Voici une musique régie par une Idée. Il y a tellement, en circulation, dans le champ moderne et contemporain, d’émotions sans idées, comme devenues incontrôlées, de mouvements sociaux erratiques et de politiques sans Idée, et aussi, en effet, de musiques sans Idée, ce qui a pour résultat qu’il n’y a plus de musique puisqu’il n’y a plus d’Idée. Comme dans l’industrie culturelle qui ne cède décidément en rien, qui s’introduit et s’insinue partout, aisément repérable pourtant dans ses menaces dont absolument personne ne se méfie alors qu’elles s’y trouvent enveloppées, hélas acceptée comme l’assurance rassurante qu’un monde subsiste encore dans la « mélodie infinie », ce colmatage du vide dans les sonorisations saturées des parkings, des ascenseurs et des supermarchés. À l’inverse, voici de quoi respirer dans des temps irrespirables, si a-musicaux pour les raisons qu’on vient d’évoquer.
Marjolaine Reymond fait renaître la musique, elle produit, avec ses musiciens dont on saluera le talent, pour ainsi dire le spectacle de cette naissance au moyen d’un Poème, appelons-cela ainsi, une tétralogie du sang dont le cœur est constitué par l’inspiration biblique du judaïsme et le désir qui s’y trame de l’amour.
La musique ? Ce qui coule en nous, le sang, le désir même, de l’enfantement par l’amour jusqu’à la mort. Ce qui coule est invisible, mais peut être manifesté. Voici la musique. À chaque fois une célébration, diversement magnifiée dans ce disque. Avant tout, la présence des ancêtres, de la langue dans laquelle nous nous exprimons et qui nous permet, en tous sens, de souffler, d’inspirer et d’expirer. Et puis la fécondation des esprits et des corps...
Qu’on ne s’y trompe donc pas au regard du titre générique « Splendour of blood », rien de gore n’est à attendre. Seulement un sang qui est vie, dans des existences affirmatives qui n’ont même pas besoin de la moindre croyance puisque la palpitation du battement sonore en tient lieu, ou plutôt s’y substitue mais, cette fois-ci, dans la certitude de sa réalité.
La musique, cette musique si composée, de part en part, durchkomponiert, à la manière de Schoenberg. Peut-on oser dire qu’elle est universelle, qu’elle rassemble ? Certes, chacun peut y entendre Juju de Wayne Shorter, Herbie Hancock, Frank Zappa, et bien d’autres chacun selon sa culture musicale, c’est-à-dire ce qui l’a traversé et constitué, fécondé. Ainsi, on y entend aussi Jimmy Giuffre, Coltrane et Stravinsky autant qu’Honegger. Et parfois un choral ou son esquisse comme dans la troisième plage du disque. On y entend Alban Berg et son Concerto de chambre. Peu importe, car les voix, comme dans le sang, sont mélangées.
Voici donc un disque de Création. Un Poème avons-nous dit. Un Verbe, une Voix haute, souvent lyrique, sinueuse, une voix d’appel et d’invocation, que de multiples manières nous ne pouvons que rejoindre.
© André Hirt
Mars 2022