Les philosophes importants ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. Il s’agit en réalité de ceux qui eurent le plus d’influence. Songez ! Citons seulement quelques phares : Maupassant, incompréhensible sans cette lecture, Mallarmé qui l’a mis brièvement en concurrence avec Hegel, même Valéry un court moment aussi mais tout de même, sans oublier, Nietzsche évidemment, et puis Wagner.
L’importance en question doit être reconnue, entre autres, mais surtout, à ceci qu’elle met en relief ce que chacun, immédiatement, ressent, qu’il n’a pas même besoin d’apprendre parce qu’il le sait, estime-t-il, déjà. L’apprenti philosophe est d’abord paresseux, il veut se reconnaître dans ce qu’il lit, il veut avoir raison, ce qui s’avère pourtant si peu philosophique. Voilà le gage du succès, c’est aussi celui, en raison de l’immédiateté de l’adhésion toujours un peu douteuse par son absence de critique, sa limite. C’est le cas de la philosophie de Schopenhauer. La lecture de l’œuvre, agréable, drôle, cruelle, bilieuse, faite pour les mauvais jours dont on colore aussitôt tous les jours, fait qu’on ne lira plus jamais rien d’autre. On reste bloqué, à jamais, on n’en sortira plus. Schopenhauer aura toujours raison, comme tous les paranoïaques. C’est simple : la vie n’a pas de sens, elle va de la souffrance à l’ennui. Qui prétendra le contraire. Pas même le disciple Clément Rosset dont certains font le plus grand philosophe du siècle, lui qui affirme, et comment le contredire, que le réel est et que ce qui n’est pas n’est pas. Et qu’on ne nous parle pas de Hegel, surtout pas, on n’y comprend de toute façon rien, ou bien il demande trop d’efforts, on ne s’y reconnaît pas (de quoi parle-t-il donc ?) ou de Husserl ou de Heidegger, de Benjamin ou Adorno, ces monstres de la philosophie dont on ne saisit pas le moindre mot.
On dit que Schopenhauer sut parler de la musique. Évidemment, bien sûr, mais Hegel aussi, et très bien. Et Kierkegaard !
Certes sa thématique est classique, mais le mérite du livre que propose Santiago Espinosa, Schopenhauer et la musique, est d’exposer les deux faces du philosophe dans son rapport à la musique. D’une part, la pénétration qui fut la sienne en faisant de la musique l’expression la plus immédiate de l’être et du monde, ce qui nous ouvre, nous les auditeurs, à leur participation, d’autre part et au-delà de cette thèse centrale, la façon dont la musique est analysée quant à sa portée existentielle, sa puissance d’évocation et sa supériorité par rapport aux autres arts. Quelques moments d’analyse de l’ouvrage ouvrent également la voie pour distinguer des formes et des voies musicales qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les fondements jetés par Schopenhauer. Le livre semble ainsi, et c’est, à défaut peut-être de son intention sa force, se dépasser, voire à envisager d’autres manières de considérer la musique.
André Hirt
Santiago Espinoza, Schopenhauer et la musique, Puf, 2022, 224 p., 16€