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Rédigé par Florence Trocmé le 25 avril 2018 à 14h11 dans photomontages | Lien permanent
De la grammaire
A propos du paragraphe « De la grammaire », Flotoir du 30 mars dernier, Jean Le Boël m’écrit : « J'ai eu la chance d'être des premiers participants au Cercle de Recherches et d'Études Antiques de Jean Bollack, assisté de Heinz Wismann. D'un texte ancien, nous multipliions les traductions, nous les confrontions, nous n'en privilégiions aucune. Il en serait allé de même d'un texte contemporain. Contrairement à l'idée dominante, un mot à mot est tout aussi fécond qu'une traduction qui recrée. Il nous oblige à penser dans l'étrangeté, et nous ouvre à autrui, au lieu de le réduire à ce que nous sommes et à nos schémas langagiers. Nous glosions beaucoup et la grammaire nous libérait, la nôtre et celle de ceux dont nous voulions épouser la pensée. »
Et Claude Minière me suggère, sur le même thème, de relire Baudelaire : Le poème du Haschisch.
L’ultime Thulé
Gérard Cartier : « On ne parvient à l’ultime Thulé / qu’en visant de côté comme / on le fait du sens et de la beauté. » (147)
→ : parfois aussi on voit mieux ou plus en ne regardant pas droit devant soi.
Les papillons qui boivent les larmes
Incroyable coïncidence, deux fois en trois heures, évocation des papillons d’Amazonie qui boivent les larmes, celles des tortues sur Arte, celles des crocodiles dans le livre, magnifique, mbo, de Gérard Haller.
Troublante la double apparition en un temps si resserré de cette pratique elle-même si étonnante. Les papillons recueilleraient les larmes des animaux pour faire des boules de sel à offrir à la femelle qu’ils convoitent.
Gérard Haller, mbo
Oui livre superbe. Une arche ? Un inventaire d’une richesse et d’une beauté extrêmes, un art des mariages par sonorités et échos, le propos naturaliste et le mythe, les espèces disparues, des allusions multiples aux morts, aux exterminés, aux espèces menacées. Inventaire avant ou après disparition, livre d’heure, litanies aussi. Fort et beau, à lire à haute voix, à faire lire.
Deux souffles, deux visions
Deux souffles, ce soir, deux visions, elles sont devenues si rares, chez deux Gérard, Cartier et Haller. Hymnes aussi aux mots, aux mondes, aux espèces, et en ce jour où j’ai publié ces autres hymnes que sont les poèmes d’Henri Droguet dans le 42ème numéro de Sur Zone.
Leurs arrière grands-pères, Robert Bober, Ivan Jablonka
Est-ce un hasard, sans doute pas : hier conjonction de deux « histoires » présentant de profondes similitudes. Deux écrivains, un livre et un film. Le film, le très beau Vienne avant la nuit de Robert Bober, disponible jusqu’à la mi-mai sur Arte. Le livre : Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka. Robert Bober part à la recherche des traces de son arrière-grand-père, à Vienne en particulier. Wolf Leib Fränkel, juif originaire de Pologne, dont il cherche la sépulture dans le Zentralfriedhof de Vienne, cimetière juif en partie à l’abandon, hanté par des biches. Il évoque ensuite la vie de cet arrière-grand-père qui s’était formé pour devenir fabricant de chandeliers. Tout ce passage est dit en yiddish et c’est magnifique. Et en parallèle, poursuite de la lecture du livre de Jablonka, dont l’approche est très différente d’En Camping-car : reconstitution minutieuse de toutes les traces de la vie de ses grands-parents, parents de son père, déportés depuis Paris alors que leur fils n’avait que 3 ans. Leur jeunesse communiste et la violente répression qu’ils subirent en Pologne, leur exil en France et l’on frémit en lisant toutes les difficultés rencontrées, alors que leur vie était en jeu. Le rejet, partout, indésirables en Pologne laquelle devait de toutes façons être fuie par les Juifs de toute urgence, pas acceptés en France ni ailleurs. On ne peut que mettre ce récit en parallèle avec les parcours des réfugiés d’aujourd’hui : la haine, le rejet, les humiliations, les vexations.
Des arbres
J’ouvre le livre d’Aurélie Foglia, Grand-Monde, un livre qui tourne essentiellement autour du thème des arbres. Rarement j’ai été aussi intéressée par les enjambements, qui ailleurs donnent si souvent un sentiment de gratuité. Ici, non, impression parfois de découvrir des mots nouveaux, impression de surprise, comme cet : arc/haïques, p.51 ou l’enchant/ement des lignes p.49. Elle n’en abuse pas. Écriture complexe, disposition aérée. Chaque poème est un monde qu’il faut découvrir, on pourrait presque dire que chaque poème est sinon un arbre plutôt comme un arbre. Interpénétration des mondes, l’eau très présente (pluies, rivières, gouffres), « lacs de ciels avec algues aux ramures » (p. 53). Il faut s’approprier ces mondes, les explorer un par un comme si on était devant une carte, il faut y trouver ses repères et je gage que chaque lecteur aura des repères différents. On a aussi l’impression que croisent, par ici, des images de tableaux, peut-être de photos. Oui croisent en ce sens de passer dans le décor. Voici également un procédé magnifique, non pas un enjambement, mais un mot coupé avec greffon : « im presque mortels » (p.64). Ce livre redonne confiance dans les possibilités de la langue. Essentiellement je pense parce que les manières de faire, de la traiter, d’en user ne sont sans doute jamais gratuites mais toujours dictées par une nécessité intérieure, ce qui est loin d’être le cas pour maints livres plus ou moins déconstruits mais où la nécessité de cette déconstruction n’apparaît pas. Où il y aurait un jeu un peu gratuit et pas la poussée d’une nécessité créative impérieuse.
Retour à Pise et à la ponctuation
Je reprends Le Cours de Pise d’Emmanuel Hocquard. Plusieurs pages sur la ponctuation, dans une approche de base, mais qui a sans doute dû sembler nécessaire à E. Hocquard. Enseigne-t-on encore la ponctuation ?
Hocquard, Deleuze, Bresson
Cette belle citation de Gilles Deleuze alors que le groupe des « Pisans » travaille sur les notions de connexion : « Il y a rarement des espaces entiers chez Bresson. Ce sont des espaces qu’on peut appeler déconnectés. Il y a un coin, par exemple, le coin d’une cellule, et puis on verra un autre coin, ou un endroit de la paroi, par exemple, etc. L’espace bressonien se présente comme une série de petits morceaux dont la connexion n’est pas prédéterminée. Bresson a probablement été le premier à construire un espace avec de petits morceaux d’espaces habituels dont la connexion n’est pas donnée d’avance. » (p.329).
Du collectif
Relativement déçue par ce qui s’est produit autour de la proposition de Claude Minière, ouvrir un chantier collectif de poèmes, je suis sensible à ces propos d’Emmanuel Hocquard : « Qu’est-ce qu’un récit collectif ? Le mot "collectif" fait peur, surtout quand il s’agit d’art ou de création. Collectif ne signifie rien d’autre qu’une lecture à plusieurs, une polyphonie. Un feuilleté de voix et de regards. Tout le langage est collectif. Tout le monde utilise les mêmes mots, obéit aux mêmes règles. Pour faire entendre ma différence, ma singularité, j’ai besoin du langage des autres. Ma différence ne peut surgir que dans et grâce à l’agencement collectif, sinon j’en serais réduit à ne faire entendre qu’un idiolecte. » (p.331)
Une manière de lire
Cité par Emmanuel Hocquard, Montaigne : « dans la librairie (bibliothèque), parmi les "mille volumes de livres" "rangés à cinq degrés tout à l’environ", je suis sur l’entrée, et je vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour et dans la plupart des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me promenant mes songes que voici… » Et un peu plus loin, cette autre citation avec la fameuse expression : « mon âme produit ordinairement ses plus profondes de rêverie, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l’imprévu (l’improviste) et lorsque je les cherche moins. J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades Je vais au change, indiscrètement et tumultuairement. Mon style et mon esprit vont vagabondant de mêmes. » (p.347)
La cabane de Wittgenstein
Wittgenstein s’était construit une cabane en Norvège, en 1914, alors qu’il avait 25 ans. (p.348)
Maison d’âme
Belle surprise de voir arriver au courrier ce matin (hommage à sa belle discrétion) un nouveau livre de Mireille Gansel. Où sans aucun doute, toute est dans ce titre, Maison d’âme, et la dédicace.
A la question à elle posée de savoir si « sa maison [d’enfance] était jolie », cette réponse : « oui ta question d’enfant ce matin de printemps et soudain la beauté est une maison où habiter peut-être la première peut-être la seule – envers et contre tout. » (p.11)
Czernowitz
Mireille Gansel évoque cette ville de Galicie : « Czernowitz, ville aux marges et confins de l'empire austro-hongrois : Galicie Roumanie Bessarabie Ukraine. Creuset de tant de langues et cultures : yiddish allemand ukrainien russe roumain ruthène ‑ Czernowitz, tant de penseurs et de savants, de poètes et d'écrivains déportés, exilés, assassinés. Tant de parlers métissés et intimes, tant d'êtres « déclarés comme Néant » (Imre Kertész) -
Il y eut ce jour à Genève, cher Jean Halpérin, nous parlions du poème de Celan, Psalm-Psaume. Et du mot « niemand » et vous me disiez que le mot allemand, comme le mot hébreu correspondant est un absolu d'absence, de négation, et ne comporte pas l'ambiguïté du mot français « personne ». C'est l'homme-réduit-à-néant. Et nous avons choisi de traduire par "l’homme-néantisé" : niht-man ». (p.19)
« Et en ce soir de mars 2016, comme à voix basse et grave, Reiner Kunze lit Psalm de Paul Celan puis il ajoute : "Siehst du, blühend – blühen, das Schöne das Leben trotz alledem » - " Tu vois, fleurissant – fleurir, le beau la vie envers et contre tout" ». (p.20)
→ il faudrait faire une liste, un inventaire de toutes les images qui naissent à la lecture de ce livre. Scènes ici relatées et qui comme un rêve viennent s’incruster en soi. Temps suspendus, maisons imaginaires, rencontres singulières. Qui font sens.
La découverte de la poésie
« (...) peut-être une leçon à apprendre puisqu’Oceano nox se trouvait dans une édition scolaire toujours est-il que ce fut un instant foudroyant l’irruption de la poésie dans une vie » et Mireille Gansel poursuit avec cette question et cette tentative de réponse : « mais qu’est-ce qu’une enfant de dix ans pouvait bien entendre dans ces vers ? peut-être la réponse est-elle dans ces minuscules croix comme autant de petites étoiles à l’encre violette que ta main d’enfant a tracées au premier et au dernier mot de quelques vers
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée
(...)
Nul ne sait votre sort pauvres têtes perdues
(...) »
Et un peu plus loin encore, dans ces pages qui évoquent l’exil « le poème comme une maison d’âme où une voix a chanté pour toi et parlé tout bas là où il avait les silences de trop de douleur. »
→ ici l’évocation relève du tragique de l’Histoire, mais n’en va-t-il pas ainsi pour tant de lecteurs précoces ? Les livres comme une maison d’âme, un refuge souvent, où une autre voix que celles que nous entendons constamment nous parle, nous console, nous dit peut-être des choses que les voix présentes, même aimantes et bienveillantes, ne savent pas nous dire, ne pensent pas à nous dire. Je me désole si souvent que tant d’êtres humains, qui ont la chance d’y avoir accès, se détournent de ce recours universel que sont le livre, tous les livres. Sans parler de l’extraordinaire apprentissage de l’altérité, de la pluralité, de la différence que l’enfant fait par ces livres dont les adultes tutélaires bien souvent ne contrôlent pas vraiment le contenu.
Il y a dans le livre de Mireille Gansel tout un jeu vital entre ces termes : maison – mots – douleur – absence. Celle qui n’a plus de maison, qui n’a pas de maison, qui a perdu sa maison natale, construit sans fin des maisons d’âme, pour elle-même et pour les autres et ce livre en est une. Une maison d’âme, peuplée des expériences et des rencontres magnifiques de l’auteur. Ce don qu’elle fait à ses interlocuteurs privilégiés, le don du récit de ses rencontres, si nombreuses, si étonnantes parfois, si diverses, elle le fait aussi ici au lecteur. Nelly Sachs, Reiner Kunze, Eugenie Goldstern, qu’elle évoque p.31 : « Elle qui n’avait pas de maison elle sauva la mémoire de vos maisons », écrit-elle dans une page consacrée à cette ethnologue du premier quart du XXème siècle, qu’elle a traduite : « Déportée à Vienne. Exterminée à Sobibor. » (p.31).
Rendre un mot habitable
Chez Mireille Gansel, dont il faut rappeler qu’elle est une grande traductrice, auteur d’un livre de réflexions sur la traduction magnifiquement titré Traduire comme transhumer, il y a de nombreuses considérations sur les mots, sur la langue. Elle s’interroge ainsi sur le vocable de Heimat, tellement sali par les Nazis. « Heimat oscille entre l’intime et le collectif, entre le spirituel et le terrestre. Un mot "sensible", comme il en est dans chaque langue, marqué au sceau d’une Histoire (...) Comment l’entendre ? ».
Flacon de sels
découvrir que les gestes que l’on a avec les livres changent selon le contenu de ce livre, douceur infinie avec celui-là, geste de presque rejet avec cet autre – écouter se répondre deux merles dans le crépuscule, l’un à une vingtaine de mètres de soi, un peu en contrebas de la fenêtre ; son bec jaune qui tremblote chaque fois qu’il chante ; et comme un écho, un congénère difficile à localiser – deux petites filles très aimées penchées sur le même livre, l’à-peine plus grande faisant la lecture à l’autre – tenter, rater mais aussi réussir quelques superpositions de photos récentes – reprendre le chemin des livres après quelques jours sans ou en tous cas avec trop peu – aimer les petits plateaux à fond noir de fruits coupés, composés par son « primeurs » – partir avec Robert Bober, Pologne, Vienne, sur les traces de son aïeul, ressortir le livre Vienne avant la nuit, le feuilleter à nouveau.
Livres
Belle journée livres ! Reçu le Quarto Gallimard avec l’intégrale de l’œuvre de Perros. Et me suis offert, chez Tschann, la nouvelle traduction du livre de l’Intranquillité de Pessoa, ici proposé sous le titre de Livre(s) de l’inquiétude, traduction de Marie-Hélène Piwnik ainsi que le livre de Georges Didi-Huberman, Aperçues. Que je regrette le titre de Livre de l’intranquillité, si beau, qui a littéralement créé ce mot – mais les deux livres cohabiteront et seront distingués chacun par son titre, L’intranquillité de Françoise Laye et L’inquiétude de MH Piwnik, tous les deux chez Bourgois (on peut rappeler que le livre devait paraître aux éditions de La Différence, qui ont hélas disparu avant la publication).
« Le mot "intranquillité", qui a été préféré à "inquiétude", est entré en français avec ce titre en 1988, même s'il avait été auparavant employé par Henri Michaux dans un poème peu connu, à l'insu de Françoise Laye et de Robert Bréchon. Pessoa avait également utilisé un néologisme en portugais. » explique Wikipédia, parlant de la première édition de 1988 (le livre avait paru en deux temps en 1988 et 1992, dans une traduction de Françoise Laye.)
Le Cours des choses
Je suis vivement intéressée par ce développement fait par Laurent Albarracin dans l’introduction d’une note consacrée au livre de Pierre Vinclair, Le Cours des choses : « Le titre laisse deviner le parti pris et la méthode de Pierre Vinclair : il n'est pas question de se tenir au-dessus de la mêlée et de prendre les choses de haut, d'en dire le sens du point de vue réfléchi de qui a cessé d'y participer corps et âme, mais bien au contraire d'entrer dans le cours tumultueux des événements, de les prendre à bras le corps, c'est-à-dire de les saisir en étant autant saisi par eux soi-même, emporté par leur mouvement impétueux. Le poème ne s'extrait pas de ce dont il parle. Il s'implique et s'insère, s'intrique dans les choses, il plonge dans la matière – rugueuse à étreindre – du quotidien. Pierre Bergounioux, dans Jusqu'à Faulkner notamment, remarque qu'une révolution dans la conduite du récit eut lieu à l'initiative du romancier américain : au point de vue global, omniscient, détaché s'est substitué le point de vue focalisé des personnages, qui implique notamment un entremêlement des plans de perception. Toute la poésie américaine, objectiviste en particulier, en a tiré les leçons – énoncées également par William Carlos Williams – qui s'imposent pour le poème : un traitement à égalité de tous les éléments du réel. Il ne s'agit plus d'élire dans la réalité un domaine qui soit assez noble pour accéder à son expression lettrée et de rejeter du même mouvement ce qui aura été considéré comme trop contingent et indigne. Tout s'équivaut désormais dans le poème et en quelque façon s'entortille, comme une corde tissée de plusieurs brins : le concret (le concret surtout, en ses multiples facettes), la pensée, le langage, le général et le particulier, le structurel et le conjoncturel, etc. La réalité n'est plus hiérarchisée et ordonnée selon son plus ou moins grand degré de littérarité mais au contraire aplatie sur un même plan littéral : l'anecdotique et l'épique se rencontrent sur les brisées du poème poétique. Le chant s'applique autant au quotidien et à l'ordinaire. »
C’est le poème lui-même qui est traversé…
Je relève aussi ces mots, toujours dans cette même note, qui me font penser à ce que j’écrivais hier soir sur le livre d’Aurélie Foglia : Grand-Monde. « C'est le poème lui-même qui est traversé d'apparitions diverses, bosselé et cabossé par tout ce que son auteur perçoit, serait-ce confusément, comme si, dans la recherche formelle qu'il effectue, il était débordé par les choses et les réalités de tous ordres qui le dépassent et, alors, pointent leur nez dans le poème. Le texte n'est pas la description, mais la bataille elle-même : en luttant avec les seules armes prosodiques du poème, en bataillant en vue du poème – bref en assumant sa fabrication – celui-ci fait émerger tout le chaotique du monde qui surgit en lui, comme inopinément. »
→ Et j’éprouve une sorte de profonde joie à voir tous ces auteurs se confronter au réel, faire un retour net vers le concret, vers le cours des choses, vers la perception du monde, s’éloigner d’une poésie plus conceptuelle peut-être, mais avec de nouveaux outils forgés par cette autre poésie, plus abstraite, plus blanche, plus froide peut-être. Cartier, Foglia, Vinclair… et bien d’autres sans doute.
Grand-Monde
Foglia, Aurélie Foglia, son nom est-il feuille ? Oui ! Je crois à une forme de prédestination par les noms ; elle n’est pas systématique mais elle est manifeste, souvent. Aurélie Foglia, qui s’est aussi appelée un temps Loiseleur, a un rapport extrêmement fort et complexe avec l’arbre, avec les arbres. Pas en botaniste, ce ne me semble pas être une démarche comme celle de Fabienne Raphoz qui l’accueille ici chez Corti, Fabienne Raphoz dont le flotoir a célébré récemment la passion poétique et ornithophile. Aurélie Foglia, son nom est feuille et elle donne le sentiment dans ses poèmes d’un écrire caméléon, elle semble se fondre à l’arbre, s’enfoncer dans l’arbre, voire même dans un être-arbre. Elle crée une très singulière osmose entre son ressenti, éclaté, fragmenté, polysensoriel et l’arbre : « (...) moi // qui me suis enfouie / écorcée/// chute/// dans leurs liasses. » (p.67, voir cette anthologie permanente de Poezibao)
On a aussi le sentiment d’assister à une tentative vouée à l’échec, non pas que la poète nous semble échouer, mais parce qu’elle va au cœur d’une aporie, celle de l’être-arbre à laquelle l’écriture tend. On sent comme une déchirure, celle d’une unité qui aurait été rompue, comme s’il y avait eu une antériorité-arbre, un ancien être-arbre dont on serait désormais à jamais séparé.
Il y a aussi, infuse mais parfaitement intégrée à la trame du poème, jamais pesante, presque fantomatique, une part de l’imaginaire de l’arbre, imaginaire ancestral, immémorial, son symbolisme, des racines au faîte. Ce serait peut-être d’ailleurs une des fonctions des coupes de mots (coupes de bois ?) et des enjambements, donner corps à cette zone frontière entre l’arbre et soi, là où l’identification-projection crée une sorte de mouvement qui pourrait être le moteur du poème. Il n’y a pas d’être-arbre possible mais il y a un entre soi et l’arbre, où peuvent se jouer beaucoup de choses (aider à vivre) et où s’écrivent les poèmes de ce livre, ce qui les rend si singuliers. Difficiles aussi. Il y a lieu sans doute de se déplacer dans les poèmes, comme dans les pages, de ne pas faire une lecture trop logique ou linéaire, mais au contraire d’un autre dynamisme, plus volatil peut-être. Un lire-oiseau ?
Gertrud et Emmanuel
Retour à Pise et à cette étrange remarque de Gertrud Stein relevée par Emmanuel Hocquard. En fait, une déclaration de William Carlos Williams à propos de Gertrud Stein : « Miss Stein s’occupe du "squelette", des parties "formelles", celles qui donnent forme à l’écriture, sans se soucier du fardeau qu’elles portent. C’est le "squelette » qu’il faut prendre en compte, alors qu’il règne aujourd’hui une grande confusion dans tous les domaines intellectuels sur tout ce qui concerne les parties "charnues" de l’écriture. » (cité p. 371)
Pour que lire s’allume
Pour que lire s’allume, un certain nombre de conditions sont nécessaires. Certaines contingentes, inutile d’en parler, d’autres essentielles. Il faut que l’arc électrique puisse s’établir entre le texte et la conscience (ou l’inconscient !) du lecteur. À partir de là, on entre dans un processus dynamique de courants, d’échanges avec gains et entropie. Une fatigue mentale, des préoccupations envahissantes, le désir de faire renaître une jouissance de lecture antérieure : voici tout de même quelques-unes de ces contingences qui peuvent empêcher la formation de l’arc. Et le lecteur le sait, il sait que le texte a le potentiel de lui parler et de le faire parler, mais il constate que l’allumage, en cet instant-là, ne se fait pas. Il est préférable alors de mettre de côté. Faire confiance aussi au travail à bas bruit de la conscience qui aura perçu certains éléments et commencera, qui sait, à accommoder sur eux, à s’y accommoder.
Un réservoir
Le livre d’Emmanuel Hocquard, en plus d’ouvrir un nombre très important de pistes de réflexions, principalement bien sûr sur le langage, l’écriture, la grammaire, les mots, est un immense réservoir de citations. Peu d’auteurs certes, mais dont les citations éclairent magnifiquement le propos. Énormément de citations de Wittgenstein, ce qui contribue peut-être à mettre ainsi à portée, en partie, ce philosophe réputé si difficile (les citations données sont souvent vertigineuses mais pas difficiles), souvent Deleuze, comme avec ces mots : « Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d'agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, le preneur d'âme ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser ou, comme dit Virilio, d'administrer et d'organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle sur la vie : le manque à être qu'est la vie... On a beau dire "dansons", on n'est pas bien gai. On a beau dire "quel malheur la mort", il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l'âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu'ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien aimée, leur ressentiment contre la vie, l'immonde contagion. Ce n'est pas facile d'être libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d'agir, s'affecter de joie, multiplier les affects qui exprimer ou enveloppent un maximum d'affirmations. » (Gilles Deleuze.)
fuir la peste – organiser les rencontres – augmenter la puissance d’agir – s’affecter de joie… un programme de lecture ! : programme
Hocquard et la poésie
« Les mots qui expriment les affects ainsi que leur degré d'intensité sont à la fois nombreux et pauvres. J'entends par là que ce sont toujours les mêmes et que tout le monde les emploie de manière identique. Il n'y a pas trente-six façons de dire "Je t'aime", alors qu'il y a trente-six mille façons d'aimer. C'est ça qui est si fatigant en poésie, dans la très grande majorité des cas. Chacun prétend exprimer une expérience unique, inouïe, exceptionnelle, extraordinaire, et tous font de la même manière, avec les mêmes mots, les mêmes images. Pour sortir des sentiers battus, ils usent alors de métaphores, c'est-à-dire substituent d'autres mots aux mots habituels. L'ennui avec les métaphores, c'est que ce sont des clichés (et tous les clichés se ressemblent). Au lieu de clarifier les choses elles les diluent dans d'ahurissantes approximations. Quand vous comparez vos sentiments pour votre amie à ceux que vous inspirent une gazelle ou un palmier, c'est d'un animal ou d'un arbre que vous parlez, pas de votre amie. » (p.388) : saine mise au point !
Dressage
Emmanuel Hocquard insiste énormément sur le côté contraint de la langue : « L’enseignement (et l’apprentissage) du langage, parlé et écrit, est fait d’entraînement et de dressage au sens de : montrer quelque chose à quelqu’un, le faire sous ses yeux, le dire devant lui (...) L’objectif est d’apprendre à suivre les règles. On nous exerce à suivre la règle en nous forçant à l’appliquer d’une certaine façon. » Il poursuit « Entraînement + dressage permettent : 1. D’intérioriser (assimiler) la règle (...) 2. De constituer un habitus (un ensemble d’habitudes communes) (...) Conséquence : "Les règles de notre langage imprègnent notre vie. " (Wittgenstein). »
Et il invite aussi à « noter que le vocabulaire qui entoure la grammaire est le même que celui de la morale » ! Respecter la règle, faire une faute, etc.
De la poésie encore, avec Emmanuel Hocquard
« Nous ne pouvons plus faire grand-chose de la notion de poésie héritée de nos prédécesseurs, si prestigieux soient-ils. Trop de connotations contradictoires, trop d’équivoques et de malentendus y sont attachés. » (408). Dans ces pages il explore ce qui se cache sous ce mot de poésie, bien souvent et je m’amuse à lire ces remarques : « Quand vous ferez la synopsis de poésie, de poétique et de poète, vous mesurerez l'étendue des dégâts collatéraux provoqués par ces mots, du Printemps de la poésie instauré par le ministère à « Avec Charles Trenet, un grand poète s'est éteint » (Jacques Chirac) en passant par le "sentiment poétique" qui s'attache, paraît-il, à certains spectacles, un coucher de soleil ou un arbre en fleur, par exemple. "On pourrait dire : [la poésie] nous montre les merveilles de la nature. [Elle] est fondée sur le concept de merveille de la nature. (Le bourgeon qui s'ouvre. Qu'y a-t-il là de merveilleux ?) On dit : "Regarde comme il s'ouvre !" » (Wittgenstein, Remarques mêlées.). Et de reprendre, à propos de Poésie, le conseil du même Wittgenstein, déjà cité : « Il faut parfois retirer de la langue une expression et la donner à nettoyer – pour pouvoir ensuite la remettre en circulation. »
→ Tout le problème est que ce sont les faits et les actes qui peuvent « nettoyer » le mot poésie de toute cette cochonnerie qui l’affecte aujourd’hui et surtout pas les discours, les états généraux, les colloques et autres grands « machins » qui ne font qu’embrouiller la donne selon mon constat. Et surtout qui sont effroyablement ennuyeux et répétitifs. Ce sont les livres qui naissent aujourd’hui qui font le boulot (rarement, exceptionnellement) et ce pourrait bien être un livre ou un poète qui donnerait enfin à comprendre ce que peut être la poésie. Certains livres le font bien sûr mais pour si peu ! Le défi serait que ces mêmes livres infusent la pensée d’un nombre un peu plus grand de personnes, sinon du grand nombre. J’aime bien penser que Poezibao tente de s’y employer.
De la contrainte
Lisant Hocquard, je réveille petit à petit le souvenir d’un fort sentiment de contrainte intérieure qui a pesé tôt et fort sur moi, pourtant élevée dans un milieu ouvert et libéral. Je crois que j’ai eu (puis je l’ai oubliée) une intuition de contrainte ou l’intuition d’une contrainte, dans plusieurs domaines. Avec cette idée à la formulation enfantine bien sûr, mais révélatrice : « quand je serai grande je ferai ce que je veux ». Il se peut que j’ai eu, tôt, le sentiment de coercition de l’éducation en général et de cet embrigadement de l’apprentissage de la langue dont parle si bien Emmanuel Hocquard à ses étudiants « pisans ». « Les mots d’ordre ne sont pas tapis dans le langage, ils lui sont coextensifs. Dès qu’il y a langage réglé, il y a mots d’ordre. On n’y échappe pas. » (p.422). A compléter avec cette citation, de Deleuze une fois de plus : « Le langage donne des ordres à la vie. Dans tout mot d’ordre, même d’un père à son fils, il y a une petite sentence de mort – un verdict, disait Kafka. » (cité p.423). Et Emmanuel Hocquard d’inciter les étudiants à « travailler à une conception propre » car « travailler sur nous-mêmes c’est repérer les mots d’ordre "en nous". »
Georges Didi-Huberman
Double occurrence de cet écrivain très aimé : le dernier numéro de la revue Europe qui lui est consacré et l’acquisition d’Aperçues, son dernier livre, paru aux Éditions de Minuit. Sur la quatrième de couverture, je lis qu’il s’agit pour lui de remonter son journal en désordre et toutes proportions gardées, me vient cette idée que cette méthode pourrait être une de celles qui me permettraient de mettre en forme, en vue d’un livre, des extraits du flotoir et de ses quelque 5000 pages !
Je vais donc tenter la lecture en parallèle du livre et de la revue. En écho. Et voici bien sûr, d’emblée, l’image, fil rouge de la recherche de Didi-Huberman : « L’image est bien comme une luciole, une petite lueur, la lucciola des intermittences passagères. Quelque part entre la Béatrice de Dante et la "fugitive beauté" de Baudelaire : la passante par excellence. (04.06.2009, p.12)
→ cette intermittence passagère, cette passante, que Didi Huberman personnalise un instant sous la forme d’un personnage de Machiavel, Mademoiselle Occasion ! : « Si Niccolò Machiavel, le plus grand penseur des choses politique à la Renaissance a pris le temps de composer ce poème ["Capitolo de l’Occasion"], c’est certainement parce que Mademoiselle Occasion joue un grand rôle dans la conduite des actions humaines. En effet, tout actio conséquente doit combiner les deux temporalités contradictoires de la prudentia et de l’occasio : ralentir pour penser toute chose, mais se dépêcher pour attraper au vol ce que l’occasion ne nous offre qu’une seule fois en passant. »
→ Hélène Cixous a souvent écrit des pages magnifiques sur ces intuitions aussi fragiles qu’éphémères qui faut savoir attraper au vol.
Festina lente
Festina lente : hâte-toi lentement. « Pour Georges Didi-Huberman, ici et maintenant, c’est le règne étroit mais marquant de l’occasion, manquée ou non. Une figure fugace de la « fatalité qu’il retrouve dans un poème de Machiavel : "point de vol si rapide qui égale ma course – raconte Mademoiselle Occasion – et je ne garde des ailes à mes pieds que pour éblouir les hommes au passage". La leçon de la fable : festina lente, hâte-toi lentement, Festina lente : « prends le temps de saisir la chance en un tournemain » (source)
Un artisanat
« J’ai tendance à regarder mon propre travail comme cet artisanat de l’impossible arrachement de toute apparition à l’oubli. » (07.11.2011, p. 15)
→ toutes proportions gardées, là encore, c’est le travail du Flotoir mais ces propos me renvoient aussi à l’œuvre de Quignard, de Warburg, de Benjamin.
Comme des sels de la vie ?
Je suis touchée par cette remarque de Georges Didi-Huberman, même époque de son journal, novembre 2011 : « Il m’arrive souvent, au moment de m’endormir, d’écrire mentalement une petite description de ces menues choses, de ces êtres fugitifs ou de ces relations entraperçues dont ma journée s’est trouvée enrichie. »
Flacons de sel
se perdre et se laisser entraîner par les résonances des bols tibétains – entrer dans un nouveau livre un peu comme on entre dans l’eau – taper « manuscrits de Leopardi » dans le moteur de recherche, puis cliquer sur l’onglet « images » et se promener dans la très étonnante collection de propositions, descendre loin dans cette page… atlas mnémosyne ? – rêver de renouveler l’expérience, frappante, avec d’autres mots – contempler la superbe couverture de la revue Europe (1069) consacrée à Georges Didi-Huberman (et à James Sacré qui me semble bien à sa place là) – observer les petites croix rouges sur les planches botaniques de cette couverture (en fait un tableau de Karl Blossfeldt, "Jusquiame, centaurée et saxifrage" sans rien savoir de leur raison d’être et penser à celles, à l’encre violette, que Mireille Gansel, enfant, a placées devant certains vers d’Oceano Nox, le tout premier poème avec lequel elle fut en contact – lisant, écrivant, pensant, rêvant, écoutant, balayer sans cesse des yeux les grands murs de livres autour de soi.
Du titre « Aperçues »
« Aperçues », féminin pluriel. J'ai pris l'habitude de nommer "aperçues" des bribes de choses ou d’évènements qui apparaissent sous mes yeux. Cela ne dure jamais très longtemps. Bribes, échardes du monde, épaves qui vont, qui viennent. Elles sont apparaissantes mais vont disparaissant. Tout ce qui est visible autour de moi ne m’est pas une "aperçue" pour autant. Par usage personnel — plutôt que par une quelconque volonté de donner un sens catégoriel, défini ou définitif, à ce mot —, je dis "aperçue" quand ce qui m'apparaît laisse, avant de disparaître, quelque chose comme la traîne d’une question, d’une mémoire ou d'un désir. C'est quelque chose qui dure un peu plus longtemps que l'apparition elle-même — une rémanence, une association —, et qui mérite alors, toujours dans mon usage ou bricolage d'écriture, le temps de travail, ou de jeu, d'une phrase ou deux, d'un paragraphe ou deux, ou plus. » (p.17)
Il ajoute que « l’aperçue devient alors une pratique d’écriture intermittente, [son] "petit" genre littéraire dispersé-rapide, multiforme et sans projet, en marge ou en traverse de [ses] grandes recherches obstinées-patientes. (p.18)
→ penser qu’une part de mon propre travail relèverait de ce petit genre littéraire, l’aperçue, en ajoutant toutefois qu’il faudrait un mot équivalent pour le son. Le sonore, tellement absent de ces pages, me semble-t-il, si rarement évoqué par Didi-Huberman !
Une introduction de Muriel Pic
J’ouvre l’introduction que Muriel Pic donne au fort dossier Didi-Huberman proposé par la revue Europe, sous le titre "Qu’est-ce que s’orienter dans les images ?". Introduction savante, complexe, souvent difficile mais qui pointe d’emblée l’accent mis sur « l’image activement mobilisée comme outil critique des faits culturels et politiques ». (4)
Muriel Pic qui écrit aussi parfois simplement, presque trivialement et elle a bien raison : « Quand on sait où situer un livre, c’est fichu ; quand on sait où le ranger dans une bibliothèque, c’est perdu. Quand un ouvrage ne nous désoriente pas, on peut le balancer ». C’est que, dit-elle, il faut pouvoir « prendre un risque, perdre ses points de repère, en un mot être désorienté. »
Elle insiste par ailleurs sur deux techniques de l’écrivain : le montage et l’usage des paronymes, comme dans hommage et dommage.
Libres yeux de l’histoire
C’est le titre de la belle contribution de G. Didi-Huberman à ce numéro d’Europe. Il épingle, c’est le cas de le dire « du côté des experts ès arts visuels, la tentation épistémologique d’immobiliser le voir et l’objet du voir – comme l’entomologiste qui met à mort son papillon favori pour l’épingler sur une planche de liège et, désormais, peut le regarder tranquillement, fixement, d’un regard aussi mort que l’animal lui-même. » (p.20)
Et il ajoute : « Les images sont tout autre chose que des papillons déjà épinglés sur une planche de liège pour le bonheur – savant, mais pervers et mortifère- de l’entomologiste. Elles sont tout à la fois des mouvements et des temps, tous inarrêtables, tous imprévisibles. Elles migrent dans l’espace et survivent dans l’histoire, comme disait Aby Warburg. Elles se transforment, elles changent d’aspect, elles volent ici et là, apparaissent et disparaissent tour à tour » et « les regarder reviendrait à ne pas les garder pour soi mais, au contraire, à les laisser être, à les émanciper de nos propres fantasmes de "voir intégral", de "classification universelle" ou de "savoir absolu". » (p.21)
Rédigé par Florence Trocmé le 25 avril 2018 à 13h55 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Rédigé par Florence Trocmé le 10 avril 2018 à 18h18 dans photomontages | Lien permanent
Refus d’une œuvre bouclée sur elle-même
« Refus, au bout du compte, d’une œuvre bouclée sur elle-même, bien qu’aboutie, je veux dire achevée, arrêtée. Elle n’a choix que de demeurer ouverte, aérée de l’intérieur, ayant rassemblé tant bien que mal des débris, à moins qu’il faille voir là des semis, œuvre alors non pas en ruine, mais en germe. De là, avers et revers, un double aspect, qu’on se désole d’un état inabouti, incomplet ou qu’au contraire, faute de mieux, on se réjouisse de morceaux liés à distance et (comme partout en somme, même où tout semble étroitement chevillé) sujets à divers parcours, à des associations inattendues venant sans déguiser mais sans rien de forcé faire écho au travail d’élaboration lui-même. » (Pierre Chappuis, Battre le briquet, précédé de Ligatures, éditions José Corti, 2018, pp. 108-109.)
L’amateur
Oh que j’aime cette remarque de Fabienne Raphoz dans Parce que l’oiseau : « L’avantage de l’amateur généraliste sur le spécialiste ou l’expert, c’est qu’il ne peut jamais se faire confiance, il doit toujours tout vérifier, il n’a aucune théorie à défendre, c’est un éternel débutant. » (p.150)
→ Longue traîne de ce livre, qui a modifié mon regard sur les oiseaux et sur la nature. J’écoute davantage, j’essaie de bien entendre ce que j’entends, les différents chants… et je lève sans cesse les yeux pour regarder si je vois des oiseaux. En ville, pas besoin de lever les yeux pour voir les pigeons, il faut les lever un peu plus pour voir les corneilles (sont-ce des corneilles ?) et les pies, et les petits oiseaux, ceux qui chantent, me sont invisibles la plupart du temps.
Ah les araignées
Je ne fais pas partie des phobiques, mais je sais qu’elles et ils sont nombreux ! Alors ce beau passage encore, avant de quitter le livre de Fabienne Raphoz, ou plus exactement mettre un terme à cette lecture. Car je sais que le livre va rester à portée de main. Pour les jours sans…
« Comme les grillons, mais il faut une oreille plus attentive, les araignées stridulent, et comme les pics, elles tambourinent. Micro-orchestre à elles seules, "ce sont peut-être les seuls animaux, insectes mis à part, qui aient un éventail de moyens de communication acoustico-vibratoire aussi vaste." [citation de Marie Trabalon]. Je regrette toutefois qu’elles ne puissent, comme les oiseaux, comme beaucoup d’autres "animaux" savoir à quel point elles entrent, ou sont entrées dans la culture des humains. Si l’admiration que suscitent les uns et la peur – voire la phobie que suscitent les autres défient "notre" propre langue – le chant de l’oiseau nous fait rougir, c’est à peu près tout ce que l’on peut en dire – je me demande souvent ce qu’ils en penseraient, eux, de tout ce qui se trame autour d’eux, eux qui nous révèlent ce que l’altérité a d’absolu. » (p.152)
Le livre se termine sur un constat : « A chaque ère (...) un bouleversement, à chaque ère une nouvelle extinction, on sait tout cela, mais il faut tout de même insister : à chaque extinction de masse, que la terre ait été mise à feu, à glace, ou les deux, elle a toujours été mise à sang, et les briques du vivant, infailliblement, se sont préservées, sous la boule de glace, sous la terre enflammée, un petit quelque chose (...) Et n’en déplaise aux amateurs de slogans racoleurs, ce n’est sûrement pas "la planète" qu’il faut sauver, elle en a vu d’autres, mais ce sont ses hôtes et ses témoins. » (162 et 163)
Lire. Un sujet
L’écrire, créateur, fluctue. Et le lire – créateur aussi peut-être – ne fluctue-t-il pas ? Le don n’est jamais constant, le don a ses ressacs. Lire s’oublie et se perd. On le croit perdu, avachi, indisposé et le voici, till eulenspiegel, qui pirouette et entraîne dans son élan invincible comme jamais auparavant.
Je pourrais presque écrire un livre à la manière de Christiane Veschambre, non plus Ecrire. Un caractère mais Lire. Un sujet ! Lire s’éteint et s’allume. On le croit disponible, il s’efface au fur et à mesure qu’on avance. Il est indéfinissable. Tant s’en passent, en principe sans en mourir. Mais qui sait ce qui meurt ! Beaucoup ne peuvent ou ne savent. Lire glisse des mains et du cœur, cela peut arriver, il se fait vain. Et c’est bien Lire qui vacille et pas le livre qui défaille. Appétit vital, en berne, Lire s’affale, voile faseyante qui ne trouve plus le vent porteur, asthénie. Il suffit souvent de coucher Lire, de ne pas lui en vouloir, de lui permettre d’aller voir ailleurs. Il revient, parfois plus allant encore. Et l’on se jette à nouveau sur les traces de Brendan, dans les chemins du Quercy, en Sibérie ou à l’intérieur du cerveau.
D’un champ à l’autre
Marc Blanchet : une certaine porosité dans sa pratique critique entre les champs d’attention, voir par exemple l’irruption du petit Yniold (du Pelléas de Debussy) dans « la descente de l’Escaut », une méditation sur l’œuvre de F. Venaille. « Toute mélodie corrompue est un petit Yniold » écrit Marc Blanchet qui vient d’évoquer la scène où Golaud « charge l’enfant sur ses épaules pour espionner Pelléas et Mélisande, dans l’espoir de changer un baiser entrevu en poison dans ses veines » et par là, il « pervertit les formes ». (p.101)
Il y a dans sa façon d’écrire comme des fondus enchaînés, glissement insensible d’un domaine à l’autre et comme à la recherche de possibles mimétismes.
Littérature, Marc Blanchet
« La littérature peut se tourner vers la lumière : elle est surtout un jeu d’ombres – peuplé de fantômes et de songes. C’est d’ailleurs quand elle accepte cette part d’obscurité en elle que la lumière se fait, éclairant les points aveugles de notre conscience jusqu’à l’éblouissement. » (112)
→ On voudrait avoir la capacité, mais cela semble impossible, de reconstituer sa propre aventure avec la littérature, depuis les premières lectures. Ce qui a structuré, porté, aidé, perverti parfois… ; quels points aveugles de la conscience ont été dévoilés par les livres. En quoi ils furent ou ne furent pas nos maîtres. Sans doute pour beaucoup aussi essentiels, plus importants même que les maîtres réels.
Un de ces aphorismes, Marc Blanchet
Je l’ai déjà écrit dans ce Flotoir, on peut trouver, sertis, presque cachés dans la prose de Marc Blanchet dans ses Amis secrets, de véritables aphorismes : « ce qu’on ne parvient pas à atteindre nous touche droit au cœur d’être pressenti ».
→ portrait de tout créateur ? ou de celui qui sait qu’il n’aura pas eu les moyens (psychiques, matériels ou spirituels) d’être le créateur qu’il a rêvé d’être, qu’il a senti ou cru qu’il pourrait être ? (113)
De la vie littéraire
Sans doute fondamentalement bienveillant et surtout tourné vers ce qui porte, Marc Blanchet n’en est pas moins réaliste sur le petit monde littéraire, d’une façon souvent très juste. Il cite par exemple Roberto Juarroz : « La réticence et le manque de joie ou de satisfaction devant la qualité d’une œuvre d’autrui, sont non seulement une tare de la plupart des écrivains, mais encore un signe révélateur d’une certaine misère interne qui, d’une façon ou d’une autre, transparaît dans leur œuvre. » (114)
→ cela correspond tellement à mon expérience et éclaire ma réticence devant l’œuvre de certains créateurs, tellement refermés sur eux-mêmes, que cela, pour moi, oblitère leur œuvre. Qui n’atteint pas alors un tout petit minimum de dimension universelle sans quoi il n’est pas d’œuvre qui tienne. Marc Blanchet enfonce le clou : « Se réjouir de la création d’autrui est une chose inconcevable pour beaucoup d’artiste » (115). Notion que l’on retrouve un peu plus loin autour de Liszt dont Marc Blanchet écrit qu’il a su « incarner cette activité de "passeur" si difficile à supposer, et à pratiquer pour bien des artistes. ». Marc qui souligne « le plaisir sans limite du partage » (120).
Il y aura donc 2 noms avec Z proposés par Marc Blanchet dans cette réflexion : Juarroz et Liszt alors que moi-même, le lisant et pensant à mes contemporains créateurs, tous ceux que je connais depuis des années, je pensais à celui qui pour moi est un emblème de la capacité à reconnaître l’œuvre de l’autre, à s’y intéresser, à s’en faire le passeur. Lui aussi, un nom court avec un z !
Ah oui, une claque
Formidable remarque sur le début du Concerto en sol majeur de Ravel : c’est une « claque » dit Marc Blanchet qui s’interroge « une note peut-elle avoir valeur de manifeste ? Et une claque ? » ; « une claque, un coup asséné au silence, et la farandole ravélienne dévale les pentes de l’invisible jusqu’à nous, avec ses instruments en forme d’oiseaux, ses sons changés en arbre, rythmes foisonnants, soupirs des vents, hilarité des cordes. Ravel a compris que la structure musicale est celle désormais d’un surgissement (et de sa disparition), semblable à cet "espace du dedans", selon l’expression chère à Michaux. » (119). Peut-être aurait-il fallu parler aussi du bouleversant second mouvement, adagio assai, cette immense phrase tendue, cet immense oscillation (à écouter par Martha Argerich !)
Pianistes
Il me semble rencontrer de plus en plus chez les jeunes pianistes une tendance à raconter une histoire avec la musique qu’ils jouent. Ils la mettent en quelque sorte en scène. C’est très séduisant, très convaincant, mais est-ce l’essence de la musique ? J’écoute ainsi Arthur Ancelle formidable (de séduction) dans des Sonates de Haydn, d’une vie extraordinaire. Mais ce petit soupçon : est-ce ce qu’on appelle par ailleurs le storytelling, dont on sait que le but ultime est de capter, par tous les moyens, le lecteur, le spectateur, l’auditeur, et pire du temps de cerveau disponible pour la pub ?
Flacon de sels
découvrir cette idée si juste que le concerto en sol de ravel commence par une claque – sentir dans sa main la chaleur de la baguette tout juste achetée et humer son odeur, sans y toucher pour l’instant – découvrir en ville les premiers signaux faibles du printemps dans une mer de gris, une jacinthe blanche en fleur dans une pelouse, un arbre en fleurs – acheter un imagier et des wagons en bois colorés pour un petit garçon très aimé – se confronter à cette pensée étrange qu’il y a deux ans il n’avait pas encore vu le jour alors qu’il imprime déjà une trace vigoureuse dans le monde – voir un verrier souffler de stupéfiantes merveilles de formes et de couleurs et repenser à la phrase de manganelli à propos du verre : « Son sort consiste à être soi-même ou à être éclats et débris » (salons, p.18) – ne pas savoir s’il fait froid ou chaud, si ce sera eau pétillante fraîche ou infusion brûlante.
Part sombre
Il y a chez Marc Blanchet une part très sombre, qui fonde sans doute son acuité exceptionnelle, une part à la fois mystique et alchimiste, comme une connaissance du mal.
Marc qui écrit aussi : « Nous écrivons, ou tentons de le faire, pour rassembler le plus de visages possibles dans notre écriture. » (131). Ce serait aussi cela le Flotoir où peut être, au fil des pages « un peuple à l’allure sombre, claire, pauvre ou magnifique es apparu, qui laisse sur la roche des pages ses inscriptions. »
Un ornement
Une fois encore Marc Blanchet cite Roberto Juarroz : « le visible est un ornement de l’invisible », où je suis presque tentée d’entendre ornement dans son acception musicale, ce qui tourne autour de la note, ce qui la retarde, ce qui détourne l’attention d’elle pour la rendre encore plus essentielle
Et je peux poser, en face, ce beau poème de L’Ultime Thulé de Gérard Cartier : nature est cachée. (p.43). Plus précisément : « Remonter des effets tangibles à des causes abstraites. nature est cachée / Embrasser en aveugle, serait-ce connaître ? »
L’ultime Thulé, Gérard Cartier
Très beau livre que cet Ultime Thulé. Un livre qui parvient à associer, à équilibrer une forme de lyrisme rendu légitime par le caractère d’épopée un peu déglinguée de l’ensemble (la quête folle à la recherche de certaines îles du moine Brendan) et un ton d’épopée rendu parlant par un lyrisme comme rongé par la poésie moderne et contemporaine. De Baudelaire à Venaille, par exemple.
Il y a aussi la capacité devenue très rare aujourd’hui à créer un monde imaginaire. On est très loin ici du storytelling, on est plutôt dans une sorte de brassage assez magistral de la tradition et du contemporain et devant une formidable capacité évocatrice, autour de thèmes qui touchent à l’essence même de l’homme : la quête, la mort, le voyage, la solitude, le retrait par rapport au monde, l’énigme de la mer, de la nuit, mais aussi le corps, ses désirs, ses besoins, sa finitude. La folie de certains, la folie de tous. « Puis mourir au milieu des mers sans laisser / trace aucune les os dispersés par les pluies / les oiseaux le nom orgueilleux qui nous fait / rendu à la tourbe vanité le voyage / vanité les plaisirs et la mélancolie répété / d’âge en âge in aeternum. » (46). Oui cette question sur ceux qui sont ici évoqués, dépeints : « peuvent-ils encore / dissous jusqu’à l’os nous aider à penser / mieux les affres du temps que cagoule et latin » car n’est-ce pas « même folie mêmes / aveugles entreprises poursuivant sous d’autres noms et d’autres couleurs / les mêmes CHIMERES. (48)
→ Comme les moines coincés des mois sur tel ou tel ilot ont pu se demander ce qu’ils faisaient là, l’écrivain semble se demander ce qu’il est venu chercher à la suite de ces errants moyenâgeux, ces « vieilles gens à demi sauvages ».
Oiseaux, encore, avec Gérard Cartier
On trouve aussi dans L’ultime Thulé de somptueuses évocations de la nature et par exemple deux très beaux poèmes sur les oiseaux : « Multitude d’OISEAUX tournoyant dans le vent / visitant les voyageurs comme si l’homme / n’était pas démêlé des ordres animaux / fous de Bassan macareux fulmars boréaux / kakakakaka pluviers de neige / sternes paradis et sur un mât / un oiseau inconnu des Histoires naturelles.
→ fonction de la poésie aussi, sauver les mots ! Reconnaissance à l’auteur pour ce terme Histoire naturelle, remplacé par l’abominable SVT.
Contribution belle au « moment oiseaux » du flotoir.
Musique et invisible
Marc Blanchet : « seule la musique nous place au cœur de l’origine, même si notre cœur bat au dehors. Elle prouve que rien n’existe d’autre que l’invisible » (139)
Et ici le besoin de rendre hommage à Jean-Luc Sarré tout récemment disparu avec cette citation accrochée depuis des mois au-dessus de mon bureau « La musique ressuscite ce qui n’a jamais été. » (in Ainsi les jours, p. 39, à propos de Schubert).
Et pour moi le bonheur de découvrir des pages consacrées à Kurtág, autre habitant du petit pan de mur au-dessus de mon bureau, avec une photo où on le voit à un piano droit, de dos, avec son épouse Marta. Ils jouent une de ses magnifiques transcriptions de Bach ou un de ses Jeux, Jatekok. Kurtág qui disait « Bartok c’est ma langue maternelle », m’apprend Marc Blanchet. (140)
Henri Michaux
Très belles pages aussi sur Michaux, qui « a deux mains au même bras » et qui ne sait « laquelle des deux donnera de l’écriture ou de la peinture ». Ces deux mains qui ne « trouvent sur le chemin de la création qu’un obstacle : un cerveau qui voudrait gouverner à leur place. » (143) « deux mains siamoises [qui] sont comme un second cerveau, opérant de manière plus impulsive, en interaction avec le lieu de nidification originel de la pensée humaine. »
Manganelli
Dans un bel article écrit pour Poezibao, Marc Blanchet propose : « Cette manière de voir dans toute chose la possibilité d’innombrables ramifications rend chacune pertinente voire essentielle. »
→ résonance profonde avec le travail du flotoir !
Et feuilletant de nouveau ce livre de Giorgio Manganelli, Salons, je m’arrête sur les titres ! : La mâture de l’aube, Infrangibles fantômes, Une pulvérulence de psyché, Les lapins de l’angoisse, La terreur des fleurs, Vices gazouillants, Hommes nocturnes, attentes célestes, pour n’en citer que quelques-uns.
Flacons de sel
se souvenir avoir écrit aimer ne rien comprendre à un livre et découvrir ces mots de liliane giraudon, parlant de walter benjamin : Son œuvre avait quelque chose d’un taillis où il n’était pas aisé de dégager quelques traits décisifs le concernant (comment ça t’apaise ou plutôt console de ne pas comprendre) – repenser à la remarque d’alain lance se plaignant que tout le monde dise oualtère benjamin au lieu de valter – (en avoir pris pour son grade toute germanophile que l’on se prétende !) – yeux fermés, laisser la sensation de la lumière du soleil doucement envahir le visage – découvrir une page d’agenda libre de tout rendez-vous – échouer, rater, louper et toujours recommencer : « plus ça rate plus on a de chances que ça marche » disaient les shadocks. – râler parce que shadocks est bien dans le correcteur orthographique du traitement de texte mais tant d’autres, essentiels, pas –
Nommer est un mystère, Marc Blanchet
Marc Blanchet part d’un poème d’Herberto Helder, « Source », dont il donne le début : « Elle est la source. / Je peux savoir qu’elle est/ la grande source / à laquelle tous ont pensé. Quand dans le champ / on cherchait le trèfle, ou qu’en silence / on attendait la nuit, / ou qu’on entendait quelque part dans la paix de la terre / l’ourdir du temps - / chacun pensait à la source. C’était un jaillissement secret et pacifique. / Une chose miraculeuse qui arrivait /de façon occulte. » (cité p.145)
De ce début de poème, il explique qu’il le ressent « à chaque fois comme une introduction presque "décisive" à la poésie, et la manière dont celle-ci a été pour [lui] un révélateur en agissant d’abord de manière incompréhensible sur [sa] conscience. » (p.146) puis il écrit : « La seul chose que j’ai peut-être apprise de la poésie (...) c’est que nommer est un mystère, et que cette nomination attire à soi, par la mémoire, un peuple dont la fraternité est questionnée, comme remise en jeu, un peuple né des mêmes racines que les nôtres, que l’écrivain tente de rejoindre par la langue dans l’espoir d’une fondation nouvelle. »
Le cours de Pise
J’ouvre le fort volume intitulé Le Cours de Pise, d’Emmanuel Hocquard, reflet d’un cours réellement dispensé à des élèves de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux entre 1993 et 2005. Il y donne ce qu’il appelle des « leçons de grammaire » dans le cadre d’un atelier de recherche et de création intitulé Procédure, Image, Son, Ecriture (d’où le PISE ! mais bien sûr on ne peut s’empêcher de mettre tout cela sous l’aile de la tour penchée).
Au début du cours, il se penche avec ses élèves sur deux thèmes, le discontinu dans la narration, dont il dit qu’il est déjà très présent dans les autres arts, cinéma en particulier mais si difficile à mettre en œuvre dans le texte littéraire. Et la traduction, au sens le plus large, passage d’une forme d’expérience ou de représentation à une autre.
Emmanuel Hocquard qui fait cette belle remarque aux étudiants : « Je ne suis pas là pour vous apprendre à écrire. Vous savez tous écrire. Trop bien écrire. Je suis plutôt ici pour vous désapprendre à écrire. » (p.33)
→ j’avais fait un lapsus calami et noté « vous apprendre à désécrire ». Oui souvent à l’origine d’une écriture en train de se former, il y a une trop bonne écriture, brillante, qui se regarde écrire. Et il va falloir pour trouver sa voix propre se détacher de tous ces réflexes conditionnés créés par le système éducatif, de l’enfance aux études plus ou moins prestigieuses.
Charles Koechlin
Lisant j’écoute Les Heures persanes de Charles Koechlin dont Marc Blanchet me dit qu’il est en train d’écrire à leur sujet.
Koechlin, la caravane, sieste dans le désert, une basse discrète et « ostinée » et une mélodie comme partiellement désagrégée.
Les séries discrètes
À propos de la question du discontinu dans la narration, Emmanuel Hocquard invoque la notion mathématique de série discrète, elle-même mise en avant par Georges Oppen dans son livre intitulé Discrete Series : « une série mathématique pure est une série dans laquelle chaque terme est tiré du précédent au moyen d’une règle. Une série discrète est une série de termes dont chacun est empiriquement tiré du précédent. » (Oppen, cité p.34), Oppen qui poursuit en expliquant qu’il essayait « de construire un sens au moyen d’affirmations empiriques autonomes ». Et Hocquard lui, de poser la question essentielle, à savoir comment justifier une organisation logique discontinue (il prend soin de préciser que cela n’a rien à voir avec les « associations libres » des Surréalistes).
La sincérité
Et là il met en avant une notion qui me semble essentielle et surtout très éclairante, la question de la sincérité, qu’il dit emprunter, cette fois, à Louis Zukofsky. Il précise que cela n’a rien à voir avec la morale mais qu’il s’agit de « cette qualité d’évidence, propre à chacun, sans qu’il puisse pour autant justifier sa démarcher à partir de critères extérieurs, préalablement connus ou reconnus. » (p.35)
→ Serait-ce que parfois je « sens » dans une œuvre et qui la justifie à mes yeux. Que je ne trouve pas dans une autre et qui fait qu’elle n’est pas « justifiée » pour moi. Qu’elle n’est pas nécessaire ?
Une expérience sonore
J’écoute encore Les Heures persanes de Charles Koechlin. Je les écoute d’abord à partir de ma tablette, collée contre moi qui lis, à mon côté gauche, celui de la bonne oreille. La musique me « touche ». Puis je branche la tablette sur la chaîne Hi-fi, elle s’éloigne. Je suis comme dépossédée d’elle.
Flacon de sels, avec quelques grains de poivre
aimer penser avec emmanuel hocquard la langue française « comme une langue palimpseste où les mots sont surchargés de références et de sens multiples, parfois contradictoires – lire une fois encore qu’en europe, 75 à 80% des insectes volants ont disparu en l’espace de seulement trois décennies – voir les premiers forsythias éclater de jaune – observer trois très jeunes enfants découvrir la croche, la noire et la blanche – lire le cours de pise d’emmanuel hocquard, les amis secrets de marc blanchet et l’ultime thulé de gérard cartier et les entendre dialoguer en soi – retrouver dans un livre le coupon d’entrée du musée gutenberg à mayence : « erwachsene, 04.09.2015 » ; « weltmuseum der druchkunst » en pleine lecture des pages consacrées par emmanuel hocquard à son aventure éditoriale d’orange export ltd – être choquée de voir le nom de brunhoff écrit à deux reprises sans h (alors que résonne la triple trahison de pierre mise en musique par bach) – serrer sur son cœur une fois de plus babar et la vieille dame.
De la grammaire
Emmanuel Hocquard souligne le côté extraordinairement contraignant et rigide de l’apprentissage de la langue. « On dit une leçon de grammaire comme on dit une leçon de morale » (p.59) insistant aussi sur le fait que « la phrase n’est pas seulement cette façon d’organiser le langage, elle est une façon d’organiser la pensée, dans les frontières qu’elle impose. » (p.59)
→ c’est pourquoi on ne pense pas de la même manière dans les différentes langues. C’est pourquoi essayer de penser musicalement, mathématiquement, allemand, est important. Fut-ce en transcriptions tordues.
Puissance de la lecture
Lisant Hocquard sur la frontière, être instantanément en communication intérieure avec une situation vécue la veille où la voiture a emprunté un cul-de-sac, le bien nommé. Le demi-tour dans le cul-de-sac ne va pas de soi.
Se désaccoutumer
« Louis Zukofsky a écrit : "L’essentiel est de se désaccoutumer." Zukofsky était un poète. Dans une certaine mesure, les seules avancées notables qu’a connues le langage ont été le fait des poètes. » (p.64)
Emmanuel Hocquard qui dit que « depuis un demi-siècle, [il] travaille à inventer des connexions autres que celles qu’on [lui] a apprises. » (p.66)
Des caractères
Ou de la police (pourquoi a-t-on donné ce nom à la fois aux forces chargées du maintien de l’ordre et aux familles de caractères typographiques ?). Amusante lettre où Emmanuel Hocquard explique à une étudiante pourquoi il leur demande de rédiger tous leurs travaux en Times. Il a besoin, dit-il, d’un caractère « neutre » (il le qualifie même de « nul ») « pour voir monter les différences de pensées des uns et des autres, ajoutant que toute "fantaisie" formelle brouillerait la lecture parce qu’elle déguiserait la pensée ». Et puis il explique à son interlocutrice son recours au Garamond du temps qu’il était éditeur : « Le Garamond est le caractère littéraire par excellence depuis François 1er. Il poursuit : « Ma maison d’édition était une maison d’édition de littérature d’avant-garde. (...) J’avais choisi le Garamond, le caractère le plus classique (celui dans lequel sont encore imprimés tous les livres de la Pléiade), pour signifier que tous les livres écrits en français sont contemporains les uns des autres, que Montaigne et Claude Royet-Journoud sont contemporains et sont des contemporains dans la langue, alors que pour une maison d’édition d’avant-garde, j’aurais pu choisir une typographie d’avant-garde. Et, justement, je ne l’ai pas fait. » (p.73).
→ dans mes carnets j’utilise le flotroc, un caractère brouillon, peu stable, mais praticable en toutes circonstances, du bistrot à la couette, un caractère à usage personnel soigneusement transcrit ensuite en Garamond, un Garamond un peu particulier toutefois parce qu’avec un espace un peu « étendu » entre les lettres. Le Garamond des trois sites, celui des courriels. Et je rêve devant les carnets magnifiques si bien « écrits » de Liliane Giraudon ou de Jean-Michel Maulpoix. Les miens sont moches, de vrais « torchons », mais je suis parvenue à les rédiger bien plus librement le jour tardif dans ma vie où j’ai enfin renoncé à ce qu’ils soient beaux. Et où j’ai adopté le crayon à papier, en pensant peut-être aux fascinants microgrammes de Robert Walser. (le nom de "microgrammes" n’est pas employé par Walser lui-même, qui parle dans sa correspondance (en trois occurrences seulement) de "crayonnure" ou de "méthode du crayon" dans un contexte où il fait état d’une douleur physique et mentale à laquelle il impute son abandon de l’écriture à la plume vers les années 1917-1919
Flacon de sels (avec quelques grains de poivre)
ressentir une impression d’enlisement à la lecture à voix haute d’un mauvais livre dans une édition de poche mal soignée – éprouver un grand sentiment de fatigue qui est en vérité un lâcher-prise – sentir ce crépitement de feu de bois, parfois, en lisant ou recopiant un texte, feu des réminiscences liées aux mots lus, aux sensations, aux situations évoquées – éprouver un frisson en lisant ivan jablonka évoquer la nuit où l’idée de son livre [en camping-car] lui est venue
Purs pluriel et dehors, Pascal Quignard
« Reste, seule, et indéfectible, la métamorphose de l’écrit en livre : purs pluriel et dehors (...) les lecteurs ne sont pas un nombre. Ils sont les autres. Tout autre : purs pluriel et dehors. » (p.84) Voilà ce que dit Pascal Quignard à propos des minuscules « tirages » d’Orange Export Ltd.
Quand tu écris jardin, Emmanuel Hocquard
« Quand tu écris jardin, est-ce que tu penses à un jardin en particulier, à un vrai jardin, ou bien ce jardin est-il un jardin imaginaire, un jardin en général, un jardin idéal, une idée de jardin, un jardin de rêve, etc. ? ». Ainsi Hocquard s’adresse-t-il à une de ses étudiantes et il développe : « Si c’est un jardin imaginaire ou, pire, métaphorique, ça ne peut que sonner faux. Tu vends du toc, tu invites à partager un fantasme. » (p.95)
→ si souvent, ouvrant un recueil de poèmes, cette impression qu’on me donne du toc. De la pacotille, des mots qui ne sont là que des grosses perles vulgaires, brillantes. Que la sincérité (voir ci-dessus, acception de Zukofsky, reprise par Hocquard) est absente. Que ce ne sont que singeries, leurres. Hocquard dénonce aussi l’usage des « gros » mots, tels « fiction » ou « imaginaire ».
Une fonction thérapeutique ?
Emmanuel Hocquard à un étudiant : « Je veux bien croire qu'écrire puisse aussi avoir parfois une fonction "thérapeutique". Écrire les choses pour les "faire sortir de soi", comme on dit, peut parfois être utile. Ça permet de prendre un peu de distance. Tu représentes les choses et tu affrontes leur représentation, comme Persée affronte Méduse dans le reflet de son bouclier. C'est l'écriture-miroir. "Ce que j'écris est le miroir dans lequel je vois ma propre pensée et par le secours duquel je peux la redresser." (Wittgenstein). Mimesis-catharsis. Mais cela suppose de l'honnêteté et de la vigilance, parce que le danger de l'écriture comme miroir, si tu n'y prends pas garde, ça peut être aussi de t'engager dans un tourbillon de narcissisme complaisant. Je suppose que c'est ce qui se produit, dans la plupart des cas, quand on tient un journal intime — chose que je n'ai jamais faite parce que le format journal intime m'a toujours paru très ambigu. Quoi qu'il en soit, l'écriture-miroir c'est quelque chose qui se passe entre soi et soi et qui n’appelle pas nécessairement de partage. » (p.96)
Idiot
Le mot idiot et son évolution. Il voulait dire à l’origine singulier, il signifie aujourd’hui crétin. Est-ce à dire que si l’on est singulier, on est crétin ? Se souvenir de l’idiot musical (selon André Hirt), alias Glenn Gould. Même chose, dit Hocquard pour infâme, qui à l’origine voulait dire inconnu, infamis, sans renommée (fama) et qui a pris très tôt le sens de « qui inspire dégoût ». Wittgenstein, dit encore Hocquard notait qu’il « faut parfois retirer de la langue une expression et la donner à nettoyer – pour pouvoir ensuite la remettre en circulation ». Mais cela implique d’avoir un poids minimum sur le cours des choses de la langue, or c’est rarement l’écrivain ou le poète qui détient ce pouvoir, mais bien plus les média, qui n’en n’ont que faire. Hocquard souligne d’ailleurs très justement que l’infléchissement de la signification des mots « va généralement dans le même sens, celui de la soumission à l’ordre politique et moral, qui se traduit toujours par des jugements (...) toujours la machine binaire à l’œuvre sur la ligne dure, qui découpe et surcode les personnes comme les sociétés. » (p.106)
Littérature et pratique
Retour à Marc Blanchet et à ses Amis secrets dont certains sont les miens ou deviennent et deviendront les miens de l’avoir lu.
Il en vient à se pencher sur Thoreau, l’homme de Walden, mais aussi, on le sait peut-être moins, l’homme de Cape Cod, ce long appendice du Massachussetts qu’il a arpenté longuement, exploration qu’il décrit dans le livre Cape Cod, paru en 1865.
Marc Blanchet a cette belle remarque sur une forme d’obsolescence qui touchent les livres : « Ainsi, d’année en année, de beaux livres s’effondrent-ils pour n’avoir finalement été que narration sans véritable Parole, beauté jurée en public mais jamais partagée, singularité sans véritable abîme ». Ici, peut-être, retrouve-t-on la notion de sincérité de Zukofsky ? Oui livres beaux, brillants mais qui ne sont peut-être que surface, qui sont sans fond, ce double, ce triple, ce quadruple fond qui fait les grands livres et leur capacité à se régénérer de génération en génération ?
Cette idée aussi, alors qu’il évoque la marche à pied -Thoreau fut un infatigable marcheur, un arpenteur hors-pair-, que la littérature serait un art qui demande pratique. Pas un art en chambre, donc, pas l’exploration d’un jardin imaginaire (Hocquard) mais la confrontation à un vrai jardin, fût-il enfoui dans les profondeurs de la mémoire.
Nommer, Thoreau
« Nommer ? Comme le fait le poète qui, au-delà de la signification, retrouve l’usage primitif des mots, celui de l’étonnement et de la stupeur, une nomination qui révèle dans d’infimes combinaisons l’architecture du monde. » (p.162). Thoreau, dit encore Marc Blanchet, n’envisage jamais son journal « comme un exercice littéraire, l’objet d’une vie curieuse en instance de devenir une référence culturelle (le vain mot). Il y consigne un émerveillement, parfois un doute, et surtout envisage cette forme d’écriture comme le lieu idéal où l’homme, tel un enfant, garde précieusement ses découvertes. » (p.165)
→ sans doute le flotoir, mutatis mutandis, une même démarche, serrer ses gloses, mais surtout ses découvertes, ces citations multiples, ces fragments arrachés aux livres, ces musiques écoutées et aimées, ces rencontres, ces moments, tous ces émerveillements, enthousiasmes et emballements dont on ne sait que trop que la mémoire, en traître (ou amie ?) qu’elle est souvent, ne gardera pas trace si l’on ne se donne le mal de les « mettre de côté », de les engranger, les réserver, quelque part. Cet effroi et ce réconfort en lisant des notes prises il y a quelques mois de voir déjà oublié, presqu’effacé, tel livre mais aussi de le savoir toujours prêt à se réincarner, grâce à ces mots-là.
Le savoir qui gronde, Marc Blanchet
Très belle idée de Marc Blanchet (p.179) que celle du savoir qui « gronde » autour des œuvres célèbres (ici La Divine Comédie). Et qui, comme tout ce qui gronde, est de nature à éloigner celui qui passe, surtout s’il est innocent. L’œuvre célèbre devient un monument, comme tel elle intimide et rebute. Il faudrait pouvoir l’aborder naïvement, presqu’anonymement. Chacun à notre tour. Quitte à en venir, ensuite, à ce savoir qui ne fait pas que gronder et parfois éclaire !
Abîmes de perception
« Alors que Le Mont analogue continue de s’élever quelque part, avec l’immuabilité des choses que le hasard préserve, je réalise – avec le temps, cet autre bâtisseur – que ma fascination pour les récits de Borges a ravivé d’une autre manière l’enfance et ses abîmes de perception. » (p.181)
Ce cours…
Ce Cours de Pise est un vrai régal, très vivant, souvent très drôle. Ainsi cette merveilleuse anecdote, alors que E. Hocquard et ses élèves réfléchissent sur la déformation des mots : « Paul Morand, dans Londres, raconte que le nom de la station de métro Elephant & Castle provient de la déformation phonétique d’Infante de Castille. Du coup il y a la statue de l’éléphant surmonté d’un château. » (107)
Écrire de la poésie ?
« A un moment ou à un autre de notre vie, nous désirons tous écrire de la poésie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la poésie. »
→ remarque éminemment importante ! La poésie ne consiste pas à « s’exprimer », à dire sa souffrance, son déchirement, son ou ses amours. Toute LAUJP (Lettre à un jeune…) devrait s’ouvrir sur cette mise en garde.
De l’ordinateur
Étonnant sous cette plume-là : « Si vous le pouvez, écrivez directement sur votre ordinateur. Il a infiniment plus de souplesse que votre écriture manuelle, tout en possédant les mêmes caractéristiques, contrairement à la machine à écrire de naguère. Il vous permet de voir sur le champ votre pensée avec plus de distance et de clarté. "Que voyez-vous en regardant votre langage ?" Clark Coolidge. » (144)
Et E. Hocquard de faire, il le fait souvent, un petit topo sur ce poète qu’il cite plusieurs fois dans cette page, Clark Coolidge : « Il a écrit de nombreux livres, dont l’extraordinaire Texte du cristal, d’où sont extraites ces citations. Il s’agit d’un poème très dense, de cent cinquante pages, écrit à partir d’un bloc de quartz qu’il avait sur son bureau. »
Et dans cette même page, il rapproche deux citations, l’une de Joe Bousquet : « je te le dis afin de l’apprendre moi-même » et l’autre, de nouveau, de Coolidge : « Ce que je vous dis, c’est de vous que je l’ai appris. »
→ ce serait un de mes rêves mais qui supposerait une magnifique banque de données et surtout que celle-ci soit en partie en mémoire et déjà très organisée et articulée : rapprocher des citations d’auteurs différents sur un même sujet. Parfois les hasards de la lecture le permettent et tout le flotoir fonctionne un peu sur ce principe.
Dans ces pages, E. Hocquard réfléchit sur le destinataire et sur le fait que grâce à ce destinataire « quelque chose qui est en attente peut se mettre en mouvement et circuler ». Il suffit de songer aux lettres que nous écrivons, à ces réponses que nous construisons au sein d’une discussion, d’un échange ou face à une demande précise. Le destinataire nous permet de sortir de nous quelque chose qui était sans doute latent mais inexprimé. Écrire, ce serait cela aussi, mais Hocquard n’aime pas l’idée d’un lecteur général, abstrait.
Et ce qui est très drôle aussi c’est que le « cours », essentiellement ici des courriels, est parsemé de remarques sur l’orthographe, la ponctuation, le mauvais usage de certains mots ! « Si vous voulez éviter de me rendre extrêmement nerveux, n’employez jamais en ma présence le mode subjonctif après après que. » ! (146)
La boîte à outils
« Tenez vos notions en réserve dans votre boîte à outils. S'il vient à vous manquer un outil dont vous avez besoin, procurez-vous-le auprès des distributeurs agréés : livres, textes et surtout professeurs, qui sont là pour ça. Si l'outil nécessaire n'est pas disponible en magasin ou s'il n'existe pas, alors fabriquez-le. Les anecdotes sont ces sortes d'outils que vous fabriquerez à partir de vos expériences privées. » (149) Puis de citer, une fois encore, Wittgenstein : « J'ai souvent comparé le langage à une caisse à outils contenant marteau, ciseau, allumettes, clous, vis et colle. Ce n'est pas par hasard que toutes ces choses ont été mises ensemble — mais il y a des différences importantes entre les différents outils ; leurs divers emplois ont un air de famille — bien que rien ne puisse être plus différent qu'un ciseau et de la colle. Les tours nouveaux que nous joue le langage chaque fois que nous abordons un nouveau domaine sont une surprise perpétuelle. » (Wittgenstein.)
Les fleurs japonaises
Et il me faut serrer ici, avec amour, ce passage magnifique que j’ai déjà recopié pour les « Notes sur la création » de Poezibao ! Emmanuel Hocquard raconte que dans son enfance « on trouvait chez les marchands de jouets des fleurs japonaises en boîtes. C'étaient de petites boîtes rondes en carton, de la taille des boîtes de cachous, mais un petit peu plus profondes. Ces boîtes contenaient des boulettes de papier grisâtres, toutes à peu près identiques. Le jeu consistait à en jeter quelques-unes dans une assiette creuse ou un bol remplis d'eau. Les boulettes, qui flottaient à la surface de l'eau, mettaient un certain temps à s'ouvrir. Les unes s'ouvraient plus lentement que les autres. Au terme du processus, les boulettes grises se trouvaient transformées en fleurs de papier plates qui étalaient leurs pétales, peints de différentes couleurs et de motifs délicats, à la surface de l'eau. J'ai souvent comparé à ces fleurs japonaises le processus par lequel une idée passe de l'état de boulette grise à celui de fleur en papier dépliée. Écrire implique un déploiement du même ordre. On pourrait ici forger le néologisme dépliement, ou parler d'explication au sens où Mallarmé parlait d'expliquer (déplier, ouvrir) un éventail. Quand je vous dis que vous savez tous écrire, c'est cela que je veux dire. Toutes vos boulettes grises sont là, qui ne demandent qu'à s'ouvrir. Mais pour cela il faut du temps, votre temps, de la concentration, de la vigilance et le plus de précision possible. » (151)
A rapprocher de Proust : « *Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela que prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »
Ce passe-temps existe toujours au Japon où il s’appelle « suichuka » (水中花).
(source)
Antoine Emaz
Cité par Sophie G. Lucas, in Assommons les poètes, ce très beau poème, tellement émazien : « pensée en rade / ancrée / dans l’après-midi bleu // ni désir ni élan / aucune envie de radio ou de livre / juste être là / d’aplomb dans le temps / presqu’arbre//tout est en place / et le corps chose parmi les choses/ pas davantage //la lumière rebondit doucement : entre salbes volets e feuilles / on la regarde jouer » (Rien, l’été, La Porte, 2010)
In fine
Et voici le temps de la conclusion de Marc Blanchet, la fin (provisoire on peut l’espérer) de sa méditation magnifique sur les amis secrets : « La vertu première n'est donc pas une obéissance béate à Dieu mais la construction de soi, l'humilité et le retrait qui l'accompagnent. Pour désigner les auteurs anciens, grecs et latins, qui le fascinent et qui, plus vivants que fantômes, se penchent sur son règne d'écriture, Pétrarque a une expression précise : les amis secrets. Il l'écrit en plusieurs textes comme la formule heureuse pour parler de ces morts éternels, qu'il espère rejoindre dans quelque paradis — ou champs-élysées. C'est là son souhait et sa prétention : il s'emploie presque désespérément à égaler leur force en faisant l'éloge de leurs vertus. C'est maintenant lui qui me guide pour nommer respectueusement, mais pas sans ironie ni recul, ces amis secrets — nombre d'entre eux étant encore vivants — qui ont façonné la présente main à écrire. » (195)
Poème, Valérie Rouzeau, Antoine Emaz
Très belle note de lecture d’Antoine Emaz sur le livre de Valérie Rouzeau, Sens averse, dont j’extraie la chute : « Dans sa richesse, l’écriture de Rouzeau nous rappelle que le poème est affaire de technique, de maîtrise des choix, de travail sur la langue, d’invention et de dette historique. Mais on aurait tort de considérer ce livre comme un exercice de style, un jeu gratuit ou de pure forme. Le poème est aussi, et d’abord, moyen de se colleter au réel, de le rendre un peu plus respirable et de s’en sortir sans être écrasé par lui. Une sorte de « parade », si on veut, plus ou moins « sauvage », mais dont la poète nous laisse toujours ici la « clé ».
La petite langue, Emmanuel Hocquard
Comme beaucoup d’autres écrivains, Emmanuel Hocquard a un rapport complexe avec la langue et en particulier la langue d’origine. Il explique que l’on parlait chez lui la « petite langue ». Chez lui, en effet « avait cours une petite langue de tous les jours bien accordée aux objets et aux gens. Une petite langue concrète dont chaque mot servait à nommer une chose ou une personne existante : la couturière, le puits, le chat, le jeu de l’oie, le cartable, le mûrier… Une langue pauvre dans sa précision, économe d’adjectifs, d’adverbes, d’images et de métaphores. (...) Tout ce qui ne relevait pas de l’indispensable commerce des mots était abandonné au contact brut, sans langage, avec la réalité des choses elles-mêmes ; l’émerveillement ou la peur sans nom » (171). Et c’est dans ce contexte que va se produire le choc de l’école, qui semble poursuivre encore l’écrivain à l’époque de son cours de Pise, puisqu’il prend souvent son premier manuel de lecture comme une sorte de contre-exemple, de repoussoir. « Passé la grille du jardin, tout changeait. A l’école, il fut évident, dès le début, qu’en dépit de similitudes superficielles, il ne s’agissait plus de la même langue. Régie par des lois écrites et abstraites, celle-ci tirait sa pertinence et son autorité des livres. (...) J’ai appris à lire et à écrire le français dans les salles de classe comme une langue étrangère ou une langue morte (...) Quand la petite langue du début a eu complètement disparu de ma vie en même temps que le petit garçon de la photographie, je me suis retrouvé longtemps sans langue. Entre deux langues : l’éteinte et l’empruntée. Avec l’énigme des choses et cette langue générale comme une chose, comme une énigme. »
→ autrement dit dans une situation faite pour donner naissance à un poète. Je pense à Claude Vigée, en lisant ces mots, à Hélène Cixous aussi. Ces écrivains qui ont vécu dans plusieurs langues, très tôt, langues non démêlées, langues alternant dans les différents milieux de vie, maison ou école.
Langue encore
Peut-être comprend-t-on mieux alors la passion d’Hocquard pour la langue, cette manière qu’il a d’en explorer les aspects les plus divers, tel que cela se manifeste dans ces travaux avec les étudiants des Beaux-Arts. Il écrit que « le langage ordinaire (...) est un passionnant terrain d’observation et d’expérimentation de la pensée. » (176)
Flacon de sels
aller à la librairie et choisir trois livres, deux à offrir, un à s’offrir – taire lequel – décider de ne plus utiliser le mot bouleversant qui se répand partout comme du ketchup, aussi artificiel que la dite sauce et même si on est vraiment bouleversé – déguster le cours de pise avec une âme d’étudiante (inter-âges ?) – entendre à quelques mètres un magnifique chant d’oiseau et se hasarder à l’attribuer à la grive musicienne – être déstabilisée par un visage connu qui n’est pas dans son cadre (portrait descendu de sa toile) et retrouver, après deux ans d’absence du quartier, le si gentil employé du franprix, disparu du jour au lendemain, sous la blouse du « primeurs » - découvrir que la symphonie la poule de haydn, que l’on se refuse à affubler de ce nom idiot, est merveilleusement entraînante pour dérouiller les membres encore engourdis de nuit – voir arriver par l’ouest des grains spectaculaire –
Aleš Šteger
En vue de la préparation d’un entretien avec Guillaume Métayer, qui en est le traducteur, je lis un article d’Olivier Barbarant sur Le Livre des choses du poète slovène, paru chez Circé en 2017. Olivier Barbarant écrit à la fin de son article qu’il s’agit d’un « très grand livre, de ceux capables de retrousser le visible, et de retresser un rapport au monde », ce qui est considérable. (Olivier Barbarant, « Les quatre vents de la poésie. Que les mots éclatent entre tes dents. Aleš Šteger », Europe, n° 1068, avril 2018, p. 323-328)
Une belle consigne
D’Emmanuel Hocquard à ses étudiants des Beaux-Arts : « Pour le moment, la seule chose que je vous demande d'essayer d'avoir présente à l'esprit est que lorsque vous écrivez, lorsque vous coulez votre pensée dans des phrases, il n'y a là rien de naturel. Vous ne faites qu'appliquer aveuglément des règles que vous avez apprises. Vous ne faites que suivre, même si c'est "à l'insu de votre plein gré", une procédure. Avoir cela présent à l'esprit fait une grande différence. Si vous êtes bien conscients de cela, si vous parvenez à voir vos phrases comme des produits d'un système formel, vous avez fait un immense pas en avant. Et vous pouvez alors jouer beaucoup plus aisément avec votre langage ordinaire (parlé ou écrit) » (Le Cours de Pise, 178)
Notre manière de penser
« Notre façon de penser (et, partant, de vivre) est incessamment confrontée à ces découpages illogiques qui (nous) segmentent sur le mode binaire, dichotomique, manichéen : oui/non ; blanc/noir ; homme/femme ; jeune/vieux ; c’est bien / c’est mal ; c’est beau / c’est laid ; c’est vrai / c’est faux ; le travail/les loisirs ; etc.(...) nous n’arrêtons pas de différencier en opposant une chose à son contraire, une valeur à une autre. » (180).
→ toujours bon de remettre cela au centre de la réflexion. Dans tous les domaines.
Si seulement
« Si seulement vous n’essayez pas d’exprimer l’inexprimable, alors rien n’est perdu. Mais l’inexprimable sera – inexprimablement- contenu dans l’exprimé. » (Wittgenstein, cité p. 193)
Emmanuel Hocquard s’appuie continuellement sur Wittgenstein.
Il dit en fait avoir cinq détectives : « Sur les murs de mon bureau, j’ai accroché ma galerie de portraits des grands détectives du siècle. Ils sont, pour le moment, au nombre de cinq ». Et de citer Deleuze, Wittgenstein, Reznikoff, Gertrude Stein et Raymond Chandler. (199)
Quels seraient mes détectives ? Je pense à Valéry et Benjamin, dont les portraits sont bien au-dessus de mon bureau, mais aussi à Michaux. Roubaud, Cixous & Quignard, sans doute aussi.
Un petit cours de poésie
Emmanuel Hocquard développe ensuite, à l’intention de ses élèves, un vrai cours sur l’objectivisme (un peu sur l’imagisme aussi) : « la poésie objectiviste est peut-être la réponse la plus intransigeante à tous les avatars du romantisme. » (207)
Lire
Etrange comme on peut changer d’état – physique et mental- en changeant de livre, simplement. Je quitte un livre qui me déplaît profondément et je reprends mon Cours de Pise. Tout change en moi.
Connecter, faire des connexions
Emmanuel Hocquard s’interroge sur la notion de connexion : « Faire une connexion entre des notions, ce n'est pas les enchaîner comme des propositions à l'intérieur d'une phrase ni comme des dominos. Ce n'est pas davantage les arrimer ni les fixer comme des pièces détachées que l'on assemble de telle façon (et pas d'une autre). Une connexion se fait de telle manière, comme elle aurait aussi bien pu se faire d'une tout autre manière. Les connexions sont discrètes (discontinues). Les connexions sont concrètes. Une connexion est souvent une surprise. Une connexion est souvent unique (idiote). Elle est aussi souvent (une affirmation) provisoire. (...) Une connexion est ce genre de configuration où soudain, quelque chose d'imprévisible (se) passe entre deux choses. » (235)
→ j’aimerais penser le flotoir comme un immense réservoir de connexions : « une connexion n’est pas un enchaînement, mais une rencontre à distance entre deux choses que l’on rapproche parce qu’on le "ressent" ainsi (...) Je veux dire qu’il n’est pas utile d’établir entre les choses des relations de cause à effet. Ça se serait une explication. Or je serais tout à fait incapable d’expliquer ce que sont ces "fils intérieurs". Tout ce que je peux en dire c’est que ce sont de vrais fils, pas une métaphore qui renverrait à un réseau de connexions cachées, par exemple. » (236)
Trop à citer
On serait tenté d’extraire et de citer de multiples passages de ce livre d’Emmanuel Hocquard. Partout des remarques, des idées, des notions qui sont utiles au lecteur et à l’écrivain. Mais le flotoir n’est pas le cours de Pise, il faut se retenir de donner trop d’extraits, choisir ceux qui sont les plus pertinents, en pensant peut-être à cette idée de connexion. Et garder surtout le livre amplement souligné et annoté à portée de main, quand il sera fini. On peut le ranger parmi ceux qu’on appelle « Usuels » dans une bibliothèque ! Je relève pourtant encore : « Les deux mots (tombe et miroir) sont tellement chargés de connotations qu’il est difficile de les employer sans qu’ils produisent des harmoniques imprécises, métaphoriques ». (256). On pourrait faire une enquête auprès des poètes pour leur demander de lister quelques-uns des mots qu’ils pensent ne plus pouvoir utiliser, en raison de ce que « la poésie est pavée de tombes et de miroirs » ! Retenir aussi cette idée d’harmoniques imprécises.
Cartes postales
Et voici qu’Hocquard rejoint Michel Butor et Herta Müller comme fabricant de cartes postales : « tous les jours, je fabrique, avec des photos trouvées dans la presse new-yorkaise, de fausses cartes postales de New York qui montrent ce que de vrais New-Yorkais ont vu dans leurs journaux. Mes recadrages sont comme des poèmes faits à partir de proses. (259)
De l’anthologie et de la furor !
Il développe une réflexion autour de l’anthologie, en partant d’une exposition de peinture vue au Whitney Museum, second volet d’une exposition consacrée à l’art des Etats-Unis au XXème siècle, et qui porte sur la période 1950 à 2000. Il montre les inconvénients de l’anthologie : « lorsque l’on veut tout montrer, finalement on ne montre rien » et surtout le côté échantillonnage, le plus de monde possible, mais avec très peu de chose pour chacun. Mais ce qu’il reproche à l’exposition (et le lecteur se demande s’il doit le reprocher à toute anthologie) c’est cette impression que tout a été mis en œuvre pour imposer un type de démonstration. « Tout est verrouillé. Tout est muséifié ». Autrement dit ce qui est retenu là, c’est le bon, ce qui n’est pas là, c’est ce qui n’en vaut pas la peine. Et pragmatiquement Hocquard d’en déduire qu’il ne pourra jamais enseigner la littérature car il sait par expérience « que les choses ne se passent pas du tout comme elles sont relatées dans les livres d’histoire littéraire et les manuels scolaires. » (260). C’est que, écrit-il, les choses « ne procèdent jamais par générations linéaires arborescentes, avec leurs origines et leurs descendances bien ordonnées, mais par juxtaposition, malentendus, attirance, répulsions, contamination, ruptures, sauts, glissements, empiètements trahisons, chevauchements… Par affects, par furor. Les grandes ruptures, les vraies ruptures se produisent en marge. » (261). Et de conclure : « L’Histoire de la littérature est un agencement de mots d’ordre. »
→ et le lecteur de se dire intérieurement « Aïe » !
L’Ultime Thulé
Avant-dernier chapitre de L’ultime Thulé de Gérard Cartier, livre de mer et de rêves. Et bien plus. Nombreuses formes pour les 60 poèmes, comme autant de cases du Jeu de l’Oie (il y a, très concrètement, un Jeu de l’Oie dans le livre et ce dernier incite tellement à la relecture, chose rarissime, que l’on pourrait bien le relire en jouant le jeu du Jeu de l’Oie !). Toujours l’errance du moine Brendan et de ses compagnons, en quête des îles les plus isolées, les plus septentrionales aussi, mers d’Ecosse, de Norvège et jusqu’à l’ultime Thulé. Quête initiatrice et en même temps absurde, sans raison. Une confrontation du moine, mais aussi du poète, avec le sens, avec les confins, avec la solitude, avec la mort.
Flacon de sels
plonger le nez à la commissure des pages intérieures du livre, un bon arléa, et humer l’odeur si particulière, encre, papier, colle peut-être ? – penser à la liseuse, certes sans odeur mais qui offre tout son proust sous son tout petit volume si facile à transporter – se souvenir de la peur profonde, enfant, de manquer de livres pendant les vacances, de valises importables et d’occupation à soi seule d’une part importante du coffre de la voiture familiale – passer dix minutes à écouter le merle, posé sur le bâti en bois d’une terrasse fleurie juste en contrebas et qui chante le crépuscule à tue-tête – plonger dans le regard d’une petite fille très aimée – reprendre les photos de 2017 pour composer le livre annuel – se lancer dans de nouvelles compétences en informatique et réussir – buter sur une séquence logique (trop logique !) et s’en remettre au « pif » rebaptisé intuition – faire la queue dix minutes à la boulangerie, sans merle cette fois et se régaler des odeurs, des conversations, du ballet de l’équipe tout en dégustant des yeux plusieurs gâteaux – retirer un petit reste de terre des tiges des tulipes sauvages jaunes avant de les plonger dans l’eau du vase – commencer un nouveau livre.
Ses grands-parents
J’ouvre Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka après avoir lu En camping-car à haute voix et avec tant de bonheur avec M. A l’orée de son livre il s’interroge sur une lettre écrite à ses grands-parents, ceux qu’il a eus, quand il avait huit ans et et se demande s’il cette lettre témoigne d’une « vocation d’historien ou de la résignation d’un enfant écrasé par le devoir de transmission, maillon d’une chaîne de morts. » (10). Pensant à ses grands-parents juifs exterminés il a aussi ces mots que l’on pourrait écrire à propos de tant de drames contemporains, en Syrie ou en Méditerranée : « Vivants, ils étaient déjà invisibles et l’histoire les a pulvérisés ».
Rédigé par Florence Trocmé le 10 avril 2018 à 14h21 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent