… c’est au milieu de nos rêves que le sifflement de Joséphine se rappelle à nous de loin en loin ; elle le dit perlé, nous le jugeons saccadé ; quoi qu’il en soit, il trouve ici son emploi idéal, il ne pourrait pas mieux tomber, jamais musique n’a pu venir à un moment qui la réclamât mieux. Il y a en elle quelque chose de notre pauvre et courte enfance, quelque chose du bonheur perdu qu’on ne retrouvera jamais, et quelque chose aussi de notre vie présente, de nos activités du jour, de leur petite gaillardise inexplicable, et qui est réelle cependant, et qui résiste à tous les maux. Et tout cela s’exprime vraiment sans grands accents, mais légèrement, dans un murmure, en confidence, avec un peu d’enrouement même quelquefois. C’est un sifflement, bien sûr. Comment n’en serait-ce pas un ? Le sifflement est la langue de notre peuple ; seulement nombre d’entre nous sifflent toute leur vie sans le savoir, tandis qu’ici le sifflement apparaît libéré des chaînes de l’existence quotidienne et nous libère, nous aussi, pour un instant. Il nous serait cruel d’être privés de ces auditions.
Franz Kafka, Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris, trad. Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, in Œuvres Complètes II, La Pléiade, p.783.
Le choix de André Hirt
photo : Maria Callas