A partir du 20 janvier 2020, les publications sont suspendues sur le site Muzibao.
Le site reste néanmoins ouvert et on peut accéder à toutes les publications qui y ont été faites.
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Rédigé à 17:27 | Lien permanent
CHANTIER FAUSTUS II/12, "Beethoven IV, l’autre musique"
Chantier Faustus est un livre paru en 2017. Il fut conçu et rédigé avec la pleine conscience qu’il ne pourrait connaître d’achèvement autre que matériel. C’est pourquoi, aussi, il devait se poursuivre autrement, à la manière d’un chantier ouvert de tous côtés, ceux-là mêmes que Thomas Mann avait empruntés et initiés en écrivant son roman (Le Docteur Faustus – La vie du Compositeur allemand Adrian Leverkühn, 1947), dont il percevait à bien des égards l’immensité à laquelle aucune forme ne pouvait en toute rigueur se montrer adéquate.
À vrai dire, il est apparu très tôt, mais davantage encore au fur et à mesure du travail de rédaction, que l’horizon de ce chantier revêtait paradoxalement toutes les apparences d’un programme. La littérature et la poésie, la philosophie bien sûr trouveraient dans ces perspectives de travail toute leur raison d’être.
À cette fin, la seule méthode, la seule certitude pour s’orienter devait résider dans la grande leçon de Nietzsche, à savoir que la musique constitue la seule mesure permettant, en toute chose, au jugement de se faire. La musique est à cet égard la condition de la pensée. En effet, c’est elle, la musique, qui est en droit, par son aptitude si singulière à toucher, à éprouver et à évaluer, de mettre au jour la tonalité et la vérité du présent.
André Hirt
Le douzième et dernier épisode de ce feuilleton, Chantier Faustus II/12, "BeethovenIV, L'autre musique" est ici proposé au format PDF, plus simple à imprimer et à enregistrer et que l'on peut ouvrir d'un simple clic sur ce lien.
Précédents épisodes :
Chantier Faustus, II/1, "Impur(e)"
Chantier Faustus, II/2, "Heiterkeit, Mozart"
Chantier Faustus, II/3 , "Un être à part, La Petite Sirène d'Andersen"
Chantier Faustus II/4, "Sirènes, 2"
Chantier Faustus, II/5, "Stérilité"
Chantier Faustus, II/6, "La Marionnette et le Papillon, I"
Chantier Faustus, II/7, "La Marionnette et le Papillon, II"
Chantier Faustus II/8, "La Marionnette et le Papillon, III"
Chantier Faustus, II/9, "Beethoven I"
Chantier Faustus, II/10, "Beethoven II"
Chantier Faustus, II/11, « Beethoven, III, L’oreille musicienne
A propos de l’image :
Franz von Stuck (1863-1928)
Ludwig van Beethoven
1900
Relief en plâtre
H. 48 ; L. 48 ; P. 14 cm
© DR - RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
On sait que pour ce relief, Stuck s'est inspiré du célèbre masque de Beethoven, moulé sur son visage de son vivant, en 1812, et que l'on prend à tort pour son masque mortuaire. Le peintre et sculpteur Franz von Stuck s'est fait construire une villa à Munich, dont il a conçu entièrement l'aménagement. Dans le salon de musique, il avait d'abord prévu des effigies de compositeurs célèbres, parmi lesquels Beethoven. Cette villa, devenue musée, peut se visiter aujourd'hui. (source)
Rédigé à 11:37 dans Chronique du 20 | Lien permanent
CHANTIER FAUSTUS II/11, "Beethoven III, l'oreille musicienne"
Chantier Faustus est un livre paru en 2017. Il fut conçu et rédigé avec la pleine conscience qu’il ne pourrait connaître d’achèvement autre que matériel. C’est pourquoi, aussi, il devait se poursuivre autrement, à la manière d’un chantier ouvert de tous côtés, ceux-là mêmes que Thomas Mann avait empruntés et initiés en écrivant son roman (Le Docteur Faustus – La vie du Compositeur allemand Adrian Leverkühn, 1947), dont il percevait à bien des égards l’immensité à laquelle aucune forme ne pouvait en toute rigueur se montrer adéquate.
À vrai dire, il est apparu très tôt, mais davantage encore au fur et à mesure du travail de rédaction, que l’horizon de ce chantier revêtait paradoxalement toutes les apparences d’un programme. La littérature et la poésie, la philosophie bien sûr trouveraient dans ces perspectives de travail toute leur raison d’être.
À cette fin, la seule méthode, la seule certitude pour s’orienter devait résider dans la grande leçon de Nietzsche, à savoir que la musique constitue la seule mesure permettant, en toute chose, au jugement de se faire. La musique est à cet égard la condition de la pensée. En effet, c’est elle, la musique, qui est en droit, par son aptitude si singulière à toucher, à éprouver et à évaluer, de mettre au jour la tonalité et la vérité du présent.
André HirtLe onzième épisode de ce feuilleton, Chantier Faustus II/11, "Beethoven III. L’oreille musicienne" est ici proposé au format PDF, plus simple à imprimer et à enregistrer et que l'on peut ouvrir d'un simple clic sur ce lien.
Précédents épisodes :
Chantier Faustus, II/1, "Impur(e)"
Chantier Faustus, II/2, "Heiterkeit, Mozart"
Chantier Faustus, II/3 , "Un être à part, La Petite Sirène d'Andersen"
Chantier Faustus II/4, "Sirènes, 2"
Chantier Faustus, II/5, "Stérilité"
Chantier Faustus, II/6, "La Marionnette et le Papillon, I"
Chantier Faustus, II/7, "La Marionnette et le Papillon, II"
Chantier Faustus II/8, "La Marionnette et le Papillon, III"
Chantier Faustus, II/9, "Beethoven I"
Chantier Faustus, II/10, "Beethoven II"
Rédigé à 09:22 dans Chronique du 20 | Lien permanent
Les Indes galantes de Rameau à Bastille (du 26 septembre au 15 octobre 2019)
« [L]a voix montait, pleine de soupirs, nuancée ; stentorienne, nourrie, éclatante, glorieuse », écrit James Joyce dans Ulysse (traduction d’Auguste Morel, revue par Valery Larbaud, Stuart Gilbert et l’auteur). Mais le chant est, avec Jean-Philippe Rameau (empruntons à André Tubeuf quelques-uns de ses mots), « présent non point [seulement] dans chaque ligne tendue et tenue, dans la mélodie, évidence bénie ; mais dans chaque son déjà, comme si la fonction du moindre son, son âme essentielle, était de se faire chantant ; de nous faire signe, de nous éveiller par le chant. »
Rameau, dans ses écrits théoriques, n’a cessé de répéter, rappelle Starobinski dans Les Enchanteresses, que la « "loi de génération harmonique", produite par la vibration du corps sonore, était le secret fondamental du cosmos d’où dérivaient les proportions géométriques régissant les lois de toute la nature. » Et le critique d’ajouter, dans La séduction des origines : « La musique, on l’avait cru parfois au Moyen Âge, peut éveiller en nous le souvenir de l’éternité, ranimer l’image obscurcie du paradis et de la lumière originelle. Plus elle s’approche de la perfection dont elle est capable, et mieux elle portera en elle la trace de la plénitude de l’origine, et de cette "harmonie des sphères" qui traduisent la plénitude en un accord parfait. Toute musique aurait donc pour pôle d’attraction l’éternité intemporelle, le point divin immobile, la note unique autour de laquelle tournent les cercles adorants. Et la musique, si elle est mue par l’amour, se joint aux cercles adorants dans un temps où présent, passé et futur tendent à confondre leurs limites pour accéder au nunc stans, à l’immuable Maintenant. »
L’immuable Maintenant… « Je tiens la mise en scène pour un art qui, quelles que soient son évolution et ses différentes pratiques, doit résonner au présent », assène Ivo van Hove face à Frédéric Maurin (Actes Sud Papiers, collection Mettre en scène, 2014). Avant d’ajouter (nous soulignons) : « Les œuvres que je mets en scène, peu importe de quand elles datent, je les traite donc comme s’il s’agissait d’œuvres contemporaines, comme si elles venaient d’être écrites. Elles doivent parler au public d’aujourd’hui et avec les moyens d’aujourd’hui. D’où le refus de la littéralité historique et, assez souvent, le recours à la technologie. Cependant, la transposition n’est pas une fin en soi, mais le moyen de retrouver l’acuité, la puissance, la nouveauté de l’origine. Mettre en scène une pièce du passé implique de recréer la déflagration qu’ont ressentie les spectateurs le soir de la première. » Clément Cogitore a parfaitement retenu cette « leçon ». Comme en témoignent, d’éclatante manière – fonctionnant par tableaux pour être proches de Castellucci, et donnant corps à l’imaginaire post-apocalyptique auquel nous a habitué le cinéma hollywoodien, et s’autorisant des incursions dans l’univers fantasmé de la mode, de ses inaccessibles défilés, et épousant, autant que l’enfance et ses jeux (Un, deux, trois, soleil !), le fantasmagorique propre à Versailles… –, ses Indes Galantes, qui interrogent – avec la fougue et le souci de bien faire de la jeunesse, longuement salués par le public* mais vilipendés par la critique qui y a vu ou un étalage de gratuités ou une façon de donner corps au tape-à-l’œil – la manière dont peuvent résonner, aujourd’hui (à savoir dans nos vies soumises à l’impératif du temps bref, rythmé Instagram), les mots du livret de Louis Fuzelie : « Sur ces bords, une âme enflammée partage ses vœux […] ». Loin du faste du Palais Garnier, dont témoigne par exemple le film de Jacob Sutton, mais sans atteindre jamais l’extravagance rousseauiste, bon enfant, de la mise en scène de Laura Scozzi au Grand-Théâtre de Bordeaux en février 2014, Clément Cogitore, s’intéressant principalement à la pluralité intrinsèquement constitutive du hip hop (du breakdance au popping), a eu la bonne idée de faire du krump le cœur vivant de la musique de Rameau. Cœur qui bat à la fin de l’emblématique opéra-ballet. Cœur qui bat si rapidement, – et nous donne, à chaque fois, des frissons. Car ce cœur, s’il bat, certes, pour que vive Rameau, bat pour que ce soit nous qui ressentions. Cœur qui bat imparfaitement : arythmie libératrice, sœur du travail d’Édouard Lock, le classicisme en moins ; le plaisir en plus, semblable, en tout point, à ce débordement construit – délivré autant que retenu – auquel les rappeurs – se livrant au freestyle – donnent corps, avec une rapidité confinant à l’extase. Cœur qui bat tout au long du court-métrage qui, rappelons-le, fut à l’origine de la volonté de l’Opéra de Paris de confier à Clément Cogitore cette mise en scène. Le krump ? Une danse née à la fin des années 1990 dans les ghettos noirs de Los Angeles. Après les émeutes qui ont suivi la mort de Rodney King, quand la répression de la police était si soutenue que plus aucune violence n’était devenue possible, les gamins des ghettos – résilience semblable à celle qu’a mise, dans les gestes de peindre et de dessiner, Jean-Michel Basquiat – se sont mis à danser, pour exprimer cette violence. Et, l’exprimant, ils l’ont dépassée.
L’on pourra reprocher à Clément Cogitore de ne pas faire se lever tout au long de sa mise en scène, comme formes dénaturant le brouillard, l’émotion, – ainsi qu’y parvint, superbement, à l’Opéra de Lille, Rodelinda de Haendel, Jean Bellorini (mise en scène) et Emmanuelle Haïm (direction d’orchestre) –, mais sa lecture des Indes Galantes a l’indéniable mérite de nous rendre la musique de Rameau plus actuelle que ne le serait une dépêche AFP.
* Pour avoir assisté à plusieurs représentations, je puis dire que cela s’est produit à chaque fois.
Matthieu Gosztola
Rédigé à 10:24 dans Notes d'écoute (CD & concerts) | Lien permanent
Les Noces de Figaro par Jérémie Rhorer (direction) et James Gray (mise en scène)
au Théâtre des Champs-Élysées du 26 novembre au 8 décembre 2019
« Ma tête et mes mains sont tellement prises par le troisième acte
qu’il n’y aurait rien de miraculeux si j’étais moi-même transformé
en un troisième acte. »
Mozart, le 3 janvier 1781, à propos d’Idoménée, roi de Crète.
Grand, grand succès de cette mise en scène de James Gray au Théâtre des Champs-Élysées (comme j’ai pu le constater à chacune des trois représentations auxquelles j’ai assisté).
Ce succès public renoue avec les origines de l’œuvre. Laissons le ténor O’Kelly dire, depuis l’indéfini du temps, « je me souviens » : « Je me souviens de la première répétition avec tout l’orchestre. Mozart était sur la scène, avec sa pelisse cramoisie et son chapeau de haute forme à galons d’or, donnant la mesure à l’orchestre. L’air de Figaro : "Non più andrai, farfallone amoroso" fut chanté par Benucci avec une animation et une force de voix des plus grandes. J’étais tout à côté de Mozart, qui répétait sotto voce : "Bravo ! Bravo Benucci !" et quand Benucci arriva au passage final : "Cherubino, alla vittoria, alla gloria militar !" qu’il chanta avec une voix de stentor, l’effet produisit comme une décharge électrique, aussi bien sur les acteurs en scène que sur les exécutants de l’orchestre qui, comme agités d’un sentiment de ravissement, s’écrièrent : "Bravo ! Bravo ! Maestro ! Viva, viva, grande Mozart !" Je crus qu’à l’orchestre, les musiciens ne s’arrêteraient pas d’applaudir, en frappant de leurs archets sur les pupitres. Le petit homme exprima ses remerciements pour les marques extraordinaires d’enthousiasme qu’on lui témoignait, en s’inclinant plusieurs fois. » Et qu’en fut-il de la première représentation ? « À la fin de l’opéra, je crus – sourit O’Kelly – que les spectateurs ne cesseraient pas d’applaudir et d’appeler Mozart. Tous les numéros furent bissés, ce qui fit durer la représentation presque aussi longtemps que celle de deux opéras, et engager l’empereur à décider qu’à la seconde représentation, aucun morceau ne serait répété. Jamais il n’y eut plus complet triomphe que celui de Mozart et de ses Nozze di Figaro. » Et qu’en fut-il des autres représentations ? Le père de Mozart, Léopold, écrit le 16 mai 1786 : « À la seconde représentation des Noces de Figaro à Vienne, cinq morceaux, et à la troisième sept morceaux, ont été bissés ; entre autres un petit duo a dû être répété trois fois. »
Ce succès public communique avec le plus profond de l’œuvre. Car ce succès est dû aux airs, qui ont sur nous, sur notre cœur, le même effet que les airs de Rossini (lequel, s’abreuvant à la même source que Mozart – Beaumarchais –, composera Le Barbier de Séville) ont sur les Italiens, selon Stendhal [1]. Ainsi, il est significatif que Philippe Jaccottet écrive que tel air des Noces lui est « vraie fontaine de sons, la plus limpide, la plus tendre qui soit », avant d’ajouter, grâce à « Au bord de la source » (in Les Années de pèlerinage) de Liszt, que « l’imitation de la source, en musique, comme celle de la pluie (Debussy), des jeux d’eau (Ravel), est incapable de produire une fraîcheur aussi pure que tel air de Mozart qui ne prétend pas imiter quoi que ce soit ». Et le poète de conclure dans Tout n’est pas dit : « Ainsi voyons-nous Mozart, en ses opéras, changer toutes choses – les bavardages, les querelles, les farces, et jusqu’aux terreurs et passions les plus noires – en un chant qui mérite plus qu’aucun autre d’être appelé divin : comme s’il faisait courir, à la cime de ses airs, une aigrette de feu, annonçant on ne sait quelle aube inouïe. »
Le chant de la Comtesse (Vannina Santoni), de Suzanne (Anna Aglatova), de Cherubino (Éléonore Pancrazi) prend son essor, analyse Starobinski, « sous l’impulsion du désir amoureux et son mouvement est continué par la circulation des voix multiples de l’orchestre, par toutes les vibrations des cordes et tous les souffles entremêlés des instruments à vent. Le sentiment que nous éprouvons devant cette circulation est avivé, dans presque toutes les pages du libretto, par les significations multiples du mot aria, qui passe par tous les sens dont il est susceptible. Il désigne le corps et sa séduction (quell’aria brillante), il s’étend à l’atmosphère, à l’’aura’ qui enveloppe un jardin (finché l’aria è encor bruna), et il transporte notre attention vers la merveilleuse mélodie du duettino (canzonetta sull’aria). Or les paroles de cet air font espérer les vents et les brises du soir (che soave zeffiretto questa sera spirerà). L’équivoque sur le mot ‘air’ est apparemment banale, on la retrouve dans un grand nombre de vocabulaires européens : italien, français, anglais… Il fallait un musicien de génie pour la traduire, l’amplifier et la rendre sensible dans un langage infiniment plus efficace. Quand tombe la nuit, c’en est fini de la circulation des objets, on ne peut plus les distinguer : l’épingle a été perdue [2] et remplacée à la diable. On ne reconnaît plus personne. Tout baigne dans l’ombre. Quelques falots se déplacent en déplaçant les zones d’ombre. Seuls le jardin et la musique respirent. Les derniers objets symboliques, si l’on y pense, sont les refuges où les personnages disparaissent : ce sont les pavillons où, l’une après l’autre, toutes les femmes, et Chérubin, se cachent pour échapper au péril (tout en partageant les fruits et la brioche que Barbarina y a apportés). Les pavillons, qu’on peut imaginer en bordure de scène comme de petites ‘folies’, sont les équivalents du réduit où Cherubino et Suzanne étaient enfermés au deuxième acte, et du fauteuil du premier où Cherubino s’était blotti comme dans une grotte, dissimulé sous une robe providentielle déposée par Suzanne. Ce sont des réceptacles de vie, des chrysalides pour le farfallone amoroso, le ‘papillon amoureux’. Au quatrième acte, les objets, en disparaissant dans la nuit, laissent le champ libre aux voix. La délicieuse illusion passe par les voix contrefaites – échangées comme les vêtements – de Suzanne et de la Comtesse. Beaumarchais avait imaginé ce complément vocal du travesti, cette feinte d’un instant, avec la reconnaissance qui suivait. Passant du théâtre à l’opéra mozartien, le stratagème est mis au service non d’un comique d’imitation, mais d’une accentuation de l’écoute. Figaro reconnaît Suzanne à sa voix : Io conobbi la voce che adoro – ‘J’ai reconnu la voix que j’adore’… La voix, venue de l’être le plus intime, est la vérité enfin révélée au terme de la folle journée, qui fut aussi journée d’apprentissage, épreuve initiatique. Elle requiert la plus fine écoute. Suzanne, Figaro, la Comtesse, le Comte, tous supplient d’être écoutés, pour que cesse[nt] la méprise et le défaut d’amour. La dernière leçon, partagée entre plusieurs voix, est assurément celle-ci, où toute l’action est pour l’oreille : Écoute ! – Écoute celle dont tu as douté et que tu retrouves. – Écoute celle qui t’aime et qui n’a pas cessé de t’aimer. – Écoute celui qui t’avait oubliée et qui demande ton pardon, maintenant qu’il t’a reconnue. »
Parmi tous les airs, ceux de Cherubino – positionné « sans cesse au centre de l’action, imprévisible » et « proche par tant d’aspects de […] [l’]adolescence » du compositeur (selon Jean et Brigitte Massin) – sont, à n’en pas douter, les plus marquants : n°12 « Non so più » [3] et n°24 « Voi che sapete… » [4].
Nous ne parlerons que du premier air, c’est le plus émouvant. « Dans toute la littérature musicale dramatique, affirme le musicologue allemand Hermann Abert (propos cités par Jean-Victor Hocquard), on ne trouve sans doute pas dépeint, avec autant de vie et de vérité que dans la première aria de Cherubino, l’éveil de l’amour à demi conscient encore dans un cœur d’adolescent, avec tout son émoi fiévreux, sa douce torture et sa carence absolue de direction. Ce désir chaleureux et indéterminé prend bien, toujours, de nouveaux élans vers le plein éclat de la passion, et rêve qu’il atteint en passant bonheur et béatitude, mais le flot des sentiments emporte à nouveau sans répit l’adolescent, en le poussant vers de nouveaux buts qui, à vrai dire, ne lui offrent pas un sol plus ferme. Il se trouve que Mozart est particulièrement dans son élément avec un tel état d’âme, où tout est mouvement fluent ».
L’analyse que Dominique Jameux fait de cet air est d’une grande justesse, au point qu’il nous faut le citer, longuement : « Le rythme est ici l’ordonnateur suprême. En entendant d’abord par cela cette pulsion irrésistible, haletante, presque fébrile, qui porte presque l’air entier. Ce rythme s’appuie sur des dispositifs précis : brèves/longues (l’anapeste) qui régit la première phrase, le jeu de syncopes sur lesquelles rebondit la musique du premier couplet. C’est lui qui donne ce sentiment de perpétuelle ‘fuite en avant’ des sentiments. Il va s’essouffler au bout d’un moment, admettre des cassures, des silences, des arrêts (sur venti, sur sè, à nouveau redoublé sur ven-ti, comme sur sè). Les arrêts ne sont pas alors suffisants pour marquer ce trop d’émotion. Le tempo change, pour exprimer la détresse même (‘… et si personne ne m’écoute…’), par un Adagio entrecoupé de silences, avant de revenir au tempo initial mais pour vaciller immédiatement – avant de jeter la formule finale comme on se jette à l’eau. Ce rythme s’appuie sur une distribution instrumentale dont l’efficacité n’a d’égale que l’économie. On congédie momentanément flûtes et hautbois : il s’agit de faire place nette pour un timbre nouveau : les clarinettes en si bémol, dont la couleur chaleureuse et trouble est toujours porteuse, chez Mozart (voir ‘Fra gli amplessi’ dans Così, par exemple), de l’effluve amoureuse la plus pure et la plus sensuelle à la fois. Il faut suivre ces clarinettes, pour voir comment, parties d’un sage statut de soutien harmonique partagé avec bassons et cors, puis entraînant ceux-ci dans un rôle de partenariat mélodique, elles acquièrent un rôle de résonance et de liaison. Puis retour au simple statut harmonique, le son de la clarinette toujours ‘lesté’ de celui des bassons. Lorsque Cherubino évoque le ‘desio’ qui le torture, les clarinettes viennent souligner son chant la deuxième fois. Puis, au moment où un espace s’ouvre entre la reprise du refrain et ce qu’on appellera le second couplet, les clarinettes prennent la parole par des tierces descendantes contrepointées par les bassons (et non ‘complétées’), assurant ainsi la transition. Enfin, lorsqu’il s’agit de ces ‘vents qui emportent mes vaines paroles’, les clarinettes seules accompagnent la ligne de chant dans un dessin de tierces ‘en escalier’ qu’on retrouvera plus tard dans un contexte différent. Ainsi l’ensemble de ce pupitre, ou plutôt de cette couleur, apparaît-elle jouer un rôle de partenaire de la voix, selon diverses modalités qui vont du simple soutien à celui de partenaire à part entière [5].
Il reste à parler de la forme de cet air, et ce n’est ni le moins nécessaire – car c’est elle qui confère un sens à l’ensemble du texte – ni le plus facile : car la forme de ‘No so più’ n’est en rien évidente. Un ‘Rondò’, dit-on d’habitude. Curieux rondo. Car si on distingue bien l’énoncé d’une phrase qui, faisant par la suite retour, peut s’apparenter à un refrain, si entre ces deux énoncés un ‘couplet’ (‘solo ai nomi d’amor’) peut être logé, le refrain en question ne fait pas retour une troisième et dernière fois, en ton de tonique, pour clôturer l’aria. Donc, pas de rondo. Mais quoi alors ? Que se passe-t-il après la seconde énonciation du ‘refrain’ ? On identifie alors une ‘Coda’ de cinquante mesures, démesurée puisque l’air entier en compte cent tout rond. Surtout, cette coda serait bien chargée d’événements : modulations, changements de tempo, césures, arrêts…, et elle devrait être en tonique alors qu’elle est en sous-dominante (la bémol majeur). Nous proposerons par conséquent d’identifier ce début de séquence comme étant un second couplet, en sous-dominante, ce que l’écoute de l’aria ne dément pas, et qui ramène celle-ci en tonique (‘ai monti’), après une passagère incursion en fa mineur (‘parlo d’amor sognando’), mais n’affirmant la cadence de tonique qu’à la mesure 761. Alors commence la coda (‘parlo d’amor vegliando’, deuxième fois), qui reste dans le ton de la tonique comme il se doit, mais admet une interpolation qui reprend la musique et les paroles d’un passage du deuxième couplet, qui se concluait sur la tonique alors que l’interpolation se clôt sur la dominante. Tout ceci fait un peu désordre : le désordre amoureux, lui-même. S’il est si difficile d’attribuer une ‘forme’ incontestable et toute faite à cette pure vibration du cœur et des sens, c’est bien parce que ceux-ci ignorent les plans tout faits. Cherubino ne sait guère où il est ; son Eros le sait mieux que lui : nulle part, ou plutôt : partout. De ce désarroi et de cette certitude naît une forme informelle, spontanée, unique. Qu’on se rassure : Mozart savait écrire un rondo dans les règles. »
Nous voilà rassurés. Il n’est plus – pour conclure – que de donner la parole à André Tubeuf : « Mozart dans sa vie a aimé tout ce qui est humain : ses parents, son jardin, ses amis, sa Constance, ses enfants – et nous. Mais plus peut-être que tout au monde il a aimé, les mettant au monde et leur infusant la mélodie de l’âme humaine, Chérubin et la Comtesse, et Zerline, et Belmont. Ses vrais enfants, par quoi nous lui sommes un peu parents, et en qui il nous fait entendre non pas de quoi nous rendre meilleurs, Dieu merci : mais davantage nous-mêmes, avec une oreille qui entend plus juste et ressent mieux. Shakespeare, Racine nous en donnent-ils beaucoup plus ? »
Matthieu Gosztola
Lire cette première note d'écoute de Matthieu Gosztola
[1] Stendhal écrit ainsi dans sa Vie de Rossini : » Un jeune Italien plein d’une passion, après y avoir réfléchi quelque temps en silence, pendant qu’elle est plus poignante, se met à chanter à mi-voix un air de Rossini, et il choisit, sans y songer, parmi les airs de sa connaissance, celui qui a quelque rapport à la situation de son âme ; bientôt, au lieu de le chanter à mi-voix, il le chante tout haut, et lui donne, sans s’en douter, l’expression particulière de la nuance de passion qu’il endure. Cet écho de son âme le console ; son chant est, si l’on veut, comme un miroir dans lequel il s’observe : son âme était irritée contre le destin, il n’y avait que de la colère ; elle va finir par avoir pitié d’elle-même. À mesure que le jeune Italien se distrait par son chant, il remarque cette couleur nouvelle qu’il donne à l’air qu’il a choisi ; il s’y complaît, il s’attendrit. »
[2] Jérémie Rhorer analysa bellement ce moment, lors de la rencontre avec le public qui eut lieu au Théâtre des Champs-Élysées le vendredi 22 novembre : « La lecture politique des Noces est selon moi un contresens. Les Noces sont d’abord et avant tout un opéra de l’amour et de ses variations, de l’amour vu et véhiculé par les femmes, essentiellement. Mozart confie son intimité et la complexité de son état intérieur aux femmes, dans ses opéras. Un exemple ? Barbarine est perdue, elle cherche une épingle, cela semble dérisoire. En réalité, son air "L’ho perduta", c’est une page qui est d’une telle puissance musicale que Mozart, indéniablement, parle de lui-même. Il se confie à nous. Je dois rappeler que dans la vie de Mozart, il y eut deux événements fondamentaux, sous-estimés. 1) La mort de sa mère dont il ne s’est jamais remis. 2) Le cruel rejet d’Aloysia Weber (il a finalement épousé sa sœur). La conclusion à laquelle je suis arrivé : l’épingle perdue ? c’est d’Aloysia dont nous parle Mozart. » Un exemple de l’importance (il est vrai sous-estimée) de la sœur de Constance Weber dans la vie de Mozart ? Nous avons rappelé dans Muzibao toute la grandeur de Donna Anna dans Don Giovanni. Or, Aloysia Weber chanta ce rôle à la première viennoise de l’œuvre, le 7 mai 1788.
[3] Allegro vivace à 2/2 en mi bémol majeur. Clar., bassons, cors, cordes.
[4] Andante con moto à 2/4 en si bémol majeur. Fl., hb., clar., basson, cors, cordes.
[5] Pour montrer à quel point, chez Mozart, la clarinette peut être un « partenaire à part entière » de la voix, Peter Sellars, dans La Clémence de Titus, en 2017, au Festival de Salzburg, a eu la bonne idée de faire apparaître sur la scène, côte à côte, chanteuse et clarinettiste, l’un et l’autre se touchant, respirant, bougeant de concert, chantant et jouant.
Rédigé à 10:21 dans Notes d'écoute (CD & concerts) | Lien permanent
Degas et l’Opéra
Degas (1834-1917) : un « personnage singulier, grand et sévère artiste, essentiellement volontaire, d’intelligence rare, vive, fine, inquiète ; qui cachait sous l’absolu des opinions et la rigueur des jugements, je ne sais quel doute de soi-même et quel désespoir de se satisfaire, sentiments très amers et très nobles que développaient en lui sa connaissance exquise des maîtres, sa convoitise des secrets qu’il leur prêtait, la présence perpétuelle à son esprit de leurs perfections contradictoires. » (Paul Valéry, Degas Danse Dessin)
Ce qui frappe le plus, lorsque l’on redécouvre ce peintre, par le biais de cette exposition très réussie, c’est le singulier cadrage adopté par le peintre, en ses toiles (et qui n’est pas sans préfigurer, par certains aspects, le travail de Hopper). Cette modernité a marqué Jacques-Émile Blanche, qui commente, dans ses Propos de Peintre, de David à Degas (préface de Marcel Proust, Émile-Paul Frères, 1919) : « Le système de composition, chez [Degas], fut la nouveauté. […] La photographie instantanée, avec ses coupes inattendues, ses différences choquantes dans les proportions, nous est devenue si familière, que les toiles de chevalet de cette époque-là ne nous étonnent plus ; mais les Foyers de la danse, le Ballet de Robert le Diable, et autres scènes chorégraphiques, […] personne n’avait songé avant lui à les faire, personne, depuis, ne mit cette "gravité" […] dans une sorte de composition qui profite des hasards du kodak. » Les hasards de la photographie… Et, en effet, cette peinture semble être née (semble avoir été « prise ») sur le motif. En réalité, il n’en est rien. Comme le rappelle le marchand d’art Ambroise Vollard dans un recueil de souvenirs et d’anecdotes (nous soulignons) : « La vie de Degas était réglée comme un papier de musique ; c’était l’atelier du matin au soir. Quand ça venait bien, il fredonnait quelque chose, généralement un air ancien ; on entendait sur le palier des bouts de chansons : "Sans chien et sans houlette / J’aimerais mieux garder cent moutons dans un pré / Qu’une fillette / Dont le cœur a parlé". »
Et dans son atelier, il fait entrer tout l’opéra – lequel, bellement, devient ainsi « chambre à soi » –, conscient du fait que, pour reprendre la formulation de Jean Blot, « [n]ul mode d’expression ne permet comme celui-ci de prendre en charge le tout de l’homme et de son destin. Du plus lointain au plus profond, du plus présent dans son insaisissable chatoiement au plus passé dans le labyrinthe de ses échos. Du plus durable dans son entêtement, à l’ondoiement d’une pure mobilité. L’homme, sa condition, mais aussi tous les rapports dont il se trouve le prisonnier, toutes les relations qu’il entreprend de nouer et qui vont tisser la constellation de sa destinée et faire jaillir, éphémères mais éblouissants dans leur coloratura, les moments de sa liberté ».
Si Degas a ontologiquement besoin de la solitude de l’atelier pour peindre, c’est parce que ses œuvres empreintes des accents de l’Opéra – les gardant, divers et saufs, en elles – sont une méditation sur la beauté ; les danseuses, « prêtresses de la grâce », sont en ce sens un prétexte, ainsi que le confiera le peintre à plusieurs reprises. Pour se convaincre de la vérité de cette assertion, il n’est que de relire les sonnets de Degas, au sein desquels – par lesquels – il se confie comme peut-être jamais il ne l’avait fait avant ; il s’agit pour l’auteur de La petite danseuse de 14 ans d’être à l’écoute de « tout ce que la langue agile […] / Du ballet dit à ceux qui percent le mystère / Des mouvements d’un corps éloquent […] » ; il s’agit de « voir sur la femme […] / Glisser la trace de [son] âme passagère, / Plus vive qu’une page admirable qu’on lit […] » ; il s’agit d’être attentif au « dessin plein de la grâce savante » que fait, sur le sol, la danseuse tout occupée de son mouvement : « Le bonheur de revivre, et l’amour sur sa joue, / Sur ses yeux, sur ses seins, sur tout l’être nouveau… // Et ses pieds de satin brodent comme l’aiguille / Des dessins de plaisir. »
« Elle danse en mourant », écrit ailleurs Degas, avant d’ajouter : « Son corps s’affaisse et tombe en un geste d’oiseau. » Ce geste, s’il recèle – s’il conjugue avec fluidité, sans accident – une certaine magnificence (une magnificence à hauteur d’être, et non une irisation de firmament, et non un reflet de source), ne doit pas faire oublier que l’œuvre de Degas est, d’abord, une invitation qui nous est faite, ardemment, à compatir. En ce sens, les performances voulues par Aurélie Dupont, au musée d’Orsay, pour intéressantes qu’elles soient, sont un contresens majeur. Car le pur, le faste, la perfection esthétique, la blancheur, l’immaculé tels que les danseuses l’expriment, s’expriment, face aux tableaux, n’ont rien à voir avec les danseuses de Degas. Au premier rang desquelles figurent les petits rats. Ainsi décrits par Nestor Roqueplan : « Le rat est une petite fille de sept à quatorze ans, qui porte des souliers usés par d’autres, des châles déteints, des chapeaux couleur de suie, qui se chauffe à la fumée des quinquets, a du pain dans ses poches et demande dix sous pour acheter des bonbons. Le rat est l’élève de l’école de danse, et c’est peut-être parce qu’il est enfant de la maison, parce qu’il y vit, qu’il y grignote, y jabote, y clapote, parce qu’il ronge et égratigne les décors, éraille et troue les costumes, cause une foule de dommages inconnus et comme une foule d’actions malfaisantes, occultes et nocturnes, qu’il a reçu ce nom de rat. Le rat fait des trous aux décors pour voir le spectacle, court au grand galop derrière les toiles de fond et joue aux quatre coins dans les corridors ; il est censé gagner vingt sous par soirée, mais, au moyen des amendes qu’il encourt par ses désordres, il ne touche par mois que huit à dix francs, et trente coups de pied de sa mère. Le rat aime assurément la danse, mais il met son suprême bonheur à grignoter, à laper n’importe quoi, des poires, des noix, des nèfles (ah ! les nèfles !), du coco, de la bière, ce qu’on veut, ce qu’il trouve. » La façon qu’a Nestor Roqueplan d’évoquer ces danseuses en dit long sur l’intérêt qu’on leur portait jadis, qu’on leur portait alors, ce que confirme, notamment, une lettre d’une ex-danseuse, sortie jeune de l’Opéra, lettre reçue par Gustave Coquiot au moment où, pour les besoins de son Degas (paru en 1924), il enquêta : « Le rat sort presque toujours de la classe ouvrière, sauf de bien rares exceptions, souvent né de père inconnu. On le fait entrer à l’Opéra entre 8 et 9 ans pour qu’il gagne vivement sa vie. Un rat que je connais aussi bien que moi-même a entendu la réflexion suivante quand il fut question de la faire danseuse : "Autant qu’elle entre à l’Opéra ! sa destinée étant d’être une putain, là elle sera une putain à la hauteur !". […] Non, je ne regrette pas ce temps-là et je ne connais pas de toutes celles qui ont fait comme moi une seule qui le regrette. La danseuse n’aspire, le plus souvent, qu’à se marier, tenir son intérieur et être la plus bourgeoise des femmes. »
L’on comprend maintenant pourquoi Jacques-Émile Blanche écrit : « Comme "sujets", il n’y en a de si vulgaires que […] Degas ne juge dignes d’être traités. Par là, surtout, il prend la place, en tête des réalistes, puisque réalisme, comme locution courante, évoque l’idée de sujets triviaux, communs et dits "laids". Il est un des premiers à sentir, en face de la "laideur", une "beauté" […] non encore vue par les peintres. Avant lui, le paysan, l’ouvrier avait eu ses poètes et Millet l’avait ennobli ; Degas, parisien, s’occupe du peuple des villes, du paysage urbain, du rat d’opéra fille de concierge, de la modiste, de la blanchisseuse, de la femme de café-concert et de plus bas encore ; dans son style classique, réagissant ainsi contre la conception idéaliste des autres élèves d’Ingres. »
Leïla Jarbouai, à l’occasion de l’exposition « Degas Danse Dessin. Hommage à Degas avec Paul Valéry » (qui eut lieu également à Orsay, à l’occasion du centenaire de la mort du peintre, du 28 novembre 2017 au 25 février 2018) rappelle que sa « suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s’essuyant, se peignant ou se faisant peigner » présentée à la dernière exposition des impressionnistes en 1886 constitua son « insultant adieu » au public, suivant la formulation de Joris-Karl Huysmans dans Certains. C’est pour cette raison qu’au moment de mourir, le 27 septembre 1917, Degas, qui souhaitait être « illustre et inconnu », ainsi qu’il le confesse à Alexis Rouart, fit corps avec la méconnaissance du public. Certes, « [s]on nom était célèbre, mais d’une célébrité légendaire et imprécise, son œuvre presque ignorée », comme le note Paul Jamot dans la Gazette des beaux-arts en 1918. Contribuons à faire renaître un peu mieux, un peu plus (s’il est possible ; et c’est possible) cette œuvre, en allant (chacune de nous, chacun de nous) voir cette exposition, d’une splendeur qui interroge.
[Compte rendu de l’exposition « Degas à l’Opéra » présentée au musée d’Orsay du 24 septembre 2019 au 19 janvier 2020.]
Matthieu Gosztola
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Les Noces de Figaro par Jérémie Rhorer (direction) et James Gray (mise en scène)
au Théâtre des Champs-Élysées du 26 novembre au 8 décembre 2019
L’Ouverture des Noces : l’effervescence faite musique ; c’est une Ouverture sans arrêt et que « n’alourdit aucun forte jusqu’à la coda », rappelle Dominique Jameux. Le temps presse : c’est perceptible par l’indication de tempo, par la brièveté de l’ensemble, par la volonté du compositeur de ne pas développer vraiment les thèmes. L’ont bien compris Jérémie Rhorer et son Cercle de l’Harmonie, du fait de l’allant auquel ils se vouent, avec la rudesse que met un cheval à rejoindre la nuit – tout occupé de son chemin, des obstacles qui pourraient s’y trouver ; ainsi ces forte-piano fréquents qui scandent la progression… Pourquoi rejoindre la nuit, si ce n’est pour dispenser, à tout-va – c’est-à-dire dans le réceptacle du cœur –, la bonne nouvelle : l’aube à venir ? Mais est-ce là tout ?
Cette Ouverture est singulière. Elle n’annonce rien, elle ne propose nullement les prodromes d’une action. Or, c’est souvent le propre des Ouvertures mozartiennes. Ainsi, l’Ouverture de Don Giovanni nous prévient, avec faste : elle porte en elle l’issue du personnage éponyme, du fait des gammes chromatiques en lesquelles se fait entendre, répétitive, quelque insidieuse menace. Ainsi, l’Ouverture de La Flûte enchantée, du fait du choix de la tonalité (mi bémol majeur) et d’une « périodisation volontiers triolaire des motifs », parle, pour qui sait entendre, de la volonté de Mozart de nous faire entrer dans une cérémonie maçonnique. Ainsi, l’Ouverture de Così laisse deviner la permutation, à venir, des couples, du fait de motifs qui se répondent, et s’échangent. L’Ouverture des Noces nous invite seulement à nous sustenter de couleurs, charmantes, prononcées : d’un climat. Que seul un peintre pourrait capturer. Ingres ? Un climat qui réveille immanquablement – belles aux bois dormants – des réminiscences de peintures.
C’est cette dimension-là qu’a choisie d’explorer James Gray, avec l’aide de Christian Lacroix (costumes), Santo Loquasto (scénographie), Glysleïn Lefever (chorégraphie), Bertrand Couderc (lumière), et avec une clarté qui rend immédiatement perceptible la destinée des personnages, comme si cette destinée était visible à travers leurs gestes, leurs (dé)placements, et jusque dans leurs costumes, comme si cette destinée était visible avant d’avoir trouvé son propre cours, avant d’avoir épousé ses propres cahots, comme si cette destinée était, pour chaque personnage, une aura, son aura (l’on se souvient de Benjamin), – ce qui éveille, en nous, un souvenir du Lac des cygnes chorégraphié par Graeme Murphy et interprété par The Australian Ballet (dans le magnifique Opéra de Sydney, en 2008) : la danseuse qui immédiatement apparaît sur scène affirme, de dos, sans attendre (avant même que la musique ne s’élève), son devenir-cygne comme dirait Deleuze…
Comment s’étonner de ce choix ? Il n’est que de regarder The Lost City of Z (où la musique de Stravinsky a été utilisée, avoue le cinéaste, pour son potentiel expressif – il s’agissait là encore de figurer) pour voir combien certains plans, comparablement à Barry Lyndon de Kubrick, sont frères de la peinture. James Gray assume, pleinement, cette influence. Et il s’en sert : pour que Stéphane Degout qui incarne le Comte Almaviva sache immédiatement comment « jouer », James Gray lui a montré Philippe IV de Vélasquez… Si le cinéaste préfère tourner en argentique, si son goût le conduit vers la pellicule, c’est parce que « l’image est plus picturale sur pellicule », ainsi qu’il le confie à Frédéric Bonnaud, le 6 mars 2017, à la Cinémathèque française. James Gray, un peintre manqué ? Au micro de France Inter, récemment, le cinéaste a évoqué les deux expositions qui « ont changé sa vie » : la rétrospective Picasso au MoMA en 1980 (16 mai-30 septembre) ; et, un an plus tard (23 septembre 1980-18 janvier 1981), la rétrospective Hopper au Whitney Museum of American Art. « Les tableaux explosaient de vitalité, se souvient le cinéaste. Impossible de raconter l’émotion que j’ai ressentie ; ça semblait jaillir du cadre. J’étais contraint, en tant que garçon de dix ou onze ans, contraint d’affronter directement ce que l’œuvre me disait ; directement. »
James Gray n’a plus dix ou onze ans aujourd’hui, mais il a fait de même, exactement de même avec l’opéra de Mozart, aidé, en cela, par des chanteurs accomplis (Anna Aglatova, Vannina Santoni, Robert Gleadow, Stéphane Degout – qui a récemment brillé à la Salle Favart de l’Opéra Comique dans le rôle-titre d’Hamlet d’Ambroise Thomas…) qu’il a dirigés (il est fort à parier que cette expérience nourrira la façon qu’ils auront d’aborder leurs prochains rôles) avec une finesse constante et un très grand souci du détail. James Gray, dont le film préféré est Le Guépard (1963), se veut petit-fils de Visconti. Pourquoi ? Pas seulement parce que la créativité de Visconti, pendant la période qui sépare Senso de Le notti bianche, s’est exprimée dans les théâtres lyriques : Visconti a instauré une proximité indéniable avec la soprano Maria Callas, avec laquelle il a mis en scène « cinq opéras, qui, comme ses films et ses pièces dramatiques », ont suscité « polémiques, scandales et enthousiasme », ainsi que le rappelle Jeanclaude Arnod dans sa thèse de doctorat Luchino Visconti entre Giovanni Verga et Gabriele d’Annunzio. Non, si James Gray se veut petit-fils de Visconti, c’est surtout du fait de l’exigence de ce dernier. Par exemple, lors du tournage de Rocco et ses frères (1960), Visconti refait des dizaines de fois un gros plan d’Alain Delon sous la douche. Personne ne comprend pourquoi il refait, encore, et encore, et encore le même plan. Quand on lui pose la question (quelqu’un ose), il répond : « j’attendais qu’une goutte d’eau glisse le long de l’oreille d’Alain et s’accroche à son lobe, un instant, avant de tomber, goutte parmi les gouttes, s’accroche comme une boucle d’oreille, comme un diamant, car c’est ce qu’est son personnage, pour moi, dans le film : un diamant »*.
Aimer Visconti n’est pas suffisant : il s’est agi pour James Gray de relire intensément Stanislavski – les chanteurs ne sont-ils pas des acteurs ? –, pendant toute la durée de son travail avec les musiciens. Pourquoi s’abreuver à cette source ? Vasili Toporkov (cf. Dir. Marie-Christine Autant-Mathieu, La Ligne des actions physiques) déclare que « Stanislavski voyait l’avenir du théâtre » (mais l’on pourrait dire la même chose de l’opéra) « dans le développement et le renforcement de ses fondements réalistes ». Comment mettre en œuvre ce développement ? Comment permettre cet épanouissement ? Par le biais des interprètes, bien sûr. Qui se doivent de ramener leur être « au plus près de la vie », afin de « purifier » leur organicité et leur authenticité « de toute la panoplie des procédés routiniers, des clichés qui empêch[ent] le spectateur de voir […] [l’]âme vivante » du chanteur. Ce faisant, il s’agit pour James Gray d’amener les musiciens – ni plus, ni moins – à renouer avec leur essence. Roy Finch avance ainsi dans « L’Individu Solaire » : « Chez la plupart des êtres humains, l’‘essence’, ‘la seule nature qui leur appartienne vraiment’, reste comme celle d’un petit enfant, enfouie au tréfonds de la personne sociale sur la défensive. C’est cette essence oubliée qui doit être retrouvée, et conduite à pleine maturité par le démantèlement des structures défensives de la personne, celles-ci s’intégrant lentement à l’essence… »
Et James Gray a indéniablement « réussi », puisque les chanteurs parviennent à nous donner – nous frappant au cœur – à voir, à écouter, des personnages qui, pour connus qu’ils sont, n’en finiront jamais de nous étonner (et étonner, n’est-ce pas là le propre de l’humain, une fois délivré de ses automatismes ?) : la Comtesse, Suzanne, Cherubino… Ces personnages, quel que soit leur âge dans le livret, et quelle que soit l’époque à laquelle il est fait référence, sont intemporels ; ils viennent d’un passé avec lequel nous n’aurons jamais fini de dialoguer, ils viennent du profond du temps, ils ont notre âge, ils ont tous les âges, ils sont d’une éternelle jeunesse, ils réveillent, ils réveillent les paroles qu’a prononcées Dominique Rolin (Plaisirs, suivi de Messages secrets, entretiens avec Patricia Boyer de Latour, Gallimard, 2019), après qu’elle a eu quatre-vingt-quinze ans : « La richesse des vieilles âmes et des corps à bout de course est immense, splendide, surprenante. Plus je m’enfonce au quotidien dans ce qui me reste à vivre, plus je m’intéresse aux moindres détails : visages, corps, gestes, destins. […] On ne cesse jamais de se découvrir. Mon rapport au Temps a changé. Je suis entrée dans le Temps, accoutumée au grand âge qui a ses charmes, ses rigueurs, ses fantaisies, ses répugnances. Ma vraie mémoire s’est éloignée, une mémoire seconde la remplace, qui tient compte de ma disparition banalement inévitable, donc impensable. Un fleuve inouï m’emporte et, en dépit de ma révolte, j’y consens par la grâce des mots avec une sorte de fureur joyeuse. Je garde en moi mon Amour, splendeurs et déchirements mêlés. Je me fais belle. »
Courez, courez voir cette mise en scène des Noces de Figaro. Les personnages se sont faits beaux.
* Cette anecdote a été relatée par James Gray lors de sa rencontre avec le public au Théâtre des Champs-Élysées le vendredi 22 novembre.
Matthieu Gosztola
image : Les Noces de Figaro, mise en scène de James Gray, depuis les coulisses.
Rédigé à 17:56 dans Notes d'écoute (CD & concerts) | Lien permanent
Parsifal, « festival scénique sacré en trois actes », naît du Conte du Graal de Chrétien de Troyes, adapté par Wolfram von Eschenbach au début du XIIIe siècle. Devient Parsifal Perceval, le héros de la geste médiévale. Perceval : « celui qui traverse le val ». Une traversée : une initiation. Comment ne pas se souvenir que le verbe « einweihen » (« initier ») possède la même racine que le terme forgé par le compositeur pour désigner sa partition : « Bühnenweihfestspiel », autrement dit « festival scénique sacré »…
Qu’en est-il de ce Parsifal, dont la version de référence demeure celle enregistrée en février 2013 au Metropolitan Opera de New York, avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre ? Dans la grande salle Pierre Boulez, ce dimanche, la musique est nue, elle n’a pas de faire-valoir, et c’est heureux ; nous sommes ainsi loin, bien loin des gratuités du Regietheater, que le Festival de Bayreuth actuellement chérit, sous l’impulsion d’Eva et Katharina Wagner, et sous prétexte de « modernisation ». Du reste, avec Parsifal, nous ne sommes jamais orphelins, privés d’une mise en scène, quelle qu’elle soit, car musicalement, lorsque l’on regarde en détail la partition, c’est prodigieux.
Portant des voix admirables (Mikhaïl Vekua est Parsifal ; Yulia Matochkina est Kundry ; est Gurnemanz Yuri Vorobiev – et non l’inimitable René Pape – ; Yevgeny Nikitin est Klingsor ; Alexey Markov est Amfortas ; Gleb Peryazev est Titurel ; Anna Denisova, Oxana Shilova, Kira Loginova, Anastasia Kalagina, Angelina Akhmedova et Yekaterina Sergeyeva sont les Filles-fleur), l’orchestre hésite au bord de la mort, conduit par les tremblements-secousses et les bruits de gorge de l’immense Gergiev (sont admirables ses enregistrements pour le label Mariinsky). La lenteur qu’il impose à ses musiciens est remarquée (parfois conspuée). La lenteur qu’il érige est remarquable. Faite – par la grâce de la musique, ici accomplie, de Wagner – de transcendance, dans Parsifal, la mort « nous transporte dans sa douceur et sa clarté », pour reprendre la formulation de Pierre Jean Jouve. L’orchestre hésite. Au bord du silence. Et Parsifal, tel que dirigé par Gergiev, devient, heure après heure (le concert dure une éternité), une réflexion menée (non sans brio) sur le silence, – car, faut-il le rappeler ?, la musique est, seule, ce qui fait exister le silence, après qu’elle a dessiné ses contours (ses beaux contours).
Le silence est-il seulement une façon soudaine qu’ont des événements – des paysages, des visages, des faits, des chiffres, des frissons (car tout est langage) – de prendre congé de nous ? Congé après quoi nous luttons. Marchant (c’est en tout cas ce qu’il nous semble) légèrement à côté de notre (illusoire, tant être poreux est ce qui nous fonde) totalité : de notre unité dans sa richesse invariablement vivante et communicante. Si le silence est part intrinsèquement constitutive de notre être, ce n’est pas parce que nous sommes friables dans notre insondable vanité (d’être vivant et pensant) et que nous nous devons ainsi d’accueillir – bellement – le vide, offerts que nous sommes, peu à peu, à tous les vents (c’est le don que nous fait la vie, dans l’élaboration de son cours, d’être ainsi offerts ; de devenir). Tisse tisseur de vent, ainsi que le professait James Joyce dans Ulysse. Le vide habitera tous ceux qui tissent le vent. Non, si le silence est présent en nous suivant une telle floraison, et graduellement jusqu’à ce que l’ensemble (l’ensemble ?) de notre intériorité soit, au crépuscule de notre vie, ce qui fleurit si fort : ce qui fleurit en vide, en rien (le rien est sublime), – si le silence est tel, c’est parce qu’il est la part la plus précieuse (la moins atteignable) de notre humanité. En acceptant (de facto) en nous ce qui se tait, autrement dit ce qui se retire, nous nous acceptons nous-mêmes, dans notre éphémère. Dans notre beauté (tant la beauté, et le trouble qui en émane, renvoient toujours, d’une façon ou d’une autre, à l’éphémère déchirant). Et nous nous acceptons avec fierté, avec humilité (avec la fierté que chante l’humilité) : car nous savons (d’un savoir informulé) que le silence n’est pas, non, ce qui a disparu. En ayant pris congé, cela même qui est tu continue de tisser ses flammes en nous, feu paradoxal. Ce qui est tu continue de vivre, de palpiter, cœur dans l’absence (abrité par l’absence), qui nous fait ; qui nous fait nous construire, jour après jour, jusqu’au dernier instant. Le silence est cette présence sensible en retrait, qui ne se dit pas comme présence mais nous fonde, à jamais, comme présent.
Parsifal en bref
Composition : scénario esquissé en avril 1857 ; première version du livret ébauchée en 1865 ; deuxième version terminée le 23 février 1877 ; version définitive achevée le 19 avril 1877 ; première ébauche de la partition réalisée de septembre 1877 au 26 avril 1879 ; partition complète achevée le 13 janvier 1882.
Création : le 26 juillet 1882, au Festspielhaus de Bayreuth, sous la direction de Hermann Levi, par Hermann Winkelmann (Parsifal), Emil Scaria (Gurnemanz), Theodor Reichmann (Amfortas), August Kindermann (Titurel), Amalia Materna (Kundry) et Karl Hill (Klingsor).
Effectif : 3 flûtes, piccolo, 3 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, clarinette basse, 3 bassons, contrebasson – 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba-basse – 2 timbales – 2 harpes – cordes. Musique de scène : 6 trompettes, 6 trombones – caisse claire, cloches, machine à tonnerre.
Durée : acte I, environ 110 minutes ; acte II, environ 70 minutes ; acte III, environ 80 minutes.
Matthieu Gosztola
Parsifal de Wagner (1813-1883) en version de concert à la Philharmonie de Paris le 22 septembre 2019, avec le Chœur et l’Orchestre du Mariinsky, lequel est dirigé par Valery Gergiev
photo Valentin Baranovsky
Rédigé à 14:23 dans Notes d'écoute (CD & concerts) | Lien permanent
Les Noces de Figaro au Théâtre des Champs-Élysées : rencontre avec le public (22 novembre 2019)
Un cinéaste (consacré) pour mettre en scène Les Noces ? Oui, mais pas n’importe quel cinéaste. L’amour et la compréhension de la musique sont « constitutifs du langage cinématographique de James Gray », ainsi que l’a rappelé Jérémie Rhorer lors de cette rencontre de deux heures avec un public venu nombreux. Un exemple ? Le cinéaste a confié, lors de répétitions, à Jérémie Rhorer avoir été meurtri par les coupures au montage – il n’avait pas le final cut – d’Ad Astra : il tenait à mettre un extrait de Parsifal dans la grande scène finale père / fils…
Reste que le travail avec les chanteurs n’a pas été simple, de prime abord. « Les chanteurs sont pétris de conventions ; ils sont là pour contractuellement obéir au chef d’orchestre et au metteur en scène, disant la plupart du temps que l’un affirme le contraire de l’autre », assène le chef d’orchestre.
Et James Gray de nuancer : Tout le propos d’un opéra, c’est de tendre la main en disant à tous que nous sommes là, ensemble. L’art, c’est le lien entre nous tous. J’ai commencé à poser des questions aux chanteurs : de quoi s’agit-il ? J’avais toujours la mauvaise réponse : étaient décrites les actions. D’accord, mais qu’est-ce que vous sentez ici ? Je ne veux pas que vous pensiez que vous jouez un rôle. Non, c’est vous qui êtes là. Je veux que vous vous montriez. Quelle est l’émotion incorporée dans ce moment ? Le langage du corps, alors, devenait plus lisible. J’ai dû oublier complètement le cinéma, quand j’ai commencé à travailler sur Les Noces : à l’opéra, il n’y a pas de gros plan ; il faut trouver une autre manière de travailler l’intime. Comment exprimer quelque chose d’à la fois très large et très subtil ? Par exemple, nous avons créé des espaces de monologue, via la lumière… Est-ce que ça fonctionne ? Je voulais que tout soit parfaitement lisible, parfaitement clair. Pour que l’ambiguïté puisse apparaître. Oui, c’est cela. Vous devez travailler consciemment et visuellement sur ce qui fonctionnera chez les spectateurs – vous l’espérez – inconsciemment. C’est très difficile à faire.
Pari tenu ? Rendez-vous à partir du mardi 26 novembre au Théâtre des Champs-Élysées !
Matthieu Gosztola
Rédigé à 09:51 dans Notes d'écoute (CD & concerts) | Lien permanent
CHANTIER FAUSTUS II/10, Beethoven II
Chantier Faustus est un livre paru en 2017. Il fut conçu et rédigé avec la pleine conscience qu’il ne pourrait connaître d’achèvement autre que matériel. C’est pourquoi, aussi, il devait se poursuivre autrement, à la manière d’un chantier ouvert de tous côtés, ceux-là mêmes que Thomas Mann avait empruntés et initiés en écrivant son roman (Le Docteur Faustus – La vie du Compositeur allemand Adrian Leverkühn, 1947), dont il percevait à bien des égards l’immensité à laquelle aucune forme ne pouvait en toute rigueur se montrer adéquate.
À vrai dire, il est apparu très tôt, mais davantage encore au fur et à mesure du travail de rédaction, que l’horizon de ce chantier revêtait paradoxalement toutes les apparences d’un programme. La littérature et la poésie, la philosophie bien sûr trouveraient dans ces perspectives de travail toute leur raison d’être.
À cette fin, la seule méthode, la seule certitude pour s’orienter devait résider dans la grande leçon de Nietzsche, à savoir que la musique constitue la seule mesure permettant, en toute chose, au jugement de se faire. La musique est à cet égard la condition de la pensée. En effet, c’est elle, la musique, qui est en droit, par son aptitude si singulière à toucher, à éprouver et à évaluer, de mettre au jour la tonalité et la vérité du présent.
André Hirt
Le dixième épisode de ce feuilleton, Chantier Faustus II/10, "Beethoven II" est ici proposé au format PDF, plus simple à imprimer et à enregistrer et que l'on peut ouvrir d'un simple clic sur ce lien.
Précédents épisodes :
Chantier Faustus, II/1, "Impur(e)"
Chantier Faustus, II/2, "Heiterkeit, Mozart"
Chantier Faustus, II/3 , "Un être à part, La Petite Sirène d'Andersen"
Chantier Faustus II/4, "Sirènes, 2"
Chantier Faustus, II/5, "Stérilité"
Chantier Faustus, II/6, "La Marionnette et le Papillon, I"
Chantier Faustus, II/7, "La Marionnette et le Papillon, II"
Chantier Faustus II/8, "La Marionnette et le Papillon, III"
Chantier Faustus, II/9, "Beethoven I"
Rédigé à 09:45 dans Chronique du 20 | Lien permanent