Généralement, lorsqu’on découvre un jeune talent musical, on souligne la technique, n’importe qui peut en faire la remarque, parfois le sens musical, cela on ne sait pas trop ce que cela veut dire, mais très rarement l’intelligence, comme si l’acuité, c’est-à-dire le sens de l’observation de soi comme de l’instrument, et, ne l’oublions pas de la courbe d’ensemble et du détail de la pièce qu’on interprète, était secondaire, voire inutile. Sans parler de la pensée, autrement dit de l’Idée qui préside au jeu, la compréhension qui en principe doit en constituer le préalable.
Les techniciens sont pléthore, les intelligents plus rares, les pensants quelques-uns. Tous sont estimables et nécessaires. Mais l’intelligence combinée à la pensée se remarque également, comme c’est le cas dans ce très beau disque. Évidemment, la constitution d’un programme relève d’un choix non seulement parfois contestable ou hasardeux. Elle doit donc être attentive à la connexion des œuvres, à leurs enchaînements à la fois objectifs et historiques comme dans l’esprit de l’auditeur qu’il ne faut pas malmener et promener dans des zones étrangères les unes aux autres.
Le Ravel de Vincent Mussat est à la fois solide, presque compact, on veut dire serré et concentré, parfois presque retenu. On dira, et c’est une nouveauté dans l’écoute de ces pièces, un mystère entretenu, suspendu et interrogé. Le Gibet est presque pleuré, le Scarbot n’est jamais exagéré et jeté en l’air comme il arrive parfois.
Quant aux pièces de Dutilleux, pardon à lui, on est personnellement heureux de les découvrir – elles sont à la fois « simples » et en réalité mystérieuses, disons intrigantes dès lors qu’on s’y arrête –, mais on les comprend mieux ainsi puisqu’on y est introduit par la palette pianistique de Maurice Ravel, on perçoit sinon la filiation (il faudrait réécouter encore), du moins même l’amateur qu’on est perçoit les associations qui s’imposent. Et c’est cela être intelligent pour un musicien : comprendre et faire comprendre. Un grand musicien est pédagogue. C’est ainsi qu’il se distingue et qu’on le remarque. C’est le cas ici. On reprend l’écoute.
André Hirt
Vincent Mussat présente son disque