Il est des bonheurs singuliers, imprévisibles, lorsqu’on écoute de la musique. Ainsi celui de découvrir, malgré quelques décennies de pratique assidue du répertoire, un musicien, une partition ou une œuvre inconnus. Alors la surprise est grande parce qu’elle met en évidence les lacunes qui sont les nôtres tout en permettant de combler des trous dans la petite histoire de la musique que chacun a construite par devers soi.
Ne serait-ce que concernant la musique pour piano, l’éditeur polonais DUX nous fait découvrir justement tout un mouvement d’histoire du piano de son pays, de Jan Ladislaw Dussek (1760-1812) jusqu’à la moins ignorée Grazyna Bacewicz (1909-1969) en passant par Franciszek Lessel (1780-1838) et Karol Kurpinski (1785-1857) que Tomasz Lupa joue avec force et conviction (on ne s’ennuie jamais, on lève sans cesse la tête pour écouter avec davantage d’attention s’il se peut). Que de différences et de continuités de divers ordres dans ces œuvres, parfois évidentes lorsqu’on rattache l’écoute à l’histoire de la musique que l’on connaît, et plus sous-cutanées, et par conséquent plus intéressantes. La simple écoute et la pensée jouissent de démêler, du moins dans l’espoir d’y parvenir, l’inconnu et la nouveauté qui s’offrent à elles dans cette musique ! Certes, le génie apparaît dans toute son évidence devant la musique encore bien trop peu connue de Grazyna Bacewicz. Dieu merci, on en aura pris connaissance il y a quelques années grâce aux enregistrements de Krystian Zimerman. Et on est heureux d’en connaître davantage encore grâce à Joanna Sochacka qui rend justice à plusieurs partitions, dont la Sonate pour piano n° 2 déjà jouée par Krystian Zimmerman, mais, précisément, on dispose à présent de versants interprétatifs différents (ainsi, on entend dans cette nouvelle version, dans le Largo comme un écho de la sonate de Berg… Ou bien, n’est-ce qu’un effet d’écoute ? Peu importe le plaisir est là et le rapport existe bel et bien dans l’écoute en chacun).
Quant à la musique de Franciszek Lessel, elle ne peut qu’impressionner. Qu’on prête seulement l’oreille à la Polonaise nouvelle en D major de 1821, magnifique, presque grandiose au sens le plus discret des choses, paradoxalement, une musique très originale avec cette note puis cet accord répétés au début de l’œuvre qui ne s’oublient plus, comme un désir d’on ne sait quoi, mais peu importe, on comprend qu’il est essentiel. Quant aux œuvres de Dussek, historiquement les plus anciennes, on plonge dans un flux musical, déjà Sturm und Drang, au moins un élan, une tension et une poussée surtout qui se portent à la fois dans l’histoire de la musique (quelque chose, manifestement attend, attend d’être entendu, en même temps qu’il s’efforce de venir) et dans l’Histoire tout court, l’ère des Révolutions, l’odeur, évidente ici, on la sent et la respire, de la liberté. Haydn, né en 1732 aurait pu être son père. Mozart percera le mur opaque de l’histoire et de la substance de la musique par une liberté encore supérieure. Mais la subjectivité à venir, moderne, est déjà présente. Toute la musique est là, pas tout à fait dépliée, juste déposée et se surprenant elle-même par sa nouveauté et donc encore brouillonne, mais aussi parfois fulgurante comme dans The Sufferings of the Queen lorsque la douleur et la compassion se mêlent avec l’exigence et la poussée de la liberté nouvelle.
La forme : Dussek ignore le silence. Mozart inventera le silence musical, là où Bach savait faire régner le silence tout court. C’est le problème de la ponctuation, du rythme, de la scansion, de l’articulation au sein de l’organisation générale du propos musical qui n’était pas résolu, mais qui était de fait déjà remarquablement posé.
Tout le mérite de ces précieuses découvertes appartient donc au label polonais DUX dont les publications sont on ne peut plus originales, soignées quant aux livrets et surtout prodigues de découvertes musicales, en publiant des partitions absolument indispensables à la connaissance de la musique du passé comme du présent.
On encourage les mélomanes à découvrir ces disques. Ils donneront lieu aux joies incomparables, trop rares, des vraies découvertes.
© André Hirt
Écouter Le quintet n°1 avec piano de Grazyna Bacewicz