Britten, Four Sea Interludes
La verdeur des cordes confondue à l’aube : c’est le Dawn, premier des Four Sea Interludes tiré de l’opéra Peter Grimes de Benjamin Britten. Verdeur parce que quelque chose se lève encore dans la fraîcheur et contemple ; quelque chose encore épargné des gestes humains – et des drames qui s’ensuivent. Pour peu que surgisse la gravité des vents, l’horizon touche terre ; les mondes marin et terrestre savent qu’ils devront faire ensemble. Les notes du départ ne cessent de revenir à l’instar des vagues, des vagues que l’orchestre n’imite pas mais amplifie. L’échange se fait avec une réciprocité égale, naturelle, presque bienveillante. Le deuxième mouvement est l’incarnation de ce regard échangé. Il est trop dansant pour ne pas faire penser à nous-mêmes, trop lyrique pour ne pas appeler le chant humain. L’air de danse qui le traverse nous est familier ; quelque chose raconte que la grandeur de la mer ainsi énoncée, qui relève de ses propres mouvements comme de nos fragiles épopées, finit toujours par trouver les formes propres à sa dramaturgie. Seulement, le catalogue des vaisseaux d’Homère a perdu ici ses énumérations ; il se décline dans une seule embarcation ; on ne la voit pas mais elle est là comme un protagoniste muet. Des cloches viennent troubler ces pas de danse. Une inquiétude a surgi. Le temps humain est rappelé à ses limites – même si l’ordre divin se fond aux nécessités d’ici-bas et que les vagues continuent leurs allées et venues. Le troisième mouvement, Moonlight, s’il témoigne d’un saut dans la narration de l’opéra, garde ses formes de répétition sourde, de relents presque, à la semblance des battements d’un cœur. Benjamin Britten vient l’agacer par des sursauts (les vents d’un orchestre connaissent bien cela : sursauter). Une grande douceur s’étend, chargée d’incertitude ; la pensée du repos est l’acceptation pleine d’un drame possible ou, plus bassement, de multiples tracas. Toutefois, il y a ici de la saveur, du possible – de l’horizon. Cette manière d’insister de la mélodie en cours, ne lui donnons pas d’autres noms. Nous aimerions, anxieux que nous sommes, pouvoir la fredonner, prendre le large sous le regard de la lune : c’est la promesse d’un lendemain. Tout est là pour nous bercer de sa dangerosité (on sait combien la musique peut inquiéter en quelques secondes). Quelques percussions, une flûte répétitive, suffisent pour nous enseigner de manière indicible notre finitude. Le dernier mouvement, Storm, le confirme : la vérité du monde ne peut pas se passer de violence, de destruction, de pertes. Inutile de faire crier l’orchestre : le rythme soutenu des percussions et la mêlée entre cordes et bois suffisent à faire comprendre que la narration à peine perceptible des trois premiers mouvements ne mène qu’au chavirement. Les cors soulignent une chevauchée marine qui sait que sous ses pas se tient l’abîme – la demeure de notre finitude. Les accords de violons, les coups de butoir des vents, nous en persuadent sans le moindre doute. Enfin, des accords, paisibles bien que transpercés de soudaines accélérations, deviennent plus que la reprise de certains thèmes : par ces éléments réentendus se résume à nous une histoire ; tout devient remémorations, souvenirs, épisodes ; ils brillent d’un épais éclat dans le crâne, en exploseraient de se rencontrer ainsi – n’étaient plusieurs coups de semonce formant un point final.
Marc Blanchet
À l’écoute, Leonard Bernstein, Boston Symphony Orchestra, DG