[du 22 décembre 2020 au 11 janvier 2021]
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Victor Hugo, dispositifs et rituels d’écriture
Bel article de la BNF sur les rituels d’écriture de Victor Hugo. « Loin du cliché de l’écrivain besogneux, cent fois sur le métier remettant son ouvrage, Hugo met en scène la création littéraire comme un engendrement spontané, après une longue maturation intérieure dont il ne laisse que peu ou pas de traces : ses manuscrits frappent par leur lisibilité et leur calme ordonnancement, comme si le texte s’était déposé d’une coulée régulière sur le papier. Les pages sont divisées verticalement en deux ; la rédaction première occupe la colonne de droite ; la partie gauche accueille les corrections, qui sont principalement des additions, des enrichissements de la matière poétique. Cette marche assurée vers l’accomplissement est scandée sur le manuscrit, où sont notés le lieu, la date et parfois l’heure d’écriture de la première et de la dernière pages, ainsi que d’autres dates intermédiaires ; des traits horizontaux dans la marge marquent l’avancée quotidienne de la rédaction. Le choix des matériaux et des instruments est le corollaire de cette esthétisation du manuscrit, qui n’est plus simple document de travail mais manifestation singulière et pérenne de l’acte créateur. Hugo apporte un grand soin au choix du papier sur lequel il écrit ses œuvres. Il a une prédilection pour la couleur bleutée, qui lui repose l’œil, même s’il a parfois recours à des papiers blancs ou crème. Résolument réfractaire à la plume métallique, il n’utilise que la plume d’oie, et une encre brune que l’on retrouve dans ses dessins. À partir des années 1860, à Guernesey, il adopte la posture debout. Ce choix a d’abord eu une motivation hygiénique (faciliter la circulation sanguine, éviter la courbure du dos) ; mais il venait aussi renforcer cette mise en scène de la création, surtout quand il trouva, dans le look-out de Hauteville House (pièce vitrée aménagée sur le toit de la maison) un décor à sa mesure : la figure de Hugo debout devant son lutrin, tenant la plume sur fond d’océan et de plein ciel, est entrée dans la mythologie. Mais à côté de ce rituel, réservé à la rédaction finale des œuvres, l’écriture hugolienne a aussi son versant sauvage. Hugo est un graphomane : l’écriture est pour lui un geste impérieux, qui n’a ni lieu ni heure. Des mots, des phrases, des pages lui viennent constamment à l’esprit, qu’il s’empresse de noter. Certains resteront isolés et seront rassemblés après sa mort dans les Tas de pierres ou Océans (recueils de fragments) ; d’autres ont vocation à alimenter les romans ou recueils poétiques : ce sont les copeaux, massivement détruits après leur recyclage, mais dont subsistent néanmoins d’importants gisements.
Pour cette écriture sauvage, Hugo fait feu de tout bois : il se déplace couramment avec un carnet (il en gardait même un sur sa table de chevet, pour noter aussitôt les phrases qui lui venaient dans son sommeil) ; et, à défaut, il saisit littéralement le premier bout de papier qui lui tombe sous la main : lettre reçue, verso d’un prospectus, page arrachée d’un livre… Le spectacle matériel de ces fragments d’écriture, aux formes, matières et couleurs variées tels des confettis épars au lendemain d’une fête, est en soi la meilleure métaphore du jaillissement littéraire hugolien, et de son extraordinaire liberté. (Thomas Cazentre)
Musique d’âme ou moulin à prière
Merveilleuse ouverture de Patrick Laupin à sa contribution au feuilleton Bernard Noël de Poezibao : « Il est difficile, tout de même, de dire plus d’un demi-siècle de lecture d’une œuvre. C’est une compagnie, l’ouverture des portes de la mémoire, un sacré élémentaire, naturel, sorte de musique d’âme ou moulin à prière, une perfection dont on rêve, un climat, une atmosphère, qui font ressentir qu’on est vivant, qui rétablissent le contact, l’unité, la présence. Pour moi c’est un merveilleux cadeau d’existence, un peu comme le sont les Élégies de Rilke, les Quatuors d’Eliot, La promenade au phare ou Absalon. Dans la moindre de ses pages Bernard Noël explore les ondes, les antennes, les chocs reçus en conscience. Il a le magnétisme puissant et indulgent de ces créatures dont on sent à quel point elles manquent quand elles ne sont pas là. Il fait partie de mon existence par ces sortes de prières qu’on fait, au vent, à la pluie, au sacré, à l’aube, à la distance, au mi-dire qui tient compagnie, à cette sorte de créature invisible qui tient lieu de communauté de la lecture. Quand je le lis je me sens enfin de retour, chez moi, chez nous, chez soi. Comme un oiseau de Braque ou un corps qui penche de Giacometti ses livres tendent le miroir le lieu de quelqu’un qui s’affronte au phrasé et au silence de la conscience. Avec le don sacré de ces signes
pauvres et élémentaires qui nous font entrevoir que nous sommes vivant et mortel. On ne peut pas paraphraser la poésie, c’est vrai de toute poésie, mais éminemment de la sienne. Au grand sens du terme c’est donné à lire. Dans ce grand miroir du monde un homme fait le cadeau immense, inestimable, des précipités internes de ses labyrinthes, de ses hiéroglyphes, de ses
dialogues, de ses fatigues, de ses fragiles et fortes mises en œuvre de l’alerte dans la langue. Odyssée moderne ou vaste rien natal qu’il faut partout raconter pour contrer l’empire médusant des tautologies humaines. Il inaugure une époque nouvelle de la conscience en acte dans la lecture et l’écriture. » (la contribution complète dans Poezibao)
Flacon de sels
voir une petite fille très aimée, peinée de quelques larmes dans les yeux de sa mère, comprenant qu’elle pense à sa grand-mère disparue il y a peu lui donner son petit chien en peluche adoré et lui dit c’est Gram, trouver cela fou de profondeur, de tendresse, de sensibilité – entendre une autre petite fille très aimée découvrant ses livres, cadeaux de noël et disant mais je rêve -
Sur l’écriture manuelle, ces mots de Siegfried Plümper-Hüttenbrink :
« À propos de l'incidence du mode d’écriture sur ce que l'on écrit .... J’ai dû me rendre compte qu'au fil des années l'écriture numérique qui s'effectue en instantané, sur un simple déclic, n'est pas sans me faire perdre la mémoire de ce j'ai dû écrire et archiver, alors que l'écriture manuscrite en garde le souvenir vivace sans avoir à passer par un disque dur. À vrai dire, j'ai souvent du mal à me faire au calibrage de l'écriture sur écran. C'est fixé, cadré et congelé, fin prêt à être imprimé de par l'alignement des lignes. On ne rature pas, mais efface par un simple déclic, comme si rien ne s'était passé. Alors que "noircir du papier" permet de griffonner, d'opérer des incises, d'écrire en diagonale, et en travers de la page. Ce qui fait que la pointe d'une plume ou d'une mine de crayon peuvent agir à l'instar d'un sismographe. Donnant lieu à des chemins de traverse, voire même à des labyrinthes graphiques. »
Flacon de sels
cette route matinale, champs vert pistache à peine saupoudrés de givre, grands miroirs d’eau où se reflètent la silhouette hivernale des arbres, si graphique, lambeaux de brume errant sur ce paysage, lumière d’or pâle tamisée – quelques noix de saint-jacques simplement poêlées dans un peu de beurre salé – une petite fille très aimée qui n’a pas encore deux chiffres d’âge et qui dit « lire c’est ma vie » - un petit garçon très aimé qui pleure à chaudes larmes lors du démontage du sapin de noël – écouter les suites anglaises de bach jouées par angela hewitt et dédier cette écoute à ceux qui restent nos amis anglais envers et contre tout – découvrir qu’on peut s’inscrire au séminaire d’hélène cixous en ligne – pensant à cela la retrouver dans ses lettres de fuite glosant à l’infini et virtuosement autour de proust et d’albertine disparue -
Claude Minière
Extraits d’un poème Errance offert à Poezibao (intégrale ici)
15. Semblablement pour le rythme de l’écrit : j’écoute ma ligne. Je cherche la frappe heureuse, j’entends les battements et roulements des syllabes, j’éprouve la puissance et l’exactitude.
J’accueille le franchissement des habitudes de pensée et d’expression, j’honore même les clichés quand ils traduisent une part de vérité commune. Je me rapproche de la sensation, parfois se présente une coïncidence.
17. L’errance, ce n’est point être perdu, c’est avancer avec le sentiment que l’on passe et ne tient pas définitivement la place.
31. Je chante l’élan, le soulèvement. Je ne me laisse pas encombrer de galets dans la bouche, ne me laisse pas glisser à l’ornière.
(poème inédit publié dans Poezibao hier).
→ accompagnement pour le voyage d’hiver, en pensant à Montaigne « je ne peints pas l’être, je peints le passage ».
Klee par Jérôme Peignot
Très belle page de Jérôme Peignot en son livre Ma part d’infini à propos de Paul Klee. « Je vais à Beaubourg, à l'exposition Klee. Il est plus libre que Picasso. En même temps sa liberté est plus contrôlée, convaincante que celle de Picasso. Il la travaille et avec elle nous dit des vérités qu'il est le seul à savoir formuler. Un monde semi-rêvé plus réel que le réel. ‘L'art ne rend
pas le visible, il rend visible’ dit-il. Il ajoute : ‘J'occupe un point reculé, originel de création à partir duquel j'émets des formules a priori sur l'homme, l'animal, le végétal, le minéral et la terre, le feu, l'eau et l'air.’ Il nous transporte en effet, quelque part entre l'au-delà et notre présence ici. Avec lui, nous disposons d'un sixième sens. L'ironie joue un rôle déterminant dans son langage. C'est par elle qu'il nous donne accès à une transcendance. Son recours inégalé à la transparence de la couleur est sa façon à lui de traverser les miroirs. Il jongle alors avec les perspectives réversibles, les couleurs complémentaires, les tensions contraires obligeant le regard à un mouvement incessant. ‘Ingres, écrit-il, organisait le repos. J'aimerais, au-delà du pathos organiser le mouvement.’ On le voit même peindre un tableau auquel, à juste titre, il donne le nom ‘d'équilibre chancelant’ (le Coureur). Il finira son parcours par une série sur le thème de la mort. Le voilà définitivement engagé dans un ‘entre monde’ dont il maîtrise à merveille les tenants et les aboutissants. Il est plus que jamais à son aise, lui qui se refusait à choisir entre l'abstraction et la figuration. ‘L'art, écrit-il, joue avec les réalités ultimes qu'il ignore et, malgré lui, les atteint.’ Aucun peintre n'est allé si loin dans la transcription de l’invisible. À nous faire croire que l’homme a la maîtrise du monde sans, pour autant, être davantage celui qu’il est. L’au-delà serait-il tant soit peu encore d’ici ? » (p. 153).
Sur Mahler aussi, une superbe page
« De la musique de Mahler et singulièrement de la Seconde symphonie en do mineur pour soprano, contralto, chœur et orchestre attrapée par hasard à la télévision, magistralement interprétée par l’orchestre philharmonique de Vienne je dirai qu'à la fois j'eus l'impression qu'elle existait et qu'elle n'existait pas. Par là j'entends que cette symphonie donnait le sentiment de n'avoir été qu'improvisée et que, pour une bonne part, en l'écoutant je l'avais conçue avec son compositeur. J'ai été conforté dans cette opinion en lisant ce que Mahler avait précisé à un chef d'orchestre au sujet du travail. Il affirmait qu'exécutée avec ‘le soin de la plus scrupuleuse clarté’, l'interprétation du chef d'orchestre était ‘une recréation’. Dans les dernières années de sa vie, après la Huitième Symphonie, l'Encyclopédie de la musique parle d'une ‘prose musicale désunie’. Ce n'est qu'en poussant aussi loin qu'il a pu en ce sens que le musicien a trouvé son style propre à faire prendre conscience que l'infini est plus accessible qu'on croit. Si je suis incapable de le décrire, je n'en suis pas moins assuré d'avoir ressenti sa présence. La profondeur de sa douceur est inqualifiable. » (p. 164)
→ cela que j’aime tant dans les carnets des grands écrivains, cette capacité à traduire leur émotion devant des œuvres d’art, ici la peinture et la musique, Klee et Mahler – et le fait que souvent on ne s’étonne pas des artistes élus par cet écrivain que l’on apprend à connaître en profondeur en lisant ses notes. Il y a si souvent évidence d’une profonde cohérence, en lien avec la recherche littéraire qui l’anime.
Découverte et contrôle
« ‘La découverte est un moment de bonheur indescriptible pour l'inventeur’ dit l'archéologue Schnapp. Un inventeur ? Mais, en l'occurrence il n'invente pas. Oui et non. C'est en soi qu'on trouve avant d'en administrer la preuve par une trouvaille. L'instant est à ce point intense qu'en même temps qu'on exhume l'élément en question on devient un souverain du temps. Il y avait d'abord eu une prémonition dont on n'avait pas tenu compte et puis, Dieu sait pourquoi, on avait décidé de s'y abandonner. Oui, c'est bien cela : que nous soyons un archéologue, un artiste ou un poète la réussite dépend de notre faculté à nous priver du contrôle par trop excessif que nous exerçons sur nous-même pour nous placer sous la dépendance de l’inspiration. Alors, tout à coup, la réussite qui s’en suit nous fait tourner avec la terre. L’épisode, c’est sûr, nous donne une idée de ce en quoi l’éternité consiste. » (p. 171).
→ Ce texte me fait penser à ces expériences découvertes récemment dans Sciences et Avenir, expériences sur le sommeil, le rêve et la créativité où l’on tente de saisir ce qui surgit dans l’esprit d’une personne livrée à un court sommeil dont elle est tirée par un petit objet qu’elle tient dans sa main et qui tombe (on a lu de telles choses à propos des siestes éclairs de Dali). Dans les expériences on appelle cela le moment eurêka car souvent il est celui d’une découverte, de la résolution comme spontanée d’un problème ou d’une question longuement travaillés.
Cet article est extrait du hors-série n°203 de Sciences et Avenir, daté octobre/décembre 2020 :
« Insight. Le terme vous est peut-être inconnu, mais vous avez sûrement expérimenté ce qu'il désigne : une soudaine illumination qui vous donne la solution d'un problème auquel vous avez réfléchi longtemps, et qui vous vient alors que vous étiez passé à autre chose. ‘Ce moment eurêka, ou Insight, apparaît quand l'esprit arrête de se focaliser sur le problème, par exemple lors du repos, même si les mécanismes exacts et les phases impliquées restent encore inconnus’, explique Célia Lacaux, doctorante à l'Institut du cerveau, centre de recherche implanté au sein de l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. »
Sur Handke aussi
Sur Handke aussi, une belle analyse très subtile de Jérôme Peignot. Et Handke, encore un de la constellation, comme par hasard ! « L'essentiel du génie de Peter Handke s'évalue à l'aune de la description du vide. Comment s'y prend-il ? Son récit, en l’occurrence Le Malheur indifférent met bout à bout toutes les banalités de la vie : sa mère qui travaille, les messes à la mémoire des morts, les maladies infantiles, l'échange de lettres avec d'anciens amis, les jours légers, les travaux des champs qu'on abandonne sans arrêt pour placer le petit à l'ombre, les sirènes d'alerte même à la campagne, la course de la population vers les grottes prévues comme des abris pendant les bombardements... Pour Handke il s'agissait de ‘rien’ mais, tout de même, de l'énumération d'une liste qui finit par donner le vertige. Il parvient même si bien à en ajouter que le vide dont je viens de parler en est, comment dire ? toujours plus accusé. (...) Finalement je crois être parvenu à déceler le subterfuge. Au lieu d'aller aux faits pour user des formules du langage, Handke a inversé le procédé. Il est parti des formules rebattues pour aller aux faits. À poursuivre cette lecture, on finit par se persuader que dans cette description que l’écrivain fait de sa mère qui travaille à son futur suicide, si on peut dire, il est question du vide auquel tout un chacun est un jour confronté et, finalement que l’auteur décrit une évidence à savoir que la mort ne tue personne qui ne soit mort depuis longtemps. » (p. 173)
Proust et Cixous
Retrouvé donc avec bonheur la très belle transcription d’un des séminaires d’Hélène Cixous. Il tournait autour de Proust. Elle écrit : « Quand Proust joue la comédie de l’observation scientifique, ce n’est pas parce qu’il croit être un savant, c’est parce qu’il montre que lorsqu’on est en proie à des souffrances insupportables, on utilise tous les subterfuges et tous les stratagèmes, on emprunte toutes les identités latérales pour essayer de ne pas être le sujet dévoré par les flammes. (...) quand nous sommes en proie à une souffrance terrible : on cherche comme des fous à sortir de la cage de la souffrance, en inventant des milliers de trompe-souffrances. Dans Ovide, c’est très simple : tous les métamorphosés sont des métamorphosés de la souffrance ; on ne peut pas tenir dans un corps humain, c’est trop terrible, et Ovide invente cette chose magnifique qu’est la métamorphose.
→ ce qui est magnifique dans ce séminaire, c’est la propension d’Hélène Cixous à circuler dans un corpus follement riche et varié, passant de Montaigne à Ovide, de Rousseau à Proust ou Joyce. Avec un naturel confondant. Elle vit avec eux en permanence et elle les invite, là, à la table de conférence, pour nous, qui pouvons presque nous considérer comme des amis invités. Et sans cesse elle articule la littérature et l’expérience vitale. Dans tous ses aspects.
Avec deux mots comme embrayeurs
Elle sait dire l’éclatement du sens, les contradictions et les subsumer dans une vue pleine de sens. À propos de Proust encore, elle écrit : « il arrive avec deux mots comme embrayeurs à nous envoyer sur des pistes qui sont complètement opposées, comme dans cette phrase incroyable : ‘Et de redire ce nom qui ne nous donne rien de plus que ce qu’on sait déjà, on éprouve le besoin sans cesse renaissant, mais à la longue, une fatigue.’ Voilà une œuvre d’art absolue ; observez les virgules, le montage, la segmentation. Il nous montre des fonctionnements qu’aucun concept analytique, aucune théorie ne pourra jamais rassembler en un point ; lui, au contraire, il divise sans cesse, il multiplie, sans que cela s’oppose, puisque c’est simultané. Il ne peut faire ces divisions simultanées que parce que c’est un poète, et aucune théorie ne rendra compte de la puissance poétique. » et d’ajouter : « cette longueur interminable est faite d’éclairs ajoutés, d’éclairs noués les uns aux autres : dans cette interminabilité, cette espèce de continuité qui est sa marque inimitable – il n’y a que Bernhard qui se soit mis dans la trace de l’extension de Proust –, dans chaque segment, il y a un livre. » (p. 225).
Gil Jouanard
« Il nous appartient de tout faire pour voir, lorsque nous regardons, d’entendre, lorsque nous écoutons, de ressentir charnellement, lorsque nous touchons, de sentir, et, mieux encore humer, lorsque nous respirons, d’aimer lorsque nous désirons ou admirons, et enfin de ne considérer aucun moment comme donné ni même promis, mais à le peupler de gravité et de fantaisie, sans chercher à le monopoliser, mais plutôt à lui appartenir, à nous dissoudre dans sa fluidité, nous intégrer à sa plasticité, ainsi que fait, dans le corpus du granit, l’inclusion de quartz, de micas ou de grenat. » (Extrait d’un feuilleton en cours dans Poezibao, feuilleton dédié à des pages de carnet de Gil Jouanard).
Le feu qui crépite
Pourquoi ai-je eu cette intime conviction en écoutant le prélude de la Suite Anglaise n°5 en mi mineur de Bach que le musicien a dû souvent contempler un feu qui crépite dans une cheminée. Je suis confondue par la beauté des interprétations d’Angela Hewitt découverte un jour par hasard grâce à France Musique (le Bach du dimanche matin), bien trop peu connue en France et dont le très gros coffret de 15 CD de l’œuvre pour clavier de Bach n’est présent sur aucune plate-forme de streaming et notamment pas encore chez Qobuz malgré une demande en ce sens sur la page dédiée aux suggestions.
Il y a là une évidence, qui n’est bien sûr que le reflet de ce que l’on peut appeler l’évidence de la musique de Bach. Je sais pour avoir tant de mal à la jouer, comme chaque note compte dans cette musique, où l’attention est requise à chaque instant, comme tout fait sens. Mais en ces temps difficiles, où la question du sens des choses se pose parfois avec une sorte de violence, cette musique coule de source, apaise et donne de l’élan en même temps. C’est prodigieux et d’autant plus que ça concerne quasiment chaque page de Bach. Avec aussi cette impression si bienfaisante que si l’on décroche un moment, on peut revenir tout naturellement dans la musique, elle vous accueille et vous reprend par la main, pour continuer avec elle.
Violoncelle seul
J’ai été profondément émue ce matin, en composant une anthologie permanente de Poezibao en hommage au poète et critique suisse Pierre Chappuis tout récemment disparu, de trouver un très beau texte intitulé violoncelle seul qui est manifestement un écho à une écoute des Suites pour violoncelle seul de Bach. « La nuit, brusquement. /// Des bulles d’ombre éclatent, se rassemblent, s’égaillent, maintiennent notre écoute tendue vers ce qui, à mesure, à démesure, n’a chance de se dévoiler qu’à l’improviste. /// Nuit : stridences apaisées. /// Violoncelle seul » (l’ensemble du poème)
Or, du violoncelle – Le pansement Schubert
Or du violoncelle il a été question hier soir, fugitivement, au journal télévisé (une sorte d’hapax ?!). Plus précisément d’une femme violoncelliste, Claire Oppert, qui joue dans les chambres des malades. A la fin du reportage on apprenait qu’elle avait publié un livre qui porte ce beau titre de Pansement Schubert et sur lequel je me suis bien sûr précipitée (vive la liseuse !).
C’est un livre très émouvant : « Mon récit d’aujourd’hui veut rester au plus près des événements vécus pendant plus de vingt ans, et raconter les chemins mystérieux empruntés par la musique, quand elle atteint en plein cœur ceux que l’on nomme autistes profonds, résidents d’EHPAD, patients déments, malades douloureux et en fin de vie. Faisant fi de la logique, mon récit tente de témoigner de cette part souveraine et intacte, ‘noyau’ véritable en chacun de nous, que la musique rejoint et réanime parfois. C’est un récit heureux. Ce qui a poussé la musicienne que je suis vers le soin, le ‘prendre-soin’, n’est pas une démarche morale, mais quelque chose de naturel, d’instinctif, de sauvage même. » (p. 12).
A la télévision, on suivait Claire Oppert dans la chambre de deux malades en soins palliatifs. Dans son livre, elle relate bien d’autres expériences auprès d’êtres en souffrance. Cette dame qui hurle chaque fois qu’il faut lui faire un pansement terriblement douloureux et qu’elle calme, à l’improviste, en jouant le thème de l’Andante du merveilleux Trio op. 100 de Schubert (le pansement Schubert) – ces jeunes autistes sans mots, qui se roulent par terre, qu’on ne peut approcher et qui se détendent, s’ouvrent en l’écoutant (et même si l’un deux, sur une certaine suite de Bach, à deux reprises défonce la table de son violoncelle). Elle mêle de courts épisodes autobiographiques, sans aucun narcissisme et ces scènes auprès de ceux qu’elle aide avec la musique. Au point que dans certains hôpitaux elle est considérée comme une soignante, elle qui, fille de médecin, avait hésité entre la médecine et la musique ! « La musique, sous la forme arrondie d’un violoncelle, devenue ma vie, se tient tel un rempart devant l’absurde, la maladie et la mort, pour tenter de rejoindre ‘la chose en dessous’ qui résiste. ».
Howard
Au début du livre, elle est avec Paul un jeune autiste qui se roule par terre, rit, crache, pleure. Elle raconte : « Je commence à jouer le prélude de la 1ère Suite de Bach. Dès que le violoncelle résonne, Paul s’immobilise et s’arrête de pleurer. Le voilà qui se lève d’un bond, comme mû par un ressort. Il court chercher un long tube de plastique dans un coin de la pièce et le porte à ses yeux, le pointant dans ma direction. On dirait qu’il me regarde enfin. C’est ma première impression. Mais ne regarde-t-il pas plutôt la musique qui coule vers lui, qui coule en lui ? Je ne sais répondre. Je ne sais même pas qu’il existe de telles questions. Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas peur et que je suis bien avec lui. Et lui avec moi. De l’autre côté du mur de verre, une buée s’est formée. Comme la buée des enfants qui jouent sur les vitres. Nez écrasé, nez tordu. Les yeux de Howard sont pleins de larmes. Qu’a-t-il vu que je n’aie vu ? Lui, Howard Buten, le psychologue clinicien des cas extrêmes, des cas les plus lourds refusés par toutes les institutions. » (Claire Oppert. Le pansement Schubert, Denoël, 2020, pp. 14-15).
Car ce livre réveille aussi bien des souvenirs de lecture, celle des livres d’Howard Buten, le clown médecin Buffo, l’auteur de quand j’avais 5 ans je m’ai tué.
→ Ce qui frappe c’est l’effet de la musique sur ces personnes hors d’elles-mêmes, autistes, malades d’Alzheimer, résidants d’EHPAD. Quel drôle de vocabulaire au demeurant, Alzheimer, EHPAD, devenus pour beaucoup signes d’effroi. Un nom propre et un acronyme. Deux accrocs dans un tissu où s’accrochent la divagation, la folie, le court-circuit. Si près de soi, au fond de soi en vérité je vous le dis, ces attitudes des jeunes autistes, ces vociférations, ces injures, ces replis en boule dans un coin, contre un mur.
De la musique
Ce que je sais, intuitivement, la puissance de la musique, j’en ai de très remuantes démonstrations dans ce livre. Alors même que je viens de renouveler le constat, ces jours, que parfois seule la musique...
Un parcours
« Longtemps, Claire Oppert a hésité donc entre musique et soin. Georges, son père, était un drôle de généraliste ‘à l’âme d’artiste’, qui jouait du piano chez ses patients, oubliant parfois de les ausculter. Hélène, sa mère, était une danseuse ‘à l’âme soignante’. Après une maîtrise de philosophie, la jeune fille ‘amoureuse depuis l’enfance du violoncelle qui chante d’une voix chaude, ronde, plaintive’ étudie durant quatre ans au conservatoire Tchaïkovski de Moscou. ‘J’y ai connu l’humiliation, la violence, la peur, dit-elle. Comme pédagogue, je me suis construite à rebours’. En 1996, lors d’un colloque, elle rencontre l’Américain Howard Buten, à la fois clown, écrivain et docteur en psychologie clinique, qui dirige un établissement pour jeunes autistes dans la Seine-Saint-Denis. ‘Je suis violoncelliste, j’aimerais travailler avec vous’, lui propose-t-elle. En tête, elle a les mots d’une femme venue la trouver après son premier concert, à 14 ans : ‘Si vous aviez été médecin, vous m’auriez guérie…’ Et cette intuition : la voix du violoncelle peut ‘participer à prendre soin’, loin de la ‘jungle’ de la musique classique, des concours et des mondanités. (Extrait d’un article du Monde).
Dans ce même article on peut lire qu’ « Une étude clinique est menée sur 112 ‘pansements Schubert’, des soins infirmiers douloureux réalisés avec et sans accompagnement au violoncelle. Malgré des difficultés méthodologiques, les résultats, publiés en 2016, démontrent qu’‘à antalgie égale douleur et anxiété sont améliorées de 10 % à 50 % lors d’un soin avec musique’. Et que le ’pansement Schubert’ a ‘un impact positif sur le ressenti psychologique des soignants pendant des soins complexes avec douleur induite’ ».
Maintenant je commence
Retour à Cixous et à son séminaire, d’autant que je me suis inscrite pour la prochaine séance qui sera accessible en ligne !
« En exergue, une phrase que tout le monde peut avoir prononcée, va prononcer et prononce mais que j’ai prélevée dans le texte que nous avions abordé naguère sur la substitution et qui commence par ‘Maintenant je commence’. Je commence en vous disant : ‘Maintenant je commence’, en citant, en déplaçant et en démultipliant la question du maintenant et du commencement. C’est au beau milieu du texte de Derrida qui travaille sur les substitutions que je prends la phrase ‘Maintenant je commence’ ; je vous la donne à reprendre chacun à son compte, comme indice, comme rappel de ce qui nous arrive, ce qui peut nous arriver, ce dont j’espère que cela nous arrivera et plus d’une fois, c’est-à-dire un commencement en plein milieu. Une naissance tardive longtemps après la naissance et qui est vécue comme telle. »
→ On pourrait varier : il est toujours temps même tard de commencer du nouveau, il n’est jamais trop tard pour (bien) faire, etc. Tant qu’on commence, on n’est pas encore à l’article de la mort.
Hier ce calcul, commencé de tête et continué bien sûr avec les « petites machines » et qui aboutit à environ 261 millions de respirations depuis la toute première et près de trois milliards de battements de cœur depuis le premier battement in utero. Quel sera le compte final ?
De la généalogie
Notre tendance contemporaine à oublier que nous ne sommes que maillons, nécessaires mais infimes, d’une chaîne de transmission : « la généalogie est très intéressante, parce qu’on a tendance à disséquer, à découper, mais la séquentialité fait énormément de sens supplémentaires – du descendant d’Abraham. C’est passionnant, chaque fois cela engendre une quantité de significations, de fléchages symboliques et philosophiques. » (p. 233-324)
Avec Ovide encore
Hélène Cixous se dit une lectrice de toujours des Métamorphoses : « Quelques mots sur Les Métamorphoses d’Ovide, qui est pour moi un livre de chevet. Je pense que c’est l’autre Bible, un livre d’une richesse infinie ».
« Notre corps peut abriter de nombreux corps. Je ne dis pas qu’il y en a cent cinquante parce que ce serait alors la possession, comme on le voit dans les histoires de possession ; ce n’est ni agréable ni désirable. Par contre, il peut me venir un corps à mon corps et il peut aussi partir un corps de mon corps. Je peux perdre un corps et mourir un corps et, au contraire, voir survenir, éclore un autre corps. Le relais de corps tel qu’il est illustré de manière somptueuse dans Ovide est causé presque toujours par une rencontre, un entrechoc compliqué avec une réalité, la plupart du temps, violente, que ce soit une violence d’hostilité, armée, brutale, dangereuse, une menace de mort, soit que ce soit l’autre violence, qui est, au contraire, la violence de la rencontre, de l’entrechoc avec l’autre dans l’amour »
Montaigne aussi, bien sûr
« Je vous rappelle qu’au commencement, je retrouve Montaigne qui est toujours en train d’être sur sa trace, qui dit : ’Je ne peints pas l’estre. Je peints le passage’. Il faut être le passant qui peint le passage, il faut peindre son propre passage ou l’échange ou la suppléance et qui se peint comme un corps étranger peint un corps étranger. C’est notre sort, si nous ne faisons pas la sottise de ne pas supporter l’extrême complexité de notre sort, si nous sentons la chance extraordinaire qu’il y a à commencer alors qu’on a commencé depuis longtemps, non pas à recommencer mais vraiment à commencer, à se suivre et donc, pour se suivre, s’antécéder, se précéder et faisant cela se poursuivre. » (p. 242)
La forme
Dans une note de lecture de Michaël Bishop (à propos de La face nord de Juliau de Nicolas Pesquès : « Dans un brillant essai ‘cerisyen’ consacré à l’œuvre de Dominique Fourcade Henri Scepi écrit : ‘Prise dans l’immanence, lovée au cœur des choses et des êtres, la forme est ce qui est censé se dresser, se dégager des circonstances et des situations de l’existence. Elle est vouée à apparaître dans le poème [mais loin] des esthétiques de l’analogie et de la transposition’. »
Cela aussi : « Pesquès cite Novalis qui souligne à quel point ‘tout parle dans des langues infinies’ lorsqu’on a l’audace d’écouter le murmure, le cri, le tumulte et le silence de ce qui ne cesse de surgir, de s’originer. Mais écrire poétiquement oblige à relever le défi de cet ‘impossible’ qui, précisément, ‘doit être partagé’. »
Flacon de sels
se sentir soudain plus claire dans sa tête dès les premières notes d’une suite pour clavier de bach – dans la superbe lumière d’un après-midi d’hiver boire à grands traits du jus de pomme chaud parfumé à la cannelle – observer les jeux immémoriaux d’enfants se cachant et se poursuivant entre les caisses blanches des arbres – observer deux petits enfants tenter de récupérer un ballon tombé dans l’eau et y parvenir de manière très astucieuse – découvrir les beaux papiers découpés d’alfred thon dans la belle édition du lutin de stuttgart de Mörike à la coopérative de jean-yves masson – marcher, toujours marcher, en écoutant de la musique – jouer ses immenses playlists en ordre aléatoire pour se réserver à chaque fois le plaisir de la surprise – entendre une fois encore la sonate violon et piano de franck qui était si chère à P. -
Manque de liens ?
Beaucoup disent manquer de liens. Alors hier soir j’ai organisé une réunion clandestine chez moi. Sont venus Elie, Hélène, Eduard, un lutin, un petit cordonnier, une ondine, Jacob et Esaü, Marcel, Jean-Yves, les deux Franz et bien d’autres. [Oblomov, Cixous, Mörike, Proust, Masson, Schubert, Kafka]. Ils étaient tous là dans ma ruelle et très inspirés par H.C., ils sont entrés en dialogue, se sont renvoyés la balle. Ils se sont sans doute aussi retrouvés plus tard, à mon insu totale hélas, dans mes rêves.
Filtre oui toujours
Cet extrait de pages de carnets de Gil Jouanard publiées par Poezibao en feuilleton : « Moment privilégié de douceur et de tranquillité, dont le silence est tout juste instillé des voix somnolentes des tourterelles du clocher. Au loin, la Cévenne lozéro-gardoise tremble de chaleur matinale, jusqu’à produire ce faux air de brume qu’aurait fort goûté, et célébré, le peintre saxon Friedrich.
Mais, on le voit sans tarder, mes sens n’auront guère servi que d’intermédiaires entre ma vacuité et mon pesant bagage culturel, qu’un rien suffit à animer et à remettre en route. Ce que j’ai effectivement senti, éprouvé, vu, entendu par les cinq sens que la sainte biologie m’a octroyés dans sa généreuse magnificence s’est déjà, en un éclair, transformé en mots, qui n’ont pas tardé à tirer derrière eux ce train d’allusions savantes et sensibles à la fois, dont mes lectures ont fait la couche profonde de ma présence au monde et le détonateur préféré de ma conscience explosive. »
→ Il semble ici se plaindre de ce manque de naïveté devant ce qu’il perçoit. J’aurais plutôt tendance à penser que c’est une des richesses de la vie, ce feuilletage considérable d’impressions, de souvenirs propres et de lectures, d’écoute qui viennent enrichir la perception brute.
Un hiver avec Schubert
Je lis un Hiver avec Schubert dont le principe a été inspiré à l’auteur, Olivier Bellamy, par la série Un été avec (Montaigne, Homère, Proust, etc.)° Suite de chapitres brefs, tournant autour d’un thème mais construisant petit à petit un beau portrait, sensible et amical, de Schubert. « J’ai découvert Schubert en hiver. Mon père, qui m’avait initié à la musique par l’écoute de la Symphonie pastorale de Beethoven, est mort peu après le Noël de mes treize ans. La période difficile de l’adolescence s’annonçait avec son lot de crises, de questionnements solitaires et de chagrins. C’est alors que j’entendis pour la première fois la Symphonie inachevée de Schubert (...) Schubert m’a sauvé de l’Hiver. Quarante ans plus tard, j’ai voulu de nouveau passer un hiver avec Schubert. Le compositeur du Voyage d’hiver, venu au monde sous la neige et reparti par grand froid après une brève existence (1797-1828). » (Olivier Bellamy, Un hiver avec Schubert, Buchet Chastel).
Schubert et le temps
« Le Temps est au cœur de toute l’œuvre et de toute la pensée de Schubert, plus que chez n’importe lequel des compositeurs de son rang. Cette vision spirale de la musique, mesurée et totalement distendue, avec ces thèmes qui se répètent et qui ne sont jamais les mêmes. À la temporalité proche de la condition humaine que Vladimir Jankélévitch associe à la musique, Schubert ajoute un facteur intemporel, une métaphysique qui relie l’être et l’inconnu. »
Plusieurs annotations brèves de Bellamy, dont j’extraie celle-ci : « Par ses rythmes pointés, Schubert cherche à retenir le temps, à en modifier le cours inéluctable, même si en fin de compte il faudra toujours rendre en proportion ce qu’on a laissé s’étirer. Et ces reprises insensées que certains pianistes omettent d’observer de peur de lasser, ce qui rendait furieux Sviatoslav Richter : de quel droit écourter la succession des répons dans la liturgie ? (...) Le temps évanoui, Schubert l’expérimente tout naturellement dans ses quatuors à cordes composés dans la douceur du foyer maternel et qu’il joue (lui à l’alto) avec son père (au violoncelle) et ses frères Ferdinand et Ignaz (aux violons). Le bonheur de l’enfance retrouvée à satiété se mêle à la douleur de l’avoir à jamais perdue. »
La tonalité
Tant sur les questions de rythme, que de tonalité, Bellamy sait être précis tout en restant accessible, me semble-t-il. Il brode longuement sur cette question si controversée du majeur et du mineur. J’ai pour ma part souvent constaté comme les avis peuvent diverger à propos de tel ou tel passage de Schubert (disons par exemple dans le quintette La Truite ou dans l’octuor, que certains vont trouver joyeux alors que d’autres l’entendent infiniment mélancolique). Bellamy parle d’une double nature chez Schubert « entre le majeur et le mineur, le savant et le populaire, le robuste et le fragile, le terrien et le céleste. » Avec un « attrait troublant vers la ‘sous-dominante’ pour échapper à la stabilité du couple tonique-dominante. ». Un peu plus loin ; « Cette double nature de Schubert qui l’entraîne à confondre la joie et le chagrin se retrouve dans son ambiguïté tonale. Il rit en mineur et pleure en majeur. Puis il rit et pleure en même temps, que ce soit en majeur ou en mineur. Dans La Belle Meunière, ‘Die Liebe Farbe’ (la couleur chérie) est en si mineur, tandis que ‘la couleur mauvaise’ est en si majeur. » Ou encore « Mais une tonalité n’arrive jamais seule. Elle est porteuse d’un chemin harmonique, d’une série de modulations qui vont éclairer ou assombrir le discours. Schubert est le maître absolu de cette ambivalence fondatrice qui fait déjà entrevoir l’obscurité en pleine clarté. » Avec aussi ce constat terrible : « Dans ses dernières œuvres, le retour au majeur n’est en rien une victoire. Souvent il est un abandon, il immobilise, il glace, il fige. Le plus douloureux, ce n’est pas son mode mineur qui a encore la force de se battre, c’est son mode majeur : parce qu’il n’a plus d’espoir ici-bas, parce que tout se joue déjà ailleurs. »
→ Et dans le Voyage d’hiver elles abondent les scènes où tout se fige, se prend en glace.
Du lied
Un beau chapitre sur le lied dans le livre d’Olivier Bellamy, où il montre que Schubert est d’une grande fidélité au texte. « Dans ses choix rythmiques, tonals et mélodiques, il campe immédiatement un climat, un caractère, un style qui sont le reflet direct d’une vision d’artiste sur le sujet. Il ne se trompe jamais sur le sens du poème. Mieux : il en extrait le sens caché. Il suggère en musique ce que le texte sous-tend sans dire. Il ne se contente pas d’illustrer. Son parcours harmonique et rythmique épouse la dramaturgie de l’intérieur, explore l’âme de l’œuvre originelle dans ses moindres nuances. Répétons-le : c’est l’œuvre d’un musicien et d’un poète. Ou, pour reprendre le surnom que les amis de Schubert lui avaient donné, d’un ‘voyant’ ».
C'est que « Plus que Mozart et Beethoven, Schubert a créé le lied allemand de même que Haydn a créé le quatuor à cordes. Pas seulement parce qu’il en a écrit six cent cinquante mais parce que, dès Marguerite au rouet, à dix-sept ans, il invente une forme poétique forte qui va donner naissance à d’extraordinaires chefs-d’œuvre de la musique allemande et ouvre la voie à Schumann, Brahms, Wolf, Berg. (...) Le lied est la forme la plus naturelle de l’art de Schubert et les découvertes qu’il y fait vont se retrouver dans sa musique instrumentale. La liberté qu’il y acquiert nourrit toute son œuvre. Loin de se contenter de dilater une forme courte, il invente le chant infini dans la musique pure, repousse jusqu’à l’extrême les contours d’une forme et donne naissance à sa propre Recherche du temps perdu. Le Voyage d’hiver est son Temps retrouvé : il éclaire tout le reste, il clôture et il ouvre, donne le secret, résout l’énigme, boucle la boucle. »
L’oiseau grec
Un chapitre m’a beaucoup touchée qui m’a fait faire la connaissance d’un ami de Schubert, Vogl. Quelqu’un qui impressionnait le jeune musicien, qui l’a d’abord pris de haut et snobé, un chanteur très en vue qui semble l’éconduire mais soudain change du tout au tout en entendant quelques lieder du jeune homme. Et qui va devenir dès lors son défenseur attitré. Il va donner ainsi une interprétation magnifique du roi des Aulnes en 1821. Mais c’est lui surtout qui va interpréter les douze premiers lieder du Voyage d’hiver, en 1827. Extraordinaire scène où l’on voit Vogl et Schubert interpréter ces œuvres qui allaient devenir parmi les plus considérées de toute la musique classique : C’est un élève de Schubert qui raconte : « Vogl, déjà âgé, mais encore plein de feu et de vie, n’avait plus beaucoup de voix. Et le jeu au clavier de Schubert, en dépit de facilités non négligeables, était loin d’être magistral. Un morceau suivait l’autre, nous étions insatiables et les exécutants infatigables. J’ai encore devant les yeux le spectacle de mon maître Hummel, épais et ingénu, ne disant rien mais des larmes claires glissant sur ses joues. C’était une révélation. » À une autre occasion, Hiller revient sur ce concert qui les avait tant impressionnés, Hummel et lui : « Schubert avait peu de technique et Vogl quasi plus de voix, mais ils allaient si parfaitement de pair qu’on ne pensait plus ni au clavier ni au chant. C’était comme si la musique n’avait plus besoin de soutien matériel, comme si les mélodies naissaient, telles des visions spirituelles. »
Et en fait « Johann Michael Vogl, que Schubert appelle ‘l’oiseau grec’ dans sa correspondance, mourut le 19 novembre 1840 à Vienne, peu après avoir interprété, avec un filet de voix et une profondeur d’outre-tombe, l’intégrale du Voyage d’hiver de Schubert. »
Schubert, Bossuet, Valéry !!!!
Très amusant rapprochement opéré entre le musicien et les écrivains par Bellamy, en quête d’une définition de la manière de Schubert : « J’ai beaucoup cherché dans des livres et des journaux pour trouver la formule magique qui résumerait tout. En vain. Jusqu’au jour où, ne cherchant plus, je suis tombé sur ceci : ‘Il part puissamment du silence, anime peu à peu, enfle, élève, organise sa phrase, qui parfois s’édifie en voûte, se soutient de propositions latérales distribuées à merveille autour de l’instant, se déclare et repousse ses incidentes qu’elle surmonte pour toucher enfin sa clé, et redescendre après des prodiges de subordination et d’équilibre jusqu’au terme certain et à la résolution complète de ses forces.’ Quel est le chorégraphe de génie qui est parvenu à faire danser les mots autour du mystère des sonates de Schubert ? (...) c’est Paul Valéry qui évoque le style des sermons de Bossuet (Variété : Études littéraires, Éditions Gallimard). Le même Valéry qui dit que « le musicien est l’homme complet »
De la marche
« Wanderer. Schubert marche beaucoup. Sa musique regorge de rythmes de marche. Il avance, toujours droit devant, andante, entre ombre et lumière, parfois en titubant, il ne cesse d’avancer, même s’il fait du surplace dans les rues de Vienne et que rien ne se passe, que rien ne change. Il est un éternel vagabond qui ne possède rien, qui n’a pas de maison à lui et qui dort chez l’un, chez l’autre, de pageot en pucier, et qui va mourir chez son frère. »
Et le Voyage d’hiver n’est qu’une longue, interminable nuit de marche entre ces deux pôles que sont la maison de la bien-aimée dont il est plus ou moins chassé et le joueur de vielle du dernier Lied. Entre les deux pas une âme, la neige, l’eau, les arbres (chez Schubert les arbres parlent et souvent de manière très sombre, comme dans le Roi des Aulnes ou le fameux Tilleul du Voyage d’hiver).
Les dix plaies d’Égypte
Réentendu cette histoire biblique des plaies que Moïse déclenche dans le royaume du pharaon qui ne veut pas laisser partir les Hébreux. On ne peut s’empêcher de les trouver terriblement d’actualité, pour la plupart. Qu’on en juge : 1 - Les eaux du fleuve changées en sang ; 2 - Les grenouilles ; 3 - Les moustiques (ou les poux) ; 4 - Les mouches (ou les taons ou les bêtes sauvages) ; 5 - La mort des troupeaux ; 6 - Les furoncles : 7 - La grêle ; 8 - Les sauterelles ; 9 - Les ténèbres ; 10 - La mort des nouveau -nés. ». D’autant que les historiens ont cherché des faits qui pourraient être rapprochés de certaines de ces catastrophes. C’est ainsi que l’on découvre, par exemple, que les eaux de sang pourraient avoir été provoquées par une efflorescence d'algues rouges (de type Oscillatoria rubescens à l'origine de marées rouges) due à une augmentation de température !
Hallucinant
La densité, la puissance, l’originalité de la pensée d’Hélène Cixous dont on commence enfin à publier les séminaires sont littéralement hallucinantes. Intelligence philosophique, pour ne pas dire métaphysique, sens artistique, psychologique, puissance sensible et liberté totale des associations. Qui jamais ne semblent arbitraires ou conceptuelles. On a l’impression que le champ de la littérature est un immense tissu à plier et replier pour mettre en contact, éloigner, rapprocher, voire faire déteindre les unes sur les autres les œuvres de tous les temps. Dans une convocation perpétuelle et toujours renouvelée des Grecs, de Montaigne, de Shakespeare, de Kafka, de Proust. Et elle ne craint pas de renverser les perspectives, lisant par exemple l’histoire de Jacob et d’Esaü en se mettant du côté d’Esaü.
Qui suis-je ?
Hélène Cixous retraverse avec Kafka et Derrida (et Poë) cette expérience que beaucoup font, jusqu’au vertige : se poser cette simple question qui suis-je ? et être pris dans un jeu vertigineux de poursuite, de fuite, de perte. « Ce qui fait que je peux m’autoriser à dire que nous sommes là devant une histoire de corps étranger que je suis, c’est la question d’ouverture : ‘Qui suis-je donc ?’ Ce n’est pas : Connais-toi, toi-même, c’est : Qui suis-je, qui je suis ? C’est l’attaque, l’attaquant que je suis, et je m’attaque à moi. Il n’y a pas de place pour deux ; alors, il y en a toujours un qui attaque l’autre, mais je ne peux pas dire qui est l’agresseur : est-ce je ou est-ce me ? Dès que je dis : Qui suis-je donc ?, Wer bin ich denn, fuhr ich mich an, la porte s’ouvre. C’est la question qui ouvre la porte » (p. 245 et svt). C’est que « dès que vous vous posez la question : Qui suis-je donc ?, dès qu’il y a une prise à partie, il y a les deux personnages, il y a moi et mon apparition, avec, dans le texte de Kafka, une quantité de moments spectaculaires, merveilleux, terribles. »
De la Bible
A propos de vêtements déchirés, dans l’histoire du Verdict de Kafka, Hélène Cixous en vient à l’histoire de Jacob et d’Ésaü : « J’en viens à Jacob et Ésaü. Je suis revenue sur cette légende que je trouve admirable et en même temps détestable, mais le détestable est en même temps savoureux. C’est une histoire effroyable qui est anoblie, transcendée, emportée, sublimée, tout simplement parce qu’elle prend place dans la Bible, la Bible étant cet étrange livre où le crime est tellement beau, il est si bien raconté que le récit produit un effet d’anesthésie sur le jugement du lecteur. Des crimes qui ont été commis il y a très longtemps sont érodés, ils laissent relativement indifférent et, ô horreur, la trace devient une trace esthétique. Il faut ranimer ces crimes parce qu’autrement ils sont simplement beaux, à cause du fait que, dans le grand, grand lointain où ils se sont passés, ils sont comme des reflets de ce qui très, très loin dans notre propre mémoire a également lieu. » (p. 247)
Suivre la pente
Ce qui est extraordinaire chez Cixous, en son séminaire, c’est comme elle se laisse porter par la pente, de manière très concertée, mais inattendue pour ses auditeurs. Elle raconte l’histoire bien connue de la lutte de Jacob avec l’ange : « Ce qui est important, c’est la solitude de Jacob, seul avec lui. C’est la scène de Kafka, l’homme, l’être humain de Jacob, Jacob en tant qu’être humain, la dispute avec lui-même, la révélation donc de son essence ; et son essence, c’est la lutte : c’est un lutteur, luttant, agresseur, agressé, divisé, à l’infini. J’ai envie de vous lire juste une petite séquence en anglais. En général, je lis la Bible en anglais, parce que la version de King James est absolument somptueuse : « And when he saw that he prevailed not against him, he touched the hollow of his thigh, and the hollow of Jacob’s thigh was out of joint as he wrestled with him […]. » La question de la disjonction scande l’ouverture de Hamlet, dont le premier acte évoque pour les spectateurs la disjonction, la dislocation de l’époque et du royaume de Danemark depuis la mort de Hamlet père : « The time is out of joint », le temps est disloqué, disjoint, et ce thème du disjoint a été relevé et longuement commenté par Derrida, à propos des disjonctions, en empruntant à Hamlet, et à propos des disjonctions de temps d’une manière qui est devenue maintenant un grand classique. Le out of joint vient de cette disjonction interne du corps de Jacob, qui inscrit dans ce corps double, depuis toujours, la disjonction du monde, la disjonction politique ; Jacob est un disjoint de naissance, déjà dans le sein de sa mère ; c’est un disjoint disjoncteur qui fait disjoncter les autres, il les rend fous. La fin de l’histoire, après la lutte avec l’ange et la transformation de Jacob en Israël, c’est la rencontre entre Jacob et Ésaü, trente ou quarante ans après. » (p. 244-255)
→ Deux pages et tout un parcours. On part de Kafka, on interroge Shakespeare et on revient à la Bible, avec une résolution quasi musicale du thème Jacob et Esaü.
Je m’attaque
« Comme dit Kafka, je m’attaque : Qui suis-je donc ? Je m’attaque, je me prends à partie : Mais qui je suis, moi ? Mais qui je suis ? Cela peut se décliner sur tous les tons. Et ce ‘Qui suis-je donc ?’, c’est toujours cette disjonction intérieure qui ne peut pas être vécue paisiblement, parce qu’il y a un désaccord ; il y a quelque chose qui se déchire, mais cette déchirure, telle qu’elle est illustrée dans la lutte avec l’ange, se situe à l’endroit le plus délicat, le plus vulnérable, le plus sacré de l’homme, au creux de la cuisse ; mais c’est la cuisse de l’âme ; c’est la cuisse de l’âme qui est disjointe dans cette étreinte avec celui dont je ne saurai jamais le nom puisque c’est moi. » (p. 256)
(En écoutant Nikolaï Lugansky jouer magnifiquement Prélude, Choral et Fugue FWV 21 de César Franck).
Un lutin
Il y en a beaucoup dans le Flotoir mais ils ne sont pas toujours très apparents. En voici un sous la plume d’Eduard Mörike, dans une très belle édition et une traduction de Jean-Yves Masson aux éditions de la Coopérative. Le lutin de Stuttgart est un conte. Un conte à tiroirs qui occupe 150 pages et permet de plonger dans le répertoire imaginaire allemand et aux sources du romantisme. Mörike (1804-1875), poète et romancier, n’est-il pas selon l’éditeur l’un des principaux romantiques allemands. Une source inépuisable d’inspiration pour les musiciens, Schumann, Brahms, Wolf. Écoutons encore Jean-Yves Masson quand il nous dit que ce conte est ancré dans les traditions populaires de la Souabe et que l’auteur y mène des récits enchâssés, déployant toute une galerie de personnages merveilleux, (ceux-là même que j’ai invité chez moi hier soir !), un lutin nain, une ondine, un petit cordonnier, etc.). Les paysages aussi sont merveilleux, supports de rêveries mais aussi de rêves, avec leurs labyrinthes souterrains. Je crois même y avoir trouvé un texte qui pourrait être une cheville pour amorcer la seconde partie d’un conte que j’ai moi-même écrit et dont le petit héros, Benjamin, ayant accompli une première partie de son destin se trouve bloqué dans un ravin merveilleux mais dont il lui faut sortir pour mener sa tâche à bien. Dans ce livre si bien édité, l’illustration est faite de « silhouettes », personnages, motifs, paysages repris d’une édition allemande du début du vingtième siècle, qui peut faire évoquer les livres de colportage... ces petites scènes en ombres chinoises, profils, bosquets, saynètes que l’on devine animées. Il y a un jeu merveilleux entre le texte et l’image.
Des toupies
Alors comme dans tous les contes, le personnage se voit doter par un lutin mystérieux de deux attributs magiques. Une double paire de chaussures et un petit pain délicieux qui a la caractéristique de toujours se reconstituer au fur et à mesure qu'il est mangé (ce serait une belle métaphore de la lecture, non ?). Mireille Gansel a écrit un bel article sur ce livre sur le site d’En attendant Nadeau : « Ce conte lui aussi construit de miroirs et fenêtres portes et eaux et reflets comme autant d’échappées, dans un monde clos et renfermé que rêves et audaces des rencontres n’en finissent pas d’ouvrir grand. Et cela, en partant de la simple et rustique magie de la marche. Dont l’auxiliaire indéfectible est le soulier : souliers porte-bonheur – souliers enchanteurs – toute une panoplie de bottes, chaussures, brodequins… Qui imaginerait que tout le fil d’une histoire, ce soit une paire de souliers qui en est détentrice. Ces souliers dont l’art du traducteur rendra toutes les nuances de la fabrication la plus raffinée, qualités et senteurs et couleurs des cuirs, et les formes du savetier dans toutes les sortes de bois – paires de chaussures… finement, magnifiquement cousues… joliment doublées d’un moelleux cuir rouge. Là aussi, bonheur des matières finement ouvragées, sans lesquelles comment mettre un pied devant l’autre ? ». Conte à la fois très concret, pieds sur la terre dit Mireille Gansel, mais aussi conte céleste, aérien qu’elle rapproche de la harpe éolienne, évoquant un passage merveilleux où il est question d’une toupie transparente dont le son, lorsqu’elle est lancée, a le don de faire cesser immédiatement toutes les bagarres d’ivrogne dans l’auberge. « quand elle commençait à tourner, le son naissait doucement, puis il devenait de plus en plus fort, à la fois plus aigu et plus profond, et toujours plus magnifique, on eût dit de nombreuses flûtes jouant ensemble dont le son enflait et montait à travers les étages jusqu’au grenier et descendait jusqu’à la cave, si bien que tous les murs, vestibules, colonnades et rampes semblaient en être emplis ou baignés, et en retentir. » (Eduard Mörike, Le lutin de Stuttgart, traduction de Jean-Yves Masson, La Coopérative, 2020, p. 26)
→ pour quelqu’un à qui les sons parlent tant, bien plus que les images en fait et qui collectionne les toupies, quelle trouvaille merveilleuse ! Et quel espoir de trouver peut-être un jour une toupie sinon transparente (il semblerait qu’elle soit en améthyste) du moins musicale ? Mais John Cage ne me dirait-il pas que le seul bruit d’une toupie qui tourne est déjà un univers musical fabuleux ?
Florence Trocmé – Flotoir, 2021.1