C’est un projet bien intéressant que celui des éditions Notes de nuit qui s’articule autour de trois collections. La première, « La Beauté du Geste », propose des livres conçus comme autant de voyages dans l’histoire musicale et dans l’Histoire en général permettant de restituer l’atmosphère dans laquelle se sont élaborés les grands moments du répertoire symphonique et lyrique du XXe siècle, en suivant plus particulièrement des chefs d’orchestre dont la personnalité, le talent et, parfois, les prises de position ont éclairé représentations légendaires et saisons musicales. La deuxième collection, « Passé immédiat » a pour but de rendre leur voix à ceux que la Shoah a effacés du monde à travers les documents qu’ils ont laissés derrière eux. Et enfin une troisième collection est dédiée à l’œuvre de Jean-Pierre Faye.
C’est dans la collection « La Beauté du Geste » que sont parus récemment deux livres consacrés au chef d’orchestre allemand Fritz Busch. Le premier, de la plume même du musicien, qui écrit ses mémoires depuis son enfance jusqu’à l’année 1933 qui vit son départ d’Allemagne. Et le second qui vient en quelque sorte prendre le relais du récit, avec un texte de Fabian Gastellier qui documente toute la période de la fin de la vie de Fritz Busch, de 1933 à 1951, date de sa disparition.
Dans ses mémoires, Fritz Busch retrace à traits vifs, parfois très drôles, et remarquablement traduits par Olivier Mannoni, sa vie de musicien. Son enfance, dans une fratrie de musiciens dominée par un père attachant et excentrique qui tente notamment d’élaborer le violon idéal. Avec aussi la belle figure du frère, le grand violoniste Adolf Busch, qu’on ne quittera pas tout au long des deux ouvrages, tant la relation des deux frères fut continue, intense, parfois conflictuelle mais toujours vivante et indispensable à l’un comme à l’autre. Une vie errante, de ville en ville, où le jeune homme apprend à jouer de multiples instruments et ne cesse de donner des petits concerts un peu partout, avant de se forme sérieusement au métier de chef d’orchestre.
Né en 1890, Fritz Busch va alors connaître une ascension fulgurante dans les milieux musicaux allemands. Après quelques postes, déjà importants pour un homme si jeune, il accède précocement au titre de Musikdirektor de Dresde où il va accomplir un remarquable travail de perfectionnement de l’orchestre et de l’Opéra. Il y arrive en 1922 et après des années exaltantes, il va y vivre la montée inexorable du nazisme. Il aura maints démêlés avec les autorités et refusera de se plier à leurs exigences. Il souffrira aussi profondément de l’exclusion des musiciens juifs de son orchestre. Et il finira par prendre la décision de quitter l’Allemagne pour vivre dès lors en exil. Cette rupture avec l’Allemagne marque aussi la fin de ses mémoires.
Mais heureusement Fabian Gastellier, qui dirige les éditions Notes de nuit, a pris la relève et se fondant sur les carnets du musicien et une abondante documentation, elle retrace la suite de sa carrière, ce qui permet de disposer d’un panorama complet avec notamment la création du Festival de Glyndebourne dont il est co-fondateur et les innombrables concerts lyriques à Buenos Aires, à Copenhague, à New York.
Ces deux ouvrages sont avant tout des récits, riches en rebondissements et vivants, qui retracent à la fois la carrière d’un musicien exceptionnel mais aussi le contexte historique dramatique dans lequel elle s’est inscrite. Ces deux livres s’inscrivent donc parfaitement dans le projet de Notes de nuit et cette articulation entre l’Histoire et l’Histoire de la musique est tout à fait passionnante et emprunte des chemins sans doute trop peu fréquentés ; en particulier ceux qui décrivent l’opposition à un régime politique inacceptable ou a contrario la compromission de maints artistes. Ici par exemple, dans les deux livres, sous la plume de Fritz Busch ou de Fabian Gastellier, on trouvera aussi bien des propos très critiques sur Furtwängler que de très beaux hommages à l’attitude d’un Toscanini.
Florence Trocmé
Muzibao publiera ultérieurement un entretien avec Fabian Gastellier.
Fritz Busch, Une Vie de musicien, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Notes de nuit, 2017, 220 p., nombreuses illustrations, 20 €
Fabian Gastellier, Fritz Busch. L’Exil : 1933-1951, Notes de nuit, 2017, 300 p., nombreuses illustrations, 20 €
Ressources
1. Voir Fritz Busch diriger l’orchestre de Dresde dans l’Ouverture de Tannhäuser de Richard Wagner en 1932 (sur la chaîne Youtube du Semperoper de Dresde)
Lien de la vidéo, durée 14’20
2. Une Émission de France Musique avec Fabian Gastellier.