Parmi les projets de Muzibao pour cette nouvelle saison, un fort accent mis sur les livres ou textes sur la musique, autour de la musique, avec musique.
Il en sera fait chaque fois que possible une lecture augmentée : les passages choisis dans le livre seront complétés par des liens vidéo ou audio permettant de les enrichir ou de les expliciter.
Aujourd’hui, Muzibao se penche sur le livre Cadence Secrète (sous-titré, La vie invisible d’Alfred Schnittke).
Dans ce récit, Paul Greveillac se penche sur la destinée du compositeur soviétique Alfred Schnittke, né en 1934 et mort en 1998.
Dans la première partie du livre, il raconte comment, pour vivre, Schnittke, qui est souvent en conflit avec les instances culturelles soviétiques, est obligé de se tourner vers la musique de film. Tout un temps, il se sent enlisé dans ces compositions faciles, jusqu’au jour où….
« Tous les yeux de l'Orchestre symphonique d'État pour l'art cinématographique étaient braqués sur le joueur de thérémine. Ou plus exactement : sur ses mains. Ceux à qui il tournait le dos, malgré les consignes (tout mouvement étant proscrit dans la salle à cause des possibles effets de capacitance), se penchaient pour tenter d'apercevoir la genèse de ces rumeurs de soucoupe volante. Le chef d'orchestre derrière son pupitre, Alfred, assis dans le public derrière ses partitions, considéraient ces musiciens d'un oeil réprobateur. La main droite du joueur de thérémine semblait agiter avec frénésie une baguette de chef imaginaire, tandis que sa main gauche s'élevait et s'abaissait, comme celle d'un pantin crucifié.
Et puis, menées par le célesta, la harpe et le piano préparé fondus à l'unisson, les cordes reprirent leurs esprits. Et le thème s'éleva. Bach post-Passions. Mélodie d'un lyrisme pudique, autour de laquelle tournoyaient rapaces des nappes venteuses, longues expirations de l'un des tout premiers synthétiseurs au nom barbare : l'Ekvodin.
Projetées sur l'écran, derrière l'orchestre, des perspectives vidées à la De Chirico venaient se peupler d'une populace improbable entre Magritte, Dix, Grosz, Bruegel. La plèbe sacrifiait au Veau d'or. À la divinité de l'argent.
Des siècles et des siècles de peinture étaient invoqués, concassés, réassemblés. Et au « polystylisme » du dessin animé répondait celui de sa bande-son. À la fin de l'enregistrement, Andreï Khrjanovski, le réalisateur, était sans voix. (…)
Lorsqu'il quitta ce soir-là le cinéma « Ars », Alfred Schnittke se trouva dans une excitation bizarre. (…) Et il identifia nettement d'où provenait sa satisfaction. (…) Elle découlait simplement de ce que, pour la première fois de sa vie peut-être, il avait composé une œuvre bien à lui. »
Cette première « œuvre bien à lui », Alfred Schnittke l’a pourtant composée pour un film d’animation, à la demande du réalisateur Andreï Khrjanovski.
Il se trouve qu’aujourd’hui on peut visionner ce film, Glassharmonica (L’Harmonica de verre) et donc entendre la musique composée par Schnittke en découvrant les images très particulières de Khrjanovski.
L’expérience visuelle est aussi étonnante que l’expérience musicale.
Lien de la vidéo, durée 19’37
« En répondant au poétique collage visuel de L’harmonica de verre, Alfred Schnittke, à trente-trois ans, venait de trouver sa voix de compositeur ».
Le livre : Paul Greveillac, Cadence secrète, La vie invisible d’Alfred Schnittke, récit, Gallimard, 2017, 177 p. 16,50€. (extraits pp. 47 à 49)
La fiche Wikipédia d’Alfred Schnittke
et une autre fiche dans la base Brahms de l’Ircam
La fiche Wikipédia du réalisateur Andreï Khrjanovski