Extraits du Flotoir, 24 Août 2022-25 septembre 2022.
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Une bonne critique
« Il m’a toujours semblé qu’une bonne critique révèle à l’auteur comme des évidences ce qu’il avait obscurément pressenti (‘Mais oui, bien sûr, c’est cela, comment n’y avais-je pas pensé plus tôt !’), et faisant cela, esquisse de nouvelles voies. Et c’est absolument le cas ici, car il y a des pistes, des intuitions, qui me paraissent plus que pertinentes, saisissantes, voire confondantes, et très fertiles. »
Extrait d’un courriel privé de Christophe Manon (publié avec son autorisation) après la publication de la lettre que Jean-Pascal Dubost lui a adressée, à propos de son livre Provisoires, dans Poezibao.
Tu nous regardes droit dans les mots
Très forts mots de Jean-Pascal Dubost dans une lettre à Claude Favre, publiée ce vendredi 26 août 2022 par Poezibao : « Tu luttes frontalement contre le silence historique, contre la mémoire courte (« Souviens-toi du silence du Vatican devant les horreurs nazies. Souviens-toi des Américains face à Hiroshima et Nagasaki. Du silence des repus, des fortunes amassées en commerce d’esclavage. ») Tes injonctions répétées (« Souviens-toi ») sonnent comme une admonition baudelairienne, « Souviens-toi !/Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi/Se planteront bientôt comme dans une cible » ; « Souviens-toi » que le temps de la mémoire te rattrapera, sembles-tu dire ; « souviens-toi du futur ». Tu nous regardes droit dans les mots. Elles ont l’heur, tes injonctions, de nous remuer dans nos responsabilités ; tu mets mal à l’aise, nous mets mal à l’aise, et c’est fort bien. Ta langue, directe, radicale, tranche dans le lard et la graisse qui se forment dans nos esprits empâtés par la passivité. »
Il ajoute : « Tu imagines cet inimaginable qu’on ne cherche pas à imaginer (n’est-ce pas un rôle qu’on devrait assigner à la poésie ?) »
Les mots d’ordre
Alors que j’ai noté tôt ce matin dans mon Notoir (tout à fait privé) qu’aux injonctions et aux règles rigides, il est sans doute préférable de substituer des inspirations (dans tous les sens du mot !), je relève dans une note de lecture d’Alexandre Ponsart sur Emmanuel Hocquard, cette citation : « ‘Tous mes livres – même mes livres de fiction – ne traitent en fait que de grammaire. J’entends par là repérer les mots d’ordre en moi et en desserrer l’étau.’ La notion de grammaire évoque l’exercice d’une langue et elle est associée à celle de règles qui caractérisent les façons de parler et d’écrire. Ainsi, comme l’écrit Emmanuel Hocquard, ‘celui qui apprend à parler puis à lire et à écrire est confronté aux mots d’ordre. (...) Les mots d’ordre, ce ne sont pas seulement des commandements (...) et des interdictions (...) Les mots d’ordre ne sont pas tapis dans le langage. Ils en sont inséparables. (...) On n’y échappe pas’. »
Et je ne résiste pas au plaisir de reprendre l’extrait choisi par Alexandre Ponsart :
« Qu’est-ce qu’une image ?
Image est un mot simple, familier, aimable, que tout le monde emploie sans se poser de questions. En réalité, image s’avère être surtout un joker pour dire tout et n’importe quoi. Selon les cas, il sert à désigner tour à tour une reproduction, une gravure, une photographie, une estampe, un tableau, un dessin, un croquis, une affiche, une étiquette, un vidéogramme, un ‘visuel’, etc. Alors pourquoi parler d’image ? Si c’est d’un peintre qu’il est question, disons peinture ; si c’est d’une photographie, disons photographie ; et ainsi de suite. Cela réglerait, en partie, le problème, mais en partie seulement, parce que le mot image existe aussi et qu’il est pratiquement impossible d’en établir clairement le sens. Les dictionnaires, pas plus que l’étymologie, ne sont ici d’un quelconque secours.
Il peut être en revanche éclairant de se demander dans quelles circonstances le mot est entré dans le vocabulaire de chacun. Il est clair que son apparition est liée à l’enfance. Image est d’abord un mot de l’enfance. ‘Les livres d’images de mon enfance, un enfant sage comme une image ...’ Par ailleurs image reste associé à quelque chose de plaisant, de joyeux : cadeau, surprise, fête...
Mais, très tôt, le petit écolier est contaminé par l’idée de récompense méritée : ‘Si tu réponds comme il faut, tu auras droit à un bon point ; et, contre dix bons points, tu auras droit à une image.’ Nous entrons ici dans le commerce des images : la transaction, la tractation. L’image comme (première) monnaie d’échange. »
Au bout du monde
Parmi les lectures de cet été, le magnifique livre de Henry Beston, La Maison au bout du monde. Il se trouve que cette histoire, la vie d’un naturaliste installée un an dans une toute petite maison sur une dune déserte, au bord de l’Océan Atlantique aux Etats-Unis, se passe dans un endroit que je connais très bien. Je sais que ce ruban dunaire n’existe plus aujourd’hui mais je n’ai aucune peine à l’imaginer. L’histoire se situe au Cape Cod, cette longue péninsule, bande essentiellement sableuse, qui se situe au Sud de Boston, approximativement entre Boston et New York sur la côte Est de la Nouvelle-Angleterre, aux Etats-Unis.
Naturaliste, l’auteur est venu plusieurs fois en ce lieu, situé à peu près au milieu du Cape Cod, là où il forme un coude. Près de la ville d’Orleans (on prononce Orlinse). Le Cape a cet endroit est relativement étroit ce qui fait qu’on passa rapidement de la face océanique très sauvage à la face de la baie de Boston, plus rieuse. Mais c’est sur la face océanique qu’Henry Beston s’installe. Il va y vivre une rude année, seul, souvent face à de terribles intempéries. Le coin est connu pour ses tempêtes et pour les très nombreux naufrages au large de sa côte (on retrouve le récit de cette ambiance dans le très beau Cape Cod de Thoreau !). Je reproduis ici le début de la belle postface d’Éric Dussert : « Témoignage d’une expérience singulière de la solitude, du temps et de l’espace, La Maison au bout du monde d’Henry Beston est le fruit d’une longue attirance et, plus curieusement, d’une demande en mariage. Un magnétisme topographique avait d’abord appelé Henry Beston à investir un territoire, celui de la bande de terre nommée Cape Cod qui fait front à l’Atlantique du côté de Boston. Ensuite, c’est l’affection de sa future épouse, Elizabeth Coatsworth, qui allait contribuer décisivement à l’élaboration de son œuvre. La conjonction d’un projet littéraire et d’un hyménée fait à l’occasion des merveilles. La relation d’Henry Beston avec les plages de Cape Cod n’était pas nouvelle. Depuis longtemps déjà, le natif de Quincy (Massachusetts) se sentait chez lui sur ces dunes fouettées par les vents du large. C’est donc par une sorte d’imprégnation qu’il allait en venir à se glisser dans la peau d’un écrivain de sa terre, de ses paysages et, partant, à prendre des notes sur son expérience, ses rencontres et ses observations en ces lieux singuliers. Et parce qu’Elizabeth lui a tenu assez malicieusement la dragée haute, il a produit un livre classique à partir de ces écrits épars, exactement comme se forme une concrétion naturelle. Quoique rédigé en une zone du globe très bien cartographiée, et depuis fort longtemps, son récit n’était pas destiné à rester l’obscure relation d’un ermitage – c’est parce qu’il engageait plus que ce qu’une simple robinsonnade eût pu porter qu’il toucha un lectorat toujours plus grand, sensible à sa démonstration sans biais que les relations de l’être humain et de la nature doivent être interrogées sans cesse.
Cette large bande de sable et de marais balayée par les vents, les embruns, les tempêtes (...) [est une] zone composée également d’îles et de postes de surveillance où stationnent des gardes, rudes personnages habitués aux climats taraudants. Le marin de l’U. S. Navy, Beston, y trouva un havre, à coup sûr, au terme de son engagement et l’idée peut-être un peu saugrenue lui vint de faire construire à la fin du printemps 1925 par le charpentier d’Eastham Harvey Moore une petite maison de rien du tout, une cabane améliorée qu’il nomme ironiquement Fo’castle : un cottage de deux pièces, petit mais point sans confort qu’il pose sur les cinquante acres de dunes qu’il a acquis de la plage-barrière à deux milles au sud d’Eastham Live Saving Station. En septembre 1926, il pense s’installer là durant deux semaines mais il va y rester durant les quatre saisons, contemplatif, happé par le rythme de la nature, sidéré par la force des éléments, incapable de quitter sa propre place dans le concert minéral, venteux, animal, aqueux, que le monde lui joue. Il n’était pas au bout de ses surprises... en rentrant auprès d’Elizabeth avec ses notes, il se trouve soumis à un diktat : ‘no book, no marriage » ! » Et Henry de s’exécuter et de mettre en forme en 1927 et 1928 ce texte. En anglais, le livre s’intitule The Outermost House et une cousine américaine me dit que la maison a malheureusement été détruite par une tempête en 1978.
Les éditions Corti n’ont pu retrouver la trace des traductrices de la version publiée en français en 1953, Marguerite Faguer et Germaine Klenowski. Très belle traduction.
Pour conclure ces notes brèves qui sont pour moi surtout une trace, celle d’une lecture et des très nombreuses émotions qu’elle a suscitées, l’incipit du livre : « À l’est de l’Amérique du Nord, formant promontoire à quelque cinquante kilomètres au large du Massachusetts, se dresse, en plein Atlantique, le dernier lambeau d’une contrée antique et disparue. Cette grande falaise érodée, faite de terre et d’argile, dont les ondulations et les plateaux se dressent tantôt à trente mètres, tantôt à cinquante mètres au-dessus des flots, affronte l’Océan perpétuellement hostile sur trente kilomètres de longueur. Rongée par les vagues et la pluie, désagrégée par le vent, elle tient toujours. De nombreuses variétés de terrains la composent, de nombreuses variétés de graviers et de sables, stratifiés et entremêlés. Elle est diversement colorée : vieil ivoire par-ci, noir de fumée par-là, ou encore vieil ivoire assombri et rehaussé de rouille. Au crépuscule, la face de cette muraille, opposée à la splendeur du couchant, devient une masse d’ombre et de ténèbres qui descend jusqu’à l’éternelle agitation des flots. À l’aube, le soleil, se levant de l’Océan, la dore d’une lumière unie et silencieuse, qui monte et s’évanouit dans le jour. Au pied de cette falaise, une grande plage atlantique s’étend, nord au sud, intacte, sur des kilomètres et des kilomètres. Solitaires et primitifs, immaculés et isolés, visités et possédés par la houle, ces sables pourraient bien être la fin ou le commencement d’un monde. D’âge en âge, la mer, ici, livre bataille à la terre ; d’âge en âge, la terre défend ses positions, appelant à la rescousse son énergie créatrice, ordonnant aux plantes de descendre furtivement sur la plage pour enserrer les sables de sa frontière dans un réseau d’herbes et de racines que les tempêtes mettent à nu. Les grands rythmes de la nature, de nos jours [nous sommes en 1926 !] si stupidement ignorés et même contrariés, jouissent ici de leur grande liberté originelle : les nuages et l’ombre des nuages, le vent et la marée, le frémissement de la nuit et celui du jour... les oiseaux migrateurs se posent, s’envolent et repartent sans que nul ne les voie... »
Tout est dit, la capacité descriptive de Beston, sa science de naturaliste, de géologue, d’ornithologue (innombrables observations d’oiseaux tout au long du livre). Ici, dans mon bureau parisien, dans la longue traîne des chaleurs et de la sécheresse terribles de cet été, ces mots suffisent à me faire revivre tant de moments passés là-bas, sur la grande plage de Nauset Beach, à ramasser de tout petits cailloux... à prendre des photos, à regarder de minuscules oiseaux crapahuter à toute allure à la lisière de l’eau, quand la mer reflue... Je n’ai jamais vécu de tempêtes au Cape, puisque nous n’y sommes allés que l’été, plus de quinze fois, j’ai connu un Cape devenu un haut lieu de villégiature, plutôt chic, pour les gens de Boston, mais c’est comme si Henry Beston m’avait invitée à passer un moment avec lui, dans sa petite cabane du bout du monde. Grande reconnaissance à Fabienne Raphoz et à Bertrand Fillaudeau d’avoir republié ce livre magnifique.
Flacon de sels
Lire un livre qui rouvre des pans entiers de mémoire – revivre en le lisant toutes sortes d’impressions sensorielles – repenser à mes petits cailloux du cape cod alors qu’hier même je nettoyais un contenant qui les a accueillis, neuf petits tubes à essai insérés dans un support, remplis chacun d’une multitude de ces petites formes ivoire, vert céladon, jaune pâle, blanches, formes douces polies et repolies par la mer, déjà peut-être là du temps de beston – cette idée de prendre un petit caillou différent et de le contempler en lisant chaque page de une maison au bout du monde – rapprocher toutes ces impressions d’une autre lecture récente qui m’a enchantée, au sens propre du mot, tour d’horizon de l’écossaise kathleen jamie, là aussi paysages déserts, des îles au large de l’écosse, côté ouest surtout, des notes sur les terrains, les oiseaux, les paysages, la solitude, la mer, le vent – éprouver le besoin de ces rêves-là pour se donner la force de regarder en face ce qui advient aujourd’hui au monde – découvrir que préparant ce travail de notes j’ai posé les deux livres l’un sur l’autre, à côté de moi, en un rapprochement à la warburg – penser à vinciane despret qui m’accompagne tant tous ces jours -
Qu’est-ce que lire ?
Me suis procuré et ai lu un petit opus plutôt didactique de Paul Mathias, dans la collection Chemins philosophiques, chez Vrin, Qu’est-ce que lire ? Sujet tellement central pour moi ! Objet de mon attention, de mes photos, de mes notes, au fil du temps, de plus en plus. Il s’agit de se regarder lire, de regarder les autres lire, et c’est tellement mystérieux, mais aussi de lire sur lire, aussi bien essais de toutes natures qu’articles scientifiques ou moments de ma correspondance, notamment avec Siegfried Plümper-Hüttenbrink, auteur du passionnant et difficile Jeux de lecture.
Les legibilia
Paul Mathias attaque vif : « Lire semble un geste parfaitement naturel (...) les occasions de lire sont infinies (...) le nombre, la forme et la visibilité des legibilia sont indescriptibles, tant nous sommes exposés à des quantités inassimilables d’informations. » (7).
Pour qui aime dresser des listes, ce serait une entreprise formidable que de faire celles de toutes les legibilia d’une seule journée ! Pour les non-latinistes, devenus légions, Paul Mathias précise que le mot vient du latin, veut dire les lisibles et que son singulier est legibile.
→ c’est toute l’expérience enfantine des premiers mots lus, et je me souviens ici d’un beau texte d’Yves di Manno sur le sujet, flotte dans ma mémoire le mot boulanger, est-ce celui-là qu’il a vu se former, pour la première fois intelligible ? Et pour ma part je crois n’avoir jamais perdu la petite jubilation intérieure à lire quoi que ce soit, à découvrir des mots à lire, partout et pas seulement, il s’en faut de beaucoup, dans des livres !
Les livres qui arrivent entre nos mains
Belle note d’Yves di Manno dans un des numéros de la revue Catastrophes, en lien avec la lecture en cours de Pouvoirs de la lecture de Peter Szendy : « Je me demande parfois de quelle manière les livres parviennent jusqu’à nous – je parle des livres essentiels, ceux qui vont s’imprimer à jamais dans nos vies de lecture. Les circonvolutions qu’ils empruntent, des années durant s’il le faut, avant d’échouer entre nos mains – ou à l’inverse l’évidence qui nous pousse à nous en emparer, sous le coup d’une brusque impulsion – demeurent le plus souvent énigmatiques : comme s’ils nous étaient secrètement destinés et surgissaient devant nous au moment opportun. C’est une expérience que nous sommes nombreux à avoir faite, sans être en mesure de l’expliquer : certains ouvrages semblent venir à nous plus que nous n’allons vers eux – a fortiori lorsque nous ignorons leur existence. Ce qui en dit long, par parenthèse, sur les zones d’ombre que développe une pratique à bien des égards démesurée de la lecture, quels que soient par ailleurs les éblouissements qu’elle nous procure. » (Série « Choses qui gagnent à être lues », n° 7)
Photo, Brassaï
Je relève dans la lettre quotidienne de Jean-Christophe Dichant, ces mots sur la pratique de Brassaï. « Brassaï a écrit que ‘la photographie l’avait aidé à saisir la nuit parisienne, la beauté des rues et des jardins, qu’il pleuve ou qu’il vente.’ Dans un article daté de 1933, il explique comment il a amélioré sa technique au fur et à mesure :
- comment il a attendu quatre minutes ou plus pour une exposition
- comment il a évité la lumière immédiate des lampadaires
- comment il la diffusait derrière les arbres ou à distance
- comment il jouait avec ses reflets dans les rues pluvieuses
- comment il utilisait uniquement la lumière disponible mais sans inclure sa source dans le cadre. »
→ J’ai bien avancé cet été sur le cours en ligne de Dichant offert par les enfants et j’ai appris beaucoup de choses. J’aimerais pouvoir expérimenter un peu plus. Mais selon lui se plaindre qu’on n’a rien à photographier est une erreur. Il y aurait toujours quelque chose à faire. Hier j’ai emporté mon appareil au square, mais je n’ai pas fait de photos, je crois que je n’en avais pas le désir profond. Or celui-là me parait déterminant. Pour moi photo c’est désir, voire amour.
Addendum du lendemain : le jour suivant, mêmes circonstances et une salve de photos, notamment des lecteurs, au square et d’amusantes scènes de bains de soleil en plein Paris, sur une pelouse de jardin public.
De la lecture
Curieusement j’ai dû abandonner un livre, dont pourtant j’attendais beaucoup, Les Pouvoirs de la lecture de Peter Szendy (livre acheté, je le précise). Pour quelles raisons ? Pluriel à raisons, en effet, car il y en deux principalement. La première est que ce dont il est question ne m’intéresse pas ; il est longuement question de la lecture autour de Socrate et Phèdre ; avec des considérations sur la pédérastie, l’éraste et l’éromène... ; je retrouve le nom donné à l’esclave qui dans l’antiquité faisait la lecture à haute voix à son maître, l’anagnoste, mot repris par Claude Royet-Journoud dans le dispositif de lecture mise en place avec Michèle Cohen-Halimi et qui n’est pas sans poser, pour moi, quelques questions que je n’ai pas envie de développer ici ; ensuite on passe à Sade et la Philosophie dans le boudoir. Disons que je ne suis pas là dans mes champs de prédilection (euphémisme). Je l’assume. Et de ce fait, ce livre me gâche la lecture, ou pourrait la gâcher. Je ne dois pas mésestimer le pouvoir de certains dires ou de certaines lectures de m’abimer, de gâcher quelque chose de précieux en moi, voire d’entraver un élan, ici tout mon travail autour du thème du lire, du livre, de la lecture, des lecteurs. Autant une simple citation de Walter Benjamin peut me donner des ailes, autant tout ce que je ressens comme une forte suspicion concernant ce qui se passe, en réalité, dans le processus de lecture atteint en moi ce même élan.
Mais qu’est-ce que lire ?
Ce livre-là, sans doute aussi un peu abstrait, m’avait apporté des éclairages intéressants. Je parle de Qu’est-ce que lire ?, petit ouvrage didactique de Paul Mathias, chez Vrin.
« Nous vivons, nous lisons », à entendre ici déjà dans un sens élémentaire, si nous vivons, nous passons notre temps à lire (mais ce n’est sans doute pas vrai de tout le monde, je pense à l’analphabétisme en écrivant ces mots, plus de 750 millions de personnes dans le monde, selon un article de Radio France, de 2018).
Paul Mathias, après avoir asséné que Lire est l’affaire de tous, tempère et dresse, de façon amusante, le portrait de quatre lecteurs imaginaires, Pierre qui ne lit pas, il respire, absorbe, incorpore les mots. Il est dans un pur don de lui-même et de son esprit. Paul lui est laborieux, et quand il lit, il est à la peine. Voici Jacques qui en lisant plonge dans l’imaginaire des mots et s’y enfonce comme en son lieu propre et naturel, comme en apnée dans les textes. Et en dernier lieu, Jean, qui ne lit pas, qui semble faire le portrait de quelqu’un qui renonce devant la difficulté, sans qu’on sache si c’est une difficulté de toujours ou une difficulté venue, par exemple, avec le grand âge. « petit à petit, (...) la perte des livres et de l’amour à eux porté. Amour qui s’éteint lui-même doucement par la force des choses. Doucement et sans peine. Les livres sont encore là ».
→ Des portraits de lecteurs, on pourrait en brosser à l’infini, j’en sais quelque chose pour les observer depuis des années dans l’espace public, dans les transports en commun, dans les jardins publics, aux terrasses des cafés... pour les photographier. Pour tenter de découvrir ce qu’ils lisent. Des modes de lire, il y en a sans doute aussi de très nombreux et Mathias en esquisse ici quelques-uns, qui sont sans doute des modes de lire qui ont cours dans un milieu plutôt cultivé, qui a un vrai accès aux livres. Cela me donne envie de croquer aussi, simplement en mots, des instantanés de lectrices et lecteurs.
« Il nous faut assumer le bouleversement de nos certitudes et songer que lire n’est assurément pas chose une, uniforme, naturelle » dit-il encore mais l’a-t-on jamais pensé ? C’est la suite selon lui d’un long apprentissage et ce qui me retient davantage d’une « manière d’évènement qui se renouvelle à chaque instant ». (pp. 8 & 9)
Tant de choses dans « lire »
« Opération particulièrement complexe à décrire. Car elle enveloppe une myriade de petits évènements physiques et mentaux dont l’agencement paraît inextricable. »
→ je rêve parfois d’être dans une classe de CP où les enfants apprennent à lire, en observatrice, voire en photographe. A l’écoute. En ce qui concerne mes propres enfants, je me souviens surtout de sortes de sauts étonnants, comme des barrières qui cédaient soudain et des pans entiers devenaient accessibles. J’ai toujours trouvé cela miraculeux, plus que l’apprentissage de la marche ! Autant que l’apprentissage de la parole. Et vertigineux ce que cela implique dans les petits cerveaux tout neufs ! C’est qu’il y a « une matérialité du lire, une glaise des legibilia dont il faut assumer une indisponibilité première et d’avoir à s’en assurer la conquête intellectuelle ». (13) ?
→ Inaccessibilité des legibilia due à la maladie et/ou au vieillissement à laquelle j’ai été tant confrontée, via la dégénérescence maculaire de ma mère, dont elle fut atteinte si précocement. Troublant trouble, qui ne l’a pas rendu aveugle, mais inapte à toute vision centrale, reconnaître un visage, et lire, bien sûr. Elle dont la vie tournait autour du livre, puisqu’elle lisait énormément, qu’elle était bibliothécaire bénévole et qu’elle pratiquait la reliure. Bien évidemment, ma passion du lire, du livre, de la lecture, même si elle est presque originaire et très antérieure à cette évolution dans la vie de ma mère, en a été profondément marquée. Et beaucoup d’entre nous, sur un mode moins dramatique expérimentent les troubles visuels, myopie, plus tard presbytie, cataracte, etc.
La question de l’attention
Autre question cruciale, celle de l’attention. Les legibilia sont tellement foisonnants, se battent tous tant pour retenir notre attention ! Pléthore d’ouvrages de la rentrée littéraire, panneaux publicitaires, notifications pétaradant en continu sur les smartphones, avis en tous genres...
Beaucoup d’effort
C’est qu’il faut beaucoup d’efforts pour lire, nous rappelle Paul Mathias, même si nous avons intégré la plupart des mécanismes : « lire, c’est créer du un avec du multiple, de la compréhension avec une disparate de saisies corporelles et d’interprétations induites ». Envie de donner la citation de Merleau-Ponty, un peu mieux écrite ! « Quand je parcours des yeux le texte qui m’est proposé, il n’y a pas des perceptions qui éveillent des représentations, mais des ensembles se composent actuellement, doués d’une physionomie typique ou familière ». (p. 15)
Et tout un processus
« Lire suppose d’agir sans cesse (...) d’aller et venir par saccades d’un mot à l’autre, de fixer, de sauter, d’englober, de contourner des caractères écrits ». « Lire est une épreuve livrée de haute lutte contre les textes et notre corps y tient une part considérable » dit encore P. Mathias reprenant les observations d’un ophtalmologue Emile Javal, auteur d’une Physiologie de la lecture et de l’écriture en 1907.
Poésie et poème
Très fort article d’André Hirt, non pas cette fois sur la musique (pour Muzibao) mais sur la poésie pour Poezibao. À partir d’un livre de Stefan Hertmans, Sous un ciel d’airain. Extraits :
« Admettons que ‘la poésie’ indiffère, ou soit devenue indifférente pour bon nombre de raisons qui tiennent à l’Histoire, aux manières de penser et donc d’écrire, ne serait-ce que pour faire place au poème, qui n’est pas un genre, qui ne connaît pas de norme objective fixe, mais qui, à l’intérieur de lui-même se souvient, parce qu’il en est encore capable chez certains, de plus en plus rares, de ‘la poésie’, de son passé et de ce qui en elle a passé, parce qu’il a pris acte des conditions au présent de la langue, parce que, enfin, il écrit l’expérience même d’une parole qu’on appellera césurée en ce qu’elle émane par son acte propre de la suspension de tout discours déjà finalisé, trop satisfait de lui-même en ce qu’il croit avoir mené, sans le moindre reste comme toute parole autoritaire, toute chose vers l’intelligibilité. » (source)
Adorno et l’impossibilité du poème
Précisions utiles et mise au point, toujours sous la plume d’André Hirt :
« On se souvient des propos d’Adorno et on s’excuse presque de les rappeler. D’une part, dans Prismes, juste après la Deuxième guerre mondiale : ‘Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes’. Le penseur critique des personnalités autoritaires s’est fait ici très autoritaire… D’autre part, dans Dialectique négative, quasiment vingt ans plus tard, vers 1966 : ‘On ne peut pas plus s’en sortir que de la clôture de barbelés électrifiés. La sempiternelle souffrance a autant de droit à l’expression que le torturé celui de hurler ; c’est pourquoi il pourrait bien avoir été faux d’affirmer qu’après Auschwitz il n’est plus possible d’écrire de poèmes’. Dans ces lignes, les prémisses d’une autorisation d’écrire – un comble, tout de même ! – sont-elles réellement les bonnes ? On se le demandera. »
Ce que la langue « commande »
« Très profondément, la langue commande, mais pas au sens que l’on a pris l’habitude, formellement, de prendre en considération. Elle commande en ce que son état est celui qui résulte de l’histoire, de ce qui est arrivé, de l’événementialité collective et subjective. En d’autres termes, on ne peut lui faire dire ce qu’elle ne peut plus et ne veut plus dire. En revanche, qu’elle cherche à dire quelque chose depuis l’expérience réelle, de témoignage ou de mémoire (c’est aujourd’hui le poète, qui n’est plus contemporain de l’événement, mais qui, par l’étude a recueilli dans la langue ce qui s’y est déposé, fût-ce à l’état de débris ou de ruine.) est bien plus proche de la vérité et de la réalité.
(...) Un poème relève en effet d’une insistance, d’une exigence, d’une attention insoutenable. Et il est toujours singulier là où la poésie inscrit la singularité dans un genre et par conséquent se perd. »
De la sérendipité (versus une certaine rigidité !)
De la sérendipité : attention au trop normé, aux programmes rigides. Hier trouvé deux livres qui me seront peut-être importants en allant à la bibliothèque. Je n’y vais quasi plus au prétexte que j’ai trop de livres à lire. Oui mais ... ce sont tous des livres de poésie qui ne me sont pas forcément la nourriture dont j’ai besoin. Et cela supprime tout effet de « hasard ». Si je n’avais pas été à la bibliothèque, je n’aurais pas trouvé Pourquoi Lire ? de Charles Dantzig, qui peut nourrir mon projet autour de Lire, mieux peut-être que le livre de Szendy, encore que je veuille le reprendre après avoir écouté une émission sur France Culture. Et ce livre qui s’appelle La Prairie (le titre me fait penser à Philippe Jaccottet) de John Lewis-Stempel, sans doute un livre dans l’esprit d’Un An dans la vie d’une forêt de David Haskell que j’aime tant.
Et autre hasard merveilleux, je m’aperçois feuilletant la Prairie que le livre est traduit par Patrick Reumaux, un de mes co-lauréats du Grand prix d’Académie de l’Académie française, dont je souhaitais vivement lire quelque chose avant la remise du prix, le 1er décembre, sous la Coupole !
Flacon de sels
L’ouvrir dans l’idée de le remplir même si pour l’heure pas de sel particulier ! – le bruit très particulier du chalumeau sur le toit-terrasse au-dessus de ma tête, dû à des travaux d’entretien et de réfection – les grosses gouttes qui s’écrasent ce matin sur le balcon – le très beau dessin de chouette sur la couverture de la prairie, un dessin de sandra lefrançois et ce sentiment que la sage chouette me tient compagnie et m’encourage – plonger dans un vieux flotoir, 2002, avant poezibao, découvrir une note de lecture d’un livre de jacques roubaud, décider de la publier en archives dans poezibao, découvrir aussi un très beau texte de claude roy sur roubaud – tout cela qui serait perdu à jamais pour moi si je n’avais pas entrepris d’affréter ce radeau de mémoire en 2000 – le bruit des gouttes d’une petite pluie fine sur les notes des suites pour violoncelle de Bach dont les portées orne mon parapluie acheté il y a quelques années à la bachhaus d’eisenach en Allemagne -
1,53 m d’ombre
Cette notation de Stéphane Lambion, dans son livre Presque siècle, dont je publie ce matin une note de lecture signée Antoine Bertot, me touche profondément : « Chaque geste et chaque mot sont ainsi inquiétés par la disparition qui s’y loge : ‘elle ne laissera derrière elle / qu’un mètre cinquante-trois d’ombre / et moi dedans’ ».
Note personnelle : je dois préciser que je mesure exactement 1, 53m ...
Dans le style de l’attente
Je viens de terminer le livre de Jean-Marie Gleize dont j’ai publié des extraits dans l’anthologie permanente de Poezibao ce matin. Je ne saurais écrire quoi que ce soit de sensé sur ce livre, mais il m’a retenue. Comme un étrange mélange de réminiscences et de rêves, un brouillard de souvenirs et d’images, sur un fond d’intense mélancolie traversant les âges. Il semblerait qu’il soit question d’ancêtres de l’auteur, de différentes époques, peut-être d’un drame familial, mais passent aussi quelques personnages, Rimbaud peut-être, Hugo et ses feuilles d’automne, l’ami serge Hajlblum qui est aussi celui à qui le livre est dédié, auteur d’un livre qui s’intitule hors la voix... Le prière d’insérer dit : « une exploration en treize chapitres de la question du nom ». J’aurais presqu’envie de dire de la question du non, tant ceux qui traversent ces pages sont fantomatiques, irréels. Il est question d’une sorte de revenant, peut-être un survivant des camps ? Celui qui était revenu sans revenir et pour qui « il n’y a pas d’après-guerre ». Un livre comme une photographie qu’on déchire, dit encore le prière d’insérer, je dirais plutôt une photographie qui au lieu de « sortir » petit à petit dans le bain de révélateur au contraire y disparaîtrait. Car le centre du livre, c’est bien la disparition, des images, des mots, des noms, des êtres, des choses. Alors peu importe si j’ai le sentiment de n’avoir pas « compris » grand-chose, la lecture aura été féconde.
Se coltiner grandir
Sous ce titre qui sonne très juste, un beau livre de Milène Tournier qui s’affirme comme une vraie voix poétique, même si ce volume me semble un peu inégal. Elle est particulièrement à l’aise dans le registre autobiographique de l’enfance, ses relations avec ses parents, ses portraits. Avec parfois des accents qui m’évoquent Valérie Rouzeau, Un art du rendu des ressentis très particuliers d’une enfant, ces ressentis avec lesquels on perd si vite contact conscient et qui sont pourtant cruciaux pour notre façon d’appréhender le monde. Il y avait sans doute un peu de cela dans le livre de Jean-Marie Gleize (dans le style de l’attente) mais sur un mode plus intellectuel et sans doute aussi plus informé de poésie, eu égard au déjà très long parcours de l’auteur. Milène Tournier est jeune, elle est née en 1988. J’ai particulièrement aimé les poèmes plus longs, notamment tous ceux de la première partie, « Hélène et Rémi et moi », Hélène et Rémi étant ses parents. Une naissance assez dramatique qui a failli emporter Hélène, sa mère. Elle, grande prématurée. « On marchait l’hiver, père et fille, sur la promenade des Anglais. / une sirène d’ambulance a retenti, / et pendant que – sans doute parce qu’on était tout près de l’endroit-, je pensais / Au quatorze juillet, / Mon père a dit – sans doute parce que j’étais tout près : ‘C’est le premier bruit que tu as entendu de ta vie, / Le camion pour te transférer de Saint-Roch à Cimiez. » (19). La hiérarchie qui se fait jour dans ces textes n’est pas chronologique ou logique, elle repose sur les sensations, les suggestions de la conscience, les associations suscitées par l’environnement. Et l’écriture, quand elle est au meilleur, épouse remarquablement cet état et de ce fait donne au lecteur à redécouvrir ses propres sensations ou réminiscences enfouies. C’est le côté « révélateur » (au sens photographique du mot (qui m’est si cher et important dans la littérature en général et dans la poésie en particulier). Je suis moins sensible à la partie « Méditations », comme des petits aphorismes poétiques qui me semblent parfois un peu faciles. Le livre fait une sorte de grand trajet, que l’on peut résumer peut-être par ce court poème : « Mon pouce d’enfant à l’entrée de ma main d’adulte, / mes pieds tout au bout / Et entre : toute moi » (170). Milène Tournier a un art des télescopages, de la concaténation des temps (et des mots), un accès au déjà bien ancien dans le contemporain qui fait la force de son écriture.
Lire, une affaire physique
Je reviens au petit livre de Paul Mathias, Qu’est-ce que lire ? À ne pas confondre, me dis-je avec deux autres livres sur la lecture : Le Pourquoi lire ? de Charles Dantzig et Les pouvoirs de la lecture, lui sans point d’interrogation, de Peter Szendy. Livres qui, je dois l’avouer, me laissent tous sur ma faim. M’éclairent sur certains aspects, certes, mais me font souvent l’effet d’enfoncer des portes ouvertes (Dantzig) ou d’envisager les choses sous un angle qui m’est totalement étranger (Szendy). Voire de les « abimer » (Dantzig et Szendy).
Le livre de Mathias est didactique, il faut en tenir compte. Il note par exemple que « la fatigue est le destin de la lecture » car lire suppose en fait un véritable engagement de toute la personne, physique et mental. « Lire est une épreuve livrée de haute lutte contre les textes [j’ai parfois cette impression mais de façon rare et minoritaire], et que notre corps y tient une part considérable [c’est si vrai, en revanche, que bien des souvenirs de lecture sont associés à une position du corps dans un lieu donné !]. Lire est difficile parce qu’il faut tout uniment voir, identifier, associer, mémoriser, oublier, comprendre, aller de l’avant, revenir en arrière et, d’une certaine façon, se promener parmi les mots. » (15) Mais lire est-il toujours difficile, non ! Il l’est peut-être dans certaines circonstances, en fonction de certains contenus, selon l’âge que l’on a (ça vaut dans les deux sens, tout jeune et encore proche de l’apprentissage, tout vieux ou pas tant que ça, mais moins rapide intellectuellement ou avec des yeux un peu défaillants, ou une mémoire moins agile). Je suppose que l’auteur procède par étapes, va dérouler les différents aspects du lire (se souvenir que l’on est dans un petit opuscule sans doute destiné aux apprentis philosophes), mais on a tellement envie de dire que non, lire repose, lire détend, lire n’est pas difficile, lire est un immense plaisir. (Paul Mathias, Qu’est-ce que lire ?, Chemins philosophiques, Vrin, 2022)
Alors oui je concède que « Mobilisant des capacités sensorielles et discursives de vision, d’audition, d’intellection, mais aussi un vocabulaire, une culture, une certaine représentation de la réalité et des interactions qu’elle emporte, lire, dans l’investissement personnel qu’il présuppose, a quelque chose d’un engagement à la fois total et coûteux ». (17)
Et moi de songer à « mes » lecteurs ?
→ et moi de songer à tous « mes » lecteurs, non, pas ceux qui me liraient, mais ceux que j’observe depuis des années, ceux que je photographie si souvent, à leur insu (mais en gardant bien évidemment les photos pour moi seule), plongés, comme on le dit si bien, dans leur lecture, totalement absents au monde autour d’eux. Lisant pour cela parfois, être absent au monde autour d’eux (transports dits en commun). Mais pas toujours. Lisant bonheur. Partant à la suite de héros, suivant une enquête, réfléchissant. Où sont-ils dans leur tête mes chers lecteurs du square, cinq nouveaux, dimanche dernier ? Celui à cheveux blancs, couché de tout son long dans l’herbe, sur le côté et qui lit Lettres à un jeune poète de Rilke et celle qui lit Tentatives d’épuisement d’un lieu de Perec, assise dans un lieu stratégique où l’on a vision sur tout le jardin ; mais aussi celle qui lit Souffle sur la main de Bruno Combes, ou celui qui lit L’Énigme du dragon-tempête de I.J Parker ? Que dire de leurs attitudes, sur les mêmes bancs bleus du jardin ou sur la pelouse, en ce jour où il ne fait plus si chaud ? Celle qui est couchée toute droite dans l’herbe bien verte, alignée au cordeau avec la bordure métallique de la pelouse ; cet autre, également couché dans l’herbe, qui a déporté son livre sur le côté gauche pour sans doute bien l’éclairer (je me dis que je pourrais pas ou plus supporter une telle position pour lire). Sans cesse jouer par comparaison, lui, elle et moi... celle-là dont Siegfried Plümper Hüttenbrink me fait remarquer la position très particulière des mains sur son livre : « La posture en symétrie que prennent ces deux mains, quasiment en état de prière avec le livre, est plus que troublante. Comme si une main s’inversait en l’autre qui lui fait face. » (Oui, il m’arrive de montrer certaines photos à des amis). Et si j’essaie de reproduire cette façon de tenir un livre, je n’y parviens pas. J’ajoute que prenant connaissance de la remarque de Siegfried, j’ai tout de suite pensé à la sculpture de Rodin, celle des mains, dite La Cathédrale.
Les données scientifiques
Paul Mathias expose quelques-uns des données de la recherche en neurosciences sur les processus impliqués par la lecture. Notamment allusion aux travaux de Stanislas Dehaene : « l’invention de la lecture (...) ne correspond [donc] pas seulement à la création d’un jeu de signes qui stimulent efficacement notre cortex visuel. Elle est avant tout mise en connexion de ces signes avec les aires auditives, phonologiques et lexicales responsables de la compréhension du langage parlé ». [concernant les aires auditives, il faudrait étudier cela plus à fond via le concept de voix dans le livre de Peter Szendy !]. (p. 19).
Et miracle du Flotoir (et du moteur de recherche Copernic, je retrouve trace de Dehaene en 2013, et de ma lecture des Neurones de la lecture – je suis toujours frappée de ces constantes d’intérêt qui se manifestent tout au long des années, depuis plus de vingt ans et parfois, quand quelque chose me permet d’y avoir accès, bien antérieurement, depuis l’adolescence sans doute. Cette sorte de cohérence a quelque chose qui fait du bien).
J’avais écrit à l’époque : « [Stanislas Dehaene] décortique un peu les phénomènes qui se produisent au cours de la lecture. J’en retiens deux points essentiels, le travail en parallèle de plusieurs instances et le fait que la lecture suppose un double recours au son et au sens. »
→ et en effet si on s’écoute et se regarde lire, on se rend très bien compte que l’on formule les mots en soi, qu’on entend des sons. Mais qu’il y a aussi une sorte de saisie à la volée qui fait qu’on identifie très vite un mot, et cela sans doute d’autant plus vite que l’on est un lecteur expérimenté sinon expert et que l’on possède un important lexique. » (Flotoir du 2 février 2013)
J’avais noté aussi cela, au même moment : « Dehaene explique que les circuits en question et la spécialisation d’une zone du cerveau dans la tâche de lire ne peuvent avoir été mis en place par l’évolution naturelle, la lecture et l’écriture étant bien trop récentes dans l’histoire humaine mais que le cerveau humain a su recycler une de ses parties, dévolue à la reconnaissance des formes, pour la spécialiser dans la lecture. Là aussi étonnement et admiration + humilité… Ces performances qui font parfois notre fierté, à quoi tiennent-elles ? Il faudrait plutôt avoir un sentiment de reconnaissance d’avoir hérité de ce cerveau si flexible. Seule part active peut-être, l’entretenir, le faire travailler, le pousser à… Je tiens d’ailleurs que le commencement de la fin pour les personnes âgées ou très âgées, c’est quand elles commencent à désinvestir tous les champs qu’elles exploraient précédemment. »
Son et sens se font la course (S. Dehaene)
Stanislas Dehaene dans Les Neurones de la lecture, met en évidence la sorte de concurrence que se font la voie phonologique et la voie sémantique dans la lecture. « L’imagerie cérébrale permet de répondre à l’une des questions fondamentales de la psychologie de la lecture : doit-on toujours prononcer les mots mentalement avant de les comprendre ? Ou bien peut-on passer directement des lettres à la signification des mots sans qu’il soit nécessaire d’en recouvrer la prononciation. » (161) Et la réponse est : « Ces deux voies de lecture coexistent et se font la course [...] Les mots fréquents ou irréguliers accèdent en droite ligne aux régions sémantiques du lobe temporal [...] d’autres mots, qu’ils soient rares, réguliers, ou tout simplement inconnus, sont d’abord prononcés mentalement dans les aires auditives du lobe temporal supérieur [...] »
[C’est aussi une reprise du Flotoir de 2013, méthode à la Claude Mauriac au fond, rapprocher des éléments d’époques différentes, pour les mettre en tension !]
Qui lit ?
Retour à Paul Mathias qui reprend un fait relaté par Alberto Manguel dans son Histoire de la lecture. « Dans les premières pages d’Une Histoire de la lecture, A. Manguel relate sa rencontre avec Borges et qu’il avait été amené, dans sa jeunesse, à lui faire la lecture : ‘Faire la lecture à ce vieil homme aveugle, écrit-il, fut pour moi une expérience curieuse, car même si je me sentais, non sans quelque effort, maître du ton et de la cadence de lecture, c’était néanmoins Borges, l’auditeur, qui devenait le maître du texte’. L’anecdote est émouvante, l’argument sous-jacent est terrible. Ce que cela signifie, en effet, c’est que lire ne consiste pas à parcourir un texte des yeux, pas plus que, par analogie, cela ne consiste à entendre le même texte ou un autre dans la compagnie de ‘grands lunaires’. ‘Maître du texte’, l’aveugle est aussi bien maître de la lecture – maître de sa lecture, que les intonations ou la respiration du jeune Manguel n’occasionnent que par effet, timidement, comme s’il restait à la surface extérieure de la chose, sans véritable incidence sur le phénomène lire, c’est-à-dire sur ce qui a réellement lieu, non tant entre lui et Borges, mais en Borges même et dans son esprit de lecteur. »
→ pour avoir beaucoup « fait la lecture » (mais au fond quelle étrange expression, me dis-je soudain !) à une personne très proche, déficiente visuelle, je suis remuée (de plusieurs façons) par cette histoire relatée par Manguel.
Dialogue du lecteur et de la lectrice
Nous avons toujours un beau dialogue, intermittent mais fécond, avec Siegfried Plümper-Hüttenbrink autour de la lecture. Comme je lui demandais l’autorisation de transcrire dans le Flotoir certains extraits de ses courriels, voici ce qu’il me répond : « » Un grand MERCI pour l’attention que vous portez à mes remarques de lecteur. Vous avez mon autorisation à vie pour en faire usage comme bon vous semble. Que trop souvent j’en suis réduit à douter de leur validité. Si elles ne sont pas des lubies de mon cru et qu’il y aurait lieu de tenir en suspicion ? Car on peut fort bien ne voir en elles que des jeux de pistes, des sortes d’enfantillages pour se divertir l’esprit. Au lieu de lire pour de vrai, je joue ainsi à lire, en me prenant pour le personnage d’un lecteur qui chercherait dans les livres de quoi s’exercer à lire. Il restreint sa lecture à cet unique usage. Autant dire qu’il tente de faire de chaque livre qu’il lit une sorte de "manuel de lecture "pour partir à la recherche de quelques mots-clefs qui lui fassent signe et d’après lesquels s’orienter dans ses pérégrinations livresques. Ainsi du mot ‘voix’ que je ne cessais plus de vouloir retrouver en compulsant une cinquantaine de livres une semaine durant, avec l’intime conviction que le moindre mot est pourvu d’une destinée et de multiples destinations dès qu’on le croise de livre en livre. S’exercer ainsi à lire, pour tenter de retrouver un mot qu’on dirait de passe, porteur de fictions, peut paraître fastidieux, artificieux et vain. Encore que l’acte de lire revient pour n’importe quel lecteur à agir de même, en retrouvant des mots qu’il a déjà lus, qui se rappellent à lui, et dont il reprend connaissance au cours de ses diverses lectures. Edmond Jabès, faisant état de la mémoire inhérente aux mots, garante de leur destinée, ira jusqu’à dire qu’ils gardent souvenance du manuel scolaire qui nous les a un jour révélés sous la forme de ces unités minimales que sont les lettres et les syllabes. Tel des relais, ils nous font signe, nous livrent des signes de piste, de ce qu’ils restent toujours ‘à faire suivre...’ et reconduire de livre en livre. »
→ Il y a là des effets de mise en abyme qui me semblent au fond constitutionnels de la lecture. Sentiment de me regarder sans cesse en train de lire, à l’infini, comme dans des jeux de miroirs ou la célèbre image du dessus des boîtes de Vache qui rit. Vache qui lit ?
L’enfant avec une colombe
Siegfried Plümper Hüttenbrink me parle aussi de trois sculptures qui l’ont accompagné au cours de son parcours, deux de Rodin (notre dialogue à ce sujet est parti de jeux de main autour d’un livre d’une lectrice photographiée récemment par moi), La Voix intérieure et L’Homme qui marche, mais aussi le Scribe accroupi du Louvre. Et me pose la question de savoir si certaines sculptures ou bien des figures de tableaux m’ont accompagnée (il évoque l’Ange de l’histoire de Paul Klee si important pour Walter Benjamin). Je crains bien que non ! Sauf peut-être une toile de Picasso que j’avais essayé de copier quand j’étais encore presque petite fille, L’enfant avec une colombe. Et les regardant, ce tableau, cet enfant, je me rends compte soudain à quel point ils m’ont marquée, m’ont même imprégnée, le visage et les cheveux de l’enfant en particulier que j’identifie presqu’aux miens, toute petite.
Solastalgie
Seconde lecture d’un très important article de Nicolas Truong publié dans Le Monde, daté du 24 septembre 2022.
« La prise de conscience des ravages a pénétré le langage, et l’on nomme désormais ce sentiment de perte, de désarroi et de mélancolie provoqué par la dégradation de notre propre ‘environnement’. Forgée au début des années 2000 par le philosophe australien Glenn Albrecht – auteur des Émotions de la Terre (Les liens qui libèrent, 2020) – lui-même bouleversé par les saccages de l’exploitation minière de la Hunter Valley, une région au nord de Sydney dont il est originaire, la ‘solastalgie’ désigne ce ‘sentiment de désolation causé par la dévastation de son habitat et de son territoire’, mais aussi ‘le mal du pays que vous éprouvez alors que vous êtes toujours chez vous’. Elle résonne avec l’‘écoanxiété’, théorisée à la fin des années 1990 par la chercheuse en santé publique belgo-canadienne Véronique Lapaige, qui s’est largement popularisée. Si la solastalgie, cette douleur morale causée par la disparition de son propre milieu de vie, est une tristesse de rétrospection, l’écoanxiété, suscitée par la crainte d’un effondrement à venir, est une angoisse d’anticipation. » (Extrait donc d’un fort article du Monde, signé Nicolas Truong).
« Avec une apparente simplicité, le sociologue danois Nikolaj Schultz emploie à présent le concept de ‘mal de Terre’, afin de ‘caractériser ce double “bouleversement”, celui de l’humain et celui de la Terre qui tremblent simultanément’ ». (Nikolaj Schultz dans Mal de Terre, Payot)
C’est qu’il « ne s’agit plus d’élaborer une métaphysique de l’être et du temps, comme le fit Martin Heidegger (1889-1976), ou même une phénoménologie de l’être et du néant, telle que s’y livra Jean-Paul Sartre (1905-1980), mais une pensée renouvelée de l’être et de la Terre, une ontologie de notre condition terrestre. Car nous avons changé de monde. ‘La Terre telle que nous la connaissions est en train de muter à cause de l’être humain et de ses actions, poursuit Nikolaj Schultz. Il s’agit là d’un “drame de l’être” que les bons vieux existentialistes n’auraient pu prévoir !’ »
Quant au philosophe Frédéric Neyrat, il « n’hésite pas à considérer que ‘les mégafeux ne brûlent pas seulement des forêts, des vies humaines et animales, mais aussi nos manières de penser. Calcinées, celles-ci peinent à produire les contre-feux intellectuels et politiques nécessaires pour répondre aux désastres climatiques : chaque proposition, chaque cri de rage, chaque concept flambe et se réduit en cendres avant d’avoir seulement pu prendre forme.’ »
Mais à ce stade, Nicolas Truong va porter son attention sur la « percée conceptuelle opérée par la nouvelle anthropologie de la nature » ; et je vais retrouver sous sa plume nombre de références à des livres que j’ai lus ou essayé de lire ces derniers mois : Philippe Descola, Bruno Latour (Nicolas Truong l’a longuement interviewé dans une belle série pour Arte, disponible jusqu’au 25 novembre 2022), Baptiste Morizot (que je viens d’installer sur ma liseuse) ; Nastassja Martin, (« qui cherche à sortir de la séparation ontologique entre l’animal, le végétal et le minéral et qui explore une raison animiste sans franchir les frontières de l’ésotérisme. »)
Nicolas Truong : « Ainsi assistons-nous actuellement à un tournant géologique de la pensée contemporaine. »
Une vraie inquiétude
La fin de l’article que je ne détaille pas ici est bien alarmante, pensant que sans doute les effets prévus du changement climatique pourraient être largement sous-estimés : « Directrice de l’Institut Momentum, qui oriente ses réflexions sur la décroissance et les risques d’effondrement, Agnès Sinaï observe que ‘nous vivons aujourd’hui dans notre chair – et ce n’est qu’un début – les conséquences de l’overshoot, du dépassement écologique, induit par les sociétés productivistes et thermo-industrielles qui sont les nôtres. C’est un immense effet boomerang qui est en train de se produire, une rétroaction gigantesque : le système Terre répond au stress de la suractivité productive de nos sociétés’. A-t-on minoré ses effets les plus alarmants ? (...) ‘Les prestations et publications des effondristes et des collapsologues sont aujourd’hui dans la même position de rejet que celles des pro-climat dans les années 1970 face aux moqueries des indifférents ou des climatosceptiques, regrette-t-elle. Une fois encore, c’est la réalité imparable des désastres croissants et la souffrance des populations qui permettront peut-être de convaincre les sceptiques, voire d’entreprendre des actions à temps et à la hauteur.’ »
La bataille des récits
Je relève enfin cette conclusion de l’article, qui ouvre aussi peut-être un champ à la poésie. « L’écosophie est confrontée à un double dilemme tactique et sémantique. Face à l’urgence de penser et d’agir dans un monde en feu, la tentation est grande de vouloir rompre avec le vocable de l’ancien monde ; et d’accompagner l’avènement du nouveau par des concepts inédits et des narrations inouïes. Un pari qui peut toutefois heurter les représentations. D’autant que, sur le terrain, ce ne sont pas que des penseurs, mais également des naturalistes amateurs qui, ‘sans vouloir renverser l’ordre des choses’, se font ‘veilleurs du vivant’ (Vanessa Manceron, La Découverte, 2022). Ainsi s’ouvre pour l’écologie un autre horizon doublé d’un nouveau conflit, celui de la bataille des récits. »
→ Je souligne l’importance de cet article.
Flacon de sels
Trouver dans une des lettres de nadine agostini, toujours si savoureuses et de longue portée, cette citation de bukowski : « le problème est que nous cherchons quelqu'un pour vieillir ensemble, alors que le secret est de trouver quelqu'un avec qui rester enfant. » – me dire que je collectionne les citations comme je collectionne les toupies et les petits cailloux – voir des merveilles au salon du livre rare à paris mais n’avoir pas envie de posséder ces merveilles – penser à ma mère en regardant faire des relieuses – et à mon grand-père le bibliophile dans les allées de ce salon – savoir que je ne suis ni relieuse ni bibliophile mais que je tiens d’eux une partie de mon amour des livres -
Flotoir
Claire conscience que le Flotoir doit rester ce qu’il a été à l’origine et a presque toujours été, le miroir de ma vie intellectuelle et sensible, la chambre d’enregistrement et d’échos de mes recherches. Cela ne passe pas que par la littérature ou la musique.
Intéroception
Assez passionnante émission de « la science CQFD », de nouveau sur la conscience, comme celle qui m’a poussée à acheter le livre de Lionel Naccache, Apologie de la discrétion (encore une fois il s’agit ici de la discrétion au sens mathématique). Cette émission traite de l’intéroception. Mais quid de l’intéroception (qui n’est pas la proprioception) : L'intéroception est la capacité que nous avons à percevoir l'état de notre corps, du battement de notre cœur au mouvement de nos intestins. On découvre un peu plus chaque jour l'étendue de son rôle, de la régulation de notre température corporelle à la perception de nos émotions.
Notes de présentation de l’émission : La vue, le toucher, l'ouïe, l'odorat et le goût… Mais il y a aussi un sixième sens : l’intéroception. (...) La perception n’est pas seulement tournée vers le monde extérieur. Lorsque vous sentez votre cœur battre, ou votre ventre se nouer, vous faites preuve d’une capacité que l’on appelle l’intéroception. Nos pensées, nos sentiments et nos comportements sont façonnés, en partie, par ces signaux internes qui proviennent de notre corps. Une conscience physiologique de soi qui fait de nous des êtres ‘viscéralement conscients’ ». Intervenants : Catherine Tallon-Baudry (Chercheuse en neurosciences), Henry Evrard (Directeur de laboratoire au Max Planck Institute for Biological Cybernetics & Center for Integrative Neuroscience ).
Définitions : L’intéroception est la capacité à évaluer de manière exacte son activité physiologique (par exemple son rythme cardiaque). (...) Elle dirige l’état interne de notre corps en lui permettant de reconnaître les signaux qui régulent les fonctions vitales comme la faim, la soif, la température corporelle et le rythme cardiaque. Ce "sixième sens" permet à l’humain de s’assurer du bon fonctionnement de son corps grâce à des alertes lorsqu’un déséquilibre survient ; par exemple, lorsqu’on a trop soif, l’intéroception nous pousse à boire un verre d’eau. L’intéroception contribue également à notre santé mentale, notamment via la prise de décision, la capacité sociale et le bien-être émotionnel. Une intéroception trop chamboulée provoque d’ailleurs différentes pathologies mentales telles que la dépression, l’anxiété ou les troubles alimentaires. Cela explique notamment la présence de symptômes similaires dans différentes maladies mentales.
La proprioception : La proprioception (formé de proprio-, tiré du latin proprius, « propre », et de [ré]ception), ou sensibilité profonde, désigne la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps. Elle fonctionne grâce à de nombreux récepteurs musculaires et ligamentaires et aux voies et centres nerveux impliqués. (Ces notes sont issues de différents articles de Wikipédia et de la présentation de l’émission sur le site de France Culture).
Les neurones de von Economo
Je ne peux résister au plaisir de citer ces neurones, dits de Van Economo. Ils n’ont pas la même forme que les autres neurones, plutôt pyramidaux. Ceux-ci sont de forme en fuseau, présents dans peu de régions du cerveaux des hominidés, l’insula et le cortex cingulaire. « Les NVE sont rares dans le monde animal et leur présence est corrélée avec des taux d'encéphalisation élevés, particulièrement chez les homonines. Peu nombreux à la naissance, leur apparition (et différenciation) augmente à partir du huitième mois chez le nourrisson humain pour assurer leur fonction vers l'âge de trois ans. Leurs fonctions restent débattues, mais pour certains neuroscientifiques les NVE seraient associés au développement de comportements sociaux complexes et de capacités cognitives et affectives spécialisées. Ils sont directement associés, en cas de déplétion, à des désordres psychiatriques impliquant une baisse d'empathie, de conscience sociale et de contrôle de soi. Dans le cas de la démence fronto-temporale, il est observé une perte de 75 % du nombre des NVE, de même que dans certains cas d'autisme et de schizophrénie précoce. » (source)
La voix et l’élocution
Elles seraient datables, me dis-je, en écoutant une archive à la radio, une émission scientifique sur le siège de la conscience, en 1964. L’élocution est sans doute un peu plus lente, plus articulée mais il me semble surtout que les accents toniques ne se situent pas au même endroit, ce qui est fort troublant. Doit-on relier cela à l’intention qui est derrière l’élocution de celui qui a pris la parole : se faire comprendre, se faire admirer, ne pas laisser place à l’autre pour vous contredire ?
Ah les mots
Une des raisons pour lesquelles les sciences et la médecine m’intéressent et me fascinent tant, c’est indéniablement en raison du vocabulaire ! Apprenant dans l’émission sur l’intéroception que l’estomac a une activité électrique et faisant une petite recherche, je tombe sur ce paragraphe merveilleux : « Entre les repas, quand le tube digestif est relativement vide, l'activité contractile du tube digestif se limite au complexe moteur migrant. Pendant et après les repas, les activités contractiles du tube digestif produisent 2 types de motilités : la segmentation et le péristaltisme. » (source). Les poètes devraient s’intéresser beaucoup plus à la science. Il m’arrive d’ailleurs souvent de penser à Marie-Claire Bancquart, qui n’était pas une scientifique au sens strict du mot, mais portait une très grande attention aux phénomènes physiologiques, elle qui dès l’enfance avait été confrontée à la maladie et à de très longues heures d’immobilité et de solitude qui devaient l’avoir rendue très sensible à tous ses ressentis.
Faire partie du monde
Il se pourrait bien qu’une partie de mes lectures, parmi lesquelles mes lectures de poésie peuvent parfaitement avoir une place centrale, soit liée à la question que Lionel Naccache pose en sous-titre de son livre Apologie de la discrétion, « Comment faire partie du monde ? ». Ce monde que je sais que je vais bientôt quitter (je dis bientôt simplement eu égard à mon âge qui me fait penser que la plus grande partie de mon parcours dans le monde est derrière moi) mais qui est à l’origine de cette pensée que ma seule justification est d’en avoir fait partie pour le temps qui sera le mien. Lionel Naccache liste les questions : « Quelle est la place de chacun d’entre nous dans l’univers ? Quel est le type de relation que chacun d’entre nous entretient avec lui-même à travers le temps de son existence ? Quel est le type de relation que chacun d’entre nous entretient avec les autres ? Quel est le type de relation que chacun d’entre nous entretient avec le reste de la nature, du cosmos ou de l’univers, trois termes que nous traiterons ici de manière équivalente ? Quelle est la mesure d’un instant vécu ? Comment les réponses à ces questions peuvent-elles affecter nos conduites et nos pensées ? » (5)
De la discrétion
La notion étant fondamentale, il me faut bien me la préciser ! « Nous devons aux mathématiques une distinction fondamentale entre deux types d’ensembles : les ensembles discrets, d’une part, et les ensembles continus, d’autre part. La différence entre le discret et le continu tient précisément à la relation entre chacun des éléments considéré isolément et le reste de l’ensemble. Dans un ensemble discret, chaque élément est non seulement distinct des autres, mais son existence individuelle est soulignée par le fait qu’il existe des frontières tranchées entre lui et les autres. Par exemple, dans l’ensemble discret qu’est l’ensemble ordonné ℕ des nombres entiers naturels, le nombre 3 admet pour voisins contigus les nombres 2 et 4. Dans un ensemble continu, si chaque élément demeure distinct des autres, il devient impossible de définir une frontière précise entre lui et eux. Cette absence de frontière individuelle nette se traduit par le fait qu’il existe une infinité d’autres éléments entre n’importe quel couple d’éléments, aussi proches soient-ils. Et cela indéfiniment. Ainsi, dans l’ensemble des nombres réels ℝ, le nombre 3 n’est le voisin contigu ni de 2, ni de 4 ni d’aucun nombre individualisable, car il existe désormais une infinité de nombres entre toute paire de nombres, si proches soient-ils l’un de l’autre (exemple : entre 2 et 3 se trouvent par exemple 2,9 ; mais également : 2,901 ; 2,90059 ; 2,900059… indéfiniment). Ainsi, la relation d’appartenance d’un élément à un ensemble continu se traduit par la perte de son individualisation au profit de sa fusion au sein de l’ensemble global. » (p. 8)
Alors pose Naccache, dans notre rapport au monde, sommes-nous un élément qui fait partie d’un ensemble discret ou d’un ensemble continu ? « Bref, comment faisons-nous partie du monde, quelque part entre continuité et discrétion ? Nous découvrirons bientôt que, si la tension entre discrétion et continuité semble absolument indispensable à respecter, la primauté de la discrétion et notre lucidité de cette primauté constituent les pierres angulaires d’un faire partie du monde juste et adéquat. La fragilité de notre discrétion, voire la discrétion de notre discrétion apparaîtront rapidement comme les sources de profonds malentendus et d’insondables difficultés qui participent, selon moi, au désarroi contemporain par lequel nous ouvrions ce livre. » (9).
L’exemple du cinéma
Sans cesse Naccache revient à l’exemple du cinéma, très éclairant. Nous pensons voir quelque chose de continu, or ce que nous « recevons » en réalité, ce sont 24 images distinctes par seconde. Nous sommes bien devant un ensemble discret. « La magie du cinéma repose en effet sur la transformation d’une série d’images discrètes projetées sur nos rétines au rythme de vingt-quatre images par seconde en la perception subjective d’un film continu. Des images discrètes présentées au film continu perçu, il s’agit bien d’un passage de la discrétion à la continuité. Ce moulinage mathématique opère irrépressiblement en nous, au cinéma comme face à une page de texte écrit, et il s’agit là d’une propriété fondamentale de notre vie mentale. Les combinaisons discrètes des vingt-six lettres de notre alphabet jouent ici le rôle des vingt-quatre images par seconde. » (13)
→ les combinaisons discrètes des vingt-six lettres de l’alphabet, comment ne pas penser ici à l’œuvre de Philippe Jaffeux et à ses jeux de hasart ?
→ ces mots m’inspirent aussi l’amorce d’une réflexion, à mener plus intensément, sur l’image fixe de la photographie, comme le prélèvement d’une discrétion dans l’apparent continu, ce qui en explique peut-être, la fascination ?
Il y a donc une primauté de la discrétion dans la mécanique de notre pensée, conclut Naccache.
Un petit théâtre vocal
Je reprends par bribes le livre de Peter Szendy sur la lecture (Pouvoirs de la lecture). Il y est beaucoup question de voix, comme dans mes échanges avec Siegfried Plümper Hüttenbrink ! « Face au déferlement sans mesure de tout ce qu’il faudrait lire, notre petit théâtre vocal où se jouent et se déjouent les micropouvoirs de la lecture n’est-il pas voué à exploser, à être pulvérisé ? N’y a-t-il pas quelque chose de terriblement anachronique à vouloir penser la lecture aujourd’hui, avec son économie ou son écologie mondialisée, à l’échelle microscopique d’un partage des voix qui appartient à une époque où n’existaient que quelques rouleaux de papyrus circulant de main en main ? Et surtout, que pourrait-il bien rester de cette vieille vocalité lorsque ma lecture se fait de plus en plus hypertextuelle, distante ou machinique, lorsque je clique sur des liens qui me conduisent de texte en texte ou lorsque je cherche les occurrences d’un mot dans un ouvrage qui ressemble dès lors plus à une base de données qu’à un livre relié et paginé ? » (24)
Un partage des voix
Je commence à percevoir un peu mieux ces voix multiples que Szendy détecte dans la lecture ! Par exemple quand il écrit : « étant un partage des voix, la lecture est à la fois transitive (la voix lisante s’efface devant la voix qu’elle lit, elle disparaît pour mieux la laisser transparaître en tant que voix qui parle) et réflexive (on peut toujours prêter l’oreille à la voix qui lit plutôt qu’à celle qu’elle lit). » (28-29)
L’anagnoste
C’est un esclave lecteur dans l’antiquité. « L’anagnoste – car tel était son nom, dont Rabelais se souvient encore dans Gargantua – est partout sur la scène antique de la lecture. Il lit pour d’autres, on le fait lire. » (46) C’est une figure importante du livre de Peter Szendy. Qui fait cette hypothèse qui ne me parle pas du tout : « l’anagnoste – telle sera notre hypothèse – survit en nous lorsque nous lisons silencieusement. Quand nous ouvrons un livre, c’est encore et toujours une sorte d’anagnoste qui commence à lire en nous. » (48)
→ Non, je suis celle qui lit ou lis, je ne sais comment il faut l’écrire. Et en tous cas, j’ai toute liberté (ou presque, certaines situations de lecture sont contraintes) de suspendre ma lecture, de l’arrêter. Tout au plus peut-on penser que l’anagnoste serait celui qui lit un livre enregistré, sachant que les études montrent une augmentation très significative de la « lecture » par audio interposé.
Habiter en oiseau
C’est le titre d’un beau livre, difficile, de Vinciane Despret que j’ai ouvert après celui qui tournait autour de la présence des morts chez les vivants. Dans ce livre, le sujet principal de V. Despret est la question du territoire chez les oiseaux. Notion de territoire qui semblait au fond assez simple, mais dont elle va démontrer la complexité ; et surtout à quel point les ornithologues, les éthologues font souvent tout à fait fausse route dans leur appréhension du territoire, se concentrant essentiellement sur des questions de domination, de prédation et de ressources. « Plus on étudie les oiseaux, plus les choses se compliquent. De nouvelles manières de faire territoire apparaissent, bien plus complexes que les ornithologues ne pouvaient l’imaginer. »
→ tout le temps de ma lecture, jusqu’au point où elle en est aujourd’hui, j’ai pensé aux propos étonnants de V. Despret dans cette formidable série de vidéos. Elle évoquait son parcours, les évènements qui l’avaient fabriquée, et notamment l’étude des oiseaux cratéropes en Israël. Dans le désert du Néguev, auprès de l'ornithologue Amotz Zahavi.
Il faut aussi donner le nom, tellement significatif, des trois dédicataires du livre : Donna Haraway, Isabelle Stengers et Bruno Latour.
Le merle
Merveilleux incipit du livre de Vinciane Despret : « Il s’est d’abord agi d’un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l’hiver. Son chant m’a réveillée à l’aube. Il chantait de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. Un autre lui a répondu un peu plus loin, sans doute d’une cheminée des environs. Je n’ai pu me rendormir. Ce merle chantait, dirait le philosophe Étienne Souriau, avec l’enthousiasme de son corps, comme peuvent le faire les animaux totalement pris par le jeu et par les simulations du faire semblant. Mais ce n’est pas cet enthousiasme qui m’a tenue éveillée, ni ce qu’un biologiste grognon aurait pu appeler une bruyante réussite de l’évolution. C’est l’attention soutenue de ce merle à faire varier chaque série de notes. J’ai été capturée, dès le second ou le troisième appel, par ce qui devint un roman audiophonique dont j’appelais chaque épisode mélodique avec un “et encore ?” muet. Chaque séquence différait de la précédente, chacune s’inventait sous la forme d’un contrepoint inédit. Ma fenêtre est restée, à partir de ce jour, chaque nuit ouverte. À chacune des insomnies qui ont suivi ce premier matin, j’ai renoué avec la même joie, la même surprise, la même attente qui m’empêchait de retrouver (ou même de souhaiter retrouver) le sommeil. L’oiseau chantait. Mais jamais chant, en même temps, ne m’a semblé si proche de la parole. Ce sont des phrases, on peut les reconnaître, elles m’accrochent d’ailleurs l’oreille exactement là où vont toucher les mots du langage ; jamais chant en même temps n’en aura été plus éloigné, dans cet effort tenu par une exigence de non-répétition. C’est une parole, mais en tension de beauté et dont chaque mot importe. Le silence retenait son souffle, je l’ai senti trembler pour s’accorder au chant. J’ai eu le sentiment le plus intense, le plus évident, que le sort de la terre entière ou peut-être l’existence de la beauté elle-même, à ce moment, reposait sur les épaules de ce merle. »
De la recherche
Et assez vite, cette idée de Vinciane Despret, d’accorder toute l’attention à ce qui se passe, de ne pas observer avec des idées déjà faites, s’exprime clairement et c’est aussi comme une invite : « rendre compte, multiplier les manières d’être, c’est-à-dire “les manières d’éprouver, de sentir, de faire sens et de donner de l’importance aux choses”. Quand l’éthologiste Marc Bekoff dit que chaque animal est une manière de connaître le monde, il ne dit pas autre chose. Certes, les scientifiques ne peuvent faire l’économie des explications, mais expliquer peut prendre des formes très diverses, cela peut être recomposer des histoires compliquées comme autant d’aventures de la vie qui s’entête et qui expérimente tous les possibles, cela peut être chercher à élucider l’énigme des problèmes auxquels répondent les solutions qu’ont inventées tels ou tels animaux, mais cela peut être également vouloir trouver une théorie générale tout-terrain à laquelle tous obéiraient. Bref, il y a des explications qui multiplient les mondes et honorent l’émergence d’une infinité de manières d’être, d’autres qui les disciplinent et leur rappellent quelques principes élémentaires. »
Le territoire
« Le terme “territoire” avec une connotation très marquée de “propriété exclusive dont on s’empare” apparaît dans la littérature ornithologique au XVIIe siècle, c’est-à-dire au moment même où, selon Philippe Descola et de nombreux historiens du droit, les Modernes résument l’usage de la terre par un seul concept, celui de l’appropriation. Descola souligne que cette conception a acquis une telle force d’évidence qu’il est aujourd’hui difficile de s’en déprendre.
Explique Vinciane Despret qui ajoute alors que « des multiples façons d’habiter et de partager les usages de la terre qui s’étaient au cours des siècles inventées et cultivées ne resteront que des droits de propriété, certes quelquefois limités, mais toujours définis comme droits exclusifs d’user, voire d’abuser. »
Apprendre à connaître
« c’est non seulement une affaire de style qui est en jeu dans les analogies et les comparaisons, une affaire de style politique ou épistémologique, c’est également une affaire de goût. Isabelle Stengers propose de redonner au “sapere aude” kantien, “ose connaître”, son sens originel, celui d’un poète, le poète romain Horace : “Ose goûter.” Apprendre à connaître, écrit-elle, c’est apprendre à discriminer, apprendre à reconnaître ce qui importe, apprendre comment des différences comptent et l’apprendre dans les risques et les effets de la rencontre, c’est-à-dire en se connectant avec la multiplicité inhérente de ce qui importe pour ces êtres-ci qu’on voudrait connaître et ce qu’ils font importer. C’est un art des conséquences. »
Dans les vidéos, comme dans les livres, ce qui frappe chez Vinciane Despret, c’est le mélange de liberté de ton, de liberté de penser (il lui arrive de dézinguer certes des auteurs reconnus comme Konrad Lorenz ou Michel Serres !), sa fantaisie mais aussi sa rigueur dans la conduite de son travail. Elle mène des recherches extrêmement vastes sur son sujet, intégrant ce qu’elle conteste comme ce qu’elle approuve, discutant pied à pied les exemples. Elle est au fond incroyablement vivante. Elle sait rendre grâce aussi : « Les ornithologues ont été confrontés d’entrée de jeu à la diversité des espèces et ils ont très tôt cultivé une approche comparative qui les a rendus attentifs à la pluralité des organisations. Les approches comparatives demandent, et engagent à, une véritable culture du tact, de l’attention aux différences et aux spécificités, et du souci pour ce qui compte.
Un comportement expressif
Or Vinciane Despret en vient petit à petit à ce constat. C’est que, note-t-elle, « quelques chercheurs [vont]s’intéresser à un très beau problème : celui des apparences. Se dessine ici l’intuition d’une des dimensions les plus intéressantes du territoire, que rendront particulièrement sensible Gilles Deleuze et Félix Guattari dans le livre Mille plateaux : le comportement territorial est avant tout un comportement expressif. Le territoire est matière à expression. Ou, dans les termes d’Étienne Souriau, le territoire, chez les oiseaux, avec ces couleurs, ces chants, ces postures, ces danses ritualisées, est traversé d’intentions spectaculaires. ».
→ Ah si les documentaires animaliers, pourtant très bien faits techniquement, résultant de longues séances d’observation, pouvaient oublier un peu la reproduction et la prédation, pour parler du reste, de toute la vie des animaux.
Dit-elle autre chose Vinciane Despret ? : Les chercheurs ont tendance, “à ne retenir que, et à mettre un accent excessif sur, les moments dramatiques de la vie des animaux. Mais les animaux, comme les plantes, dans de nombreuses conditions, simplement persistent ; il est donc crucial de chercher les relations non dramatiques qui les rendent capables de continuer à vivre quand rien, au-delà de la simple persistance, n’est en jeu. Les animaux n’y font rien d’autre que de rester en vie. […] Le retrait tranquille d’animaux par ailleurs capables d’une activité extrême est souvent une part fondamentale du fait de vivre” ».
La montée en généralités !
Petit coup de canif bienvenu, lorsque Vinciane Despret pointe l’irruption et l’extension généralisée des théories économiques à tous les domaines : « Les années 1960 vont connaître un tournant crucial. Les chercheurs ont enfin trouvé le moyen de monter en généralité grâce aux théories économiques. Ils appliquent celles-ci sur les divers problèmes, ce qui leur permet de calculer les coûts et les bénéfices de chaque stratégie comportementale et de les formaliser dans des modèles mathématiques. (...) On va enfin se défaire de cette incorrigible diversité, de ces vies individuelles si indisciplinées, de ces circonstances qui gâchent l’unité des tableaux et de cet appétit consternant des vivants pour les variations. On a trouvé un convertisseur universel, l’économie, on va enfin pouvoir unifier théoriquement les territoires.