Refus d’une œuvre bouclée sur elle-même
« Refus, au bout du compte, d’une œuvre bouclée sur elle-même, bien qu’aboutie, je veux dire achevée, arrêtée. Elle n’a choix que de demeurer ouverte, aérée de l’intérieur, ayant rassemblé tant bien que mal des débris, à moins qu’il faille voir là des semis, œuvre alors non pas en ruine, mais en germe. De là, avers et revers, un double aspect, qu’on se désole d’un état inabouti, incomplet ou qu’au contraire, faute de mieux, on se réjouisse de morceaux liés à distance et (comme partout en somme, même où tout semble étroitement chevillé) sujets à divers parcours, à des associations inattendues venant sans déguiser mais sans rien de forcé faire écho au travail d’élaboration lui-même. » (Pierre Chappuis, Battre le briquet, précédé de Ligatures, éditions José Corti, 2018, pp. 108-109.)
L’amateur
Oh que j’aime cette remarque de Fabienne Raphoz dans Parce que l’oiseau : « L’avantage de l’amateur généraliste sur le spécialiste ou l’expert, c’est qu’il ne peut jamais se faire confiance, il doit toujours tout vérifier, il n’a aucune théorie à défendre, c’est un éternel débutant. » (p.150)
→ Longue traîne de ce livre, qui a modifié mon regard sur les oiseaux et sur la nature. J’écoute davantage, j’essaie de bien entendre ce que j’entends, les différents chants… et je lève sans cesse les yeux pour regarder si je vois des oiseaux. En ville, pas besoin de lever les yeux pour voir les pigeons, il faut les lever un peu plus pour voir les corneilles (sont-ce des corneilles ?) et les pies, et les petits oiseaux, ceux qui chantent, me sont invisibles la plupart du temps.
Ah les araignées
Je ne fais pas partie des phobiques, mais je sais qu’elles et ils sont nombreux ! Alors ce beau passage encore, avant de quitter le livre de Fabienne Raphoz, ou plus exactement mettre un terme à cette lecture. Car je sais que le livre va rester à portée de main. Pour les jours sans…
« Comme les grillons, mais il faut une oreille plus attentive, les araignées stridulent, et comme les pics, elles tambourinent. Micro-orchestre à elles seules, "ce sont peut-être les seuls animaux, insectes mis à part, qui aient un éventail de moyens de communication acoustico-vibratoire aussi vaste." [citation de Marie Trabalon]. Je regrette toutefois qu’elles ne puissent, comme les oiseaux, comme beaucoup d’autres "animaux" savoir à quel point elles entrent, ou sont entrées dans la culture des humains. Si l’admiration que suscitent les uns et la peur – voire la phobie que suscitent les autres défient "notre" propre langue – le chant de l’oiseau nous fait rougir, c’est à peu près tout ce que l’on peut en dire – je me demande souvent ce qu’ils en penseraient, eux, de tout ce qui se trame autour d’eux, eux qui nous révèlent ce que l’altérité a d’absolu. » (p.152)
Le livre se termine sur un constat : « A chaque ère (...) un bouleversement, à chaque ère une nouvelle extinction, on sait tout cela, mais il faut tout de même insister : à chaque extinction de masse, que la terre ait été mise à feu, à glace, ou les deux, elle a toujours été mise à sang, et les briques du vivant, infailliblement, se sont préservées, sous la boule de glace, sous la terre enflammée, un petit quelque chose (...) Et n’en déplaise aux amateurs de slogans racoleurs, ce n’est sûrement pas "la planète" qu’il faut sauver, elle en a vu d’autres, mais ce sont ses hôtes et ses témoins. » (162 et 163)
Lire. Un sujet
L’écrire, créateur, fluctue. Et le lire – créateur aussi peut-être – ne fluctue-t-il pas ? Le don n’est jamais constant, le don a ses ressacs. Lire s’oublie et se perd. On le croit perdu, avachi, indisposé et le voici, till eulenspiegel, qui pirouette et entraîne dans son élan invincible comme jamais auparavant.
Je pourrais presque écrire un livre à la manière de Christiane Veschambre, non plus Ecrire. Un caractère mais Lire. Un sujet ! Lire s’éteint et s’allume. On le croit disponible, il s’efface au fur et à mesure qu’on avance. Il est indéfinissable. Tant s’en passent, en principe sans en mourir. Mais qui sait ce qui meurt ! Beaucoup ne peuvent ou ne savent. Lire glisse des mains et du cœur, cela peut arriver, il se fait vain. Et c’est bien Lire qui vacille et pas le livre qui défaille. Appétit vital, en berne, Lire s’affale, voile faseyante qui ne trouve plus le vent porteur, asthénie. Il suffit souvent de coucher Lire, de ne pas lui en vouloir, de lui permettre d’aller voir ailleurs. Il revient, parfois plus allant encore. Et l’on se jette à nouveau sur les traces de Brendan, dans les chemins du Quercy, en Sibérie ou à l’intérieur du cerveau.
D’un champ à l’autre
Marc Blanchet : une certaine porosité dans sa pratique critique entre les champs d’attention, voir par exemple l’irruption du petit Yniold (du Pelléas de Debussy) dans « la descente de l’Escaut », une méditation sur l’œuvre de F. Venaille. « Toute mélodie corrompue est un petit Yniold » écrit Marc Blanchet qui vient d’évoquer la scène où Golaud « charge l’enfant sur ses épaules pour espionner Pelléas et Mélisande, dans l’espoir de changer un baiser entrevu en poison dans ses veines » et par là, il « pervertit les formes ». (p.101)
Il y a dans sa façon d’écrire comme des fondus enchaînés, glissement insensible d’un domaine à l’autre et comme à la recherche de possibles mimétismes.
Littérature, Marc Blanchet
« La littérature peut se tourner vers la lumière : elle est surtout un jeu d’ombres – peuplé de fantômes et de songes. C’est d’ailleurs quand elle accepte cette part d’obscurité en elle que la lumière se fait, éclairant les points aveugles de notre conscience jusqu’à l’éblouissement. » (112)
→ On voudrait avoir la capacité, mais cela semble impossible, de reconstituer sa propre aventure avec la littérature, depuis les premières lectures. Ce qui a structuré, porté, aidé, perverti parfois… ; quels points aveugles de la conscience ont été dévoilés par les livres. En quoi ils furent ou ne furent pas nos maîtres. Sans doute pour beaucoup aussi essentiels, plus importants même que les maîtres réels.
Un de ces aphorismes, Marc Blanchet
Je l’ai déjà écrit dans ce Flotoir, on peut trouver, sertis, presque cachés dans la prose de Marc Blanchet dans ses Amis secrets, de véritables aphorismes : « ce qu’on ne parvient pas à atteindre nous touche droit au cœur d’être pressenti ».
→ portrait de tout créateur ? ou de celui qui sait qu’il n’aura pas eu les moyens (psychiques, matériels ou spirituels) d’être le créateur qu’il a rêvé d’être, qu’il a senti ou cru qu’il pourrait être ? (113)
De la vie littéraire
Sans doute fondamentalement bienveillant et surtout tourné vers ce qui porte, Marc Blanchet n’en est pas moins réaliste sur le petit monde littéraire, d’une façon souvent très juste. Il cite par exemple Roberto Juarroz : « La réticence et le manque de joie ou de satisfaction devant la qualité d’une œuvre d’autrui, sont non seulement une tare de la plupart des écrivains, mais encore un signe révélateur d’une certaine misère interne qui, d’une façon ou d’une autre, transparaît dans leur œuvre. » (114)
→ cela correspond tellement à mon expérience et éclaire ma réticence devant l’œuvre de certains créateurs, tellement refermés sur eux-mêmes, que cela, pour moi, oblitère leur œuvre. Qui n’atteint pas alors un tout petit minimum de dimension universelle sans quoi il n’est pas d’œuvre qui tienne. Marc Blanchet enfonce le clou : « Se réjouir de la création d’autrui est une chose inconcevable pour beaucoup d’artiste » (115). Notion que l’on retrouve un peu plus loin autour de Liszt dont Marc Blanchet écrit qu’il a su « incarner cette activité de "passeur" si difficile à supposer, et à pratiquer pour bien des artistes. ». Marc qui souligne « le plaisir sans limite du partage » (120).
Il y aura donc 2 noms avec Z proposés par Marc Blanchet dans cette réflexion : Juarroz et Liszt alors que moi-même, le lisant et pensant à mes contemporains créateurs, tous ceux que je connais depuis des années, je pensais à celui qui pour moi est un emblème de la capacité à reconnaître l’œuvre de l’autre, à s’y intéresser, à s’en faire le passeur. Lui aussi, un nom court avec un z !
Ah oui, une claque
Formidable remarque sur le début du Concerto en sol majeur de Ravel : c’est une « claque » dit Marc Blanchet qui s’interroge « une note peut-elle avoir valeur de manifeste ? Et une claque ? » ; « une claque, un coup asséné au silence, et la farandole ravélienne dévale les pentes de l’invisible jusqu’à nous, avec ses instruments en forme d’oiseaux, ses sons changés en arbre, rythmes foisonnants, soupirs des vents, hilarité des cordes. Ravel a compris que la structure musicale est celle désormais d’un surgissement (et de sa disparition), semblable à cet "espace du dedans", selon l’expression chère à Michaux. » (119). Peut-être aurait-il fallu parler aussi du bouleversant second mouvement, adagio assai, cette immense phrase tendue, cet immense oscillation (à écouter par Martha Argerich !)
Pianistes
Il me semble rencontrer de plus en plus chez les jeunes pianistes une tendance à raconter une histoire avec la musique qu’ils jouent. Ils la mettent en quelque sorte en scène. C’est très séduisant, très convaincant, mais est-ce l’essence de la musique ? J’écoute ainsi Arthur Ancelle formidable (de séduction) dans des Sonates de Haydn, d’une vie extraordinaire. Mais ce petit soupçon : est-ce ce qu’on appelle par ailleurs le storytelling, dont on sait que le but ultime est de capter, par tous les moyens, le lecteur, le spectateur, l’auditeur, et pire du temps de cerveau disponible pour la pub ?
Flacon de sels
découvrir cette idée si juste que le concerto en sol de ravel commence par une claque – sentir dans sa main la chaleur de la baguette tout juste achetée et humer son odeur, sans y toucher pour l’instant – découvrir en ville les premiers signaux faibles du printemps dans une mer de gris, une jacinthe blanche en fleur dans une pelouse, un arbre en fleurs – acheter un imagier et des wagons en bois colorés pour un petit garçon très aimé – se confronter à cette pensée étrange qu’il y a deux ans il n’avait pas encore vu le jour alors qu’il imprime déjà une trace vigoureuse dans le monde – voir un verrier souffler de stupéfiantes merveilles de formes et de couleurs et repenser à la phrase de manganelli à propos du verre : « Son sort consiste à être soi-même ou à être éclats et débris » (salons, p.18) – ne pas savoir s’il fait froid ou chaud, si ce sera eau pétillante fraîche ou infusion brûlante.
Part sombre
Il y a chez Marc Blanchet une part très sombre, qui fonde sans doute son acuité exceptionnelle, une part à la fois mystique et alchimiste, comme une connaissance du mal.
Marc qui écrit aussi : « Nous écrivons, ou tentons de le faire, pour rassembler le plus de visages possibles dans notre écriture. » (131). Ce serait aussi cela le Flotoir où peut être, au fil des pages « un peuple à l’allure sombre, claire, pauvre ou magnifique es apparu, qui laisse sur la roche des pages ses inscriptions. »
Un ornement
Une fois encore Marc Blanchet cite Roberto Juarroz : « le visible est un ornement de l’invisible », où je suis presque tentée d’entendre ornement dans son acception musicale, ce qui tourne autour de la note, ce qui la retarde, ce qui détourne l’attention d’elle pour la rendre encore plus essentielle
Et je peux poser, en face, ce beau poème de L’Ultime Thulé de Gérard Cartier : nature est cachée. (p.43). Plus précisément : « Remonter des effets tangibles à des causes abstraites. nature est cachée / Embrasser en aveugle, serait-ce connaître ? »
L’ultime Thulé, Gérard Cartier
Très beau livre que cet Ultime Thulé. Un livre qui parvient à associer, à équilibrer une forme de lyrisme rendu légitime par le caractère d’épopée un peu déglinguée de l’ensemble (la quête folle à la recherche de certaines îles du moine Brendan) et un ton d’épopée rendu parlant par un lyrisme comme rongé par la poésie moderne et contemporaine. De Baudelaire à Venaille, par exemple.
Il y a aussi la capacité devenue très rare aujourd’hui à créer un monde imaginaire. On est très loin ici du storytelling, on est plutôt dans une sorte de brassage assez magistral de la tradition et du contemporain et devant une formidable capacité évocatrice, autour de thèmes qui touchent à l’essence même de l’homme : la quête, la mort, le voyage, la solitude, le retrait par rapport au monde, l’énigme de la mer, de la nuit, mais aussi le corps, ses désirs, ses besoins, sa finitude. La folie de certains, la folie de tous. « Puis mourir au milieu des mers sans laisser / trace aucune les os dispersés par les pluies / les oiseaux le nom orgueilleux qui nous fait / rendu à la tourbe vanité le voyage / vanité les plaisirs et la mélancolie répété / d’âge en âge in aeternum. » (46). Oui cette question sur ceux qui sont ici évoqués, dépeints : « peuvent-ils encore / dissous jusqu’à l’os nous aider à penser / mieux les affres du temps que cagoule et latin » car n’est-ce pas « même folie mêmes / aveugles entreprises poursuivant sous d’autres noms et d’autres couleurs / les mêmes CHIMERES. (48)
→ Comme les moines coincés des mois sur tel ou tel ilot ont pu se demander ce qu’ils faisaient là, l’écrivain semble se demander ce qu’il est venu chercher à la suite de ces errants moyenâgeux, ces « vieilles gens à demi sauvages ».
Oiseaux, encore, avec Gérard Cartier
On trouve aussi dans L’ultime Thulé de somptueuses évocations de la nature et par exemple deux très beaux poèmes sur les oiseaux : « Multitude d’OISEAUX tournoyant dans le vent / visitant les voyageurs comme si l’homme / n’était pas démêlé des ordres animaux / fous de Bassan macareux fulmars boréaux / kakakakaka pluviers de neige / sternes paradis et sur un mât / un oiseau inconnu des Histoires naturelles.
→ fonction de la poésie aussi, sauver les mots ! Reconnaissance à l’auteur pour ce terme Histoire naturelle, remplacé par l’abominable SVT.
Contribution belle au « moment oiseaux » du flotoir.
Musique et invisible
Marc Blanchet : « seule la musique nous place au cœur de l’origine, même si notre cœur bat au dehors. Elle prouve que rien n’existe d’autre que l’invisible » (139)
Et ici le besoin de rendre hommage à Jean-Luc Sarré tout récemment disparu avec cette citation accrochée depuis des mois au-dessus de mon bureau « La musique ressuscite ce qui n’a jamais été. » (in Ainsi les jours, p. 39, à propos de Schubert).
Et pour moi le bonheur de découvrir des pages consacrées à Kurtág, autre habitant du petit pan de mur au-dessus de mon bureau, avec une photo où on le voit à un piano droit, de dos, avec son épouse Marta. Ils jouent une de ses magnifiques transcriptions de Bach ou un de ses Jeux, Jatekok. Kurtág qui disait « Bartok c’est ma langue maternelle », m’apprend Marc Blanchet. (140)
Henri Michaux
Très belles pages aussi sur Michaux, qui « a deux mains au même bras » et qui ne sait « laquelle des deux donnera de l’écriture ou de la peinture ». Ces deux mains qui ne « trouvent sur le chemin de la création qu’un obstacle : un cerveau qui voudrait gouverner à leur place. » (143) « deux mains siamoises [qui] sont comme un second cerveau, opérant de manière plus impulsive, en interaction avec le lieu de nidification originel de la pensée humaine. »
Manganelli
Dans un bel article écrit pour Poezibao, Marc Blanchet propose : « Cette manière de voir dans toute chose la possibilité d’innombrables ramifications rend chacune pertinente voire essentielle. »
→ résonance profonde avec le travail du flotoir !
Et feuilletant de nouveau ce livre de Giorgio Manganelli, Salons, je m’arrête sur les titres ! : La mâture de l’aube, Infrangibles fantômes, Une pulvérulence de psyché, Les lapins de l’angoisse, La terreur des fleurs, Vices gazouillants, Hommes nocturnes, attentes célestes, pour n’en citer que quelques-uns.
Flacons de sel
se souvenir avoir écrit aimer ne rien comprendre à un livre et découvrir ces mots de liliane giraudon, parlant de walter benjamin : Son œuvre avait quelque chose d’un taillis où il n’était pas aisé de dégager quelques traits décisifs le concernant (comment ça t’apaise ou plutôt console de ne pas comprendre) – repenser à la remarque d’alain lance se plaignant que tout le monde dise oualtère benjamin au lieu de valter – (en avoir pris pour son grade toute germanophile que l’on se prétende !) – yeux fermés, laisser la sensation de la lumière du soleil doucement envahir le visage – découvrir une page d’agenda libre de tout rendez-vous – échouer, rater, louper et toujours recommencer : « plus ça rate plus on a de chances que ça marche » disaient les shadocks. – râler parce que shadocks est bien dans le correcteur orthographique du traitement de texte mais tant d’autres, essentiels, pas –
Nommer est un mystère, Marc Blanchet
Marc Blanchet part d’un poème d’Herberto Helder, « Source », dont il donne le début : « Elle est la source. / Je peux savoir qu’elle est/ la grande source / à laquelle tous ont pensé. Quand dans le champ / on cherchait le trèfle, ou qu’en silence / on attendait la nuit, / ou qu’on entendait quelque part dans la paix de la terre / l’ourdir du temps - / chacun pensait à la source. C’était un jaillissement secret et pacifique. / Une chose miraculeuse qui arrivait /de façon occulte. » (cité p.145)
De ce début de poème, il explique qu’il le ressent « à chaque fois comme une introduction presque "décisive" à la poésie, et la manière dont celle-ci a été pour [lui] un révélateur en agissant d’abord de manière incompréhensible sur [sa] conscience. » (p.146) puis il écrit : « La seul chose que j’ai peut-être apprise de la poésie (...) c’est que nommer est un mystère, et que cette nomination attire à soi, par la mémoire, un peuple dont la fraternité est questionnée, comme remise en jeu, un peuple né des mêmes racines que les nôtres, que l’écrivain tente de rejoindre par la langue dans l’espoir d’une fondation nouvelle. »
Le cours de Pise
J’ouvre le fort volume intitulé Le Cours de Pise, d’Emmanuel Hocquard, reflet d’un cours réellement dispensé à des élèves de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux entre 1993 et 2005. Il y donne ce qu’il appelle des « leçons de grammaire » dans le cadre d’un atelier de recherche et de création intitulé Procédure, Image, Son, Ecriture (d’où le PISE ! mais bien sûr on ne peut s’empêcher de mettre tout cela sous l’aile de la tour penchée).
Au début du cours, il se penche avec ses élèves sur deux thèmes, le discontinu dans la narration, dont il dit qu’il est déjà très présent dans les autres arts, cinéma en particulier mais si difficile à mettre en œuvre dans le texte littéraire. Et la traduction, au sens le plus large, passage d’une forme d’expérience ou de représentation à une autre.
Emmanuel Hocquard qui fait cette belle remarque aux étudiants : « Je ne suis pas là pour vous apprendre à écrire. Vous savez tous écrire. Trop bien écrire. Je suis plutôt ici pour vous désapprendre à écrire. » (p.33)
→ j’avais fait un lapsus calami et noté « vous apprendre à désécrire ». Oui souvent à l’origine d’une écriture en train de se former, il y a une trop bonne écriture, brillante, qui se regarde écrire. Et il va falloir pour trouver sa voix propre se détacher de tous ces réflexes conditionnés créés par le système éducatif, de l’enfance aux études plus ou moins prestigieuses.
Charles Koechlin
Lisant j’écoute Les Heures persanes de Charles Koechlin dont Marc Blanchet me dit qu’il est en train d’écrire à leur sujet.
Koechlin, la caravane, sieste dans le désert, une basse discrète et « ostinée » et une mélodie comme partiellement désagrégée.
Les séries discrètes
À propos de la question du discontinu dans la narration, Emmanuel Hocquard invoque la notion mathématique de série discrète, elle-même mise en avant par Georges Oppen dans son livre intitulé Discrete Series : « une série mathématique pure est une série dans laquelle chaque terme est tiré du précédent au moyen d’une règle. Une série discrète est une série de termes dont chacun est empiriquement tiré du précédent. » (Oppen, cité p.34), Oppen qui poursuit en expliquant qu’il essayait « de construire un sens au moyen d’affirmations empiriques autonomes ». Et Hocquard lui, de poser la question essentielle, à savoir comment justifier une organisation logique discontinue (il prend soin de préciser que cela n’a rien à voir avec les « associations libres » des Surréalistes).
La sincérité
Et là il met en avant une notion qui me semble essentielle et surtout très éclairante, la question de la sincérité, qu’il dit emprunter, cette fois, à Louis Zukofsky. Il précise que cela n’a rien à voir avec la morale mais qu’il s’agit de « cette qualité d’évidence, propre à chacun, sans qu’il puisse pour autant justifier sa démarcher à partir de critères extérieurs, préalablement connus ou reconnus. » (p.35)
→ Serait-ce que parfois je « sens » dans une œuvre et qui la justifie à mes yeux. Que je ne trouve pas dans une autre et qui fait qu’elle n’est pas « justifiée » pour moi. Qu’elle n’est pas nécessaire ?
Une expérience sonore
J’écoute encore Les Heures persanes de Charles Koechlin. Je les écoute d’abord à partir de ma tablette, collée contre moi qui lis, à mon côté gauche, celui de la bonne oreille. La musique me « touche ». Puis je branche la tablette sur la chaîne Hi-fi, elle s’éloigne. Je suis comme dépossédée d’elle.
Flacon de sels, avec quelques grains de poivre
aimer penser avec emmanuel hocquard la langue française « comme une langue palimpseste où les mots sont surchargés de références et de sens multiples, parfois contradictoires – lire une fois encore qu’en europe, 75 à 80% des insectes volants ont disparu en l’espace de seulement trois décennies – voir les premiers forsythias éclater de jaune – observer trois très jeunes enfants découvrir la croche, la noire et la blanche – lire le cours de pise d’emmanuel hocquard, les amis secrets de marc blanchet et l’ultime thulé de gérard cartier et les entendre dialoguer en soi – retrouver dans un livre le coupon d’entrée du musée gutenberg à mayence : « erwachsene, 04.09.2015 » ; « weltmuseum der druchkunst » en pleine lecture des pages consacrées par emmanuel hocquard à son aventure éditoriale d’orange export ltd – être choquée de voir le nom de brunhoff écrit à deux reprises sans h (alors que résonne la triple trahison de pierre mise en musique par bach) – serrer sur son cœur une fois de plus babar et la vieille dame.
De la grammaire
Emmanuel Hocquard souligne le côté extraordinairement contraignant et rigide de l’apprentissage de la langue. « On dit une leçon de grammaire comme on dit une leçon de morale » (p.59) insistant aussi sur le fait que « la phrase n’est pas seulement cette façon d’organiser le langage, elle est une façon d’organiser la pensée, dans les frontières qu’elle impose. » (p.59)
→ c’est pourquoi on ne pense pas de la même manière dans les différentes langues. C’est pourquoi essayer de penser musicalement, mathématiquement, allemand, est important. Fut-ce en transcriptions tordues.
Puissance de la lecture
Lisant Hocquard sur la frontière, être instantanément en communication intérieure avec une situation vécue la veille où la voiture a emprunté un cul-de-sac, le bien nommé. Le demi-tour dans le cul-de-sac ne va pas de soi.
Se désaccoutumer
« Louis Zukofsky a écrit : "L’essentiel est de se désaccoutumer." Zukofsky était un poète. Dans une certaine mesure, les seules avancées notables qu’a connues le langage ont été le fait des poètes. » (p.64)
Emmanuel Hocquard qui dit que « depuis un demi-siècle, [il] travaille à inventer des connexions autres que celles qu’on [lui] a apprises. » (p.66)
Des caractères
Ou de la police (pourquoi a-t-on donné ce nom à la fois aux forces chargées du maintien de l’ordre et aux familles de caractères typographiques ?). Amusante lettre où Emmanuel Hocquard explique à une étudiante pourquoi il leur demande de rédiger tous leurs travaux en Times. Il a besoin, dit-il, d’un caractère « neutre » (il le qualifie même de « nul ») « pour voir monter les différences de pensées des uns et des autres, ajoutant que toute "fantaisie" formelle brouillerait la lecture parce qu’elle déguiserait la pensée ». Et puis il explique à son interlocutrice son recours au Garamond du temps qu’il était éditeur : « Le Garamond est le caractère littéraire par excellence depuis François 1er. Il poursuit : « Ma maison d’édition était une maison d’édition de littérature d’avant-garde. (...) J’avais choisi le Garamond, le caractère le plus classique (celui dans lequel sont encore imprimés tous les livres de la Pléiade), pour signifier que tous les livres écrits en français sont contemporains les uns des autres, que Montaigne et Claude Royet-Journoud sont contemporains et sont des contemporains dans la langue, alors que pour une maison d’édition d’avant-garde, j’aurais pu choisir une typographie d’avant-garde. Et, justement, je ne l’ai pas fait. » (p.73).
→ dans mes carnets j’utilise le flotroc, un caractère brouillon, peu stable, mais praticable en toutes circonstances, du bistrot à la couette, un caractère à usage personnel soigneusement transcrit ensuite en Garamond, un Garamond un peu particulier toutefois parce qu’avec un espace un peu « étendu » entre les lettres. Le Garamond des trois sites, celui des courriels. Et je rêve devant les carnets magnifiques si bien « écrits » de Liliane Giraudon ou de Jean-Michel Maulpoix. Les miens sont moches, de vrais « torchons », mais je suis parvenue à les rédiger bien plus librement le jour tardif dans ma vie où j’ai enfin renoncé à ce qu’ils soient beaux. Et où j’ai adopté le crayon à papier, en pensant peut-être aux fascinants microgrammes de Robert Walser. (le nom de "microgrammes" n’est pas employé par Walser lui-même, qui parle dans sa correspondance (en trois occurrences seulement) de "crayonnure" ou de "méthode du crayon" dans un contexte où il fait état d’une douleur physique et mentale à laquelle il impute son abandon de l’écriture à la plume vers les années 1917-1919
Flacon de sels (avec quelques grains de poivre)
ressentir une impression d’enlisement à la lecture à voix haute d’un mauvais livre dans une édition de poche mal soignée – éprouver un grand sentiment de fatigue qui est en vérité un lâcher-prise – sentir ce crépitement de feu de bois, parfois, en lisant ou recopiant un texte, feu des réminiscences liées aux mots lus, aux sensations, aux situations évoquées – éprouver un frisson en lisant ivan jablonka évoquer la nuit où l’idée de son livre [en camping-car] lui est venue
Purs pluriel et dehors, Pascal Quignard
« Reste, seule, et indéfectible, la métamorphose de l’écrit en livre : purs pluriel et dehors (...) les lecteurs ne sont pas un nombre. Ils sont les autres. Tout autre : purs pluriel et dehors. » (p.84) Voilà ce que dit Pascal Quignard à propos des minuscules « tirages » d’Orange Export Ltd.
Quand tu écris jardin, Emmanuel Hocquard
« Quand tu écris jardin, est-ce que tu penses à un jardin en particulier, à un vrai jardin, ou bien ce jardin est-il un jardin imaginaire, un jardin en général, un jardin idéal, une idée de jardin, un jardin de rêve, etc. ? ». Ainsi Hocquard s’adresse-t-il à une de ses étudiantes et il développe : « Si c’est un jardin imaginaire ou, pire, métaphorique, ça ne peut que sonner faux. Tu vends du toc, tu invites à partager un fantasme. » (p.95)
→ si souvent, ouvrant un recueil de poèmes, cette impression qu’on me donne du toc. De la pacotille, des mots qui ne sont là que des grosses perles vulgaires, brillantes. Que la sincérité (voir ci-dessus, acception de Zukofsky, reprise par Hocquard) est absente. Que ce ne sont que singeries, leurres. Hocquard dénonce aussi l’usage des « gros » mots, tels « fiction » ou « imaginaire ».
Une fonction thérapeutique ?
Emmanuel Hocquard à un étudiant : « Je veux bien croire qu'écrire puisse aussi avoir parfois une fonction "thérapeutique". Écrire les choses pour les "faire sortir de soi", comme on dit, peut parfois être utile. Ça permet de prendre un peu de distance. Tu représentes les choses et tu affrontes leur représentation, comme Persée affronte Méduse dans le reflet de son bouclier. C'est l'écriture-miroir. "Ce que j'écris est le miroir dans lequel je vois ma propre pensée et par le secours duquel je peux la redresser." (Wittgenstein). Mimesis-catharsis. Mais cela suppose de l'honnêteté et de la vigilance, parce que le danger de l'écriture comme miroir, si tu n'y prends pas garde, ça peut être aussi de t'engager dans un tourbillon de narcissisme complaisant. Je suppose que c'est ce qui se produit, dans la plupart des cas, quand on tient un journal intime — chose que je n'ai jamais faite parce que le format journal intime m'a toujours paru très ambigu. Quoi qu'il en soit, l'écriture-miroir c'est quelque chose qui se passe entre soi et soi et qui n’appelle pas nécessairement de partage. » (p.96)
Idiot
Le mot idiot et son évolution. Il voulait dire à l’origine singulier, il signifie aujourd’hui crétin. Est-ce à dire que si l’on est singulier, on est crétin ? Se souvenir de l’idiot musical (selon André Hirt), alias Glenn Gould. Même chose, dit Hocquard pour infâme, qui à l’origine voulait dire inconnu, infamis, sans renommée (fama) et qui a pris très tôt le sens de « qui inspire dégoût ». Wittgenstein, dit encore Hocquard notait qu’il « faut parfois retirer de la langue une expression et la donner à nettoyer – pour pouvoir ensuite la remettre en circulation ». Mais cela implique d’avoir un poids minimum sur le cours des choses de la langue, or c’est rarement l’écrivain ou le poète qui détient ce pouvoir, mais bien plus les média, qui n’en n’ont que faire. Hocquard souligne d’ailleurs très justement que l’infléchissement de la signification des mots « va généralement dans le même sens, celui de la soumission à l’ordre politique et moral, qui se traduit toujours par des jugements (...) toujours la machine binaire à l’œuvre sur la ligne dure, qui découpe et surcode les personnes comme les sociétés. » (p.106)
Littérature et pratique
Retour à Marc Blanchet et à ses Amis secrets dont certains sont les miens ou deviennent et deviendront les miens de l’avoir lu.
Il en vient à se pencher sur Thoreau, l’homme de Walden, mais aussi, on le sait peut-être moins, l’homme de Cape Cod, ce long appendice du Massachussetts qu’il a arpenté longuement, exploration qu’il décrit dans le livre Cape Cod, paru en 1865.
Marc Blanchet a cette belle remarque sur une forme d’obsolescence qui touchent les livres : « Ainsi, d’année en année, de beaux livres s’effondrent-ils pour n’avoir finalement été que narration sans véritable Parole, beauté jurée en public mais jamais partagée, singularité sans véritable abîme ». Ici, peut-être, retrouve-t-on la notion de sincérité de Zukofsky ? Oui livres beaux, brillants mais qui ne sont peut-être que surface, qui sont sans fond, ce double, ce triple, ce quadruple fond qui fait les grands livres et leur capacité à se régénérer de génération en génération ?
Cette idée aussi, alors qu’il évoque la marche à pied -Thoreau fut un infatigable marcheur, un arpenteur hors-pair-, que la littérature serait un art qui demande pratique. Pas un art en chambre, donc, pas l’exploration d’un jardin imaginaire (Hocquard) mais la confrontation à un vrai jardin, fût-il enfoui dans les profondeurs de la mémoire.
Nommer, Thoreau
« Nommer ? Comme le fait le poète qui, au-delà de la signification, retrouve l’usage primitif des mots, celui de l’étonnement et de la stupeur, une nomination qui révèle dans d’infimes combinaisons l’architecture du monde. » (p.162). Thoreau, dit encore Marc Blanchet, n’envisage jamais son journal « comme un exercice littéraire, l’objet d’une vie curieuse en instance de devenir une référence culturelle (le vain mot). Il y consigne un émerveillement, parfois un doute, et surtout envisage cette forme d’écriture comme le lieu idéal où l’homme, tel un enfant, garde précieusement ses découvertes. » (p.165)
→ sans doute le flotoir, mutatis mutandis, une même démarche, serrer ses gloses, mais surtout ses découvertes, ces citations multiples, ces fragments arrachés aux livres, ces musiques écoutées et aimées, ces rencontres, ces moments, tous ces émerveillements, enthousiasmes et emballements dont on ne sait que trop que la mémoire, en traître (ou amie ?) qu’elle est souvent, ne gardera pas trace si l’on ne se donne le mal de les « mettre de côté », de les engranger, les réserver, quelque part. Cet effroi et ce réconfort en lisant des notes prises il y a quelques mois de voir déjà oublié, presqu’effacé, tel livre mais aussi de le savoir toujours prêt à se réincarner, grâce à ces mots-là.
Le savoir qui gronde, Marc Blanchet
Très belle idée de Marc Blanchet (p.179) que celle du savoir qui « gronde » autour des œuvres célèbres (ici La Divine Comédie). Et qui, comme tout ce qui gronde, est de nature à éloigner celui qui passe, surtout s’il est innocent. L’œuvre célèbre devient un monument, comme tel elle intimide et rebute. Il faudrait pouvoir l’aborder naïvement, presqu’anonymement. Chacun à notre tour. Quitte à en venir, ensuite, à ce savoir qui ne fait pas que gronder et parfois éclaire !
Abîmes de perception
« Alors que Le Mont analogue continue de s’élever quelque part, avec l’immuabilité des choses que le hasard préserve, je réalise – avec le temps, cet autre bâtisseur – que ma fascination pour les récits de Borges a ravivé d’une autre manière l’enfance et ses abîmes de perception. » (p.181)
Ce cours…
Ce Cours de Pise est un vrai régal, très vivant, souvent très drôle. Ainsi cette merveilleuse anecdote, alors que E. Hocquard et ses élèves réfléchissent sur la déformation des mots : « Paul Morand, dans Londres, raconte que le nom de la station de métro Elephant & Castle provient de la déformation phonétique d’Infante de Castille. Du coup il y a la statue de l’éléphant surmonté d’un château. » (107)
Écrire de la poésie ?
« A un moment ou à un autre de notre vie, nous désirons tous écrire de la poésie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la poésie. »
→ remarque éminemment importante ! La poésie ne consiste pas à « s’exprimer », à dire sa souffrance, son déchirement, son ou ses amours. Toute LAUJP (Lettre à un jeune…) devrait s’ouvrir sur cette mise en garde.
De l’ordinateur
Étonnant sous cette plume-là : « Si vous le pouvez, écrivez directement sur votre ordinateur. Il a infiniment plus de souplesse que votre écriture manuelle, tout en possédant les mêmes caractéristiques, contrairement à la machine à écrire de naguère. Il vous permet de voir sur le champ votre pensée avec plus de distance et de clarté. "Que voyez-vous en regardant votre langage ?" Clark Coolidge. » (144)
Et E. Hocquard de faire, il le fait souvent, un petit topo sur ce poète qu’il cite plusieurs fois dans cette page, Clark Coolidge : « Il a écrit de nombreux livres, dont l’extraordinaire Texte du cristal, d’où sont extraites ces citations. Il s’agit d’un poème très dense, de cent cinquante pages, écrit à partir d’un bloc de quartz qu’il avait sur son bureau. »
Et dans cette même page, il rapproche deux citations, l’une de Joe Bousquet : « je te le dis afin de l’apprendre moi-même » et l’autre, de nouveau, de Coolidge : « Ce que je vous dis, c’est de vous que je l’ai appris. »
→ ce serait un de mes rêves mais qui supposerait une magnifique banque de données et surtout que celle-ci soit en partie en mémoire et déjà très organisée et articulée : rapprocher des citations d’auteurs différents sur un même sujet. Parfois les hasards de la lecture le permettent et tout le flotoir fonctionne un peu sur ce principe.
Dans ces pages, E. Hocquard réfléchit sur le destinataire et sur le fait que grâce à ce destinataire « quelque chose qui est en attente peut se mettre en mouvement et circuler ». Il suffit de songer aux lettres que nous écrivons, à ces réponses que nous construisons au sein d’une discussion, d’un échange ou face à une demande précise. Le destinataire nous permet de sortir de nous quelque chose qui était sans doute latent mais inexprimé. Écrire, ce serait cela aussi, mais Hocquard n’aime pas l’idée d’un lecteur général, abstrait.
Et ce qui est très drôle aussi c’est que le « cours », essentiellement ici des courriels, est parsemé de remarques sur l’orthographe, la ponctuation, le mauvais usage de certains mots ! « Si vous voulez éviter de me rendre extrêmement nerveux, n’employez jamais en ma présence le mode subjonctif après après que. » ! (146)
La boîte à outils
« Tenez vos notions en réserve dans votre boîte à outils. S'il vient à vous manquer un outil dont vous avez besoin, procurez-vous-le auprès des distributeurs agréés : livres, textes et surtout professeurs, qui sont là pour ça. Si l'outil nécessaire n'est pas disponible en magasin ou s'il n'existe pas, alors fabriquez-le. Les anecdotes sont ces sortes d'outils que vous fabriquerez à partir de vos expériences privées. » (149) Puis de citer, une fois encore, Wittgenstein : « J'ai souvent comparé le langage à une caisse à outils contenant marteau, ciseau, allumettes, clous, vis et colle. Ce n'est pas par hasard que toutes ces choses ont été mises ensemble — mais il y a des différences importantes entre les différents outils ; leurs divers emplois ont un air de famille — bien que rien ne puisse être plus différent qu'un ciseau et de la colle. Les tours nouveaux que nous joue le langage chaque fois que nous abordons un nouveau domaine sont une surprise perpétuelle. » (Wittgenstein.)
Les fleurs japonaises
Et il me faut serrer ici, avec amour, ce passage magnifique que j’ai déjà recopié pour les « Notes sur la création » de Poezibao ! Emmanuel Hocquard raconte que dans son enfance « on trouvait chez les marchands de jouets des fleurs japonaises en boîtes. C'étaient de petites boîtes rondes en carton, de la taille des boîtes de cachous, mais un petit peu plus profondes. Ces boîtes contenaient des boulettes de papier grisâtres, toutes à peu près identiques. Le jeu consistait à en jeter quelques-unes dans une assiette creuse ou un bol remplis d'eau. Les boulettes, qui flottaient à la surface de l'eau, mettaient un certain temps à s'ouvrir. Les unes s'ouvraient plus lentement que les autres. Au terme du processus, les boulettes grises se trouvaient transformées en fleurs de papier plates qui étalaient leurs pétales, peints de différentes couleurs et de motifs délicats, à la surface de l'eau. J'ai souvent comparé à ces fleurs japonaises le processus par lequel une idée passe de l'état de boulette grise à celui de fleur en papier dépliée. Écrire implique un déploiement du même ordre. On pourrait ici forger le néologisme dépliement, ou parler d'explication au sens où Mallarmé parlait d'expliquer (déplier, ouvrir) un éventail. Quand je vous dis que vous savez tous écrire, c'est cela que je veux dire. Toutes vos boulettes grises sont là, qui ne demandent qu'à s'ouvrir. Mais pour cela il faut du temps, votre temps, de la concentration, de la vigilance et le plus de précision possible. » (151)
A rapprocher de Proust : « *Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela que prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »
Ce passe-temps existe toujours au Japon où il s’appelle « suichuka » (水中花).
(source)
Antoine Emaz
Cité par Sophie G. Lucas, in Assommons les poètes, ce très beau poème, tellement émazien : « pensée en rade / ancrée / dans l’après-midi bleu // ni désir ni élan / aucune envie de radio ou de livre / juste être là / d’aplomb dans le temps / presqu’arbre//tout est en place / et le corps chose parmi les choses/ pas davantage //la lumière rebondit doucement : entre salbes volets e feuilles / on la regarde jouer » (Rien, l’été, La Porte, 2010)
In fine
Et voici le temps de la conclusion de Marc Blanchet, la fin (provisoire on peut l’espérer) de sa méditation magnifique sur les amis secrets : « La vertu première n'est donc pas une obéissance béate à Dieu mais la construction de soi, l'humilité et le retrait qui l'accompagnent. Pour désigner les auteurs anciens, grecs et latins, qui le fascinent et qui, plus vivants que fantômes, se penchent sur son règne d'écriture, Pétrarque a une expression précise : les amis secrets. Il l'écrit en plusieurs textes comme la formule heureuse pour parler de ces morts éternels, qu'il espère rejoindre dans quelque paradis — ou champs-élysées. C'est là son souhait et sa prétention : il s'emploie presque désespérément à égaler leur force en faisant l'éloge de leurs vertus. C'est maintenant lui qui me guide pour nommer respectueusement, mais pas sans ironie ni recul, ces amis secrets — nombre d'entre eux étant encore vivants — qui ont façonné la présente main à écrire. » (195)
Poème, Valérie Rouzeau, Antoine Emaz
Très belle note de lecture d’Antoine Emaz sur le livre de Valérie Rouzeau, Sens averse, dont j’extraie la chute : « Dans sa richesse, l’écriture de Rouzeau nous rappelle que le poème est affaire de technique, de maîtrise des choix, de travail sur la langue, d’invention et de dette historique. Mais on aurait tort de considérer ce livre comme un exercice de style, un jeu gratuit ou de pure forme. Le poème est aussi, et d’abord, moyen de se colleter au réel, de le rendre un peu plus respirable et de s’en sortir sans être écrasé par lui. Une sorte de « parade », si on veut, plus ou moins « sauvage », mais dont la poète nous laisse toujours ici la « clé ».
La petite langue, Emmanuel Hocquard
Comme beaucoup d’autres écrivains, Emmanuel Hocquard a un rapport complexe avec la langue et en particulier la langue d’origine. Il explique que l’on parlait chez lui la « petite langue ». Chez lui, en effet « avait cours une petite langue de tous les jours bien accordée aux objets et aux gens. Une petite langue concrète dont chaque mot servait à nommer une chose ou une personne existante : la couturière, le puits, le chat, le jeu de l’oie, le cartable, le mûrier… Une langue pauvre dans sa précision, économe d’adjectifs, d’adverbes, d’images et de métaphores. (...) Tout ce qui ne relevait pas de l’indispensable commerce des mots était abandonné au contact brut, sans langage, avec la réalité des choses elles-mêmes ; l’émerveillement ou la peur sans nom » (171). Et c’est dans ce contexte que va se produire le choc de l’école, qui semble poursuivre encore l’écrivain à l’époque de son cours de Pise, puisqu’il prend souvent son premier manuel de lecture comme une sorte de contre-exemple, de repoussoir. « Passé la grille du jardin, tout changeait. A l’école, il fut évident, dès le début, qu’en dépit de similitudes superficielles, il ne s’agissait plus de la même langue. Régie par des lois écrites et abstraites, celle-ci tirait sa pertinence et son autorité des livres. (...) J’ai appris à lire et à écrire le français dans les salles de classe comme une langue étrangère ou une langue morte (...) Quand la petite langue du début a eu complètement disparu de ma vie en même temps que le petit garçon de la photographie, je me suis retrouvé longtemps sans langue. Entre deux langues : l’éteinte et l’empruntée. Avec l’énigme des choses et cette langue générale comme une chose, comme une énigme. »
→ autrement dit dans une situation faite pour donner naissance à un poète. Je pense à Claude Vigée, en lisant ces mots, à Hélène Cixous aussi. Ces écrivains qui ont vécu dans plusieurs langues, très tôt, langues non démêlées, langues alternant dans les différents milieux de vie, maison ou école.
Langue encore
Peut-être comprend-t-on mieux alors la passion d’Hocquard pour la langue, cette manière qu’il a d’en explorer les aspects les plus divers, tel que cela se manifeste dans ces travaux avec les étudiants des Beaux-Arts. Il écrit que « le langage ordinaire (...) est un passionnant terrain d’observation et d’expérimentation de la pensée. » (176)
Flacon de sels
aller à la librairie et choisir trois livres, deux à offrir, un à s’offrir – taire lequel – décider de ne plus utiliser le mot bouleversant qui se répand partout comme du ketchup, aussi artificiel que la dite sauce et même si on est vraiment bouleversé – déguster le cours de pise avec une âme d’étudiante (inter-âges ?) – entendre à quelques mètres un magnifique chant d’oiseau et se hasarder à l’attribuer à la grive musicienne – être déstabilisée par un visage connu qui n’est pas dans son cadre (portrait descendu de sa toile) et retrouver, après deux ans d’absence du quartier, le si gentil employé du franprix, disparu du jour au lendemain, sous la blouse du « primeurs » - découvrir que la symphonie la poule de haydn, que l’on se refuse à affubler de ce nom idiot, est merveilleusement entraînante pour dérouiller les membres encore engourdis de nuit – voir arriver par l’ouest des grains spectaculaire –
Aleš Šteger
En vue de la préparation d’un entretien avec Guillaume Métayer, qui en est le traducteur, je lis un article d’Olivier Barbarant sur Le Livre des choses du poète slovène, paru chez Circé en 2017. Olivier Barbarant écrit à la fin de son article qu’il s’agit d’un « très grand livre, de ceux capables de retrousser le visible, et de retresser un rapport au monde », ce qui est considérable. (Olivier Barbarant, « Les quatre vents de la poésie. Que les mots éclatent entre tes dents. Aleš Šteger », Europe, n° 1068, avril 2018, p. 323-328)
Une belle consigne
D’Emmanuel Hocquard à ses étudiants des Beaux-Arts : « Pour le moment, la seule chose que je vous demande d'essayer d'avoir présente à l'esprit est que lorsque vous écrivez, lorsque vous coulez votre pensée dans des phrases, il n'y a là rien de naturel. Vous ne faites qu'appliquer aveuglément des règles que vous avez apprises. Vous ne faites que suivre, même si c'est "à l'insu de votre plein gré", une procédure. Avoir cela présent à l'esprit fait une grande différence. Si vous êtes bien conscients de cela, si vous parvenez à voir vos phrases comme des produits d'un système formel, vous avez fait un immense pas en avant. Et vous pouvez alors jouer beaucoup plus aisément avec votre langage ordinaire (parlé ou écrit) » (Le Cours de Pise, 178)
Notre manière de penser
« Notre façon de penser (et, partant, de vivre) est incessamment confrontée à ces découpages illogiques qui (nous) segmentent sur le mode binaire, dichotomique, manichéen : oui/non ; blanc/noir ; homme/femme ; jeune/vieux ; c’est bien / c’est mal ; c’est beau / c’est laid ; c’est vrai / c’est faux ; le travail/les loisirs ; etc.(...) nous n’arrêtons pas de différencier en opposant une chose à son contraire, une valeur à une autre. » (180).
→ toujours bon de remettre cela au centre de la réflexion. Dans tous les domaines.
Si seulement
« Si seulement vous n’essayez pas d’exprimer l’inexprimable, alors rien n’est perdu. Mais l’inexprimable sera – inexprimablement- contenu dans l’exprimé. » (Wittgenstein, cité p. 193)
Emmanuel Hocquard s’appuie continuellement sur Wittgenstein.
Il dit en fait avoir cinq détectives : « Sur les murs de mon bureau, j’ai accroché ma galerie de portraits des grands détectives du siècle. Ils sont, pour le moment, au nombre de cinq ». Et de citer Deleuze, Wittgenstein, Reznikoff, Gertrude Stein et Raymond Chandler. (199)
Quels seraient mes détectives ? Je pense à Valéry et Benjamin, dont les portraits sont bien au-dessus de mon bureau, mais aussi à Michaux. Roubaud, Cixous & Quignard, sans doute aussi.
Un petit cours de poésie
Emmanuel Hocquard développe ensuite, à l’intention de ses élèves, un vrai cours sur l’objectivisme (un peu sur l’imagisme aussi) : « la poésie objectiviste est peut-être la réponse la plus intransigeante à tous les avatars du romantisme. » (207)
Lire
Etrange comme on peut changer d’état – physique et mental- en changeant de livre, simplement. Je quitte un livre qui me déplaît profondément et je reprends mon Cours de Pise. Tout change en moi.
Connecter, faire des connexions
Emmanuel Hocquard s’interroge sur la notion de connexion : « Faire une connexion entre des notions, ce n'est pas les enchaîner comme des propositions à l'intérieur d'une phrase ni comme des dominos. Ce n'est pas davantage les arrimer ni les fixer comme des pièces détachées que l'on assemble de telle façon (et pas d'une autre). Une connexion se fait de telle manière, comme elle aurait aussi bien pu se faire d'une tout autre manière. Les connexions sont discrètes (discontinues). Les connexions sont concrètes. Une connexion est souvent une surprise. Une connexion est souvent unique (idiote). Elle est aussi souvent (une affirmation) provisoire. (...) Une connexion est ce genre de configuration où soudain, quelque chose d'imprévisible (se) passe entre deux choses. » (235)
→ j’aimerais penser le flotoir comme un immense réservoir de connexions : « une connexion n’est pas un enchaînement, mais une rencontre à distance entre deux choses que l’on rapproche parce qu’on le "ressent" ainsi (...) Je veux dire qu’il n’est pas utile d’établir entre les choses des relations de cause à effet. Ça se serait une explication. Or je serais tout à fait incapable d’expliquer ce que sont ces "fils intérieurs". Tout ce que je peux en dire c’est que ce sont de vrais fils, pas une métaphore qui renverrait à un réseau de connexions cachées, par exemple. » (236)
Trop à citer
On serait tenté d’extraire et de citer de multiples passages de ce livre d’Emmanuel Hocquard. Partout des remarques, des idées, des notions qui sont utiles au lecteur et à l’écrivain. Mais le flotoir n’est pas le cours de Pise, il faut se retenir de donner trop d’extraits, choisir ceux qui sont les plus pertinents, en pensant peut-être à cette idée de connexion. Et garder surtout le livre amplement souligné et annoté à portée de main, quand il sera fini. On peut le ranger parmi ceux qu’on appelle « Usuels » dans une bibliothèque ! Je relève pourtant encore : « Les deux mots (tombe et miroir) sont tellement chargés de connotations qu’il est difficile de les employer sans qu’ils produisent des harmoniques imprécises, métaphoriques ». (256). On pourrait faire une enquête auprès des poètes pour leur demander de lister quelques-uns des mots qu’ils pensent ne plus pouvoir utiliser, en raison de ce que « la poésie est pavée de tombes et de miroirs » ! Retenir aussi cette idée d’harmoniques imprécises.
Cartes postales
Et voici qu’Hocquard rejoint Michel Butor et Herta Müller comme fabricant de cartes postales : « tous les jours, je fabrique, avec des photos trouvées dans la presse new-yorkaise, de fausses cartes postales de New York qui montrent ce que de vrais New-Yorkais ont vu dans leurs journaux. Mes recadrages sont comme des poèmes faits à partir de proses. (259)
De l’anthologie et de la furor !
Il développe une réflexion autour de l’anthologie, en partant d’une exposition de peinture vue au Whitney Museum, second volet d’une exposition consacrée à l’art des Etats-Unis au XXème siècle, et qui porte sur la période 1950 à 2000. Il montre les inconvénients de l’anthologie : « lorsque l’on veut tout montrer, finalement on ne montre rien » et surtout le côté échantillonnage, le plus de monde possible, mais avec très peu de chose pour chacun. Mais ce qu’il reproche à l’exposition (et le lecteur se demande s’il doit le reprocher à toute anthologie) c’est cette impression que tout a été mis en œuvre pour imposer un type de démonstration. « Tout est verrouillé. Tout est muséifié ». Autrement dit ce qui est retenu là, c’est le bon, ce qui n’est pas là, c’est ce qui n’en vaut pas la peine. Et pragmatiquement Hocquard d’en déduire qu’il ne pourra jamais enseigner la littérature car il sait par expérience « que les choses ne se passent pas du tout comme elles sont relatées dans les livres d’histoire littéraire et les manuels scolaires. » (260). C’est que, écrit-il, les choses « ne procèdent jamais par générations linéaires arborescentes, avec leurs origines et leurs descendances bien ordonnées, mais par juxtaposition, malentendus, attirance, répulsions, contamination, ruptures, sauts, glissements, empiètements trahisons, chevauchements… Par affects, par furor. Les grandes ruptures, les vraies ruptures se produisent en marge. » (261). Et de conclure : « L’Histoire de la littérature est un agencement de mots d’ordre. »
→ et le lecteur de se dire intérieurement « Aïe » !
L’Ultime Thulé
Avant-dernier chapitre de L’ultime Thulé de Gérard Cartier, livre de mer et de rêves. Et bien plus. Nombreuses formes pour les 60 poèmes, comme autant de cases du Jeu de l’Oie (il y a, très concrètement, un Jeu de l’Oie dans le livre et ce dernier incite tellement à la relecture, chose rarissime, que l’on pourrait bien le relire en jouant le jeu du Jeu de l’Oie !). Toujours l’errance du moine Brendan et de ses compagnons, en quête des îles les plus isolées, les plus septentrionales aussi, mers d’Ecosse, de Norvège et jusqu’à l’ultime Thulé. Quête initiatrice et en même temps absurde, sans raison. Une confrontation du moine, mais aussi du poète, avec le sens, avec les confins, avec la solitude, avec la mort.
Flacon de sels
plonger le nez à la commissure des pages intérieures du livre, un bon arléa, et humer l’odeur si particulière, encre, papier, colle peut-être ? – penser à la liseuse, certes sans odeur mais qui offre tout son proust sous son tout petit volume si facile à transporter – se souvenir de la peur profonde, enfant, de manquer de livres pendant les vacances, de valises importables et d’occupation à soi seule d’une part importante du coffre de la voiture familiale – passer dix minutes à écouter le merle, posé sur le bâti en bois d’une terrasse fleurie juste en contrebas et qui chante le crépuscule à tue-tête – plonger dans le regard d’une petite fille très aimée – reprendre les photos de 2017 pour composer le livre annuel – se lancer dans de nouvelles compétences en informatique et réussir – buter sur une séquence logique (trop logique !) et s’en remettre au « pif » rebaptisé intuition – faire la queue dix minutes à la boulangerie, sans merle cette fois et se régaler des odeurs, des conversations, du ballet de l’équipe tout en dégustant des yeux plusieurs gâteaux – retirer un petit reste de terre des tiges des tulipes sauvages jaunes avant de les plonger dans l’eau du vase – commencer un nouveau livre.
Ses grands-parents
J’ouvre Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka après avoir lu En camping-car à haute voix et avec tant de bonheur avec M. A l’orée de son livre il s’interroge sur une lettre écrite à ses grands-parents, ceux qu’il a eus, quand il avait huit ans et et se demande s’il cette lettre témoigne d’une « vocation d’historien ou de la résignation d’un enfant écrasé par le devoir de transmission, maillon d’une chaîne de morts. » (10). Pensant à ses grands-parents juifs exterminés il a aussi ces mots que l’on pourrait écrire à propos de tant de drames contemporains, en Syrie ou en Méditerranée : « Vivants, ils étaient déjà invisibles et l’histoire les a pulvérisés ».