Il est remarquable que le phénomène de la mélodie lancinante n’ait présenté que peu d’intérêt aux yeux des musiciens. (…) je n’ai trouvé qu’un autre exemple d’une expérience similaire faite par un musicien ; Jacques Offenbach en rend compte dans un article Histoire d’une valse, écrit en 1876. Alors que le jeune musicien était seul à Paris, jouant du violoncelle à l’Opéra pour gagner son pain quotidien, une valse lente le hantait. Quand il était enfant, sa mère et ses sœurs le berçaient avec cet air doux. Il n’en sut jamais plus de huit mesures. Elles l’obsédaient alors qu’il vivait seul en pays étranger à l’âge où les autres enfants sont encore à l’école avec, devant eux, beaucoup d’autres années à y passer. Chaque note de cet air, qu’il ne trouvait pas très beau, lui rappelait son foyer dont il était absent depuis longtemps. Quand ces mesures résonnaient en lui, il revoyait la maison de sa famille à Cologne. Ces quelques notes prenaient d’étranges proportions à ses yeux. « Ce n’était plus une simple valse. Elles étaient presque devenues une prière que je murmurais du matin au soir ; ce n’était pas une supplication adressée au ciel mais il me semblait que ma famille m’entendait quand je les répétais et, quand en écho elles revenaient, j’aurais pu jurer que c’était les miens qui me répondaient ».
(…) La description d’Offenbach va même plus loin que la simple caractérisation : la mélodie devient message, communication avec les personnes aimées. C’est presque une prière, bien que nous préférions la qualifier de rite magique. La poursuite de la réflexion sur ce sujet nous conduirait à l’origine magique et à la fonction de la musique en général.
Il n’y a, à ma connaissance, dans la littérature psychanalytique, qu’un seul exemple de la discussion du phénomène de la mélodie obsédante. C’est un passage des Conférences d’introduction de Freud. Il est dit là que les thèmes qui surgissent en nous sont conditionnés et déterminés par des suites de pensées qui ont le droit d’être entendues et d’occuper notre esprit. « Il est aisé, dit Freud, de montrer que la relation à la mélodie est liée à son texte ou à son origine, mais je me garde d’étendre cette affirmation aux gens réellement musiciens, dont je n’ai pas l’expérience ». Dans leur cas, pense-t-il, l’apparition d’un thème peut être déterminée par son contenu musical. Le premier cas est certainement fréquent. Freud cite l’exemple d’un jeune garçon obsédé par l’air de Pâris dans La Belle Hélène, air qui est, certes, délicieux. L’analyse attira son attention sur le fait que le jeune homme hésitait entre une jeune fille nommée Ida et une autre nommée Hélène.
Theodor Reik, Variations psychanalytiques sur un thème de Gustav Mahler, trad. Philippe Rousseau, Paris, Denoël, 1972, p.43-45.
Le choix de André Hirt
Le 2° air de Pâris dans La Belle Hélène d’Offenbach
Claude François, Alexandrie, Alexandra