Muzibao enquête sur la manière dont s'écoute la musique, comment, où, quand, de quelle manière ?
Voici une première réponse, celle de l'écrivain belge Marc Dugardin.
Quelques fragments de mes Carnets 2021, dans lesquels je fais allusion aux musiques que j’écoute. Parfois, simplement notée entre parenthèses, l’indication de la musique (cd) que je suis en train d’écouter, pendant que j’écris.
(9 janvier)
(En écoutant Pierre Hantaï dans des sonates de Scarlatti)
(8 février)
Donc rien, silence. La musique, un peu forte, du voisin du dessous.
…
Revenu comme dans un rêve, ce souvenir de mon passage, il y a bien des années (plus de 25 ans, en tout cas), à la Collégiale Sainte Waudru à Mons. Un(e) organiste jouait. Une pièce qui m’avait infiniment touché. Plus tard j’ai reconnu (cru reconnaître ?) le choral opus 122 / 10 de Brahms : herzlich tut mich verlangen. Ce que, de tout cœur, je désire (la suite du texte indique que ce qui est désiré, c’est une mort bénie). Composition, il est vrai, de la toute fin de vie de Brahms.
(16 février)
(Mozart, quatrième disque de l’intégrale de ses sonates pour piano, par Paul Badura Skoda ; à l’instant, le très bel adagio de la sonate K.332)
(22 février)
(en écoutant des quatuors de Haydn)
(24 avril)
(Beethoven, intégrale des quatuors à cordes : pour l’instant, l’opus 59 n°2, et puis surtout, qui va suivre, l’opus 127 / le numéro de l’ARC qui est consacré à D.W. Winnicott m’a appris récemment que, à la fin de sa vie, il fut complètement envoûté par les derniers quatuors à cordes de Beethoven)
(1er mai)
Encouragé par Winnicott, sûrement, je réécoute les quatuors de Beethoven. Sans ordre. Ce matin, sans y réfléchir, je choisis d’écouter le dernier disque de l’intégrale : le quatuor opus 74, suivi d’un des tout derniers, l’opus 132.
Me revient seulement alors, entendant le magnifique adagio molto de l’opus 132, qu’il s’agit – selon ce que Beethoven a noté sur la partition – de ce fameux chant de reconnaissance d’un guéri.
(…) la musique m’emmène là où se sentir guéri est possible. J’aurais envie d’écrire : c’est là qu’elle nous attendait.
(10 juin)
(Sur fond de musique japonaise – envoûtante : flûte shakuhachi, cithare koto, luth shamisen et chant)
(19 juillet)
Rêve. Je suis avec M. dans un lieu où l’on peut, casque sur les oreilles, écouter de la musique. Mais beaucoup de personnes arrivent, M. demande de passer dans une pièce voisine, où il n’y a encore personne. (…) Puis, dans cette seconde pièce d’écoute, apparaissent aussi un guitariste ( ?... il me semble) et un autre musicien, jouant sur une sorte de volumineux piano électronique. Ils se mettent à jouer, assez librement, le thème célèbre du film Jeux interdits. Est-ce encore dans le rêve, ou déjà dans la transition vers le réveil, je fredonne cette musique, d’une manière plus proche de sa version originale, pensant que c’est comme ça qu’elle est plus juste – me viennent des mots comme lenteur, douceur, mélancolie. Et me revient également le nom du réalisateur du film, René Clément, et du compositeur (arrangeur, plutôt, en fait, puisqu’il est parti de thèmes empruntés), Narciso Yepes.
(7 août)
Rêve de cette nuit. Le thème du premier mouvement du concerto pour violon de Mendelssohn. Souvenir évident (car je me suis rendu hier dans ces quartiers d’enfance, de jeunesse) d’un soir, dans les années soixante, où je l’avais entendu, par une fenêtre ouverte. Il faisait beau, la radio retransmettait une prestation de la finale du Concours Reine Elisabeth. Dans le rêve, mon interlocuteur (…) semble dédaigner un peu Mendelssohn. Je lui réponds en lui rappelant que Schumann fut influencé par lui, et l’estimait beaucoup.
(…)
(19 août)
(Disque : quatuors de Haydn. En ce moment, le magnifique adagio du quatuor 54 / II ou Hoboken III. 57)
(21 septembre)
La musique, une fois encore, qui se répète (que je ne cesse de répéter, chantonnant) et pourtant, elle fait tout sauf se répéter. Rassure, parce qu’elle se répète tout en ne se répétant pas (me dis-je, écoutant encore une fois, en ce moment, Rudolf Serkin dans Beethoven : opus 109, 110, 111). Hier, ce fut Coltrane (A Love Supreme), plus écouté depuis pas mal de temps, ou, avant-hier, les quatuors de Erwin Schulhoff. Et à Wimereux, la semaine passée, avec les amis, ce fut, entre autres, Barbara, Nantes, la petite cantate…
(7 octobre)
Réveil en musique, encore, et je pourrais même dire en fanfare, sur le thème célèbre qui ouvre la suite L’Arlésienne, de Bizet. Etonnement, car ce n’est pas une musique que j’ai l’habitude d’écouter, que je n’apprécie pas spécialement (d’une solennité un peu vieillotte, je serais même tenté d’écrire : un peu ridicule). Mais il y a là aussi quelque chose d’entraînant, la surprise d’un élan au moment de se réveiller, puis de sortir du lit. Le thème ne cesse de me revenir ensuite, de se répéter, je m’en débarrasserais volontiers.
Une fois encore, ce qui me frappe, c’est l’aspect intrigant de ce phénomène : à quoi rattacher la remontée d’une musique que je crois pourtant ne pas avoir en tête ? Alors que, au contraire, elle y sommeillait, pour resurgir sans que je m’y attende, sans que je le veuille. Il me semble que, en l’occurrence, ce thème est enraciné loin dans mon enfance – peut-être même était-il l’indicatif d’une émission à la radio, quelque chose comme cela ?
(17 octobre)
(En écoutant Beethoven – encore ! Je me suis offert, à très bon prix, une intégrale, récente, de ses 32 sonates pour piano, par Boris Giltburg)
(28 octobre)
Huit minutes d’écoute (et d’images) ce matin (un lien proposé par un ami sur facebook) : Márta et György Kurtág dans des transcriptions de Bach, pour piano à quatre mains. Magnifique !
L’arietta de l’opus 111 de Beethoven par R. Serkin
L’intégralité de l’opus 111 par le même Serkin
Marc Dugardin
Photo, le pianiste Rudolf Serkin en 1962 (source)