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Rédigé par Florence Trocmé le 21 septembre 2017 à 16h38 dans photomontages | Lien permanent
L’observateur et l’observé - Durs Grünbein
Toujours dans le numéro de la revue Décharge (175) dont il a déjà été question dans ce Flotoir, Durs Grünbein dont je relève ces propos : « Je considère ma vie comme une manifestation entièrement consacrée à la critique, où je suis à la fois l'observateur et l'observé. Tout ce que ma psyché a pu modestement percevoir et créer était une réalité "produite par l'observateur" ainsi définie par les physiciens quantiques et leurs conceptions expérimentales. Je ne suis rien et le monde que je ne décris que de façon fragmentaire est tout ce que j’ai vu. À un moment donné je me suis mis à écrire ; c'était un miracle contre toute attente et toute destinée biologique sous forme d'antécédents familiaux, constitution physique et sensible. Et puis il fallait un grain de folie pour commencer à écrire un jour des poèmes, mais depuis mon enfance l'écriture était programmée en moi. Personne ne sait comment ça se produit et pourquoi c'est ainsi.
Les poèmes n'ont aucune utilité si ce n'est de faire sortir l'individu de son clan (et tout compte fait de sa nation) et de le catapulter dans un état intenable, au-delà de la culture générale. On devient une sorte de comète, on fait quelque chose de fascinant et d'impossible – fascinant juste pour quelques rares lecteurs. L'amour d'un seul lecteur, ne serait-ce qu'une sympathie partielle, qui peut produire un effet d'un déjà-vu surréel, vaut bien plus que toutes les tentations médiatiques auxquelles un auteur engagé se trouve confronté. Contrairement à tous les dénominateurs communs retenus au nom de la littérature, la poésie isole les individus. Elle conduit à la séparation, c'est une absurdité mise au service de la différence. Celui qui a compris cela ne veut plus retourner aux rendez-vous lambda programmés à la sortie d'un livre. Ce qu'il souhaite tout au plus c'est une visite nocturne secrète d'un amateur égaré. Un instant de reconnaissance dans cette masse d'individus perdus. Il n'y a pas de mode d'emploi. Et chaque dernière ligne sera toujours la première dans ce délire de prise de conscience à l'égard de ses propres faiblesses qui s'accentuent avec l'âge. Voilà ce que je peux dire pour le moment. » (Revue Décharge, n°175, p. 74)
La lecture est une prémonition – Erik Orsenna
Je lis à haute voix avec M, le livre d’Erik Orsenna consacré à La Fontaine, il est tout à fait vivant et bien fait, très agréable à lire. Mais les extraits des œuvres de La Fontaine sont eux, en revanche très difficiles à lire à haute voix sans préparation : les tournures sont complexes et difficiles à faire saisir à qui de plus entend mal. J’écoute l’auteur parlant des amis de La Fontaine : « Ils ont pour nom Maucroix, prénom François ; Tallemant des Réaux, Gédéon ; Cassandre, François ; Charpentier, François ; Rambouillet, Antoine ; Furetière, Antoine aussi... Ces très jeunes gens ont reçu la même culture, riche et diverse, familiers qu'ils sont des poètes grecs et latins sans oublier les italiens, Boccace, Pétrarque... Dans les littératures plus récentes, ils se sont enchantés du Page disgracié, le chef-d’œuvre de Tristan L'Hermite. Comme souvent, un livre vous touche parce qu'il annonce la suite de votre vie. La lecture est une prémonition. La Fontaine sera page (de Fouquet), disgracié (par Louis XIV). » (Je souligne et je souligne parce que cette remarque est impressionnante, lourde de conséquences. Il faudrait revoir toutes ses lectures, en leur temps et leur heure, et tenter de comprendre pourquoi nous les avons choisies et en quoi elles furent, peut-être, prémonitoires.
Système nerveux et ordinateur – Philippe Jaffeux
Je lis aussi ce texte donné par Philippe Jaffeux, toujours à ce décidément bien riche numéro de Décharge (n°175), extrait de « Corps » à paraître dans le n° 5 des Cahiers de Tinbad, « Corps » étant lui-même une partie du livre Mots dont il a déjà été question ici.
« Une tension roborative s'est mise en place entre mon système nerveux central défaillant et l'énergie des ordinateurs. L'absence de mémoire immédiate est l'une des causes de mon écriture aphoristique. Mes phrases transmutent mes déficiences à l'aide de mots qui doivent trouver leur place avant que je les oublie. Mes nerfs altérés rendent grâce aux ordinateurs, organes artificiels, qui m'aident à la fois à matérialiser et à échapper à une maladie incurable. L'écriture reconfigure-t-elle mon identité à l'aide d'un ordinateur-prothèse qui déjoue mes troubles neurologiques ? Quoi qu'il en soit, j'éprouve un véritable plaisir physique à écrire dans l'instant et à dialoguer avec des octets qui soignent une détérioration de mon influx nerveux. »
→ je suis très touchée par ces propos éclairants de Philippe Jaffeux et cette très discrète allusion à la maladie progressive qui l’affecte si profondément depuis des années.
Sidérer et considérer – Marielle Macé
Sidérer : cela qui me sidère, l’état de sidération, ce devant quoi je reste sidérée, ce qui est sidérant. (Étymol. et Hist. 1. 1903 « frappé d'un anéantissement subit des forces vitales » (Janet, Obsess. et psychasth., t. 2, p. 92); 2. 1923 « frappé brusquement d'une profonde stupeur » (Lar. univ.). Empr. au lat. sideratus, part. passé de siderari « subir l'influence funeste des astres », dér. de sidus, sideris « étoile ». (source))
Pour Marielle Macé, il y a quelque chose de sidérant dans la juxtaposition géographique, Quai de la Gare (à Paris) ou dans sa proximité immédiate, d’un camp de réfugiés, de la Cité de la Mode, de l’ancien entrepôt nazi de biens spoliés et de la BNF. La terre, les murs et l’eau, peut-être, ont une mémoire.
Elle propose de la suivre dans le passage de sidérer à considérer, de sidération à considération. La sidération paralyse, bloque, étouffe. La considération « déclot ce que la sidération enclot » (p.24) : « considérer ce serait au contraire aller y voir, tenir compte des vivants, de leurs vies effectives, puisque c’est sur un mode et pas un autre qu’elles s’enlèvent au présent – tenir compte de leurs pratiques, de leurs jours (…) décrire ce que chacun [parmi les migrants] met en œuvre (…) pour faire avec un moment de vulnérabilité accrue ».
→ Une voie aussi pour sortir du jugement (de valeur) pour aller vers la considération, l’observation et la curiosité bienveillante. « Et toi, comment vis-tu, comment fais-tu, comment t’y prends-tu pour vivre là, vivre cela, cette violence et ton chagrin, cette espérance, tes gestes : comment te débats-tu avec la vie ? – puisque bien sûr je m’y débats aussi. » (25)
Écriture et expérience – Yves Bonnefoy
Dans le livre de Jean-Paul Louis-Lambert sur Jouve (Les Stigmates de Lisbé), cette belle citation d’Yves Bonnefoy : « pourquoi considérer qu’il y a seulement écriture. C’est dans le dialogue entre écriture et expérience que se situe une œuvre dans son devenir. »
Un livre autour de Robert Desnos
Ce livre de Gaëlle Nohant (Légende d’un dormeur éveillé), livre qui veut donner à voir Robert Desnos en héros d’une « épopée incandescente et tumultueuse » me donne bien du fil à retordre, m’obligeant à changer de pied presqu’à chaque page. Même l’écriture conduit à cette ambivalence du jugement : il y a des passages de qualité, équilibrés, subtils et d’autres -et c’est toujours pour décrire l’amour, ce poison de l’écrivain- des passages insupportables de facilité, à la limite du roman dit de gare.
Je tiens que si l’on conteste, il faut donner des preuves. Voici donc un de ces passages : « Foujita ne cède pas, n’invite pas Youki à le rejoindre. Youki devine dans l’ombre Madie la Panthère, comme on la surnomme à Montparnasse. Un corps aussi plein et envoûtant que le sien, encore auréolé de mystère. Sa rivale est un continent que Foujita invente, écartant les lianes pour approcher ses fleurs les plus rares, son argile tendre, ses couleurs diaprées, changeantes. » (p.145). Je peine pour l’heure à trouver un passage, -il y en a, ils relèvent souvent de l’histoire littéraire, ils peuvent être très vivants-, qui aille dans l’autre sens. Un de ces passages qui fait que je n’abandonne pas ma lecture. Toute la question étant de savoir si un tel livre peut servir ou non la poésie et Robert Desnos. Un peu comme ces livres inaboutis lus récemment, celui de Julien Teyssandier autour du musicien contemporain Arvo Pärt (livre qui a beaucoup de qualités) et celui de Paul Gréveillac sur un autre musicien contemporain, Schnittke : peuvent-ils conduire aux œuvres ? Il semblerait que le livre de Gaëlle Nohant figure sur certaines listes de prix, cette question est donc au premier plan.
Avant tout une grâce rendue – Françoise Clédat
Dans un entretien avec Luce Guilbaud, dans la revue Décharge n°175, ces propos de Françoise Clédat à propos des nombreuses références à l'art et à la littérature présentes dans ses livres : « On en revient à la petitesse de soi et à l'immense autre, aux limites de ce qu'on est à soi seul capable de concevoir, et à la conscience aiguë de n'être soi que grâce aux autres. Pour moi, essentiellement (mais non exclusivement) l'art, la littérature, la musique, qui à l'instar de la poésie, créent des formes autres et par ces formes déplacent l'intelligibilité. Les références, c'est avant tout une grâce rendue.
Je préciserais : une grâce rendue aux formes et figures par lesquelles l'expérience individuelle, anecdotique et limitée, est insérée dans la communauté de l'expérience humaine, en même temps qu'elle y est portée à ses développements les plus extrêmes. »
Le frémissement de concordance – Françoise Clédat
Superbe formule qui résonne si fort avec tout le travail de ce Flotoir que ce « frémissement de concordance », énoncé dans la suite de cet entretien : « J'ai trop conscience de mes limites individuelles pour croire à la suffisance des formes que je produis en réponse, j'ai besoin des réponses des autres, je les cherche dans leurs œuvres, jusqu'à ce que j 'éprouve entre mes questions et leurs réponses le frémissement de concordance qui me les fait élire comme références ou grands comparants, et je m'appuie sur eux. (Je souligne).
Et elle poursuit : « Nombreux sont les textes qui m'ont accompagnée, ne cessent de m'accompagner, que je découvre, sans méthode mais en vertu de ce frémissement de concordance dont je parle plus haut, que la quête orientée ou le hasard de la quête, sérendipité ou intuition, me met ou me remet sous les yeux à chaque nouveau livre que j'entreprends, et qui me sont un modèle, une audace, un appel. »
→ là aussi pour moi frémissement de concordance avec ma manière de faire, de lire, cette quête parfois orientée, parfois purement intuitive, sans raison apparente (que parfois je découvre ensuite), oui sérendipité ou intuition. Livres qui me donneront peut-être de l’audace, qui seront un appel à aller vers…, ou plus loin… ou à revenir sur… à effacer un échec… etc.
Considérer – Marielle Macé
« Considérer en effet, c’est regarder attentivement, avoir des égards, faire attention, tenir compte, ménager avant d’agir et pour agir. » (p.26). Marielle Macé qui cite une très juste remarque de Michel Agier : « l’abondance des représentations visuelles masque la faiblesse des informations, des analyses et des débats politiques » (p.27). Nous recevons des « images massives, synthétiques, désinvesties ».
Philippe Vasset et les zones blanches
Soudain ce nom, Philippe Vasset, dans le texte de Marielle Macé. Il fait naître un souvenir ancien, l’intérêt qu’avait suscité chez moi le travail sur les friches de cet écrivain, signalé à l’époque par François Bon (ici). Il a en effet créé, me dit Wikipédia, avec les artistes Xavier Courteix et Xavier Bismuth l'Atelier de géographie parallèle. Ce collectif, qui cherche à ouvrir de nouvelles perspectives à la géographie, s’intéresse particulièrement aux zones blanches, ces lieux indéterminés, en marge des villes, sur lesquels les cartes IGN restent muettes.
Reconnaître une vie comme pleurable – Marielle Macé
Quelle terrible évidence, oui, toute vie est pleurable. Marielle Macé évoque un film de Depardon sur l’Afrique qui commence par un enterrement. En face des images dévitalisées servis à longueur d’ondes, imaginer une vie pleurable derrière chaque visage. Derrière ce migrant, derrière ce Rohingya, derrière cette victime de l’ouragan Irma.
Et cette autre évidence : « Si toute vie est irremplaçable (et elle l’est), ce n’est pas exactement parce qu’elle est unique (même si évidemment elle l’est), c’est parce qu’elle est égale, devrait toujours être tenue pour telle. » (28)
→ Ce petit livre jaune, modeste et mince, est un véritable antidote à la mithridatisation inévitablement produite par le flux des images de catastrophes. Oui toute vie est pleurable et il faudrait sans doute ajouter que le bien de chacun, ses manières et conditions de vie, sont aussi précieux et à protéger que les miens. « Car il n’y a pas de vie nue, il n’y a pas de vie sans qualités, il n’y a en l’occurrence que des vies dénudées et disqualifiées. » (29). Cela encore qui résonne si fort : « Chacune [de ces vies] est traversée en première personne ». (30)
→ cette interrogation souvent en observant un inconnu, ici ou là : comment peut-il être Je ? Comment éprouve-t-il son nez ou sa joue quand il les touche ?
Une vertu de poète – Marielle Macé
« On peut tenir la considération, cette perception qui est aussi un soin, ce regard qui est aussi un égard, pour une vertu de poète. ». Et voici la rage de l’expression (M. Macé a cité Ponge) « Voilà la rage de l’expression : ce nœud d’efforts où l’entêtement de la parole et l’entêtement du réel à être ce qu’il est, à être "tel" comme eût dit Valéry (ni plus indicible, ni plus justifiable, ni plus aimable que ça), prennent sans cesse le relais l’un de l’autre. » (33)
Considérées comme sujettes au deuil – Judith Butler.
Marielle Macé écrit : « oui, exiger la considération comme tâche politique et juridique, parce que seuls ceux dont les vies "ne sont pas considérées comme sujettes au deuil, et donc douées de valeur, sont chargés de porter le fardeau de la famine, du sous-emploi, de l’incapacitation légale et de l’exposition différentielle à la violence et à la mort" (Judith Butler, Ce qui fait une vie). »
Desnos – Gaëlle Nohant
Je cherche à en savoir un peu plus sur l’auteur de ce « roman » autour de Desnos. Sur le site de l’auteur, je lis : « Gaëlle Nohant se consacre à l’écriture depuis une dizaine d’années. Inspirée notamment par Dickens et par les écrivains victoriens, cette jeune femme qui construit le canevas de sa narration à partir d’une base documentaire importante, défend une littérature à la fois exigeante et populaire. »
C’est bien le dilemme auquel me confronte cette lecture. Doit-on le considérer comme une littérature populaire, cela implique-t-il d’en accepter certains aspects ? Car on ne doute pas qu’il y ait une exigence, notamment en ce qui concerne la connaissance du poète. Je constate que chaque fois que l’on s’éloigne de la pénible évocation des amours (assez spectaculaires il est vrai) de Desnos, le récit devient plus intéressant, bien documenté, vif et même mieux écrit. Comme si étaient ici en conflit deux approches. L’une cherchant la séduction, assez sommaire et une autre plus en phase avec sa visée, rêver autour et avec Robert Desnos. C’est peut-être parce que je sais où va la vie de Desnos que je ne décroche pas.
Archiver le dérisoire - Christine Jeanney
J’aime les livres de Christine Jeanney, mais aussi ses travaux graphiques, dont elle me donne cette description : « L'idée c'est archiver du dérisoire, passé, présent, avec des matériaux dérisoires recollés comme on peut par du scotch. Des couleurs, des formes, des mots, avec un peu de chaos » (Les petits manifestes pauvres). Ce qui me fait bien sûr penser à Kurt Schwitters et à son Merz.
Lire – Bernard Noël
Ce texte terrible, un extrait d’une préface de Bernard Noël à un livre de Pierre Bruno : « La lecture est une pratique désespérée : voilà un constat de Mallarmé dont on ne tient compte aujourd’hui ni pour lire, ni pour écrire. (…) La lecture est un massacre et un enterrement perpétuels de pans entiers de textes lus : l’ignorer, c’est pratiquer une lecture illusoire, celle des « cimes » ; en avoir conscience, c’est revenir sur « terre ». Combiner les deux, c’est se promener dans un cimetière en ne prêtant son attention qu’aux noms connus ou aux plus belles stèles. Il faut à tout moment dégeler le désir ou l’attention et rien de mieux pour cela – « Ô lu » – que d’activer la présence de la lettre ou de la syllabe. Là, dans le roulement discret de ces osselets du vers ou de la phrase, survient un coup de dés verbal discret, qui rompt l’assurance du lecteur et le remet dans le vers, la phrase et le texte. Toute lettre détachée par ce roulement provoque en nous la minuscule fente mythique par où l’oeil voit soudain l’étendue textuelle et la difficulté de l’envisager toute. »
Et voici la citation complète de Stéphane Mallarmé, qui a son origine dans « La Musique et les Lettres », Divagations, Poésie/Gallimard 1976, p. 355 : « Strictement, j’envisage, écartés vos folios d’études, rubriques, parchemin, la lecture comme une pratique désespérée… » (lire l’intégralité de ce texte)
→ oh lectrice qui parfois te prétend « bonne », prends-en pour ton grade !
Conjonction
Je suis toujours heureuse de trouver dans un livre que j’aime, sous la plume d’un auteur que j’admire, des références, des allusions à d’autres qui comptent aussi pour moi. Par exemple, chez Marielle Macé, dans Sidérer, considérer, la joie de trouver cités Gilles Clément et Jean-Christophe Bailly comme membres d’un collectif, le PEROU, qui prend soin des migrants et des espaces qu’ils investissent.
Prendre en considération – Marielle Macé
« Prendre en considération (…) c’est se mettre à l’écoute de l’idée qu’énonce tout état de réalité (car toute chose dit son idée, non pas l’idée que l’on a d’elle mais l’idée qu’elle est, autrement dit le possible qu’elle ouvre. » (p.45)
Robert Desnos – Gaëlle Nohant
Voici, pages 203 et 204, un bon exemple d’un passage de qualité dans le livre de Gaëlle Nohant : la rencontre avec Jean-Louis Barrault et leurs échanges sur la poésie et le théâtre, vraisemblablement nourris de citations de l’un et de l’autre. J’apprends aussi que Desnos fut homme de radio, ô combien : il avait créé l’émission « Éphémérides » à Radio Paris. (Il y avait aussi eu le fameux épisode de Fantomas et « La Clef des songes »
Son 170915
La très belle voix de Mathieu Terence dans l’émission de Manou Farine consacrée à Mina Loy, dont la poésie parait aux éditions Nous dans une traduction d’Olivier Apert. Mathieu Terence est l’auteur d’un Mina Loy éperdument.
Où est le 45 ? – Robert Desnos
Où est le 45 de la rue Blomet, où vécut Robert Desnos, son domicile, lui qui est mort en 1945 ? A 44 ans. Où est le 45 ? Il n’y a pas, il n’y a plus de 45 rue Blomet. Il y a un trou dans la numérotation des immeubles et maisons ; il est occupé par le square Blomet, dit de l’Oiseau Lunaire, dont le numéro officiel est le 43. La maison suivante est le 54. Où est le 45 ? Une partie de l’explication, ici, peut-être : « Ce square a été créé en 1969, à l'emplacement d'un immeuble où avait vécu le sculpteur céramiste et peintre surréaliste Juan Miro (1893-1983). L'une de ses œuvres, un étrange « Oiseau lunaire » (1975), surveille les jeux des habitués du jardin. » La rue Blomet fut une rue très artistique, elle abritait aussi le fameux Bal Nègre, qui vient d’être ressuscité, mais qui n’a pu, en raison d’une violente polémique, garder son nom originel (donné par Desnos !) et qui est devenu Le Bal Blomet. « Robert Desnos, qui habite quelques mètres plus loin dans les ateliers d’artistes du 45, rue Blomet le renomme "Bal Nègre" et en assure la promotion dans un article publié dans le quotidien Comoedia : "Dans l’un des plus romantiques quartiers de Paris, où chaque porte cochère dissimule un jardin et des tonnelles, un bal oriental s’est installé. Un véritable bal nègre (…) où l’on peut passer, le samedi et le dimanche une soirée très loin de l’atmosphère parisienne. C’est au 33 de la rue Blomet, dans une grande salle attenante au bureau de tabac Jouve, salle où, depuis bientôt un demi-siècle, les noces succèdent aux réunions électorales." »
Au 54, il y a un atelier d’artiste, au dernier étage, avec une verrière qui ouvre sur le ciel, qu’on voit ainsi depuis la rue. Petit pan de ciel, ma lumière 170915.
Il faut demander ce qu’ils ont à dire – Marielle Macé
J’ai fini ma deuxième lecture du très fort livre de Marielle Macé. « Aux autres, aux invisibles (comme aux choses, comme aux océans, et plus encore aux morts puisque l'on doit penser à leur non-vie, parler "à leur non-ouïe" disait Pierre Pachet), il faut demander ce qu'ils ont à dire : ce qu'ils diraient, ce qu'ils pouvaient, ce qu'ils pourraient et que donc nous pourrions. (…) Mais au meilleur de ces pensées, ou de ces démarches, s'impose la nécessité de faire cas des vies qui effectivement se vivent dans tous ces lieux et qui, en tant que telles, ont quelque chose à dire, à nous dire de ce qu'elles sont et par exemple le monde urbain qui vient, et qui pourrait venir autrement. » (66)
Je note aussi, sur la « quatrième de couverture » cette idée, formulation froide pour une idée qui est toute tendresse et chaleur : « Ses livres prennent la littérature pour alliée dans la compréhension de la vie commune. Ils font des manières d’être et des façons de faire l’arène de nos disputes et de nos engagements ». Arène, dispute, c’est trop violent à mon sens pour la manière toute en finesse, en bienveillance, en douceur, de Marielle Macé.
Desnos encore
J’ai eu raison de m’accrocher à ma lecture en dépit des très nombreuses réticences que j’ai formulées ici. Le récit devient de plus en plus intéressant et documenté, au fur et à mesure que, hélas, l’Histoire se charge et s’accélère : Front Populaire, Guerre d’Espagne (très belle évocation de Lorca) et ses horreurs, envahissement du nazisme, partout.
Lumière 170916
Ciel anthracite et coup de lumière spectaculaire (oui, comme au théâtre !) sur les prés vert amande et les massifs forestiers, vert pistache, vert cuivre, vert sombre.
Lumière 170917
Une rangée d’arbres, plantés ensemble, au bord de l’autoroute de l’Est et que je vois grandis à chaque passage, année après année. Les deux premiers et les trois derniers de la rangée, comme illuminés de l’intérieur, irradiés par des raies de lumière filtrant d’un ciel très contrasté, agité, sombre. Tous les autres, dans la rangée, restés dans l’ombre. Une parenthèse de lumièire
Son 170917
La voix de Reinoud van Mechelen dans la cantate Ich erbarme dich de Jean-Sébastien Bach. Et le son de la flûte d’Anna Besson.
Penser à tous les sons non écrits qui ont précédé ce dix-sept mille neuf cent dix-septième son.
La musique – André Hirt
Profond bonheur de recevoir, ce matin, une dernière « chronique du 20 » d’André Hirt, qui sera en quelque chose la préface de l’ensemble des autres chroniques qu’il m’a données pour Muzibao.
Je relève cela, essentiel, fondateur : « En quoi sommes-nous des êtres musicaux, à savoir rythmés et modulés, des êtres percussifs et mélodieux, des êtres bercés et plaintifs, et comment ces dimensions qu’on recouvrira du nom unique de musique forment les formes du langage, de la figuration et de l’imagination, et en quoi elles ne relèvent pas directement de l’art, mais plus fondamentalement de l’existence ? »
L’existence, cela se trace – André Hirt
André écrit encore cela : « L’existence en effet, cela se trace, s’inscrit et s’écrit bien plus rigoureusement, rigoureusement et primitivement, et en un tout autre sens que la biographie. Et ce qui s’écrit là, on ne sait d’ailleurs pas sur quel support, c’est d’abord, originellement et continument juste une atmosphère, une ambiance, une tonalité, au mieux une sonorité. Parce qu’il n’existe pas de support à et pour l’existence, ni texte ni partition, ni même mémoire orale, pas davantage d’enregistrement, qu’il soit analogique ou numérique, parce que rien n’est gravé en cette matière bien qu’elle ne cesse de "se" graver, chaque fois et pour chacun de façon nouvelle et imprévisible, sans qu’on connaisse la nature ou le nombre des mouvements, ainsi le dira-t-on parce qu’on n’a pas résisté à l’image de la composition musicale, parce qu’elle se conduit comme si à la fois elle "s"’improvisait et savait savamment déplier, à la manière d’un vrai musicien, la forme plurielle d’une cellule thématique donnée. »
La musique vient de l’inaudible -André Hirt
toujours sous la plume d’André Hirt : « La musique vient de l’inaudible comme la conscience de l’inconscience. Leibniz, le philosophe musicien, celui qui a montré, pour en souligner la raison et la justification divines, comment l’univers sonne et consonne, comment chaque substance ou monade exécute sa partition, a écrit à ce sujet des pages magnifiques. »
L’intraduisible – André Hirt
« Que les mots ne peuvent dire la musique ne signifie pas une impossibilité, mais que la musique reste la musique, que le reste intraduisible est précisément la musique, et encore que pour faire l’expérience de la musique il faut faire celle de l’intraduisible en question »
Dans le sillage baudelairien – André Hirt
Il ne fera plus jamais silence, on peut décalquer cet avertissement sur celui de Baudelaire qui, à l’égard de l’éclairage au gaz dans la grande ville, prophétisait qu’il ne ferait plus jamais nuit.
André Hirt écrit encore : « Lorsque la musique parvient à dérouler le contenu effectif, mais inaccessible au langage et à la symbolisation parce qu’il s’agit justement du réel, d’une époque, alors ce n’est pas seulement elle qui techniquement opère une percée, c’est, plus spirituellement que ne peut et a pu le faire la peinture, l’art qui amène à la présentation ce qui jusque-là restait tapi derrière le monde. Ainsi, un espace de pensée et de sens inouï s’ouvre. La musique ne fait peut-être pas voir, mais elle sait rendre sensible ce qui excède tout sensible, elle fait sentir le monde dans sa totalité parce qu’elle est un art de l’absolu, elle rend possible d’éprouver dans sa chair, et non de le considérer comme un objet, le sens qu’à la fois elle trace, rencontre et, à sa manière, qui est tout la question, reconnaît ».
Pierre de touche de la pensée – André Hirt
« L’existence est sens et non signification, elle est musique et non langage. Le régime de la signification appartient au langage, ce qui la grandit et lui confère toutefois des limites. Elle garde en effet la trace de l’intention, de l’humain par là-même. Et si elle doit supporter une critique, c’est parce qu’elle a tendance à ordonner à tous égards ce qui n’appartient pas à son régime, par exemple la musique. Autrement dit, ne faut-il pas mettre de côté l’abord de la musique par le langage et la signification ? Et inversement, la musique ne sera-t-elle pas ce qui dérange l’ordre de la signification ? » écrit encore André Hirt qui conclut : « la musique est bien la pierre de touche de la pensée. »
Note de passage – réinstaurer
Réinstaurer fortement la présence des grandes œuvres au cœur de la vie : Bach, Beethoven, Schubert… Baudelaire, Proust, etc., découvrir, oui, sans fin, mais aussi revenir sans cesse, en indispensable contrepoint, aux alliés fondamentaux.
Sur les chemins noirs – Sylvain Tesson
J’ai entamé ma ronde de nuit (une traversée nocturne) du livre de Sylvain Tesson, Sur les Chemins noirs. Grand voyageur-aventurier, Sylvain Tesson un soir d’ivresse, monte sur un toit, dont il tombe. Il est gravement blessé, doit passer un an à l’hôpital. En guise de rééducation, il décide de partir, seul, sur les « chemins noirs » en France, suivant le tracé d’anciens chemins plus ou moins oubliés, voire abandonnés. « Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie. » Ces chemins ce sont « des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C’étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage »
Le livre fourmille d’étapes magnifiques, à l’écart de tout, dont le récit s’enrichit de réflexions pas forcément originales mais très justes sur notre mode de vie. Tesson a voulu, sur ces chemins noirs, tracer une route d’évitement. « Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient aussi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l’époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-mêmes, composeraient une cartographie mentale de l’esquive. »
Déperchement
Ici il évoque le déperchement : « Les géographes avaient inventé une superbe expression pour décrire le phénomène d’abandon des villages d’altitude de la Provence. Ils parlaient du "déperchement" ».
Et le matin même, tapant le début des admirables Vers de la mort d’Hélinand de Froidmont pour Poezibao, j’avais lu cet autre terme magnifique : « [Mort] Qui cherches les voies les sentes/Où l'on peut s'enmarécager. » (je souligne)
On n’est pas si loin de Sylvain Tesson et de ses sentes : se dépercher et s’enmarécager. Les mots du réel topographique ancestral dans la langue contaminée par le tout technique.
Où l’on croise Fabre – Sylvain Tesson
Le livre fourmille de références, l’écrivain est certes sur ses chemins noirs mais il connait de très nombreuses et belles sources littéraires. Le voici qui s’arrête sur le souvenir du naturaliste Fabre : « Pendant trois décennies il herborisa, courut les flancs du mont Ventoux, étudia l’évolution des espèces, collectionna les fossiles, aima les bêtes et composa d’inoubliables "souvenirs entomologiques" sur une petite table de bois. Leur lecture m’avait appris qu’on pouvait s’ouvrir au monde dans le secret d’un jardin, fonder un système de pensée en regardant les herbes, passer à la postérité protégé de la rumeur du monde et développer une philosophie totalisante qui ne propulsait pas l’homme au sommet de toute considération. (…) Le vieux Fabre dont je venais de quitter le pays avait inventé une expression à verser aux méditations de Braudel. Il décrivait les couches fossiles du territoire comme la « pâte des morts ». Nous vivions sur la compression de milliards d’animalcules digérés par le temps et dont la stratification avait composé un substrat. La France impossible était comme le calcaire : issue d’une digestion. »
Il y a chez Sylvain Tesson toute une réflexion sur le paysage, sur ce que lui fait subir l’Histoire, ce qu’il revèle de notre civilisation.
fonder un système de pensée en regardant les herbes, n’est-ce pas aussi une évocation de La méthode de Léonard de Vinci de Paul Valéry ?
Les restanques
Voici par exemple un magnifique passage sur les ruines des restanques, ces murs de retenue en pierre sèche que l’on trouve en Provence : « La forêt masquait les restanques. Tous ces efforts pour finir en ruine ! Les terrassements témoignaient de la longue présence des hommes en ces versants et de leurs travaux herculéens qui avaient refaçonné le profil des reliefs. À marcher sur les calades bordées de murets, je pratiquais une forme d’archéologie vivante. Il avait fallu des millénaires pour métamorphoser ces pentes en escaliers agricoles. Quelques décennies avaient rendu les déclivités à la broussaille. La force aveugle de l’époque était cette rapidité avec laquelle elle se débarrassait des vieilleries. »
Elle se débarrasse de ses vieilleries qu’elle rachète dans ses braderies, ventes de garage, brocante, Bon Coin et autre E-Bay... etc.
Les stratifications du paysage, du temps
Sylvain Tesson évoquait la formule de Fabre pour décrire cet empilement géologique : la pâte des morts. Le voici qui donne un exemple concret, très parlant : « À l’endroit même où je marchais étaient passés en un claquement de siècles des chasseurs du magdalénien, les éléphants d’Hannibal cheminant vers Rome, des huguenots assoiffés de sang provençal et une procession d’ancêtres ruraux – soldats de l’Empire ou vacanciers popu – pédalant sur la nationale 7. Aujourd’hui, le long du fleuve filaient des routes asphaltées, le TGV et l’A7. Des joggeurs à oreillettes enfoncées à la gorge me saluèrent et je devinai le panache de fumée des installations nucléaires de Pierrelatte. Une centrale atomique, le souvenir d’Hannibal : c’était là l’accumulation braudélienne, une compression d’images sur un même arpent de terrain. »
→ L’autre jour, sortant de mon immeuble, je pensais à la terre. Où est la terre en ville. Nous ne marchons plus sur la terre, mais sur de l’asphalte. Je pensais à la terre de Paris, avant le dernier siècle, dans ce quartier où il y eut des carrières et sans doute des champs. « Je me savais influencé par la géologie. Le calcaire, le schiste, la lave dictaient mes humeurs. » dit Sylvain Tesson. Mais sous l’asphalte, opaque et dur, il est bien difficile d’ausculter la pâte des morts !
De la réalité – Wolf Singer et Matthieu Ricard
Intéressants échanges entre le neuroscientifique Wolf Singer et Matthieu Ricard sur notre perception de la réalité. Wolf Singer : « Le philosophe Thomas Nagel a affirmé très clairement qu’il nous est impossible d’imaginer ce que nous ressentirions si nous étions une chauve-souris. Les qualia de notre expérience subjective ne sont tout simplement pas traduisibles. Bien que nous soyons dotés d’un système de communication hautement sophistiqué, un langage et une capacité à imaginer les processus mentaux d’un « autre » humain, il nous est toujours très difficile – voire impossible – de savoir avec exactitude comment autrui fait l’expérience de lui-même et du monde qui l’entoure. »
→ qu’il soit permis de penser que peut-être, parfois, le poème et lui seul, peut traduire cette expérience intraduisible.
Le dispositif – Sylvain Tesson
Ces propos de Singer et Ricard ne résonnent-ils pas fortement avec ceux-là, de Sylvain Tesson : « Nous avancions légers sans nous préoccuper de rien que de trouver le chemin et soucieux d’y goûter les fruits offerts au regard : un noisetier, le vol d’un grèbe, une grange de pierres sèches. Nous nous contentions de cela. Nous nous extirpions du dispositif. Le dispositif était la somme des héritages comportementaux, des sollicitations sociales, des influences politiques, des contraintes économiques qui déterminaient nos destins, sans se faire remarquer. »
Rédigé par Florence Trocmé le 21 septembre 2017 à 16h35 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Rédigé par Florence Trocmé le 12 septembre 2017 à 14h54 dans photomontages | Lien permanent
Thème et variations
Dans les variations en musique, ce moment magique où le thème affleure, se manifeste ou bien au contraire s’efface, se dilue, où le compositeur l’incorpore tellement à son propre tissu musical qu’on peine à l’entendre alors même qu’on le sait présent.
Nos mondes
Chacun a son monde. Chacun sera toujours étranger à autrui à cause de ce monde qu’a chacun en soi. Un monde tellement personnel et complexe qu’il n’est pas partageable. Il nous teinte, il nous tient, il nous lie aux mondes des autres. Avec plus ou moins de succès.
Nos mondes encore
Ce sont les emmêlements de nos lectures, de nos impressions, de nos sensations qui tissent à chaque instant un tissu de plus en plus complexe au fur et à mesure que nos jours s’écoulent. Comment rendre compte du très étrange et prenant emmêlement de ma lecture d’un dossier en cours d'examen pour le CNL et de Dans les Forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. Comme une polyphonie de voix, celles de poèmes, celle de Tesson seul dans sa cabane, par -30° pendant des semaines, au bord du lac Baïkal ?
Les fins chez Brahms
La magnifique, la bouleversante Ballade n° 4 en si M que j’ai travaillée, que je vais reprendre. Sous les doigts de Geoffroy Couteau.
Les admirables fins de Brahms, leurs répétitions de notes au seuil de la disparition, comme le tintement d’un caillou qui n’en finit pas de dévaler la pente du gouffre.
Les sept de « l’autodaté » de l’été
Envoyé hier sept cartes postales, représentant toutes des horloges astronomiques (cartes trouvées en Allemagne) aux sept poètes du projet « Autodaté » de l’été, le feuilleton estival de Poezibao mis au point par Cécile Riou. Cécile qui revient d’Acadie où elle a mené une des branches du « Projet poétique planétaire », avec Jacques Jouet et deux poètes canadiens. J’ai reçu d’ailleurs un poème de Marc Lapprand dans une très belle enveloppe. Cette aventure du PPP me parle de plus en plus. En tant que présence quotidienne de la poésie dans la vie. Une attention particulière qui découle du court fragment poétique, un peu comme le retour éclair au sentiment de sa respiration que prônent les méditants.
Régine Robin
Je lis avec le plus grand intérêt un livre très subtil, très riche, très dense de Régine Robin, Un Roman d’Allemagne. Elle dont j’ignorais tout mais dont j’apprends qu’elle a émigré au Québec il y a de nombreuses années. Elle soulève de très nombreux aspects concernant la question de la mémoire tant en Allemagne de l’Ouest, qu’en Allemagne de l’Est, avec sans doute l’idée de rééquilibrer un peu la balance entre les jugements sur les Ossies (habitants de l’ex-RDA, la DDR pour les Allemands) et sur les Allemands de l’Ouest, quelque peu méprisants et imbus de leur prétendue supériorité. Elle aborde en détail et de manière très documentée la question des antifascistes, avec en particulier des pages très fortes sur L’Orchestre Rouge et tout le travail, tellement occulté, voir refoulé, de Greta Kuckhoff ; magnifiques pages aussi sur Christa Wolf et toutes les contradictions et attaques auxquelles elle a dû faire face.
Régine Robin est née de parents juifs polonais « d’origine misérable » sous le nom de Rivka Ajzersztejn à Paris en 1939 et elle est écrivain, historienne, traductrice et sociologue franco-québécoise. Elle écrit : « je suis à la fois Rivka Ajzersztejn, Régine Robin et Emma Epstein, la veuve du metteur en scène très connu Wolfgang Epstein. »
De la langue et singulièrement du yiddish
« Très vite, écrit Régine Robin en évoquant son enfance, il a fallu se cacher, et je fus confiée à une nourrice qui ne parlait que le français. Soumise à la tension de deux langues : le yiddish et le français, sans rien comprendre aux enjeux de la guerre, j’ai rapidement réalisé, cependant, que quelque chose du yiddish avait partie liée avec la mort. Je comprenais qu’il y avait deux vies, deux mondes qui ne se rencontraient que dans ces moments furtifs qui duraient une demi-seconde : le monde de ceux qui portaient l’étoile, qui devaient se cacher, qui parlaient tout bas, qui parlaient yiddish, et le monde ce ceux qui allaient au caf’ conc’, qui chantaient « J’attendrai… j’attendrai le jour et la nuit ». Par la suite, si j’ai toujours parlé yiddish avec mes parents, s’il m’est arrivé de traduire des romans écrits en yiddish, je n’ai jamais pu me départir du malaise que la langue provoquait en moi. » et elle ajoute un peu plus loin : « Dès que j’ai pu connaître l’histoire du yiddish, j’ai su la grande proximité du yiddish et de l’allemand (le yiddish étant issu du moyen haut-allemand médiéval, ayant évolué sur ses propres bases, avec des éléments lexicaux hébraïques et slaves),
Mathieu Ricard
Je lis des entretiens de Mathieu Ricard avec le neuro-scientifique Wolf Singer. C’est un peu déconcertant. Ricard parait parfois comme limité, ce qui pourtant n’est pas le cas, mais tellement dans son raisonnement bouddhiste qu’on peine à le suivre et qu’on le trouve sinon dogmatique du moins déphasé. Et l’interlocuteur ne semble pas toujours à la hauteur, pour le pousser à détailler ce qu’il dit. J’aimerais par exemple savoir comment son idée d’évacuer la charge émotive en ne se fixant pas sur elle, dès qu’elle se présente, est différente du refoulement freudien ou de la méthode Coué. Mais je ne suis qu’au début du livre. Et il a cet effet paradoxal que, en dépit de ces réserves, il laisse comme une longue traîne dans la pensée et les jours, qu’on repense à certains points, qu’on tente de mettre certaines remarques en pratique. Paradoxal, oui et en cela aussi, intéressant.
Anne Dufourmantelle
J’entame aussi des entretiens de cette psychanalyste récemment disparue dans des circonstances tragiques (j’en ai déjà parlé dans ce Flotoir : elle s’est noyée en portant secours à des enfants en difficulté), entretiens avec une journaliste qui s’appelle Laure Leter.
Sur l’analyse et sur le transfert, ces deux idées importantes même si pas nouvelles pour moi : « Le fait est que la psychanalyse reste scandaleuse. Le dévoilement par un sujet de ce qu'il ne voulait pas savoir de lui-même et de la lignée dont il vient est un parcours de type initiatique dangereux, courageux, avec des épreuves. ». Et ces mots aussi, sur le transfert :« Le transfert est l'un des secteurs les plus énigmatiques de l'analyse ; il s'exerce à l'insu du patient et en grande partie de l'analyste. Il crée un champ de résonances unique où de l'indicible peut commencer à se représenter. Apparenté à l'amour par Lacan, le transfert fait émerger une vérité qui ne sait pas se dire. Il réactive des émotions passées et réassemble de manière nouvelle les éléments d'une mémoire archaïque. »
La contre-mémoire - Régine Robin
« Trébuchement de la langue, mais aussi trébuchement de l’Histoire, car le devenir des deux Allemagnes est jalonné de rendez-vous manqués, d’images de soi tronquées, d’inventions de traditions à côté de la vérité. Il n’y a pas eu d’année zéro, pas de table rase, malgré l’immensité des champs de ruines, mais de lourdes continuités, des réinscriptions du passé mortifère impossible à maîtriser. »
→ Ce livre aide à percevoir toute la complexité de l’histoire allemande. Il montre comment chez les peuples comme chez les individus, la réalité est toujours remaniée, arrangée, selon un modèle acceptable. « Tabou des réfugiés mais aussi tabou du passé, des continuités qui traversent le temps et qui font que pas plus à l’Ouest qu’à l’Est 1945 n’est une année zéro. » écrit-elle encore, ajoutant « La contre-mémoire s’inscrivit partout. »
Pour le démontrer elle raconte quelques histoires et retrace le portrait de plusieurs écrivains, Christa Wolf, on l’a dit mais aussi Christophe Hein.
Le sommeil – Matthieu Ricard
Dans le livre de Matthieu Ricard et Wolf Singer, pages intéressantes sur le sommeil. Où on apprend, mais je crois que je le savais intuitivement, qu’il y aurait aussi rêves pendant la phase de sommeil profond et lent. Ce que j’appelle souvent les cauchemars sans images, sans mots, faits uniquement de sensations, qui adviennent parfois pendant le premier sommeil. Mais peut-être cette phase-là ressortit-elle à l’endormissement et non pas d’une phase de sommeil profond ? « On suppose aujourd’hui que l’on rêve aussi pendant le sommeil à ondes lentes. La structure des rêves est sans doute différente mais le cerveau travaille dans les deux phases, celle du sommeil à ondes lentes et celle du sommeil paradoxal, ou sommeil REM. On a en effet constaté des oscillations de haute fréquence dans les phases de sommeil à ondes lentes. Ces oscillations rapides se superposent sur les ondes lentes et, puisque les oscillations rapides sont vraisemblablement associées au rappel ou à l’activation des souvenirs, il y a sans doute des rêves dans les phases de sommeil profond. »
Paul Valéry
Je lis, ce matin, un article d’Auxeméry pour Poezibao sur les Lettres à Néère publiées récemment par Jean-Yves Masson, à La Coopérative, sa maison d’édition. Je note en particulier : « Revenons à Valéry. On ne l’a pas totalement oublié, mais on ne lit plus beaucoup "La Jeune Parque", et c’est un tort. On lit tant de maigres dépôts de savoir affecté et de branlante technique issus de tant d’ateliers d’écriture cultivateurs de poussières. »
Pierre Jean Jouve
Je lis une très passionnante enquête de Jean-Paul Louis-Lambert sur Pierre Jean Jouve. Ce scientifique est devenu un des plus fins connaisseurs de l’écrivain. Il sait tout, il a tout (il est aussi bibliophile) et il a même fait quelques découvertes dans le champ de la recherche littéraire. Il est aussi passionné de musique contemporaine, de cinéma et de chanson. Dans ce livre, il dresse de beaux portraits de femmes, les femmes de Jouve... au premier rang desquelles la seconde épouse, l'égérie, la psychanalyste Blanche Reverchon. Il procède comme un enquêteur, relève en bon scientifique des indices, qu'il assemble, rapproche, compare. Ce qui donne un livre très vivant, pas difficile ni lourd malgré l'énorme érudition qui le sous-tend.
Notes de passage : attente
Non pas "ne rien en attendre" – non pas "ne rien attendre" – mais "ne pas attendre" : ça suit son cours.
Notes de passage : mort
Sans cesse lutter contre l’omniprésence de la mort. Dans les livres, dans l’actualité, au travail de multiples façons à l’intérieur des êtres.
Marie Depussé
Je ne l’ai pas lue, elle vient de mourir, j’aime l’obituaire du Monde, signé Raphaëlle Leyris et j’en retiens cela : « "Née un 31 décembre 1935 et vivante jusqu'à ce jour" : telle était la succincte biographie rédigée par Marie Depussé pour le site Internet de la maison d'édition P.O.L. Écrivain, professeur de littérature, psychanalyste, elle est morte le mardi 15 août à Blois (Loir-et-Cher), à 81 ans. Interrogée en 2006 par Le Monde sur sa manière aussi brève que surprenante de se présenter, elle disait : "Je suis obsédée par le côté funéraire des gens. Accumuler les petits faits d'armes les uns derrière les autres me semble si proche du cimetière. On n'attend plus que la date qui viendra clore la liste... Je préfère dire que je suis vivante." »
Mais aussi cela, à explorer : « Très marquée par l'œuvre du critique littéraire et écrivain Maurice Blanchot (1907-2003), elle raconta au Magazine littéraire, en 2003, ce qu'elle lui devait comme lectrice et enseignante (il lui avait appris "cette vérité que le travail de commentaire pouvait être un travail de rhapsode "). L'écriture lui est venue tardivement : "Vers 45 ans, confie-t-elle au Magazine littéraire, j'ai entrepris d'écrire chaque jour, et depuis, si je n'ai pas écrit un jour, il n'y a pas eu de jour. C'est une façon de lutter contre le retour à l'insignifiance, contre la peur de l'existence anonyme (...). J'éprouve une grande douceur à déposer chaque jour, dans un cahier, le jour qui précède. Ce dépôt, j'ai l'impression de l'arracher à l'être." »
Du jugement - Marie Depussé
Je commence Dieu git dans les détails de Marie Depussé qui parle de ses séjours parmi les « fous » de La Borde, la clinique ou plutôt le monde créé par Jean Oury (avec Félix Guattari) : « Il y avait le château. C’est mieux, un château, qu’une maison de banlieue, tellement plus fort, contre le temps, veloutant de son ancienneté la misère des heures, offrant ses hautes fenêtres, ses balcons de pierre, au paysage, afin de le recueillir sans le domestiquer. Et puis ce château-là avait un côté négligé, l’air de se foutre d’être un château : il était un peu sale. Les rhododendrons du parc étaient des arbres sombres, immenses, jamais taillés. Et dans cet abandon la vie d’êtres abandonnés pouvait se faire une place, dans l’ombre de ces arbres qui, inventés par des jardiniers, étaient devenus immenses, insolents et sauvages. »
Et un peu plus loin cela encore, si éclairant sur le jugement et qui rejoint un peu les dires de Matthieu Ricard : « Sans doute faut-il se réserver le droit d’un jugement. Mais aussi celui d’y renoncer, de le laisser se dissoudre lentement, dans le temps. »
Régine Robin et Nicole Lapierre
Par une sorte de hasard, qui en fait n’en est pas vraiment un, j’ai lu l’un après l’autre Un Roman d’Allemagne de Régine Robin et Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre. Toutes deux sont juives, leurs familles respectives ont été décimées par le génocide, elles travaillent sur la mémoire, mais un peu à l’écart de la doxa l’une comme l’autre. Nicole Lapierre analyse par exemple des trois ou quatre phases qui ont marqué la présence de la Shoah dans la conscience collective et les dérives de la vraie politique mémorielle d’aujourd’hui, dont elle pense qu’elle serait plutôt contre-productive.
Je ressens chez Nicole Lapierre une chaleur et une humanité qui parfois me semblent manquer un peu chez Régine Robin, qui semble plus à distance de son sujet, même quand il la touche de très près. Toutes deux ont vécu d’importants traumatismes, toutes deux parlent de leurs familles et notamment de leurs parents. Mais chez Régine Robin, il y a aussi toute une dimension de réhabilitation de la RDA, ou plutôt une tentative d’ouvrir à un jugement plus mesuré, plus juste vis-à-vis pas tant du régime bien sûr, que de ceux qui y crurent (sa défense des écrivains comme C. Wolf, C. Hein et d’autres). Cette dimension-là n’existe pas chez Nicole Lapierre, qui dresse un portrait de son milieu d’origine, depuis l’exil de sa famille très pauvre, originaire de Pologne, jusqu’au portrait somme toute plutôt flamboyant de son père médecin. Histoire tragique marquée par un double suicide, celui de la mère et de la sœur et par la mort de la grand-mère, dans un accident resté énigmatique.
Mémoire - Matthieu Ricard
Cela qu’au fond nous savons, nous expérimentons, notamment lorsque nous tentons… d’apprendre par cœur : « La conscience dispose d’un espace de travail dont la capacité est limitée, ce qui est une contrainte supplémentaire. La conscience ne peut traiter à la fois qu’un nombre limité de contenus mnésiques. Que ces limitations s’expliquent par l’incapacité de prendre en compte de manière simultanée un grand nombre de signaux, ou qu’elles résultent de la capacité réduite de la mémoire de travail elle-même, ou des deux à la fois, ces trois hypothèses sont encore un sujet de recherche scientifique. »
Rhapsode & Contresujet
Je reviens à la remarque de Blanchot citée dans la notice nécrologique de Marie Depussé lui faisant comprendre que le « le travail de commentaire pouvait être un travail de rhapsode », remarque dont j’ai senti d’emblée qu’elle pouvait avoir quelque chose à voir avec le travail du Flotoir.
Mais ne serait-ce pas aussi le fait de ce livre étrange de Christian Tarting, Contresujets qu’il dit écrit « au ras de la manifestation » et qu’il présente comme des essais de critique-prise directe, textes autour de Claude Royet Journoud, Anne-Marie Albiach mais aussi le jazzman Albert Ayler, dont on perçoit bien qu’ils sont comme les portefaix des textes scrutés qu’ils embrassent, enlacent, enserrent littéralement. Le rhapsode étant en Grèce antique, un artiste qui va de ville en ville, récitant ou déclamant les œuvres écrites par un autre (principalement des épopées).
On peut se souvenir aussi que le contresujet est un terme musical, qu’il désigne dans la fugue un second sujet qui vient se mêler au premier, ombre, double, alter ego…
Pierre Petit dans l’Universalis : « Le sujet constitue le thème essentiel de la fugue. Le contresujet en est le thème secondaire, mais il possède cette particularité de suivre le sujet comme son ombre, d'être énoncé en même temps que lui, et de pouvoir être joué ou chanté aussi bien au-dessus qu'au-dessous du thème premier. »
Mémoire
Très long et passionnant article du Monde daté de ce mercredi 23 août 2017 sur la mémoire.
Je relève notamment cette nomenclature des différents types de mémoire :
•Épisodique. C'est la « mémoire des souvenirs », la mémoire à long terme des événements que nous avons personnellement vécus, situés dans un contexte spatial et temporel précis. Elle n'apparaît que vers l'âge de 3 à 5 ans.
•Sémantique. C'est la « mémoire des connaissances », une mémoire à long terme des concepts, des mots, des savoirs généraux sur le monde et sur nous-mêmes.
•Autobiographique. Elle mêle notre mémoire épisodique à des éléments de notre mémoire sémantique.
•Déclarative (explicite). Elle concerne le stockage et la récupération des données que nous pouvons faire émerger consciemment, puis exprimer.
•Procédurale. C'est la mémoire des savoir-faire et des habiletés motrices, verbales, cognitives, quand elles sont devenues automatiques.
•Implicite. C'est une mémoire inconsciente, très émotionnelle. Elle peut contrôler, à notre insu, le rappel de certains souvenirs : par exemple, en établissant un lien entre les affects du présent et ceux de la période d'acquisition du souvenir.
•Perceptive. Elle s'appuie sur diverses modalités sensorielles (vue, ouïe...) pour, par exemple, reconnaître un parcours familier sans y prêter vraiment attention.
•De travail. C'est une mémoire à court terme. Elle nous offre un « espace de travail mental » qui nous permet de stocker et de manipuler des informations pendant une période de plusieurs secondes. Et, donc, de réaliser une tâche, raisonner, comprendre ce que nous lisons, suivre le fil d'un discours...
Lecture augmentée
Après avoir beaucoup réfléchi tout cet été au site Muzibao, j’ai pensé qu’une bonne approche serait de croiser mes deux domaines de prédilection, le livre et la musique ; j’en suis venue à l’idée de lecture augmentée : autrement dit choisir des extraits dans des livres sur la musique que je suis en train de lire et les enrichir avec des documents audio ou vidéo.
J'en avais eu l'intuition en lisant le livre de Jankélévitch sur Fauré mais elle s’est concrétisée soudain avec le livre de Paul Gréveillac, Cadence secrète, la vie invisible d’Alfred Schnittke.
Il décrit la vie de ce dernier, plombée par les exigences de la censure soviétique. Il montre comment il a été obligé de se tourner vers la musique de film, pour pouvoir vivre et comment, en écrivant une énième musique, pour le réalisateur Khrjanovski, il a soudain senti qu’il avait trouvé sa voie propre et réussi à combler le fossé entre les pastiches plus ou moins réussis qu’il écrivait à la chaîne pour le cinéma et sa propre musique, très marquée notamment par toute la grande tradition historique, Bach en tout premier lieu. Or en faisant une recherche sur cette œuvre, Glassharmonica, L’Harmonica de verre, je suis tombée sur un film d’animation, un collage très étrange avec lequel la musique de Schnittke fait merveille. Double trouvaille donc et occasion rêvée de réveiller Muzibao de son long sommeil estival.
La Borde et Marie Depussé
J’ai fini le très beau livre de Marie Depussé sur La Borde. Émue aux larmes par son approche, cet infini respect de la singularité de chacun, qui l’animait. Ce regard sans jugement, sans classement, sans préjugés, tellement bienveillant, humain et profond. Si curieux de l'autre. Si attentif.
L’autodaté
J’ai pris grand plaisir à ce feuilleton estival et j’ai reçu aujourd’hui mon poème, qui est écrit par Benoît Richter qui m’a aussi envoyé un très beau petit récit, Diversité. Le feuilleton est fini, il a couru sur ses huit semaines et cinquante-six personnes ont reçu leur poème estival.
Bachelard
Une très belle citation de Bachelard dans le dernier numéro de L’Étrangère : « L’instant qui vient de nous échapper est la même mort immense à qui appartiennent les mondes abolis et les firmaments éteints. Et le même inconnu redoutable contient, dans les mêmes ténèbres de l’avenir, aussi bien l’instant qui s’approche de nous que les Mondes et les Cieux qui s’ignorent encore. » (L’Étrangère, n° 45, p. 63).
Intéressant dossier Philippe Denis dans ce numéro de la revue.
Maison - Marcelline Roux
Le livre de Marcelline Roux, Celles qui regardent, carnets de maison, traite d’une maison, de l’amour d’une maison. Je suis très sensible aux livres sur les maisons ! C’est un beau livre. Marceline Roux est aussi une des sept poètes du feuilleton estival de Poezibao.
Marielle Macé - Sidérer, considérer
Sidérer, considérer, Migrants 2017, Un tout petit livre de Marielle Macé, mais de très grande portée. Avec son regard si particulier, à la fois philosophique, sociologique mais profondément humaniste, Marielle Macé aborde la question des migrants. Et la manière dont elle le fait est susceptible de changer complètement le regard que l’on porte sur eux. Elle est dans le droit fil, dans la logique de son très beau livre Styles. Ce sur quoi elle se penche ici, c’est la spécificité, la richesse, l’inaliénabilité des styles de vie des migrants. Notamment au travers des habitats qu’ils bricolent à la Jungle de Calais ou dans les campements parisiens et qui sont si brutalement démantelés. Pilonnés en fait.
Livre à relire et à annoter.
Schnittke et Gréveillac
Terminé Cadence Secrète de Paul Gréveillac. Avis mitigé sur ce livre. Son mérite : attirer l’attention sur ce musicien atypique, à la destinée singulière, qu’est Alfred Schnittke (1934-1998). Mais dans le même temps je ne suis pas sûre que l’auteur serve bien son sujet. Si l'on peut tenter une comparaison, on dira qu'il n'a pas la maîtrise et la capacité à orchestrer les faits et à tirer effet d'une énorme documentation comme Julian Barnes, dans son livre autour de Chostakovitch, Le Fracas du temps. (on peut voir ici, dans ce Flotoir de septembre 2016, 4ème paragraphe). Il faut donc aller maintenant vers les œuvres musicales que je connais très peu.
La musique - François Mauriac
Cette citation de François Mauriac, à propos de son ami Georges Duhamel, (relevée dans un tweet de Sarah Lemonnier-Wallez) : « Chez certains hommes la passion de la musique et de la poésie est une défense contre la vie ; nés sans carapaces, ils marchent dans un nuage d'harmonie, comme des poissons troublent l'eau pour n'être pas découverts. Ainsi Bach et Mozart protègent Duhamel. [...] Humain, ce Duhamel, trop humain, il n'aurait pu supporter la douleur des corps qui souffrent, sans une défense appropriée : la mémoire musicale. »
Pierre Parlant
Très fort article de Pierre Parlant sur le site Diacritik, autour de Maïakovski, dans le sillage d’une intervention faite cet été aux rencontres organisés par Christian Tarting. C’était le 23 août dernier, à l'occasion des 7èmes Rencontres littéraires de Haute Provence à Forcalquier, cette année sous le signe des Révoltes Logiques, il fut question de Maïakovski et de Khlebnikov. Étaient présents pour en parler Henri Deluy, Yvan Mignot, Christian Tarting.
Je note : « Si lire un poème fait penser, et souvent rudement, la raison vient de ce que le poème lui-même ne fait pas autre chose que penser ; parler d’un poème pensif fait donc cercle ; ou plutôt ruban de Mœbius ; ou encore prélèvement sur la bande passante de l’infini. Pour autant, qu’on n’en déduise pas qu’il argumente au profit d’une thèse ; un poème ne démontre pas, il montre à tous ce que lui seul peut dire ; et pour montrer, intensifie ; tantôt en raréfiant, tantôt par expansion. »
Cyclone
Article du Monde (daté 9 septembre) : « que se passe-t-il quand vous ajoutez de la chaleur à un système. Il vous la rend sous forme d’inondations, de vent, de feu. » (Propos de Bill McKibben, de l’organisation 350.org)
Mémoire des lieux - Marielle Macé
Je relis Sidérer, considérer de Marielle Macé. Le livre ouvre sur une évocation forte (elle a une plume d’écrivain) d’une quadruple conjonction, en lien avec le camp de migrants installé sur le quai de la Seine, juste sous le bâtiment vert cru de la Cité de la Mode, près de la gare d’Austerlitz à Paris : cette cité de la Mode donc, mais aussi la BNF dont elle donne une description cruelle, la banque Natixis sur l’autre rive de la Seine et un ancien camp installé tout près de là par les Nazis et où étaient entreposés les biens volés aux Juifs.
Des mères - Marie Depussé
J’ai terminé le livre de Marie Depussé, Les Morts ne savent rien. Livre fort, lui aussi, étrange, menant une sorte de dissection vive et tendre à la fois de sa famille, la mère, le père, sa sœur (Fillette) et ses deux frères (Jean et Ubu, alias petit frère). Elle développe dans ce livre ce même regard très singulier sur les êtres humains, sans jugement, avec une immense curiosité par rapport à leur manière d’être (cf. Marielle Macé). Le portrait de la mère est magnifique. Personnage solaire, mais sans doute un peu fou, dont on se dit d’abord qu’il doit être magnifique d’avoir une mère pareille, pour prendre conscience progressivement de sa puissance destructrice d’amour ! Les mères moins exceptionnelles sont sans doute préférables pour le développement d’un être humain, garçon ou fille.
Andrée
Chez Jean-Paul Louis-Lambert, dans les Stigmates de Lisbé, ce grand livre enquête autour de Pierre Jean Jouve, un beau portrait de femme, là encore, celui de la première femme de Jouve, Andrée. Jouve qui avait d’abord séduit la mère d’Andrée et qui continua une étrange relation avec sa belle-mère et Andrée, jusqu’à l’irruption de Blanche Reverchon qui marqua aussi le tournant de sa vie d’écrivain et d’homme.
Philippe Jaffeux, Mots, Enfance
Philippe Jaffeux m’a envoyé hier le PDF de Mots, livre qui n’est pas encore complet, mais qui fonctionne par entités séparées, autour d’un certain nombre de mots. C’est un travail théorique, admirable, souvent profondément émouvant et qui a le mérite de faire beaucoup mieux comprendre sa démarche très singulière. J’ai lu « Abstraction », « Images », « Chaos » et « Enfance ». Ce dernier texte est bouleversant. Voici quelques notes : « J'écris surtout dans l'espoir de percevoir les vibrations de l'enfance, celles qui animent, par exemple, la désobéissance et l'insouciance. Les lettres me donnent l'occasion d'être submergé par des émotions et des perceptions enfantines, et non pas infantiles, elles m'encouragent à réveiller l'enfant qui nous accompagne depuis toujours. » (14 du PDF)
Ne jamais quitter l’enfance ni la joie – Philippe Jaffeux
« Seule la poésie expérimentale me semble capable de pouvoir accueillir les "blocs d'enfance" deleuziens. La pratique de l'écriture a peut-être alors un sens si elle est supportée par la dynamique d'une posture qui m'engage à ne jamais quitter l'enfance ni la joie. C'est au travers des pulsions, de la curiosité́, du jeu ou des rêveries que l'enfant, lui seul, réussit à invoquer un redoutable savoir de l'ignorance. L'enfant est un conquérant de l'instant qui, armé de ses perceptions sauvages et créatrices, parvient, tout seul, à découvrir les mystères du monde. L'enfant est un voyant qui voit ce que les adultes ne savent plus voir. » (15)
Et encore : « L'enfant est présent dans le monde grâce à la force du sensible (toucher vue goût odorat) et aussi à l'aide de ses lignes, gribouillis, coloriages ou dessins. Ces derniers sont les équivalents de nos paroles ; ils constituent autant d'offrandes roboratives, désintéressées, et parfois angoissantes, de l'enfant déjà artiste. L'enfant qui dessine est notre seul maitre ; il nous enseigne à utiliser les formes et les intuitions plutôt que les idées; à être en contact avec la matière de notre langue, à être pris par un élan créateur et pulsionnel qui outrepasse la conscience de soi et la volonté. Lorsque l'enfant n'est pas encore soumis au modèle familial ou scolaire, ses dessins énoncent une énigme, hallucinante et délirante, réfractaire à la beauté, à la représentation et à la vraisemblance. A l'instar de l'enfant qui dessine, j'écris en tâtonnant, en agençant des mots comme des formes en vue de célébrer un anti-art, primitif et préhistorique, qui préexiste à la socialisation et au conditionnement induits par l'écriture et la culture. Dans le mystère de sa solitude créative, l'enfant accueille le monde sensible et celui de son imaginaire qui deviennent sa seule réalité. » (18)
Revue Décharge
Le numéro 175 est particulièrement riche. Avec des textes de l’Allemand Durs Grünbein, dont je m’étais essayée à traduire les fragments d’un discours de réception à un prix, alors que j’entamais tout juste mon réapprentissage de la langue allemande. Des textes aussi de Philippe Jaffeux, un grand poème de Jean-Paul Klée et la présence de Françoise Clédat.
La bande-son
Toujours dans ce numéro, des poèmes de François de Cornière. L’un retient mon attention tout particulièrement avec cette étrange assertion liminale : « j’aime le cinéma à la radio ».
Ce qu’évoque le poème, c’est en réalité la bande-son, telle qu’elle est parfois diffusée, en fragments, dans certaines émissions consacrées au cinéma, notamment sur France Culture. Avec toujours un son très particulier, qui tranche sur le fil de l’émission.
Je ne peux plus voir de film au cinéma, incapable de supporter la force, l’imposition des images. Mais ne pourrais-je au fond pas m’en tenir à la bande-son ? Ce serait une expérience magnifique, celle d’écouter la bande-son seule ou bien de fermer les yeux pendant tout le film et d’ainsi entendre beaucoup mieux l’univers sonore du film et in fine créer mes propres images ? !
photo @florence Trocmé, Rostock, Marienkirche, horloge astronomique de 1472.
Rédigé par Florence Trocmé le 12 septembre 2017 à 14h39 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent