André Tubeuf s’en étonne lui-même au début de ce livre : alors qu’il a bien connu Rudolf Serkin, il n’avait pas encore véritablement écrit sur lui. Il faut prêter attention au titre : Rudi, la leçon Serkin. Deux termes doivent retenir l’attention qui en disent long sur ce petit livre dont la lecture est à la fois féconde et très plaisante.
Rudi, le nom de l’amitié. C’est qu’ici André Tubeuf brosse le portrait du pianiste à l’aide de tous les souvenirs qu’il a de lui, de leurs rencontres notamment. Bien sûr il sait accumuler autour de ces instants vécus, qui rendent le livre très vivant et émouvant, toutes les indications biographiques nécessaires. Avec insistance sur quelques dominantes : l’attitude exemplaire de Serkin vis-à-vis du nazisme, surtout en ce qui concerne de la musique allemande. Son refus d’être entraîné dans ce qu’il jugeait comme une perversion de cette musique dès les années 30, perversion via la manière grandiloquente, massive et sentimentale de la jouer par exemple : « des sentimentalisations, des appels au sublime, toute une subjectivité protoallemande. » (p.31). Mais aussi sa volonté de « sauver » la musique allemande de tout l’opprobre qui allait contaminer la culture allemande pendant et longtemps après la guerre. Il fut constamment appuyé dans sa démarche par les Busch, Fritz le chef d’orchestre (voir cet entretien dans Muzibao) mais surtout le violoniste Adolf, qui fut son partenaire musical d’élection et... son beau-père. Et ce fut aussi tout le sens de sa démarche, de l’autre côté de l’Atlantique, dans son festival de Marlboro, dans le Vermont, en Nouvelle-Angleterre..
Le livre procède par courts chapitres, qui sont souvent autant de scènes vécues. Ou bien de réflexions profondes, philosophique, sur la musique. Sur la personnalité de Serkin, qui associait une profonde rigueur intellectuelle et morale à une grande discrétion, prônant que quand il jouait il fallait que ce soit Beethoven ou Mozart qu’on entende et pas Serkin.
Et voilà donc le second terme clé du titre, la leçon Serkin. Une leçon par l’exemple, dans le rapport à la musique, dans l’attitude dans le monde. Serkin avait des capacités d’écoute et d’attention hors-pair, dont André Tubeuf rend bien compte à plusieurs reprises. L’auteur le dit : il a appris à écouter avec Serkin. Qui avait le don de requérir toute l’attention des auditeurs, de les emmener avec lui à l’intérieur de la musique qu’il jouait : « qu’il n’y ait jamais de distractions ni de temps gaspillé ; seulement l’usage le meilleur, le plus économe et le plus fécond à la fois, de l’attention. » (p. 163)
Il évoque bien sûr le répertoire de Serkin, essentiellement Bach, Mozart, Beethoven et Schubert.
C’est un livre important en ce qu’il montre l’implication profonde de la musique et de la vie et les leçons que l’on peut recevoir d’un musicien exemplaire et au-delà de la musique.
Florence Trocmé
André Tubeuf, Rudi, la leçon Serkin, 2019, 224 p., 18€
Le tout dernier chapitre est une promenade sur le site d’une célèbre plate-forme de vidéo où André Tubeuf découvre avec émerveillement des documents qu’il ne connaissait pas encore. Muzibao a sélectionné un passage de cette rencontre et l’inscrit ici dans sa rubrique « Lectures augmentées », en proposant en regard du texte, la vidéo dont parle André Tubeuf. L’image et le son ne sont pas excellents mais c’est secondaire !
A propos d’André Tubeuf on peut écouter une belle série d’entretiens. (ils sont classés en ordre chronologique inverse, il faut bien repartir de I, sur la page donnée en lien).