
Mémoire dans la musique
Deux occurrences de cette inclusion de la mémoire historique dans des pièces musicales. La Passion selon marc, une passion après Auschwitz, donnée en création mondiale la semaine dernière en Suisse, que j’ai déjà évoquée dans ce Flotoir et ce que je lis, dans le livres des écrits de Steve Reich, sur la composition de sa pièce Different Trains.
Différent Trains
Je trouve en effet très émouvant ce que Steve Reich dit de la composition de la pièce.Wolfgang Gratzer lui pose cette question : « Vous avez choisi quarante-cinq petits fragments de différentes déclarations sur les périodes qui ont précédé et suivi la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que sur la guerre elle-même. Comment avez-vous choisi les voix que vous utilisez ? »
Réponse de Steve Reich : « Les voix que vous entendez dans le premier mouvement de Different Trains sont celles de Lawrence Davis et de Virginia, âgée de soixante-dix-sept ans, et qui fut ma gouvernante jusqu'à mes dix ans. Elle m'a accompagné durant les nombreux trajets en train de quatre jours que j'ai dû faire de 1938 à 1941 entre New York, où vivait mon père, et Los Angeles, où vivait ma mère. Quant à Lawrence Davis, aujourd'hui âgé de quatre-vingt-cinq ans, c'est un porteur à la retraite de la compagnie Pullman, qui travaillait à cette époque sur ces mêmes trains. Dans le deuxième mouvement, on entend trois survivants de l'Holocauste qui ont émigré aux États-Unis : Rachella, née à Rotterdam, vit à Seattle ; Paul, né à Budapest, réside à Boston ; et Rachel, née à Bruxelles, est récemment décédée en Floride. Dans le troisième mouvement, toutes ces voix sont mêlées.
Different Trains est en partie une pièce autobiographique. Ces allers-retours de quatre jours en train, deux fois par an, entre l'âge de deux et cinq ans avec ma gouvernante, entre mes deux parents divorcés, m'ont profondément marqué. La voix de Virginia me rappelle cette époque aussi précisément que celle de Lawrence Davis. Leurs voix, et particulièrement les phrases retenues, sont aussi extrêmement mélodiques. Comme ces trajets entre New York et Los Angeles (avec un arrêt à Chicago) se passaient dans les années 1938-41, j'ai commencé à réfléchir au fait que si j'avais vécu en Europe à la même époque, en tant que Juif, mes voyages en train auraient été d'une tout autre nature. Cela m'a amené à rechercher les voix de survivants de l'Holocauste vivant aujourd'hui aux États-Unis, que j’ai trouvées dans une archive de Yale University » (p.290)
Les mélodies du parler
« Les mélodies du parler (…) sont mes fenêtres dans l’âme – et ce que je voudrais souligner, c’est que cela a une grande importance précisément pour la musique dramatique. » (Leoš Janáček, cité dans le livre de Steve Reich, p. 283, extraits de « Mélodies du Parler », Écrits choisis, traduits du tchèque et présentés par Daniela Langer, Fayard, 2009)
→ doubles fenêtres de l’âme, la voix et les yeux.
La forêt sonore
J’ai entrepris la lecture du livre La Forêt sonore qui rassemble les actes d’un colloque qui s’est tenu en 2015 » Pour une écologie sonore de la forêt ».
Je retiens surtout ce qui concerne l’écoute.
« Dans leur quasi-totalité, les écrivains, les artistes, les poètes ont célébré l'arbre et la forêt sous la forme très spécifique du paysage entendu comme spectacle visuel. Qu'avons-nous oublié ? Est-ce seulement par la vue que nous pouvons y accéder ? "Quelques dizaines de mètres de forêt suffisent pour abolir le monde extérieur, un univers fait place à un autre, moins complaisant à la vue mais où l'ouïe et l'odorat, ces sens plus proches de l'âme, trouvent leur compte" affirmait Claude Lévi-Strauss. Doué pour voir, regardeur du monde, l'homme peut-il aussi l'écouter ? » (p.5)
Une promenade d’écoute ?
« L'écoute est permanente dans le monde des vivants, mais la volonté d'écoute est-elle aussi présente ? Et d'abord de quelle écoute s'agit-il ? Celle que l'on nomme "attention" est la plus largement partagée, elle émerge chaque fois que notre intérêt se porte sur un objet désiré. Mais c'est également dans cette même écoute que l'on se tient pour veiller à se maintenir en vie : "faire attention". L'écoute de protection que nous tenons dans la rue, plongés dans un monde de plus en plus actif et rapide, percevant le moindre indice issu de chacun des dangers probables s'annonçant, aussi inconsciente soit-elle, est tout autant désirante. (…)
Mais l'écoute désirante qui nous guide doit être distinguée de notre désir d'écoute. Plus encore que la volonté de voir, le désir d'écoute n'apparaît guère plus à notre conscience. Le désir d'écoute naît d'une longue et lente construction en soi-même. (…) Il s'agit de forcer l'écoute, c'est-à-dire de séparer les sens pour forcer en soi la conscience d'une écoute qui ne demande, elle aussi, qu'à disparaître de notre surveillance. La réécoute désynchronisée, aussi pléthorique soit-elle, comme celle que produit le magnétophone, est aussi un bon outil permettant de faire advenir la conscience de la différence avec l’écoute directe du monde. » (…)
« Nous ne partons jamais pour une promenade d'écoute, personne ne le fait spontanément pour l'écoute, sauf celui qui en connaît par avance les arcanes. Il faut revenir sur le terme "par avance" car c'est bien une fonction première de la perception que de devancer nos attentes. Nous n'agissons pas de même lorsque notre quête est attentionnée et lorsqu'elle ne l'est pas ou même lorsqu'elle ne sait à quoi s'attendre, ce qui est le cas lors des visites à des contrées forestières inconnues. La promenade-écoute s'inscrit dans une pratique préalable. Le désir d'écoute est un objet que l'on confectionne en soi, comme se forge l'apprentissage du regard. C'est une curiosité que la fréquentation éveille. La répétition affine le goût et l'intérêt pour les détails qui l'apparaissent pas d'emblée. La perception est accompagnée de son anticipation, une pro-tension, un acte de visée qui a pour but un objet, d'autant plus désiré qu'il a déjà été visité. Écouter est un acte, c'est acte d'un sujet singulier qui part reconnaître » (La Forêt sonore, de l’esthétique à l’écologie, sous la dir. de Jean Mottet, Champ Vallon, p. 15 et 16)
→ belle idée que celle de la promenade d’écoute. S’asseoir peut-être quelque part, fermer les yeux, écouter. Faire un inventaire à la Perec, mais sonore uniquement. Prendre un petit magnétophone ou brancher le micro d’un smartphone, enregistrer. Puis comparer ensuite ce qu’on croit avoir entendu et ce qui s’est réellement produit dans le champ sonore.
Le deep listening
Voici un concept dont je n’ai pas encore entendu parler mais qui ne peut que me frapper. Je lis par exemple : « Pensons également au courant du deep listening. Comme le remarque David Toop dans son ouvrage Ocean of Sound: ambient music, mondes imaginaires et voix de l'éther, les acteurs du deep listening prennent note de la dimension presque sacrée des effets d'échos dans de nombreuses civilisations et partent à la recherche de ces phénomènes acoustiques."L'écologie, l'anthropologie, la physique, la sémiotique, l'art paysager, et l'art conceptuel ont fait basculer la musique dans une zone où le son et l'écoute pouvaient prendre le pas sur l'intention du compositeur. Alvin Curran, Evan Parker, David Dunn, Pauline Oliveiros, Stu Dempster, Albert Mayrs, Paul Burwell, Hugh Davies, Michael Parso et Stuart Marshal ont exploré d'autres aspects des échos ainsi que l'articulation ou la cartographie de l'espace, depuis les particularités de l'acoustique d'intérieur jusqu'aux échos par-delà les étendu d'eau, la distance et les amphithéâtres naturels »(p.55)
→ je ne connais aucun de ces musiciens, à l’exception de Pauline Oliveiros, disparue récemment et sur laquelle j’ai eu l’intention de travailler un peu. Mais je pense que toute ma pratique actuelle cherche à développer cette écoute profonde aussi bien de la musique que du monde qui m’environne. Accompagnée par l’ombre tutélaire de John Cage avec son amour des sons. Et toujours avec cette idée, banale bien sûr, que notre monde est entièrement voué au visuel et ne s’entend plus, entièrement condamné qu’il est au bruit. Et je ne pense pas que les musiques de divertissement favorisent beaucoup la dimension de l’écoute. Sauf peut-être chez les compositeurs-interprètes (chanson), plus attentifs au son, au grain de la voix aussi.
Tremble
Émotion : alors que j’évoquais il y a peu, via le livre de Peter Wohlleben, cet arbre, le tremble, c’est le poème du tremble de Paul Celan que Michaël Levinas a choisi pour clore son œuvre La Passion selon Marc, une passion après Auschwitz. « Espenbaum, dein Laub blikt weiss ins Dunkel », « Tremble, ton feuillage cligne blanc dans la ténèbre… » traduction de Marc Faessler, programme du concert de création de La Passion selon Marc.
Le champ d’écoute
Cette intéressante remarque de Denis Raisin-Dadre, qui dirige l’ensemble Doulce mémoire : le champ d’écoute musical s’est considérablement élargi au cours des dernières décennies. (Deux émissions avec Denis Raisin Dadre dans la chaîne Soundcloud de la « Radio Parfaite » du Printemps des arts de Monte-Carlo, une introduction au concert (1) de Claude Lejeune et l’émission « dans la discothèque de Denis Raisin Dadre » (2)
→ je ne sais s’il serait possible d’édicter une règle comparable à celle qui reflète la progression de la capacité des micro-processeurs, la fameuse Loi de Moore, et concernant cette fois l’extension de ce champ d’écoute musicale. Cela joue sur deux tableaux au moins, l’étendue du corpus aujourd’hui disponible en premier lieu, mais aussi les moyens d’accès à ce corpus. Il y a un siècle et demi, le seul recours ou presque pour écouter de la musique, était d’aller au concert ou d’en jouer soi-même, parfois entre amis. Ce qui explique notamment la prolifération des réductions d’œuvres pour piano à quatre mains ! Même si le principe de l’enregistrement sonore existait depuis le début du XIXème siècle. Et si le premier phonographe d’Edison remonte lui à la fin du même XIXème siècle. Il y eut les disques 78 tours, puis les 33 et les 45 tours, puis le CD et aujourd’hui les fichiers dématérialisés. Pour l’enregistrement, il y eut les magnétophones à bandes (incroyable sentiment ressenti après avoir enregistré pour la première fois une retransmission de concert de France Musique sur un tel magnétophone, un vrai luxe pour moi à l’époque, un Revox avec ses très grandes bandes magnétiques dont je sens encore l’odeur !). Puis les cassettes, l’éphémère mini-disc, le disque CD enregistrable. Il y aujourd’hui les podcasts et le streaming qui permettent d’écouter musiques et émissions où et quand on le souhaite.
Quant à l’étendue du champ musical couvert aujourd’hui, elle est gigantesque. On peut prendre un exemple concret : qui voulait s’initier à la musique contemporaine, dans les années soixante-dix, était bien en peine de le faire. Acheter au hasard des disques d’œuvres jamais entendues ? Emprunter des disques en médiathèque ? Aujourd’hui, avec un abonnement streaming ou totalement gratuite, la webradio La Contemporaine de France Musique, ou bien encore les multiples possibilités offertes par YouTube, cette musique contemporaine est infiniment plus accessible. Il y suffit d’une disposition, pas toujours répandue je l’accorde, la curiosité et l’ouverture d’esprit.
Musique et poésie
Dans l’émission avec Denis Raisin Dadre (1), une passionnante intervention d’Olivier Bettens, historien de la déclamation, sur Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) et sur sa tentative d’utiliser en France une métrique, celle des langues antiques, où les syllabes sont mesurées, en longues et en brèves (par opposition au simple décompte des syllabes). En effet, ami de Pierre de Ronsard et membre de la Pléiade, il se distingue comme le principal artisan de l'introduction en France d'une versification quantitative mesurée, calquée sur la poésie de l'Antiquité gréco-latine. Denis Raisin-Dadre a beaucoup travaillé avec lui pour la réalisation de son disque « Le Printemps » de Claude Lejeune.
Forêt de nouveau
Reprenant les actes du colloque sur La Forêt sonore, je m’arrête sur le chapitre consacré au poète Robert Marteau par Aline Bergé : « sons de la forêt et poésie », voilà qui m’attire alors même que je lis pour la deuxième fois, à haute voix désormais, pour M. le très passionnant La vie secrète des arbres du forestier allemand Peter Wohlleben.
Pierre Marteau : « J’écoute, je griffonne ». C’est dit Aline Bergé « l’écriture sismographe et intuitive des premières notes du carnet en immersion et en veilleuse sur le terrain, le déploiement d’abord tâtonnant, mimétique de la main, de la langue et du corps en mouvement, en réponse à l’appel du dehors qui se propage : "Lové l’homme se déplie / Avec la fronde des fougères. / Première lui fut la musique / Lumière torte qui ondule"/ Le poète affine ensuite son écoute à la recherche du mot juste » (p.119)
→ cette méthode de travail, de collecte pourrait-on dire, me fait penser à celle d’Hubert Lucot : attention flottante ouverte au sensible qui joue comme inducteur du ou des souvenirs.
Le lecteur vigilant des buées
J’ai choisi récemment pour les archives sonores de Poezibao une courte lecture par Bernard Noël.
Texte magnifique, « Le Château d’œil », recherché après avoir noté à la volée « l’émotion m’avertit plus vite que la vue. » Et que je retrouve dans La Place de l’autre, paru aux éditions P.O.L., en 2013 (p. 92).
« Il y a un lieu, me dis-je, et qui me convient, et qui m'a été ouvert une fois : n'est-ce pas la preuve que je peux en retrouver l'accès ? (…) Je guette l'accident de terrain, la brusque modification de l'ordre du paysage, le rapport encore inaperçu entre tel arbre, tel rocher, telle courbure et la ligne d'horizon. J'ai en tête une chose informe et cependant architecturale sans en avoir la moindre représentation. Je n'arrive à susciter qu'une scène vide et je m'acharne à la mémoriser comme si cela pouvait me servir d'appelant.
Ma seule certitude est mon entêtement à ne pas me décourager en dépit du mutisme que m'oppose la nature. Je m'obstine à l'observer systématiquement, à y prendre des repères, des mesures.
Et je découvre que le soleil de midi en venant à l'aplomb de traces invisibles au sol, mais peu profondes, en tire des buées dont le mince panache offre, un moment, l'empreinte aérienne de la forme enterrée. Cette découverte a fait de moi le lecteur vigilant des buées : elle m'a rendu attentif à l'imperceptible, aux présences discrètes. Je sors donc aux heures chaudes pour surprendre les mystères liés à l'évaporation et j'apprends à lire le contour des vapeurs à l'instant où elles fondent en l'air. L'attention qu'exige cette lecture développe l'acuité de mes perceptions si bien que, souvent, l'émotion m'avertit plus vite que la vue. »
→ l’émotion, c’est cet ébranlement intérieur, souvent infime, qui m’avertit avant que j’aie vu, avant que j’aie entendu, identifié une image, un son, dont le message pourtant s’est porté vers moi. Phénomène ondulatoire là aussi ? Ou plutôt atteinte infra-consciente, qui pourrait faire l’impasse du passage par la conscience, sans cette attention dont parle Bernard Noël, mais qui néanmoins, consciente ou subliminale, m’a d’une manière ou d’une autre touchée.
→ il y faut une attention au fourmillement, à la prolixité du réel, loin du concept qui aseptise et encage. Une attention parfois flottante, qui se laisse orienter, polariser, par une attraction souvent liée à l’émotion, écrivais-je dans ce Flotoir en janvier 2017, alors que je lisais Styles de Marielle Macé.
Rédigé par Florence Trocmé le 25 avril 2017 à 14h19 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Balises: Antonio Rodriguez, arbres, attention, Auschwitz, Bernard Noël, buées, Ecoute, forêt sonore, Henri Droguet, Jerôme Orsoni, mer, Michaël Levinas, musique, Passion selon Marc, Paul Celan, poésie, Steve Reich, tremble
Rédigé par Florence Trocmé le 07 avril 2017 à 17h56 dans photomontages | Lien permanent
Zender, Bruckner
Le chapitre du livre de Hans Zender sur Bruckner est une pure merveille. Il me démontre une fois de plus par ailleurs l’acuité musicale d’André Hirt qui m’a entraînée vers une écoute plus approfondie de ce musicien.
Voir ainsi la conclusion du chapitre de Hans Zender : « Si l’on peut interpréter la forme sonate comme l’union des deux forces antagonistes du monde médiéval et du monde baroque, à savoir le sacré et le profane, ce travail de fusion métamorphique semble atteindre une telle intensité chez Bruckner – et tout particulièrement dans la Cinquième Symphonie – que ces oppositions s’avèrent comme les deux aspects d’une même totalité cachée. On peut ici évoquer la psychologie analytique de C.G. Jung qui, peu d’années après la mort de Bruckner, a installé de façon semblable le "soi" comme le terme central de sa psychologie. Dans les symphonies de Bruckner apparaît la totalité du vivant. L’impact toujours croissant de cette musique sur l’auditeur moderne montre bien, dans sa force mystérieuse, que c’est précisément la confrontation d’attitudes esthétiques apparemment incompatibles qui est capable d’ouvrir des horizons nouveaux. » (Hans Zender, Essais sur la musique, p.210)
→ je suis intimement convaincue de cela, cette conviction a été renforcée par la lecture des Essais sur la musique de Zender. Et je suis aussi convaincue que cela concerne la musique comme la poésie. Je me sens au cœur de cette confrontation d’attitudes esthétiques apparemment incompatibles dans mon travail de lecture, de notes, de compositions des sites. Et bien sûr j’espère ouvrir des horizons nouveaux aux lecteurs. Même à une échelle qui n’a bien sûr rien à voir avec celle des monumentales compositions de Bruckner.
→ et je ne peux m’empêcher ici, même si c’est un peu facile, d’évoquer ma lecture du livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. Comme s’il y avait une corrélation entre cette vie inouïe (c’est le cas de l’écrire) des arbres que révèle cet écrivain allemand et la musique de Bruckner.
Hier et demain
De Zender encore : « Une composition est à la fois une création nouvelle projetée dans le futur et l’interprétation de l’ensemble du passé musical, que le compositeur le veuille ou non »
→ voilà de quoi balayer les prétentions de table rase ! Et qui démontre aussi que la culture la plus étendue possible est nécessaire au jugement du contemporain. « Le mythe d’une écriture cohérente, cultivé pendant un temps par l’avant-garde de l’après-guerre et qui a jeté un tabou sur tous les moyens stylistiques prémodernes, aura été le dernier rejeton de l’esthétique traditionnelle, prescriptive et universelle. » (p.212)
Zender montre que l’artiste doit chercher une « voie nouvelle dans chaque œuvre », qui soit « une réponse à la question posée par l’histoire ». Et il cite, à propos de l’indispensable sincérité de cet artiste, cette étonnante remarque de Wittgenstein : « quelqu’un qui ne ment pas est déjà suffisamment original. »
Percussif
Une phrase, une seule de Philippe Jaffeux : « L’écriture apprend à se détruire avec des intervalles qui attisent un feu stellaire. » (p.11)
→ Pour évoquer cette idée, qui fut aussi un désir, que j’ai eu du mal à mettre en œuvre de lire à haute voix, pour Poezibao, deux pages du livre Entre de Philippe Jaffeux en les appuyant sur le début de Drummings, une œuvre pour percussion, de Steve Reich. Il y a quelque chose de percussif dans la frappe de Philippe Jaffeux.
Cela encore qui me renvoie à ce que j’écrivais à propos d’une « lecture flottante » de ce texte : « Son texte est compris par nos yeux depuis que nous suivons la voie d’une langue inaudible ». (p.12)
Musique entre logos et pathos
Tel est le titre d’un nouveau chapitre dans le livre de Hans Zender : « La musique nous surprend par son surgissement soudain et, grâce à cet étonnement soudain, elle crée en nous une distance par rapport à nous-mêmes. Au moment de la fascination artistique, ce n’est plus la conscience de notre moi qui est centrale, mais la vie en tant que tout, au sein duquel notre petit moi n’occupe qu’une place marginale. » (p.223)
→ il me semble que cette fascination artistique est d’autant plus forte avec la musique, qui nous détacherait non seulement de notre « petit moi », mais aussi des mots. Il peut y avoir au contact de l’œuvre d’art un effet d’emportement et il me semble particulièrement puissant avec la musique. On perd véritablement conscience de soi. Le temps cesse de couler selon son cours ordinaire.
Une double menace
Dans des pages très fortes, à la fin de son livre Écrits sur la musique, Hans Zender alerte sur le danger que court l’art : « Dans notre société, l’existence de l’art est menacée au même titre que l’existence de ce que nous qualifions de "nature" » (p.231).
→ il y a une vraie fécondité à penser simultanément la double menace, celle sur la nature et celle sur la culture.
Les morts debout
J’ai souvent évoqué les morts debout, ces êtres qui semblent vivants, ils respirent, parfois parlent, ne sourient pas en général, mais qui sont morts intérieurement. Comme certains arbres.
Lisant le beau dossier que Laurent Albarracin consacre à Louis-François Delisse, je relève ce poème :
« Être mort tout en vivant est un sort
très partagé par les eaux mortes et les gens
par les automnes et par certains printemps.
Un sort qui roule ses fruits pourris ou
tord ses fleurs saccagées en longues vrilles.
Mais les morts ne se plaignent pas même vivants,
les morts pleurent debout comme tremblent
les arbres adossés aux méchants vents, ou
les flots lisses devant les grands courants. »
La phrase
Quelque chose me touche dans le livre de Jean-Philippe Cazier, L’la phrase. L’, au-delà de son aspect sans doute très conceptuel.
Peut-être cela : « la phrase serait là. Non pas quelque chose mais là. Monde fragmentaire. Discontinu. Effritement du monde en instants. Mort parmi les morts »
→ Cette idée que les mots que l’on aligne, tous, petits et grands, ne sont que les pelotes de réjection de l’instant qui vient de passer et donc de s’éteindre ?
En écoutant des extraits d’une œuvre de Wim Henderickx : At the edge of the world (Webradio La Contemporaine). Il y a dans ce hautbois solo un mélange de désolation et de courage.
Non et oui
Ce double mouvement, récurrent en ce moment : non à une certaine forme de musique classique (ce matin Richard Strauss, Don Quichotte) au profit de la musique contemporaine, pour une raison d’adéquation intérieure.
Cailloux
Travailler sur les cailloux. Toute évocation du caillou me fait vibrer très profondément. Mes cailloux-mémoire, mes cailloux-têtes… une anthologie des cailloux peut-être ?
Isabelle Howald, dans une note sur Franck Doyen : « Rien ne manque ici de tous les mondes de la nature, du simple caillou à l’herbe, du ciel à l’arbre, du soleil à la peau des bêtes, de la nuit au pré, et la présence fragile de l’homme qui en fait l’expérience ».
Conjonction
Relisant mes relevés du chapitre que Hans Zender consacre à Bruckner, je « ressens » (formule de H. Lucot) une triple conjonction : la musique de Bruckner, le livre de Peter Wohlleben sur La vie secrète des arbres et cette note de lecture dont je parle ci-dessus du livre collines, ratures de Franck Doyen avec les mots très forts qu’I.B. Howald consacre à la rencontre de l’homme avec l’animal. Une sorte de pile de perceptions et souvenirs, qu’il faudrait savoir travailler à la manière d’un Lucot au lieu de l’entasser sur un coin de bureau, ou de Flotoir !
Photo
Dans le livre d’Hélène Cixous, Correspondance avec le Mur, une remarque qui ouvre une sorte d’abîme. Elle concerne une photo que regarde la narratrice : « Sur la photo, personne ne se doute de rien ». Je pense que cette remarque fait toucher à l’essence de la photo ! Il y a deux plans ici. Celui de la réflexion personnelle : la photo est toujours du monde d’avant et peu importe que cet avant soit éloigné de quelques minutes ou de décennies. Mais aussi parce qu’il y a ici l’arrière-plan historique. La famille maternelle d’Hélène Cixous, qui est au centre de ce livre-là, est juive. Le mot doute prend alors une résonance particulière et terrible.
Devant tant de photos on pense à l’innocence par rapport au futur de ceux qui sont là et qui ne savent pas. C’est terrible et poignant.
Sonia Wieder-Atherton
J’écoute la série des cinq entretiens qu’elle a donnés à France Musique. Je l’entends évoquer cette femme professeur dont je savais qu’elle avait tout laissé tomber pour aller travailler avec elle à Moscou : Natalia Shakhovskaya. On l’entend dans un très bel extrait du concerto d’Aram Khachaturian.
J’aime beaucoup quand elle parle de leur rencontre et dit que soudain, première leçon, ce fut la mise ensemble de plein de choses éclatées. « Ça prend comme une seule matière ».
Inchoatif
Raymond Bellour au début d’une contribution dans un colloque sur Michaux emploie ce terme. Inchoatif, surtout utilisé dans le champ de la grammaire. Désigne quelque chose qui commence, qui début, qui s’esquisse.
Je note cette remarque : « "Le chercheur polyphonique inchoatif ouvre des voies, prépare le terrain pour des chercheurs focalisés. Ces derniers cherchent des réponses à partir d'hypothèses. Le premier est plutôt un "poseur de questions"." (Christian Bois, source).
→ j’aimerais penser que le Flotoir a un côté « polyphonique inchoatif » !
Valéry et les choses
cité dans un grand essai (Poezibao) de Matthieu Gosztola sur la relation entre Bonnefoy et Jarry :
« En […] regardant longuement », continue Valéry, les « choses particulières, desquelles il n’y a pas de science », « si l’on y pense, elles se changent ; et si l’on n’y pense pas, on se prend dans une torpeur qui tient et consiste comme un rêve tranquille, où l’on fixe hypnotiquement l’angle d’un meuble, l’ombre d’une feuille, pour s’éveiller dès qu’on les voit. Certains hommes ressentent, avec une délicatesse spéciale, la volupté de l’individualité des objets. Ils préfèrent avec délices, dans une chose, cette qualité d’être unique – qu’elles ont toutes » (in Introduction à la méthode de Leonard de Vinci.)
Du corps
Et dans le même article, Matthieu Gosztola cite Paul Audi : « L’esprit : je veux dire le corps. Certes pas le corps objectif, qu’on voit, qu’on touche et qu’on sent ; cette enveloppe charnelle qu’on mesure, comprend et décompose ensuite en une série d’organes ou de fonctions diverses. Non pas en effet le corps organique ou fonctionnel, mais le corps subjectif, intensif, charnel, vivant – et à ce titre "invisible". Un corps qui, selon l’expression de Rousseau, "se porte pour ainsi dire toujours tout entier avec soi", parce qu’il est ce "soi" lui-même et en son tout, un soi parvenant justement en soi dans le "vouloir" toujours déjà auto-affecté de son être-en-vie – c’est-à-dire de son incarnation. Un corps que son pâtir grandit, parce qu’il l’agrandit de cela qui le précède et l’excède de toutes parts, et qui "se montre" en tant que soi-même toujours plus grand que soi ; un corps jouissant et souffrant qui est en tous points de sa chair une pure "croissance" en soi, ein Wachstum, selon le mot exceptionnel de Kafka. Un corps-croissance. »
(in Paul Audi, Supériorité de l’éthique, De Schopenhauer à Wittgenstein, Presses universitaires de France, collection Perspectives Critiques, 1999, p. 232.)
À tous les juifs….
Superbe page d’Hélène Cixous dans ses Correspondances avec le Mur : « mais à tous les juifs qui sont juifs, se sentent juifs, juifs des avants et juifs des après, je reconnais que je dois un trésor inestimable d’angoisses et de tourments, l’usage illimité de la tragédie et ce qui va avec l’exercice de la douleur : l’esprit de révolte, le génie de la jubilation, les bosquets de comédie sans restriction de circonstances, l’eau du rire qui jaillit au milieu du brasier et jusqu’à l’avant-dernière minute dans les camps d’extermination, la nostalgie perplexe du désert, la fréquentation des zones d’exclusion et le don nomadique, la façon d’allonger perpétuellement le cou au maximum pour scruter l’horizon, comme si le présent était là-bas dans le lointain futur ou au contraire la façon de creuser des puits sous son lit à la recherche de pensées ou êtres perdus et peut-être conservés dans les souterrains du temps, l’archéologisme de la réflexion, d’où mon long cou, toutes ces herbes amères tous ces sucs et ces miels spirituels dont l’écriture se régale » (p. 72)
Différentes phases
J’entame la lecture de Différentes Phases, le livre des écrits de Steve Reich. Extrait de l’introduction qui est en soi une forte incitation à la lecture du livre avec dans la mesure du possible, écoute simultanée des œuvres : « Le musicien compose des expériences sonores : par répétition, tuilage et déphasage, un simple motif immerge l’auditeur dans un "processus d’écoute". Steve Reich interroge la perception du temps et du rythme sous toutes ses formes. » (p.5)
La préface insiste aussi sur les sources d’inspiration du musicien : musique médiévale, cantillation hébraïque, percussions africaines, musique balinaise, etc.
Avec une vraie attention politique : échos de la guerre froide (It’s Gonna Rain), de la ségrégation raciale (Come out), de la Shoah (Differents trains), etc.
Le principe de réalité documentaire.
Je retrouve aussi ce thème qui me préoccupe de plus en plus, celui de la réalité documentaire. Qui serait une des façons, peut-être la seule, de donner une dimension engagée à l’art (musique, arts plastiques, littérature). Je songe à Reznikoff, à Christian Boltanski et à ses terribles amas de vêtements au Grand Palais, il y a quelques années, mais aussi au travail de Muriel Pic. Et je lis ici, toujours dans cette préface aux écrits de Steve Reich : « Le compositeur réitère à plusieurs reprises dans ses écrits la nécessité de se situer au plus près de son temps, c'est-à-dire des évolutions musicales et de l’environnement global – social, politique, historique – dans lesquelles celles-ci s’inscrivent.[C’est] le principe de "réalité documentaire" qui parcourt l’ensemble de son œuvre, en premier lieu à travers l’utilisation de la "mélodie de la parole" » (p. 6)
→ importante on va le voir cette idée de la mélodie de la parole.
Il faut faire résonner le monde dans la musique. Et j’ajouterai pour l’auditeur, écouter le monde dans la musique. Dans toute œuvre d’art peut-être. Je repense à maints textes choisis dans l’anthologie Flammarion, par Yves di Manno et Isabelle Garron, les trouvant sans doute très désincarnés, dans le sens qu’on n’y entend que peu le monde. Il me semble que ce sont souvent de très solipsistes aventures. Profondes, belles, mais loin du monde. Mais je sais aussi l’immense difficulté à faire entrer le monde dans l’œuvre d’art et comment très souvent cette incorporation, quand elle n’est pas complètement authentique, nécessaire, maîtrisée, sublimée même, tue l’œuvre à très court terme et la rend très vite illisible, datée, insupportable. Il faut atteindre à une couche archétypale, sans doute, qui dépasse tous les seuils, très nombreux, de l’anecdote, du fait historique singulier et daté. Il me semble percevoir, j’y reviendrai, cette dimension dans les premières œuvres de Steve Reich. La réalité historique, très concrète, est prise dans une série de processus qui la rabatte sur des pulsions profondes de l’être humain. Et sans doute en partie par l’usage de cette « mélodie de la parole ».
Des thèmes cruciaux
Parmi les thèmes cruciaux de Steve Reich, les auteurs de la préface (Stéphane Roth et Sabrina Valy) citent : l’écoute musicale comme expérience, la composition comme processus, le débat entre simplicité et complexité, les questions liées à l’interprétation et au style vocal, le dialogue entre musiques savantes et musiques populaires ou traditionnelles. » (p.6).
Ces thèmes sont les miens, pour la plupart et cela aussi bien dans le domaine de la réflexion sur la littérature que dans celui de la réflexion sur la musique. Réflexions qui une fois de plus tendent à se fondre ou à se chevaucher.
Déphasage
Tout a commencé pour Steve Reich par une expérience. En 1964, à San Francisco, il entend un prêcheur noir. Frappé par la qualité mélodique de sa parole, il l’enregistre. Un peu plus tard, il fabrique à partir de sa voix des boucles de bande magnétique. Puis en essayant de placer deux boucles de bande identiques à l’unisson, il constate que les deux magnétophones se décalent très légèrement et que cela engendre des phénomènes saisissants. Les deux boucles se déphasent petit à petit. C’est It’Gonna rain.
C’est un peu, me semble-t-il, comme ce qui se produit lorsqu’on regarde deux éoliennes depuis une route : elles semblent tourner ensemble puis se décalent et suscitent toutes sortes de figures d’étoiles nouvelles.
Et ce qui est très curieux, c’est que Steve Reich dit que ce processus progressif de changement de phase entre deux ou plusieurs motifs répétés lui est apparu comme une extension de « l’idée de ronde ou de canon infini ». Deux figures musicales ancestrales ! (It’s Gonna rain)
En écoutant l’œuvre, j’ai beaucoup pensé au « it it it » « ça ça ça » repéré dans le coffret publié par Isabelle Sauvage, avec le poème Negus de Kamau Brathwaite (on peut écouter cet extrait dans la présentation de Poezibao)
Chant muet
Dans le beau dossier consacré par Jean-René Lassalle à Tom Mandel, poète américain, je relève :
« Me promenant je m’émerveille. Tous les trois pas je ramasse un petit caillou, une brindille, un serpent. Chacun est différent et à chacun je dis la même chose. À chacun je tente de dire la même chose. En parlant à chacun je vise le même point, la main qui le tient. Dans un „rituel aussi vrai qu’un baiser“, … „chaque phrase que j’écris essaie de dire une totalité… la même chose encore et toujours. »
Antonio Rodriguez
Le livre d’Antonio Rodriguez, Après l’union, est un livre fort, potentiellement problématique mais qui me semble résoudre, ou dépasser la problématique liée à la thématique, une réflexion sur Birkenau.
Il y a dans le livre une sorte d’étrange voyage de noces, pas voulu d’emblée mais dans lequel les protagonistes se trouvent entraînés, à Birkenau. La découverte ensemble, par les tout jeunes mariés, du lieu. La résonance en eux, leurs émotions, leur ressenti. Et le travail qu’accomplit l’écrivain sur cette matière, qu’il aurait voulu organiser sans doute sous forme poétique mais qui va petit à petit lui imposer la prose. Sous-tendant le propos ce qu’on pourrait appeler le rêve d’Europe. Et bien sûr les inquiétudes concernant ce rêve et sa réalisation, à partir de Birkenau et dans le temps contemporain.
Birkenau, Birken (die Birke, le bouleau, voir Écorces de Georges Didi-Huberman).
Il se pourrait qu’ici Antonio Rodriguez soit en phase avec la remarque de Walter Benjamin citée par G. Didi Huberman : « C’est pourquoi l’art de mémoire, dit Benjamin, est "un art épique et rhapsodique" ». (Écorces, p. 65) Il y a clairement une dimension rhapsodique dans le livre d’Antonio Rodriguez
Steve Reich
Le livre de ses écrits est intelligemment construit de manière chronologique et maints chapitres sont consacrés à des œuvres emblématiques sur lesquelles le musicien s’est exprimé.
Il écrit quelque part : « la pulsation et la notion de polarité tonale réapparaîtront et seront les sources fondamentales de la musique ». (p.64)
Et un peu plus loin : « n’importe quelle machine utilisée sur scène – et tout particulièrement quand elle engendre une pulsation – produit une sorte de perfection qui n’est pas satisfaisante musicalement. En réalité ce sont les micro-variations qui rendent un battement régulier intéressant » (p. 89)
→ il suffit de comparer dans la musique populaire une chanson soutenue par une batterie réelle et une autre soutenue par une batterie électronique. Rien à voir (ou plutôt à entendre !).
La pratique de la musique
À plusieurs reprises, presque dans les mêmes termes, Steve Reich énonce l’idée que « se concentrer sur le processus musical permet de détourner l’attention du il, du elle, du toi et du moi, pour aller vers le ça. » (p.93)
→ c’est aussi vrai dans l’écoute que dans la pratique. Idéalement dans la pratique, et Steve Reich parle ici surtout de la pratique collective, de ce qui se passe avec ses musiciens dans un concert, les pronoms personnels sont débranchés, les individualités se dissolvent dans la réalisation de l’œuvre, le ça, le processus, la musique. Je suppose que le musicien très expérimenté atteint aussi à ça quand il joue en concert, même en solo, un pianiste par exemple. Toutes les préoccupations de technique, d’image donnée, de « prestation », s’effacent et il se trouve dans un état qui dépasse sa personne superficielle. Je ne sais pas si on a étudié le cerveau de concertiste en train de jouer comme on étudie le cerveau des grands méditants. Je ne sais pas s’il y a des analogies dans le fonctionnement cérébral, la mise en œuvre d’autres zones corticales et peut-être le passage à un autre régime d’ondes cérébrales ?
Ces étranges superpositions
Ces étranges superpositions qui se produisent en nous et dont, sans doute, nous n’avons pas assez conscience, alors qu’il se pourrait que les choses passent telles dans notre mémoire. Souvent ce sont des sortes de chevauchements, comme hier ces profondeurs marines et racinaires. Par le plus grand des hasards, deux occurrences sur des fonds marins ; les uns dans les Açores, étonnants fonds marins volcaniques avec en particulier des mantes du Chili, énormes raies manta très impressionnantes et non moins impressionnants flux de bulles qui émanent de minuscules cheminées volcaniques dans la croûte océanique. Puis dans Le Monde, un article sur les cénotes, des galeries d’eau, ouvertes dans le sol du Yucatan, au Mexique. Il s’agit de sortes de trous, il y en aurait 10 000, provoqués peut-être par une météorite et que les Mayas considéraient comme des puits sacrés. Organisés en véritable dédale, ils abritent des vestiges millénaires, parfois des réserves d’ossements et des fonds tout à fait particuliers. Ce sont d’immenses réseaux souterrains immergés reliés à l’océan..
Et sans rapport apparent, la lecture en cours de La Vie secrète des arbres avec ce que je découvre concernant le réseau (là serait le lien ?) racinaire, les communications entre les arbres par ces réseaux. Ainsi de cet arbre foudroyé, un orme je crois, et de la propagation du choc électrique par les racines qui a tué 15 arbres autour de l’arbre touché directement par la foudre.
Le tremble
Réseau encore ! « Le tremble. Il doit son nom à ses feuilles qui réagissent au moindre souffle d’air. En raison de la forme particulière de leur pétiole, elles bougent en exposant en alternance leur face supérieure et inférieure à la lumière. Il en résulte qu’elles peuvent réaliser la photosynthèse avec leurs deux faces, à la différence des autres espèces où la face inférieure est réservée à la respiration. Les trembles peuvent ainsi produire plus d’énergie et même croître encore plus vite que les bouleaux. En matière de lutte contre les amateurs de jeunes pousses tendres, ils suivent une tout autre stratégie qui mise cette fois sur l’opiniâtreté et la quantité. Ils peuvent être broutés et encore broutés des années de suite par des chevreuils ou des bovins, leur système racinaire n’en continue pas moins de lentement s’étendre. Il en émerge des centaines de rejets qui au fil du temps forment de véritables buissons. Un seul arbre peut ainsi s’étendre sur plusieurs hectares, parfois même beaucoup plus, dans certains cas extrêmes. La Fishlake National Forest, dans l’État nord-américain de l’Utah, héberge ainsi un faux tremble de plus de 40 000 troncs qui s’étend aujourd’hui sur environ 43 hectares pour un âge estimé à plusieurs milliers d’années » (in Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres »
Peter Wohlleben qui pose aussi cette fascinante question : « Nous savons désormais que les arbres communiquent olfactivement, visuellement et électriquement (par l’intermédiaire de sortes de cellules nerveuses situées aux extrémités des racines). Mais qu’en est-il de l’émission de sons, donc de l’ouïe et de la parole ? »
Cailloux et terre
Et je repense à mes cailloux, à cette fascination qu’ils exercent sur moi. la terre aussi recèle tant : « Une poignée de terre forestière contient plus d’organismes vivants qu’il y a d’êtres humains sur terre. »
Rédigé par Florence Trocmé le 07 avril 2017 à 17h50 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Balises: Anton Bruckner, Antonio Rodriguez, cailloux-têtes, Hans Zender, Philippe Jaffeux, Sonia Wieder-Atherton, Steve Reich