De la grammaire
A propos du paragraphe « De la grammaire », Flotoir du 30 mars dernier, Jean Le Boël m’écrit : « J'ai eu la chance d'être des premiers participants au Cercle de Recherches et d'Études Antiques de Jean Bollack, assisté de Heinz Wismann. D'un texte ancien, nous multipliions les traductions, nous les confrontions, nous n'en privilégiions aucune. Il en serait allé de même d'un texte contemporain. Contrairement à l'idée dominante, un mot à mot est tout aussi fécond qu'une traduction qui recrée. Il nous oblige à penser dans l'étrangeté, et nous ouvre à autrui, au lieu de le réduire à ce que nous sommes et à nos schémas langagiers. Nous glosions beaucoup et la grammaire nous libérait, la nôtre et celle de ceux dont nous voulions épouser la pensée. »
Et Claude Minière me suggère, sur le même thème, de relire Baudelaire : Le poème du Haschisch.
L’ultime Thulé
Gérard Cartier : « On ne parvient à l’ultime Thulé / qu’en visant de côté comme / on le fait du sens et de la beauté. » (147)
→ : parfois aussi on voit mieux ou plus en ne regardant pas droit devant soi.
Les papillons qui boivent les larmes
Incroyable coïncidence, deux fois en trois heures, évocation des papillons d’Amazonie qui boivent les larmes, celles des tortues sur Arte, celles des crocodiles dans le livre, magnifique, mbo, de Gérard Haller.
Troublante la double apparition en un temps si resserré de cette pratique elle-même si étonnante. Les papillons recueilleraient les larmes des animaux pour faire des boules de sel à offrir à la femelle qu’ils convoitent.
Gérard Haller, mbo
Oui livre superbe. Une arche ? Un inventaire d’une richesse et d’une beauté extrêmes, un art des mariages par sonorités et échos, le propos naturaliste et le mythe, les espèces disparues, des allusions multiples aux morts, aux exterminés, aux espèces menacées. Inventaire avant ou après disparition, livre d’heure, litanies aussi. Fort et beau, à lire à haute voix, à faire lire.
Deux souffles, deux visions
Deux souffles, ce soir, deux visions, elles sont devenues si rares, chez deux Gérard, Cartier et Haller. Hymnes aussi aux mots, aux mondes, aux espèces, et en ce jour où j’ai publié ces autres hymnes que sont les poèmes d’Henri Droguet dans le 42ème numéro de Sur Zone.
Leurs arrière grands-pères, Robert Bober, Ivan Jablonka
Est-ce un hasard, sans doute pas : hier conjonction de deux « histoires » présentant de profondes similitudes. Deux écrivains, un livre et un film. Le film, le très beau Vienne avant la nuit de Robert Bober, disponible jusqu’à la mi-mai sur Arte. Le livre : Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka. Robert Bober part à la recherche des traces de son arrière-grand-père, à Vienne en particulier. Wolf Leib Fränkel, juif originaire de Pologne, dont il cherche la sépulture dans le Zentralfriedhof de Vienne, cimetière juif en partie à l’abandon, hanté par des biches. Il évoque ensuite la vie de cet arrière-grand-père qui s’était formé pour devenir fabricant de chandeliers. Tout ce passage est dit en yiddish et c’est magnifique. Et en parallèle, poursuite de la lecture du livre de Jablonka, dont l’approche est très différente d’En Camping-car : reconstitution minutieuse de toutes les traces de la vie de ses grands-parents, parents de son père, déportés depuis Paris alors que leur fils n’avait que 3 ans. Leur jeunesse communiste et la violente répression qu’ils subirent en Pologne, leur exil en France et l’on frémit en lisant toutes les difficultés rencontrées, alors que leur vie était en jeu. Le rejet, partout, indésirables en Pologne laquelle devait de toutes façons être fuie par les Juifs de toute urgence, pas acceptés en France ni ailleurs. On ne peut que mettre ce récit en parallèle avec les parcours des réfugiés d’aujourd’hui : la haine, le rejet, les humiliations, les vexations.
Des arbres
J’ouvre le livre d’Aurélie Foglia, Grand-Monde, un livre qui tourne essentiellement autour du thème des arbres. Rarement j’ai été aussi intéressée par les enjambements, qui ailleurs donnent si souvent un sentiment de gratuité. Ici, non, impression parfois de découvrir des mots nouveaux, impression de surprise, comme cet : arc/haïques, p.51 ou l’enchant/ement des lignes p.49. Elle n’en abuse pas. Écriture complexe, disposition aérée. Chaque poème est un monde qu’il faut découvrir, on pourrait presque dire que chaque poème est sinon un arbre plutôt comme un arbre. Interpénétration des mondes, l’eau très présente (pluies, rivières, gouffres), « lacs de ciels avec algues aux ramures » (p. 53). Il faut s’approprier ces mondes, les explorer un par un comme si on était devant une carte, il faut y trouver ses repères et je gage que chaque lecteur aura des repères différents. On a aussi l’impression que croisent, par ici, des images de tableaux, peut-être de photos. Oui croisent en ce sens de passer dans le décor. Voici également un procédé magnifique, non pas un enjambement, mais un mot coupé avec greffon : « im presque mortels » (p.64). Ce livre redonne confiance dans les possibilités de la langue. Essentiellement je pense parce que les manières de faire, de la traiter, d’en user ne sont sans doute jamais gratuites mais toujours dictées par une nécessité intérieure, ce qui est loin d’être le cas pour maints livres plus ou moins déconstruits mais où la nécessité de cette déconstruction n’apparaît pas. Où il y aurait un jeu un peu gratuit et pas la poussée d’une nécessité créative impérieuse.
Retour à Pise et à la ponctuation
Je reprends Le Cours de Pise d’Emmanuel Hocquard. Plusieurs pages sur la ponctuation, dans une approche de base, mais qui a sans doute dû sembler nécessaire à E. Hocquard. Enseigne-t-on encore la ponctuation ?
Hocquard, Deleuze, Bresson
Cette belle citation de Gilles Deleuze alors que le groupe des « Pisans » travaille sur les notions de connexion : « Il y a rarement des espaces entiers chez Bresson. Ce sont des espaces qu’on peut appeler déconnectés. Il y a un coin, par exemple, le coin d’une cellule, et puis on verra un autre coin, ou un endroit de la paroi, par exemple, etc. L’espace bressonien se présente comme une série de petits morceaux dont la connexion n’est pas prédéterminée. Bresson a probablement été le premier à construire un espace avec de petits morceaux d’espaces habituels dont la connexion n’est pas donnée d’avance. » (p.329).
Du collectif
Relativement déçue par ce qui s’est produit autour de la proposition de Claude Minière, ouvrir un chantier collectif de poèmes, je suis sensible à ces propos d’Emmanuel Hocquard : « Qu’est-ce qu’un récit collectif ? Le mot "collectif" fait peur, surtout quand il s’agit d’art ou de création. Collectif ne signifie rien d’autre qu’une lecture à plusieurs, une polyphonie. Un feuilleté de voix et de regards. Tout le langage est collectif. Tout le monde utilise les mêmes mots, obéit aux mêmes règles. Pour faire entendre ma différence, ma singularité, j’ai besoin du langage des autres. Ma différence ne peut surgir que dans et grâce à l’agencement collectif, sinon j’en serais réduit à ne faire entendre qu’un idiolecte. » (p.331)
Une manière de lire
Cité par Emmanuel Hocquard, Montaigne : « dans la librairie (bibliothèque), parmi les "mille volumes de livres" "rangés à cinq degrés tout à l’environ", je suis sur l’entrée, et je vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour et dans la plupart des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me promenant mes songes que voici… » Et un peu plus loin, cette autre citation avec la fameuse expression : « mon âme produit ordinairement ses plus profondes de rêverie, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l’imprévu (l’improviste) et lorsque je les cherche moins. J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades Je vais au change, indiscrètement et tumultuairement. Mon style et mon esprit vont vagabondant de mêmes. » (p.347)
La cabane de Wittgenstein
Wittgenstein s’était construit une cabane en Norvège, en 1914, alors qu’il avait 25 ans. (p.348)
Maison d’âme
Belle surprise de voir arriver au courrier ce matin (hommage à sa belle discrétion) un nouveau livre de Mireille Gansel. Où sans aucun doute, toute est dans ce titre, Maison d’âme, et la dédicace.
A la question à elle posée de savoir si « sa maison [d’enfance] était jolie », cette réponse : « oui ta question d’enfant ce matin de printemps et soudain la beauté est une maison où habiter peut-être la première peut-être la seule – envers et contre tout. » (p.11)
Czernowitz
Mireille Gansel évoque cette ville de Galicie : « Czernowitz, ville aux marges et confins de l'empire austro-hongrois : Galicie Roumanie Bessarabie Ukraine. Creuset de tant de langues et cultures : yiddish allemand ukrainien russe roumain ruthène ‑ Czernowitz, tant de penseurs et de savants, de poètes et d'écrivains déportés, exilés, assassinés. Tant de parlers métissés et intimes, tant d'êtres « déclarés comme Néant » (Imre Kertész) -
Il y eut ce jour à Genève, cher Jean Halpérin, nous parlions du poème de Celan, Psalm-Psaume. Et du mot « niemand » et vous me disiez que le mot allemand, comme le mot hébreu correspondant est un absolu d'absence, de négation, et ne comporte pas l'ambiguïté du mot français « personne ». C'est l'homme-réduit-à-néant. Et nous avons choisi de traduire par "l’homme-néantisé" : niht-man ». (p.19)
« Et en ce soir de mars 2016, comme à voix basse et grave, Reiner Kunze lit Psalm de Paul Celan puis il ajoute : "Siehst du, blühend – blühen, das Schöne das Leben trotz alledem » - " Tu vois, fleurissant – fleurir, le beau la vie envers et contre tout" ». (p.20)
→ il faudrait faire une liste, un inventaire de toutes les images qui naissent à la lecture de ce livre. Scènes ici relatées et qui comme un rêve viennent s’incruster en soi. Temps suspendus, maisons imaginaires, rencontres singulières. Qui font sens.
La découverte de la poésie
« (...) peut-être une leçon à apprendre puisqu’Oceano nox se trouvait dans une édition scolaire toujours est-il que ce fut un instant foudroyant l’irruption de la poésie dans une vie » et Mireille Gansel poursuit avec cette question et cette tentative de réponse : « mais qu’est-ce qu’une enfant de dix ans pouvait bien entendre dans ces vers ? peut-être la réponse est-elle dans ces minuscules croix comme autant de petites étoiles à l’encre violette que ta main d’enfant a tracées au premier et au dernier mot de quelques vers
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée
(...)
Nul ne sait votre sort pauvres têtes perdues
(...) »
Et un peu plus loin encore, dans ces pages qui évoquent l’exil « le poème comme une maison d’âme où une voix a chanté pour toi et parlé tout bas là où il avait les silences de trop de douleur. »
→ ici l’évocation relève du tragique de l’Histoire, mais n’en va-t-il pas ainsi pour tant de lecteurs précoces ? Les livres comme une maison d’âme, un refuge souvent, où une autre voix que celles que nous entendons constamment nous parle, nous console, nous dit peut-être des choses que les voix présentes, même aimantes et bienveillantes, ne savent pas nous dire, ne pensent pas à nous dire. Je me désole si souvent que tant d’êtres humains, qui ont la chance d’y avoir accès, se détournent de ce recours universel que sont le livre, tous les livres. Sans parler de l’extraordinaire apprentissage de l’altérité, de la pluralité, de la différence que l’enfant fait par ces livres dont les adultes tutélaires bien souvent ne contrôlent pas vraiment le contenu.
Il y a dans le livre de Mireille Gansel tout un jeu vital entre ces termes : maison – mots – douleur – absence. Celle qui n’a plus de maison, qui n’a pas de maison, qui a perdu sa maison natale, construit sans fin des maisons d’âme, pour elle-même et pour les autres et ce livre en est une. Une maison d’âme, peuplée des expériences et des rencontres magnifiques de l’auteur. Ce don qu’elle fait à ses interlocuteurs privilégiés, le don du récit de ses rencontres, si nombreuses, si étonnantes parfois, si diverses, elle le fait aussi ici au lecteur. Nelly Sachs, Reiner Kunze, Eugenie Goldstern, qu’elle évoque p.31 : « Elle qui n’avait pas de maison elle sauva la mémoire de vos maisons », écrit-elle dans une page consacrée à cette ethnologue du premier quart du XXème siècle, qu’elle a traduite : « Déportée à Vienne. Exterminée à Sobibor. » (p.31).
Rendre un mot habitable
Chez Mireille Gansel, dont il faut rappeler qu’elle est une grande traductrice, auteur d’un livre de réflexions sur la traduction magnifiquement titré Traduire comme transhumer, il y a de nombreuses considérations sur les mots, sur la langue. Elle s’interroge ainsi sur le vocable de Heimat, tellement sali par les Nazis. « Heimat oscille entre l’intime et le collectif, entre le spirituel et le terrestre. Un mot "sensible", comme il en est dans chaque langue, marqué au sceau d’une Histoire (...) Comment l’entendre ? ».
Flacon de sels
découvrir que les gestes que l’on a avec les livres changent selon le contenu de ce livre, douceur infinie avec celui-là, geste de presque rejet avec cet autre – écouter se répondre deux merles dans le crépuscule, l’un à une vingtaine de mètres de soi, un peu en contrebas de la fenêtre ; son bec jaune qui tremblote chaque fois qu’il chante ; et comme un écho, un congénère difficile à localiser – deux petites filles très aimées penchées sur le même livre, l’à-peine plus grande faisant la lecture à l’autre – tenter, rater mais aussi réussir quelques superpositions de photos récentes – reprendre le chemin des livres après quelques jours sans ou en tous cas avec trop peu – aimer les petits plateaux à fond noir de fruits coupés, composés par son « primeurs » – partir avec Robert Bober, Pologne, Vienne, sur les traces de son aïeul, ressortir le livre Vienne avant la nuit, le feuilleter à nouveau.
Livres
Belle journée livres ! Reçu le Quarto Gallimard avec l’intégrale de l’œuvre de Perros. Et me suis offert, chez Tschann, la nouvelle traduction du livre de l’Intranquillité de Pessoa, ici proposé sous le titre de Livre(s) de l’inquiétude, traduction de Marie-Hélène Piwnik ainsi que le livre de Georges Didi-Huberman, Aperçues. Que je regrette le titre de Livre de l’intranquillité, si beau, qui a littéralement créé ce mot – mais les deux livres cohabiteront et seront distingués chacun par son titre, L’intranquillité de Françoise Laye et L’inquiétude de MH Piwnik, tous les deux chez Bourgois (on peut rappeler que le livre devait paraître aux éditions de La Différence, qui ont hélas disparu avant la publication).
« Le mot "intranquillité", qui a été préféré à "inquiétude", est entré en français avec ce titre en 1988, même s'il avait été auparavant employé par Henri Michaux dans un poème peu connu, à l'insu de Françoise Laye et de Robert Bréchon. Pessoa avait également utilisé un néologisme en portugais. » explique Wikipédia, parlant de la première édition de 1988 (le livre avait paru en deux temps en 1988 et 1992, dans une traduction de Françoise Laye.)
Le Cours des choses
Je suis vivement intéressée par ce développement fait par Laurent Albarracin dans l’introduction d’une note consacrée au livre de Pierre Vinclair, Le Cours des choses : « Le titre laisse deviner le parti pris et la méthode de Pierre Vinclair : il n'est pas question de se tenir au-dessus de la mêlée et de prendre les choses de haut, d'en dire le sens du point de vue réfléchi de qui a cessé d'y participer corps et âme, mais bien au contraire d'entrer dans le cours tumultueux des événements, de les prendre à bras le corps, c'est-à-dire de les saisir en étant autant saisi par eux soi-même, emporté par leur mouvement impétueux. Le poème ne s'extrait pas de ce dont il parle. Il s'implique et s'insère, s'intrique dans les choses, il plonge dans la matière – rugueuse à étreindre – du quotidien. Pierre Bergounioux, dans Jusqu'à Faulkner notamment, remarque qu'une révolution dans la conduite du récit eut lieu à l'initiative du romancier américain : au point de vue global, omniscient, détaché s'est substitué le point de vue focalisé des personnages, qui implique notamment un entremêlement des plans de perception. Toute la poésie américaine, objectiviste en particulier, en a tiré les leçons – énoncées également par William Carlos Williams – qui s'imposent pour le poème : un traitement à égalité de tous les éléments du réel. Il ne s'agit plus d'élire dans la réalité un domaine qui soit assez noble pour accéder à son expression lettrée et de rejeter du même mouvement ce qui aura été considéré comme trop contingent et indigne. Tout s'équivaut désormais dans le poème et en quelque façon s'entortille, comme une corde tissée de plusieurs brins : le concret (le concret surtout, en ses multiples facettes), la pensée, le langage, le général et le particulier, le structurel et le conjoncturel, etc. La réalité n'est plus hiérarchisée et ordonnée selon son plus ou moins grand degré de littérarité mais au contraire aplatie sur un même plan littéral : l'anecdotique et l'épique se rencontrent sur les brisées du poème poétique. Le chant s'applique autant au quotidien et à l'ordinaire. »
C’est le poème lui-même qui est traversé…
Je relève aussi ces mots, toujours dans cette même note, qui me font penser à ce que j’écrivais hier soir sur le livre d’Aurélie Foglia : Grand-Monde. « C'est le poème lui-même qui est traversé d'apparitions diverses, bosselé et cabossé par tout ce que son auteur perçoit, serait-ce confusément, comme si, dans la recherche formelle qu'il effectue, il était débordé par les choses et les réalités de tous ordres qui le dépassent et, alors, pointent leur nez dans le poème. Le texte n'est pas la description, mais la bataille elle-même : en luttant avec les seules armes prosodiques du poème, en bataillant en vue du poème – bref en assumant sa fabrication – celui-ci fait émerger tout le chaotique du monde qui surgit en lui, comme inopinément. »
→ Et j’éprouve une sorte de profonde joie à voir tous ces auteurs se confronter au réel, faire un retour net vers le concret, vers le cours des choses, vers la perception du monde, s’éloigner d’une poésie plus conceptuelle peut-être, mais avec de nouveaux outils forgés par cette autre poésie, plus abstraite, plus blanche, plus froide peut-être. Cartier, Foglia, Vinclair… et bien d’autres sans doute.
Grand-Monde
Foglia, Aurélie Foglia, son nom est-il feuille ? Oui ! Je crois à une forme de prédestination par les noms ; elle n’est pas systématique mais elle est manifeste, souvent. Aurélie Foglia, qui s’est aussi appelée un temps Loiseleur, a un rapport extrêmement fort et complexe avec l’arbre, avec les arbres. Pas en botaniste, ce ne me semble pas être une démarche comme celle de Fabienne Raphoz qui l’accueille ici chez Corti, Fabienne Raphoz dont le flotoir a célébré récemment la passion poétique et ornithophile. Aurélie Foglia, son nom est feuille et elle donne le sentiment dans ses poèmes d’un écrire caméléon, elle semble se fondre à l’arbre, s’enfoncer dans l’arbre, voire même dans un être-arbre. Elle crée une très singulière osmose entre son ressenti, éclaté, fragmenté, polysensoriel et l’arbre : « (...) moi // qui me suis enfouie / écorcée/// chute/// dans leurs liasses. » (p.67, voir cette anthologie permanente de Poezibao)
On a aussi le sentiment d’assister à une tentative vouée à l’échec, non pas que la poète nous semble échouer, mais parce qu’elle va au cœur d’une aporie, celle de l’être-arbre à laquelle l’écriture tend. On sent comme une déchirure, celle d’une unité qui aurait été rompue, comme s’il y avait eu une antériorité-arbre, un ancien être-arbre dont on serait désormais à jamais séparé.
Il y a aussi, infuse mais parfaitement intégrée à la trame du poème, jamais pesante, presque fantomatique, une part de l’imaginaire de l’arbre, imaginaire ancestral, immémorial, son symbolisme, des racines au faîte. Ce serait peut-être d’ailleurs une des fonctions des coupes de mots (coupes de bois ?) et des enjambements, donner corps à cette zone frontière entre l’arbre et soi, là où l’identification-projection crée une sorte de mouvement qui pourrait être le moteur du poème. Il n’y a pas d’être-arbre possible mais il y a un entre soi et l’arbre, où peuvent se jouer beaucoup de choses (aider à vivre) et où s’écrivent les poèmes de ce livre, ce qui les rend si singuliers. Difficiles aussi. Il y a lieu sans doute de se déplacer dans les poèmes, comme dans les pages, de ne pas faire une lecture trop logique ou linéaire, mais au contraire d’un autre dynamisme, plus volatil peut-être. Un lire-oiseau ?
Gertrud et Emmanuel
Retour à Pise et à cette étrange remarque de Gertrud Stein relevée par Emmanuel Hocquard. En fait, une déclaration de William Carlos Williams à propos de Gertrud Stein : « Miss Stein s’occupe du "squelette", des parties "formelles", celles qui donnent forme à l’écriture, sans se soucier du fardeau qu’elles portent. C’est le "squelette » qu’il faut prendre en compte, alors qu’il règne aujourd’hui une grande confusion dans tous les domaines intellectuels sur tout ce qui concerne les parties "charnues" de l’écriture. » (cité p. 371)
Pour que lire s’allume
Pour que lire s’allume, un certain nombre de conditions sont nécessaires. Certaines contingentes, inutile d’en parler, d’autres essentielles. Il faut que l’arc électrique puisse s’établir entre le texte et la conscience (ou l’inconscient !) du lecteur. À partir de là, on entre dans un processus dynamique de courants, d’échanges avec gains et entropie. Une fatigue mentale, des préoccupations envahissantes, le désir de faire renaître une jouissance de lecture antérieure : voici tout de même quelques-unes de ces contingences qui peuvent empêcher la formation de l’arc. Et le lecteur le sait, il sait que le texte a le potentiel de lui parler et de le faire parler, mais il constate que l’allumage, en cet instant-là, ne se fait pas. Il est préférable alors de mettre de côté. Faire confiance aussi au travail à bas bruit de la conscience qui aura perçu certains éléments et commencera, qui sait, à accommoder sur eux, à s’y accommoder.
Un réservoir
Le livre d’Emmanuel Hocquard, en plus d’ouvrir un nombre très important de pistes de réflexions, principalement bien sûr sur le langage, l’écriture, la grammaire, les mots, est un immense réservoir de citations. Peu d’auteurs certes, mais dont les citations éclairent magnifiquement le propos. Énormément de citations de Wittgenstein, ce qui contribue peut-être à mettre ainsi à portée, en partie, ce philosophe réputé si difficile (les citations données sont souvent vertigineuses mais pas difficiles), souvent Deleuze, comme avec ces mots : « Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d'agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, le preneur d'âme ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser ou, comme dit Virilio, d'administrer et d'organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle sur la vie : le manque à être qu'est la vie... On a beau dire "dansons", on n'est pas bien gai. On a beau dire "quel malheur la mort", il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l'âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu'ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien aimée, leur ressentiment contre la vie, l'immonde contagion. Ce n'est pas facile d'être libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d'agir, s'affecter de joie, multiplier les affects qui exprimer ou enveloppent un maximum d'affirmations. » (Gilles Deleuze.)
fuir la peste – organiser les rencontres – augmenter la puissance d’agir – s’affecter de joie… un programme de lecture ! : programme
Hocquard et la poésie
« Les mots qui expriment les affects ainsi que leur degré d'intensité sont à la fois nombreux et pauvres. J'entends par là que ce sont toujours les mêmes et que tout le monde les emploie de manière identique. Il n'y a pas trente-six façons de dire "Je t'aime", alors qu'il y a trente-six mille façons d'aimer. C'est ça qui est si fatigant en poésie, dans la très grande majorité des cas. Chacun prétend exprimer une expérience unique, inouïe, exceptionnelle, extraordinaire, et tous font de la même manière, avec les mêmes mots, les mêmes images. Pour sortir des sentiers battus, ils usent alors de métaphores, c'est-à-dire substituent d'autres mots aux mots habituels. L'ennui avec les métaphores, c'est que ce sont des clichés (et tous les clichés se ressemblent). Au lieu de clarifier les choses elles les diluent dans d'ahurissantes approximations. Quand vous comparez vos sentiments pour votre amie à ceux que vous inspirent une gazelle ou un palmier, c'est d'un animal ou d'un arbre que vous parlez, pas de votre amie. » (p.388) : saine mise au point !
Dressage
Emmanuel Hocquard insiste énormément sur le côté contraint de la langue : « L’enseignement (et l’apprentissage) du langage, parlé et écrit, est fait d’entraînement et de dressage au sens de : montrer quelque chose à quelqu’un, le faire sous ses yeux, le dire devant lui (...) L’objectif est d’apprendre à suivre les règles. On nous exerce à suivre la règle en nous forçant à l’appliquer d’une certaine façon. » Il poursuit « Entraînement + dressage permettent : 1. D’intérioriser (assimiler) la règle (...) 2. De constituer un habitus (un ensemble d’habitudes communes) (...) Conséquence : "Les règles de notre langage imprègnent notre vie. " (Wittgenstein). »
Et il invite aussi à « noter que le vocabulaire qui entoure la grammaire est le même que celui de la morale » ! Respecter la règle, faire une faute, etc.
De la poésie encore, avec Emmanuel Hocquard
« Nous ne pouvons plus faire grand-chose de la notion de poésie héritée de nos prédécesseurs, si prestigieux soient-ils. Trop de connotations contradictoires, trop d’équivoques et de malentendus y sont attachés. » (408). Dans ces pages il explore ce qui se cache sous ce mot de poésie, bien souvent et je m’amuse à lire ces remarques : « Quand vous ferez la synopsis de poésie, de poétique et de poète, vous mesurerez l'étendue des dégâts collatéraux provoqués par ces mots, du Printemps de la poésie instauré par le ministère à « Avec Charles Trenet, un grand poète s'est éteint » (Jacques Chirac) en passant par le "sentiment poétique" qui s'attache, paraît-il, à certains spectacles, un coucher de soleil ou un arbre en fleur, par exemple. "On pourrait dire : [la poésie] nous montre les merveilles de la nature. [Elle] est fondée sur le concept de merveille de la nature. (Le bourgeon qui s'ouvre. Qu'y a-t-il là de merveilleux ?) On dit : "Regarde comme il s'ouvre !" » (Wittgenstein, Remarques mêlées.). Et de reprendre, à propos de Poésie, le conseil du même Wittgenstein, déjà cité : « Il faut parfois retirer de la langue une expression et la donner à nettoyer – pour pouvoir ensuite la remettre en circulation. »
→ Tout le problème est que ce sont les faits et les actes qui peuvent « nettoyer » le mot poésie de toute cette cochonnerie qui l’affecte aujourd’hui et surtout pas les discours, les états généraux, les colloques et autres grands « machins » qui ne font qu’embrouiller la donne selon mon constat. Et surtout qui sont effroyablement ennuyeux et répétitifs. Ce sont les livres qui naissent aujourd’hui qui font le boulot (rarement, exceptionnellement) et ce pourrait bien être un livre ou un poète qui donnerait enfin à comprendre ce que peut être la poésie. Certains livres le font bien sûr mais pour si peu ! Le défi serait que ces mêmes livres infusent la pensée d’un nombre un peu plus grand de personnes, sinon du grand nombre. J’aime bien penser que Poezibao tente de s’y employer.
De la contrainte
Lisant Hocquard, je réveille petit à petit le souvenir d’un fort sentiment de contrainte intérieure qui a pesé tôt et fort sur moi, pourtant élevée dans un milieu ouvert et libéral. Je crois que j’ai eu (puis je l’ai oubliée) une intuition de contrainte ou l’intuition d’une contrainte, dans plusieurs domaines. Avec cette idée à la formulation enfantine bien sûr, mais révélatrice : « quand je serai grande je ferai ce que je veux ». Il se peut que j’ai eu, tôt, le sentiment de coercition de l’éducation en général et de cet embrigadement de l’apprentissage de la langue dont parle si bien Emmanuel Hocquard à ses étudiants « pisans ». « Les mots d’ordre ne sont pas tapis dans le langage, ils lui sont coextensifs. Dès qu’il y a langage réglé, il y a mots d’ordre. On n’y échappe pas. » (p.422). A compléter avec cette citation, de Deleuze une fois de plus : « Le langage donne des ordres à la vie. Dans tout mot d’ordre, même d’un père à son fils, il y a une petite sentence de mort – un verdict, disait Kafka. » (cité p.423). Et Emmanuel Hocquard d’inciter les étudiants à « travailler à une conception propre » car « travailler sur nous-mêmes c’est repérer les mots d’ordre "en nous". »
Georges Didi-Huberman
Double occurrence de cet écrivain très aimé : le dernier numéro de la revue Europe qui lui est consacré et l’acquisition d’Aperçues, son dernier livre, paru aux Éditions de Minuit. Sur la quatrième de couverture, je lis qu’il s’agit pour lui de remonter son journal en désordre et toutes proportions gardées, me vient cette idée que cette méthode pourrait être une de celles qui me permettraient de mettre en forme, en vue d’un livre, des extraits du flotoir et de ses quelque 5000 pages !
Je vais donc tenter la lecture en parallèle du livre et de la revue. En écho. Et voici bien sûr, d’emblée, l’image, fil rouge de la recherche de Didi-Huberman : « L’image est bien comme une luciole, une petite lueur, la lucciola des intermittences passagères. Quelque part entre la Béatrice de Dante et la "fugitive beauté" de Baudelaire : la passante par excellence. (04.06.2009, p.12)
→ cette intermittence passagère, cette passante, que Didi Huberman personnalise un instant sous la forme d’un personnage de Machiavel, Mademoiselle Occasion ! : « Si Niccolò Machiavel, le plus grand penseur des choses politique à la Renaissance a pris le temps de composer ce poème ["Capitolo de l’Occasion"], c’est certainement parce que Mademoiselle Occasion joue un grand rôle dans la conduite des actions humaines. En effet, tout actio conséquente doit combiner les deux temporalités contradictoires de la prudentia et de l’occasio : ralentir pour penser toute chose, mais se dépêcher pour attraper au vol ce que l’occasion ne nous offre qu’une seule fois en passant. »
→ Hélène Cixous a souvent écrit des pages magnifiques sur ces intuitions aussi fragiles qu’éphémères qui faut savoir attraper au vol.
Festina lente
Festina lente : hâte-toi lentement. « Pour Georges Didi-Huberman, ici et maintenant, c’est le règne étroit mais marquant de l’occasion, manquée ou non. Une figure fugace de la « fatalité qu’il retrouve dans un poème de Machiavel : "point de vol si rapide qui égale ma course – raconte Mademoiselle Occasion – et je ne garde des ailes à mes pieds que pour éblouir les hommes au passage". La leçon de la fable : festina lente, hâte-toi lentement, Festina lente : « prends le temps de saisir la chance en un tournemain » (source)
Un artisanat
« J’ai tendance à regarder mon propre travail comme cet artisanat de l’impossible arrachement de toute apparition à l’oubli. » (07.11.2011, p. 15)
→ toutes proportions gardées, là encore, c’est le travail du Flotoir mais ces propos me renvoient aussi à l’œuvre de Quignard, de Warburg, de Benjamin.
Comme des sels de la vie ?
Je suis touchée par cette remarque de Georges Didi-Huberman, même époque de son journal, novembre 2011 : « Il m’arrive souvent, au moment de m’endormir, d’écrire mentalement une petite description de ces menues choses, de ces êtres fugitifs ou de ces relations entraperçues dont ma journée s’est trouvée enrichie. »
Flacons de sel
se perdre et se laisser entraîner par les résonances des bols tibétains – entrer dans un nouveau livre un peu comme on entre dans l’eau – taper « manuscrits de Leopardi » dans le moteur de recherche, puis cliquer sur l’onglet « images » et se promener dans la très étonnante collection de propositions, descendre loin dans cette page… atlas mnémosyne ? – rêver de renouveler l’expérience, frappante, avec d’autres mots – contempler la superbe couverture de la revue Europe (1069) consacrée à Georges Didi-Huberman (et à James Sacré qui me semble bien à sa place là) – observer les petites croix rouges sur les planches botaniques de cette couverture (en fait un tableau de Karl Blossfeldt, "Jusquiame, centaurée et saxifrage" sans rien savoir de leur raison d’être et penser à celles, à l’encre violette, que Mireille Gansel, enfant, a placées devant certains vers d’Oceano Nox, le tout premier poème avec lequel elle fut en contact – lisant, écrivant, pensant, rêvant, écoutant, balayer sans cesse des yeux les grands murs de livres autour de soi.
Du titre « Aperçues »
« Aperçues », féminin pluriel. J'ai pris l'habitude de nommer "aperçues" des bribes de choses ou d’évènements qui apparaissent sous mes yeux. Cela ne dure jamais très longtemps. Bribes, échardes du monde, épaves qui vont, qui viennent. Elles sont apparaissantes mais vont disparaissant. Tout ce qui est visible autour de moi ne m’est pas une "aperçue" pour autant. Par usage personnel — plutôt que par une quelconque volonté de donner un sens catégoriel, défini ou définitif, à ce mot —, je dis "aperçue" quand ce qui m'apparaît laisse, avant de disparaître, quelque chose comme la traîne d’une question, d’une mémoire ou d'un désir. C'est quelque chose qui dure un peu plus longtemps que l'apparition elle-même — une rémanence, une association —, et qui mérite alors, toujours dans mon usage ou bricolage d'écriture, le temps de travail, ou de jeu, d'une phrase ou deux, d'un paragraphe ou deux, ou plus. » (p.17)
Il ajoute que « l’aperçue devient alors une pratique d’écriture intermittente, [son] "petit" genre littéraire dispersé-rapide, multiforme et sans projet, en marge ou en traverse de [ses] grandes recherches obstinées-patientes. (p.18)
→ penser qu’une part de mon propre travail relèverait de ce petit genre littéraire, l’aperçue, en ajoutant toutefois qu’il faudrait un mot équivalent pour le son. Le sonore, tellement absent de ces pages, me semble-t-il, si rarement évoqué par Didi-Huberman !
Une introduction de Muriel Pic
J’ouvre l’introduction que Muriel Pic donne au fort dossier Didi-Huberman proposé par la revue Europe, sous le titre "Qu’est-ce que s’orienter dans les images ?". Introduction savante, complexe, souvent difficile mais qui pointe d’emblée l’accent mis sur « l’image activement mobilisée comme outil critique des faits culturels et politiques ». (4)
Muriel Pic qui écrit aussi parfois simplement, presque trivialement et elle a bien raison : « Quand on sait où situer un livre, c’est fichu ; quand on sait où le ranger dans une bibliothèque, c’est perdu. Quand un ouvrage ne nous désoriente pas, on peut le balancer ». C’est que, dit-elle, il faut pouvoir « prendre un risque, perdre ses points de repère, en un mot être désorienté. »
Elle insiste par ailleurs sur deux techniques de l’écrivain : le montage et l’usage des paronymes, comme dans hommage et dommage.
Libres yeux de l’histoire
C’est le titre de la belle contribution de G. Didi-Huberman à ce numéro d’Europe. Il épingle, c’est le cas de le dire « du côté des experts ès arts visuels, la tentation épistémologique d’immobiliser le voir et l’objet du voir – comme l’entomologiste qui met à mort son papillon favori pour l’épingler sur une planche de liège et, désormais, peut le regarder tranquillement, fixement, d’un regard aussi mort que l’animal lui-même. » (p.20)
Et il ajoute : « Les images sont tout autre chose que des papillons déjà épinglés sur une planche de liège pour le bonheur – savant, mais pervers et mortifère- de l’entomologiste. Elles sont tout à la fois des mouvements et des temps, tous inarrêtables, tous imprévisibles. Elles migrent dans l’espace et survivent dans l’histoire, comme disait Aby Warburg. Elles se transforment, elles changent d’aspect, elles volent ici et là, apparaissent et disparaissent tour à tour » et « les regarder reviendrait à ne pas les garder pour soi mais, au contraire, à les laisser être, à les émanciper de nos propres fantasmes de "voir intégral", de "classification universelle" ou de "savoir absolu". » (p.21)