Muzibao se veut très attentif à la question du son sous toutes ses aspects, sur le plan musical comme sur le plan technique. Jean-Paul Louis-Lambert a bien voulu réfléchir, pour le site, sur l'épineuse question du numérique dans la musique. Il propose sa réflexion sous forme d'un feuilleton qui comptera une quinzaine d'épisodes. Voici la présentation de ce feuilleton.
Mettre le Numérique en Musique
Jean-Paul Louis-Lambert
Épisode pilote
Un choc dans la civilisation
L'invasion du numérique dans tous les domaines, un choc dans la civilisation ? Pour le mélomane, l'effet a été visible quand les fichiers MP3 ont permis aux pirates de tous bords de télécharger des morceaux de musique en toute « liberté ». Cette technique a entraîné une chute des ventes du support physique, le CD : celui-ci avait pourtant créé l'embellie des ventes d'enregistrements après sa sortie dans les années 80 — entraînant alors la quasi-disparition du vinyle : une technique avait chassé l'autre. La roue ne cesse de tourner.
Ce feuilleton, conçu en plusieurs épisodes, est d'abord une enquête personnelle : le mélomane que je suis s'est senti perdu au milieu du déferlement d'objets techniques sur lesquels il reçoit des informations incompréhensibles et contradictoires ; elles partent dans tous les sens.
« On ne distingue pas un MP3 d'un CD », dit l'un. « Le MP3, pour la musique classique, c’est un scandale. » répond l'autre. « Le CD, c'est nul, il faut revenir au vinyle », affirme un troisième. « Non, le CD a été une erreur, il faut écouter seulement ses Super Audio CD » (SACD, vous connaissez ?) s'exclame un quatrième. « Comment peut-on se passer d'un DAC » (vous connaissez ?) s'étonne un marchand de chaînes Haute-Fidélité modernes. « Et la compression inhérente à la numérisation… », déclare sentencieusement un journaliste — prouvant par là qu'il ne connaît rien, ni à la numérisation, ni à la compression. « Les fichiers numériques dans mon smartphone (de luxe) donnent un son parfait », clame un addict à une célèbre marque qui a réussi à soutirer beaucoup d'argent à ses clients, tout en leur lavant le cerveau.
C'est que, sur ce sujet — la numérisation de la musique, ce mélange de technique et de commerce, d'esthétique, d’acoustique et de musical —, je n'ai jamais réussi à lire des articles me permettant de comprendre réellement de quoi il était question. Les grands marchands historiques (de disques ou de chaînes Haute-Fidélité) ont abandonné un rôle essentiel : la pédagogie. Leurs lieux d'exposition ne montrent pas (ils ne montrent plus) à quel point la technique a révolutionné notre monde sonore et musical. Si on visite des sites spécialisés sur La Toile, ou des boutiques pour grands amateurs fortunés, on ne comprend rien non plus. Les notices et les articles emploient un vocabulaire incompréhensible. Je n'ai quasiment jamais trouvé de schémas simples expliquant ce que pourrait être une « chaîne haute-fidélité moderne », avec ses différentes solutions — car il y bien des variantes possibles suivant les goûts et les habitudes de chacun : êtes-vous attaché aux supports physiques, ou êtes-vous passé à la musique dématérialisée ? écoutez-vous de la musique pop avec un casque ? votre tablette est-elle branchée en permanence sur Youtube ? écoutez-vous du Mozart en douceur pour vous délasser le soir après le travail ? ou du Xenakis à haut niveau pour exciter votre imagination ? Je précise que je pratique ces deux activités, et quelques autres, comme la recherche de documents historiques, techniquement médiocres mais artistiquement très importants.
Une enquête personnelle
J'ai donc fait une enquête. D'abord pour chercher à comprendre. Et ensuite pour tâcher d'écrire ce que je croyais avoir compris, et ainsi pouvoir proposer à Muzibao un feuilleton à la fois technique et subjectif. Les aspects techniques sont nombreux, et ma propre culture en ce domaine est pauvre sur les questions spécifiques à la musique enregistrée. Car les questions informatiques, acoustiques, électroniques (etc.) y sont nombreuses. Voici la première : que penser des fichiers « compressés avec pertes » (on dit : « Lossy »), comme en produisent les « algorithme de compression-décompression » (on dit : « CODEC ») comme MP3 ou AAC (contrairement à une légende bien entretenue, l'initiale « A » n'est pas celle d'une marque de luxe) — ces sons, on les entend sans le savoir : quand on regarde un DVD, quand on va s'informer sur Youtube (sur ce genre de site, on n'écoute pas de la musique, on s'informe), quand on écoute France Culture ou France Musique en « streaming » avec un ordinateur. Sait-on que la France, à l'opposé du reste de l'Europe, est scandaleusement en retard dans le domaine de la Radio Numérique Terrestre (RNT, mais ça se dit : « DAB+ ») ? Le son y est diffusé au format AAC.
À l'opposé des fichiers où le son est « compressé avec pertes » (mais ça prend moins de place), il y a les fichiers « sans pertes » (on dit : « Lossless »), avec des formats qui s'appellent WAV ou AIFF ; ils sont identiques aux CD, mais sous forme de fichiers numériques — le premier, défini par un producteur monopolistique de logiciels, est devenu un standard de fait ; le second également, mais il est moins répandu. WAV et AIFF donnent des fichiers très (trop) gros, aussi on préfère des format « compressés sans pertes » (je préfère dire : « optimisés ») comme FLAC (qui est un format « libre », comme le précise son initiale : « F » comme « Free ») ou ALAC (qui ne l'est pas, voyez l’initiale). Ces formats permettent même d'enregistrer la musique avec des caractéristiques bien plus performantes que celles du CD. Celui-ci est caractérisé par sa « quantification en 16 bits » et sa « fréquence d'échantillonnage de 44,1 kHz ») : on peut passer à 24 bits et (au moins) à 88,2 kHz. Mais, me dira-t-on, le CD ne permet-il pas d'écouter des fréquences jusqu'à 20 kHz ? c'est bien suffisant pour l'oreille humaine qui ne doit pas entendre grand-chose au-delà de 16 kHz (nous disent des scientifiques). Certes. Sauf que la limite à 20 ou 22 kHz se passe dans de mauvaises conditions : avez-vous entendu parler du phénomène de « repliement de fréquences » et des « filtres anti-repliements » ? Par ailleurs, les sons musicaux (ainsi nous disent les grands compositeurs « spectraux »), ce ne sont pas des fréquences pures : celles-ci donnent des sons très pauvres. La question n'est pas d'avoir de la puissance et de l'intensité, un modeste « ampli » fait ça très bien. Il faut le contraire : de la finesse dans les détails d'une musique riche et de la qualité (dans la définition de la stéréophonie, par exemple : pour cela, il faut aller au-delà des 22 kHz. C'est ce que défendent les promoteurs du SACD, qui ont certainement de bonnes raisons, mais ce format n'a pas eu de succès, et les lecteurs et enregistrement adaptés sont rares (problème de compatibilité). Le format issu du CD (on dit : « PCM ») est compatible avec les matériels modernes.
En effet : si à l'aide d'un DAC (in french : un convertisseur numérique analogique, vous connaissez ?), on modernise sa vieille chaîne Haute-Fidélité, si on insère un petit ordinateur et un disque dur, on peut alors télécharger (sur des sites spécialisés) des fichiers ayant au moins la qualité CD, et parfois beaucoup mieux : de la « Haute Résolution », ou de la « Très Haute Résolution » (j'emploie souvent « Définition » à la place de « Résolution », comme pour la photo), voire même de l'« Ultra Haute Définition » ! Évidemment, pour profiter de ces avancées technologiques, il faut aimer les musiques délicates — or, bien des articles écrits sur les thèmes techniques que j'aborde ici, le sont par des « geeks » amateurs de musique pop où (je suppose) la puissance est préférée à la finesse des détails. Il faut avoir un « système auditif » performant, or … je n'ai plus les oreilles que j'avais à 14 ans. Il faut aussi avoir une « vraie chaîne haute-fidélité »... or je vis avec une chaîne d' « entrée de gamme », et je suis terrifié par ces articles sur la « HI-Fi/Haut de Gamme » où un ampli vaut 20 000 € pièce (il en faut deux car il est monophonique), où un lecteur de CD est devenu « abordable » car son prix est passé de 20 000 à 10 000 €, ou un câble de 2 m vaut 1100 € (je n'invente rien), etc, etc. J'imagine qu'on lit ces articles comme on lit les articles sur les « peoples » : ils sont « célèbres à cause de leur notoriété ». C'est pour rire.
Un peu avant et pendant cette enquête, j'ai donc amélioré ma chaîne avec des composants modernes et économiques — mes DAC coûtent moins de 50 €, soit 10 fois moins qu'un DAC considéré comme moyen par les spécialistes... De toute façon, les techniques évoluent très vite, et au moment où j'écris ces lignes (début avril 2017), je viens de lire un article sur des « amplificateurs à moins de 1000 € » (bref, du matériel très « moyen » pour les puristes de la Très Haute-Fidélité !). Si on lit bien les détails (mais ça n'apparaît pas clairement dans l'article, ce qui est une erreur), ces « amplis » (sauf celui classé premier ! tout un programme…) contiennent aussi des DAC — ce qui permet de ne pas acheter un DAC séparé.
Je suppose qu'en me lisant, vous vous perdez à cause de tout ce vocabulaire technique. Moi aussi, j'étais perdu au début. J'ai peu à peu compris certaines choses. J'imagine que les « spécialistes pointus » vont être horrifiés par mes approximations, mes erreurs, mes oublis ! Qu'ils écrivent des articles clairs et pédagogiques sur ces sujets, et illustrés avec des schémas et des exemples pris dans la musique classique. Nous serons heureux de les lire, et de corriger nos analyses.
En annexe : un tableau comparatif, technique et subjectif
Je mets en document joint un tableau comparatif, « technique et subjectif » où j'ai regroupé sous forme résumée des informations techniques sur les principaux formats (c'est censé être « technique »), avec une « note JPLL » (là, c'est « subjectif »). Au début, vous allez vous y perdre, comme moi-même je me suis perdu dans cette forêt vierge. Cette synthèse n'est pas facile — pour un peu j'excuserais les professionnels qui n'ont pas eu envie de faire ce genre de travail ! J'ai fait ce tableau, car j'aurais aimé le trouver dans des articles … Ne le trouvant pas, je l'ai fait moi-même. Les informations s'accumulant, j'ai découvert peu à peu l'ampleur de la tâche !
J'ai construit ce tableau en classant les formats par ordre de qualité descendante. J'ai mis la note « A » aux formats « Très Haute Résolution » (ou « Très Haute Définition » : THD) ; la note « B » à la « qualité CD » qui sert de référence ; la note « C » aux formats « compressés avec pertes » avec le « débit binaire » le plus élevé (320 kbps) ; pour les formats encore plus compressés, les notes « D » et « E ». Il y a tant de variantes que j'ai utilisé des + et des – pour nuancer les notes, mais je me rends bien compte que tout cela est seulement indicatif, tant rentre de la subjectivité dans ma notation.
Reportez-vous à ce tableau au fur et à mesure de la lecture du feuilleton, et j'espère que peu à peu tous ces sigles, ces termes techniques et ces valeurs numériques vous deviendront un peu familiers. Mon but ? Vous aider à vous y retrouver dans le choix d'appareils modernes qui permettent d'écouter de la musique de façon confortable et performante, et dans le choix des fichiers que vous pouvez acheter, ou louer (si vous écoutez en « streaming »), et avoir un regard (non... une oreille !) critique quand vous entendez de la musique dans des cadres nouveaux : sur Internet, ou par des « Web Radios », ou avec un tuner RNT (DAB+), ou un fichier numérique lu par un smartphone, ou par un ordinateur, ou par un « NAS » (qu'est-ce que c'est ?), etc. etc. Bonne navigation sur cette mer agitée !
Jean-Paul Louis Lambert
Les épisodes seront proposés sous forme de fichier PDF, plus faciles à enregistrer et à imprimer. Ils sont publiés dans un format A5 pour plus de lisibilité.
Épisode 1. Résumé : quand on aime écouter de la musique, pas obligatoirement « classique », les évolutions récentes sont bien perturbantes : MP3, compression & décompression, codec, Radio Numérique Terrestre (RNT) & DAB, Compact disc (CD), psycho-acoustique, écouteurs intra-auriculaires & chaînes Haute-Fidélité (Hi-Fi), DVD-Audio, Super Audio CD (SACD) & DSD, barres de sons & 5.1, Vinyle & compression dynamique, décibels, lecteur réseau…
… qu'est-ce que c'est ?
MP3 or not MP3 ?
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