Les éditions Notes de Nuit ont publié simultanément deux livres consacrés au grand chef d’orchestre allemand Fritz Busch. Le premier propose les mémoires du chef d’orchestre qui retrace sa Vie de musicien* depuis son enfance jusqu’à son exil d’Allemagne en 1933. Le second**, écrit par Fabian Gastellier, qui dirige la maison Notes de Nuit, vient prendre le relais et rendre compte de manière très documentées des années d’exil qui courent de 1933 à 1951, date de la mort de Fritz Busch, alors âgé seulement de 61 ans. Muzibao a souhaité poser quelques questions à Fabian Gastellier sur sa maison d’édition et sur son rapport avec Fritz Busch.
Muzibao : Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition et surtout son articulation en trois domaines, qui fait sens pour les deux livres sur lesquels nous allons nous pencher davantage ? Pourquoi en particulier cette articulation histoire de la musique et histoire du nazisme ?
Fabian Gastellier : Les éditions Notes de Nuit sont nées en 2009 sous la forme d’une association dont le seul but était de rééditer l’œuvre de Jean-Pierre Faye, un ami de 30 ans.
En partie grâce à lui, l’univers de la Shoah a été rendu visible ; il est entre autres l’auteur d’un petit livre presque inconnu Migrations du récit sur le peuple juif qui analysait son grand sujet : « les langages totalitaires ».
Lorsque j’ai décidé de passer en 2012 d’une association à une société d’édition, il me vint naturellement à l’esprit de croiser le combat de Jean-Pierre Faye qui, pour des raisons personnelles, est aussi le mien, avec d’autres livres qui traiteraient ou croiseraient la même période des années 30. Je me souvins alors immédiatement d’un projet vieux de 40 ans : les mémoires du chef d’orchestre allemand Fritz Busch qui fut, avec Erich Kleiber, le seul allemand non-juif à quitter l’Allemagne nazie. Beaucoup de temps s’était écoulé mais la traduction de ses mémoires par Olivier Mannoni était toujours disponible. J’ai alors réalisé qu’il fallait un second livre, Fritz Busch. L’exil : 1933-1951, couvrant la période d’exil puisque Fritz Busch avait choisi de clore le premier volet de ses mémoires, Une vie de musicien, par l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Parce que je me suis souvenue de Fritz Busch, j’ai inclus la musique au catalogue des éditions Notes de Nuit, et j’ai ainsi créé la collection « La beauté du geste ».
La troisième collection « Le passé immédiat » joue, quant à elle, un rôle de passeur de mémoire. S’y croisent récits, témoignages…
Muzibao : après avoir publié des ouvrages sur Toscanini et Otto Klemperer, vous consacrez deux livres à Fritz Busch, dont l’un écrit par vous-même. Quelle a été votre démarche et comment avez-vous « rencontré » Fritz Busch, vous qui êtes née quelques années après sa mort ?
Fabian Gastellier : En 1980, une rumeur circulait parmi les petits mélomanes de Paris : le plus beau des Don Giovanni était signé Fritz Busch. A l’époque, cet enregistrement restait introuvable mais, travaillant à la Maison de la Radio, je pus l’emprunter à la discothèque. Le soir même, nous étions quatre autour de la platine, et l’émerveillement fut total. Dans l’ouverture, tout est là ! Un an passa… Je décidai de contacter les Brüder Busch Archiv et me rendis à Karlsruhe. Je pus consulter nombre d’archives. Je voulais faire connaître Fritz Busch en France ; je pris contact avec son fils, Hans, et pus échanger avec lui au cours d’un dîner.
Muzibao : Comment avez-vous travaillé et à partir de quelles sources en ce qui concerne l’ouvrage que vous avez rédigé, Fritz Busch, les années d’exil ?
Fabian Gastellier : Mon travail a reposé à 90 % sur l’étude des archives conservées aujourd’hui à l’Institut Max Reger à Karlsruhe. Tous les agendas de Fritz Busch y sont conservés. Au cours de ces journées entières de travail, j’ai eu le sentiment d’être avec lui. Par ailleurs, d’autres archives m’ont été envoyées de New York. J’ai reçu l’aide d’Hans Busch et j’ai correspondu avec le petit-fils de Fritz Busch, Michel Singher. La bibliographie sélective renvoie à plusieurs livres qui m’ont permis de me documenter.
Muzibao : Ces livres, celui que vous avez rédigé en particulier, sont traversés par l’immense problématique de la compromission des artistes avec le régime nazi ? Cette histoire a-t-elle été suffisamment écrite et explorée ? Doit-on pardonner certaines attitudes sous des prétextes artistiques ?
Fabian Gastellier : Furtwängler aurait pu partir…
Muzibao : Quel est selon vous l’héritage de Fritz Busch ? Et plus largement de la famille Busch, puisqu’il est largement question d’Adolf, le violoniste et souvent du fameux quatuor Busch ? Pensez-vous d’ailleurs compléter plus tard l’histoire de Fritz avec celle de son frère et celle du quatuor ?
Fabian Gastellier : Fritz Busch pouvait être qualifié, en son temps, de représentant de l’Ecole allemande de direction d’orchestre. Allemand, il l’a toujours été dans son style fait d’exactitude, de rigueur, de respect et d’humilité devant les partitions des compositeurs qu’il interprétait. Il s’effaçait devant la musique. Mais aussi dans ses choix de répertoire. Que ce soit le répertoire classique ou contemporain : Bach, Beethoven, Brahms, Pfitzner, Hindemith, Richard Strauss et surtout Max Reger pour qui il exerça un véritable militantisme. Il le défendit contre vents et marées partout où il dirigea, malgré l’indifférence ou l’hostilité rencontrées hors d’Allemagne. On peut citer quelques assistants de Fritz Busch : Antal Dorati ou John Pritchard à Glyndebourne mais leur répertoire et leur style ne rappellent pas ceux de Fritz.
Nikolaus Harnoncourt ne comprenait pas pourquoi Fritz Busch n’avait pas fait école. Pour ma part, je pense qu’il n’a pas pu, que l’exil l’en a empêché…
On peut retrouver les traces de son héritage ou plutôt d’exemplarité, dans les témoignages sonores qu’il nous a laissés de son art de chef d’orchestre. Ses enregistrements peuvent parfois donner une idée de la spécificité de son style. Ceux des opéras de Mozart à Glyndebourne ont conservé une aura spéciale, et certains disent qu’ils approchent de la perfection. Quant au Festival de Glyndebourne créé sous l’impulsion de John Christie avec le dramaturge et metteur en scène Karl Ebert, on pourrait parler d’un héritage vivant de Fritz Busch. Il s’agit de l’un des festivals lyriques les plus prestigieux d’Europe.
En pensant à Fritz et Adolf Busch, le premier mot qui me vient est : intégrité. Intégrité face à la musique, face à l’Homme. Après ces deux opus qui nous entraînent au cœur de la famille Busch, je ne pense pas intégrer au catalogue un autre titre sur Adolf ou le quatuor car je voudrais aussi mettre en lumière d’autres artistes.
Muzibao : Pouvez-vous parler des projets en cours ? Dans les différentes collections qui peuvent intéresser les lecteurs de Muzibao comme ceux de Poezibao ?
Fabian Gastellier : Avec Jean-Pierre Faye, nous avons un projet en cours. Dans la collection La beauté du geste, nous publierons en 2020 une très importante biographie de Bruno Walter. Est paru dans la collection Le passé immédiat Survivre un jour de plus. Le récit d’une jumelle de Mengele à Auschwitz d’Eva Mozes Kor et de Lisa Rojany Buccieri. Dans la même collection, est paru également, à l’automne, un livre sur Alma Rosé, la violoniste d’Auschwitz.
*Fritz Busch, Une Vie de musicien, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Notes de nuit, 2017, 220 p., nombreuses illustrations, 20 €
**Fabian Gastellier, Fritz Busch. L’Exil : 1933-1951, Notes de nuit, 2017, 300 p., nombreuses illustrations, 20 €
Le site des éditions Notes de Nuit