Weimar, le 25 mai 1830
Demain mon portrait sera terminé*. C’est un grand dessin au crayon noir ; il est très ressemblant mais j’ai l’air un peu grognon. Goethe est pour moi si bon, si affectueux que je ne sais comment l’en remercier […] Avant midi, je dois, pendant une petite heure, lui jouer sur le piano des morceaux de divers grands compositeurs, par ordre chronologique, et lui expliquer comment ils ont fait progresser l’art. Pendant ce temps-là, il se tient assis dans un coin, sombre comme un Jupiter tonnant, et ses yeux lancent des éclairs. Il ne voulait pas du tout mordre à Beethoven ; mais je lui dis que je ne savais pas comment le lui faire comprendre, et je me mis à lui jouer le premier mouvement de la symphonie en ut mineur**, qui lui fit une impression tout à fait étrange. Il commença par dire : « Mais cela ne produit que de l’étonnement et n’émeut pas du tout ; c’est grandiose. » Il murmura encore quelques mots entre ses dents, puis, après une longue pause, il reprit : « C'est très grand et tout à fait étourdissant ; on dirait presque que la maison va crouler ; mais que serait-ce donc si tous les hommes ensemble se mettaient à jouer cela ? » À table, au milieu d’une autre conversation, il y revint encore. Vous savez que je dîne tous les jours avec lui ; pendant le dîner, il m’adresse les questions les plus minutieuses, et, le repas fini, il est toujours si gai, si expansif, que le plus souvent nous restons encore seuls dans sa chambre pendant une heure entière, où il parle sans discontinuer […]
Felix Mendelssohn, Lettres inédites de Mendelssohn, trad. A.A. Rolland, Paris, J. Hetzel, 1864.
Le choix d’André Hirt
* Goethe a chargé un artiste, pour sa collection personnelle de portraits, de faire celui de Mendelssohn.
** Il s’agit évidemment de la V° Symphonie, en ut mineur, op. 67.
image, Félix Mendelssohn-Bartholdy jouant du piano chez Goethe, 1864, musée juif de Francfort sur le Main. source