« Le peintre Pierre Soulages, évoquant son voyage au Japon dans un entretien donné à France Culture en 1984, décrivait l’espace d’un temple et le son que produisait sa présence dans cet espace* :
"Ce qui m’intéresse dans les sons, bien sûr c’est le timbre, tout ce qu’est un son, mais aussi c’est l’espace imaginaire que le son crée, la manière dont il se développe. Ce qui était très beau dans cette cloche de bronze perdue dans la campagne humide et dans la nuit, c’était la manière qu’elle avait de s’en aller dans l’espace, la manière que le son avait de nous quitter."
"Nous avons assisté à l’office. Les prières étaient rythmées par plusieurs cloches.
L’une d’elles ressemblait à un énorme grelot, une autre était comme un vase, posée comme un vase avec l’ouverture vers le haut, et une autre plus petite. La plus grande avait un son beaucoup plus grave et elle était frappée par un bâton entouré d’un chiffon. Tous ces sons rythmaient la prière. L’un d’entre eux particulier s’est accéléré à un moment donné. D’ailleurs pendant la prière, peu de temps avant qu’elle ne se termine j’ai entendu mon nom, dans des paroles que je ne connaissais pas. C’était le moine qui m’adressait ses vœux, je pense. Puis la prière s’est terminée, les paroles sont devenues de plus en plus lentes et elles se sont tues. J’ai associé cela au son de cette cloche dans la nuit qui nous quittait, qui s’en allait et qui créait une immensité. Comme cette fin de prière, elle suggérait une éternité, rapport du temps et de l’espace aussi."
Ce qu’il a ressenti à travers ces sons, c’est très précisément ce que l’on ressent lorsqu’on porte à sa bouche un morceau de dernier fruit de saison. Le goût de nagori annonce déjà le départ imminent du fruit, jusqu’aux retrouvailles l’année suivante. On le déguste précieusement, comme si l’on voulait faire durer le goût le plus longtemps possible dans le palais. Puis peu à peu, le goût se dissipe, comme le son de la cloche. On accompagne son départ, on sent que le fruit, avec son goût, s’est dispersé dans notre propre corps. On reste un instant immobile, comme pour vérifier qu’en se quittant, on s’est aussi unis. »
Ryoko Sekiguchi, Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter, Folio, pp. 109, 110,111.
* Entretien avec Jean-Claude Bringuier dans le cadre de l’émission « Documentaire d’été », enregistrement réalisé le 1er janvier 1984, diffusé les 27 et 28 août 1984 sur France Culture.
Contribution d’Olivier Koettlitz