Le monde a quelque chose à dire, et c’est la musique qui en est l’expression. Dans ce livre difficile mais tellement éclairant, d’une exigence à la hauteur de la question dont il traite, on suit les moments par lesquels une ontologie du son et, partant, de la musique se développe. Les différents textes et articles de Daniel Charles qui composent le volume ont à l’évidence été pensés, dès leur conception, comme participant de cette élaboration théorique.
Du silence d’origine de toute chose, une sorte d’attention et de vigilance, celle que l’on devine chez les grands fauves, ou bien celle d’un moine hindou qu’évoque Jean Grenier, auquel au demeurant il est rendu un hommage fervent, jusqu’au son que la musique a pour charge de délivrer comme l’âme même des choses, les études de Daniel Charles éclairent d’une manière presque lumineuse (certaines pages sont d’une grande beauté et glissent aussi naturellement que théoriquement de l’écouter au voir) ce qu’il faut entendre par « musique ». Ainsi, c’est à John Cage, auquel Daniel Charles revient si souvent avec bonheur et manifestement avec plaisir, qu’il appartient de rendre compte, en le reconstruisant dans son évidence, du phénomène musical qui ne se restreint pas à lui-même mais démontre sa profonde et matérielle nécessité afin de comprendre ce qu’être au monde signifie. C’est pourquoi Daniel Charles revient souvent aux textes pourtant parmi les plus difficiles de Heidegger. Car « entendre le monde sonner », c’est non seulement tendre l’existence de l’écoute vers la vision, mais c’est tout autant ouvrir l’espace à l’éclat du son pour qu’à son tour il donne lieu comme celui d’une rose à la manifestation.
Les autres textes du livre sont consacrés à Jacques Serrano, à Michel Redolfi et à Claude Ballif, autant d’hommages à des artistes d’importance qui ont compris ce que la musique signifie, c’est-à-dire une des racines de l’existence. C’est pourquoi Daniel Charles est lui-même un philosophe-artiste, à l’image de Jean Grenier qui habite dans l’amitié sa réflexion.
Il est important d’ajouter, parce que la chose se fait très rare, que ce livre de philosophie et d’esthétique est édité, manifestement avec passion et un très grand soin à la fois intellectuel et matériel, par Christian Tarting et qu’il présente en couverture un dessin original d’Anne Cauquelin.
© André Hirt
octobre 21
Daniel Charles, Entendre le monde sonner, Chemin de Ronde, collection Strette dirigée par Christian Tarting, 2020, 160 p., 16€.