Depuis des années, on est intrigué par le chef d’orchestre qu’était Stanislaw Skrowaczewski, en particulier grâce au très précieux coffret paru en l’honneur de son 90° anniversaire et comprenant, entre autres, l’intégrale des symphonies de Bruckner, y compris la 0 et la 00, ainsi que celles de Beethoven (on y trouvera également celles de Brahms et de Schumann). L’intégrale Bruckner tient la dragée haute à toutes celles qui existent, y compris les deux de Jochum, les trois de Barenboim, les versions terminales de Karajan et même les disques de Giulini avec Vienne ont mis la barre très haut. Dragée haute également à l’égard des versions anciennes de Furtwängler et des plus récentes comme celle, estimable, de Andris Nelsons, celle de Maris Jansson étant à notre avis coupable de nombreux contresens, celle de Guerguiev ne méritant pas vraiment l’écoute tellement elle est ou bien peu originale ou alors excessive).
Mais la surprise vient aujourd’hui de la disponibilité des compositions de Stanislaw Skrowaczewski pour la musique de chambre. Et c’est une révélation ! On savait le chef compositeur, le coffret signalé à l’instant comportant des pièces orchestrales, et on écoutera avec beaucoup d’intérêt la Fantaisie pour flûte et orchestre, mais on n’avait pas pris la mesure de l’œuvre composée.
Pianiste de formation, contrarié dans son projet de carrière par une blessure, élève (encore un !) à Paris, de « Mademoiselle », c’est-à-dire de Nadia Boulanger, directeur du Minneapolis Symphony Orchestra pendant 19 ans, chef invité un peu partout, même au Japon, initiateur des intégrales qu’on a citées avec l’orchestre de Sarrebrück, et avec cela, on l’a déjà compris, d’une grande discrétion et modestie, alors même, on en conviendra à l’écoute, que nous avons affaire à un chef immense (celui qui lui ressemble le plus à tous égards étant, aujourd’hui encore, Herbert Blomstedt, et dans le même répertoire, crépusculaire, commun à à peu près tous les grands chefs, à savoir les symphonies de Bruckner, même Abbado s’y étant abandonné, pour finir).
Quant à cette musique de chambre que le label polonais DUX, toujours si étonnant et original, propose ici, elle s’inscrit dans la continuité de ce qui inspire Stanislaw Skrowaczewski, du moins, autant qu’on peut en juger. On reste dans une ambiance romantique, le mot vient immédiatement à l’esprit alors qu’il s’agit d’un post-post-romantisme, si l’on peut dire, d’un romantisme structurel dans la musique si l’on veut faire entendre par là la puissance d’inventivité, l’infinitisation des espaces ouverts que le terme de Fantaisie, titrant presque toutes les pièces de Stanislaw Skrowaczewski, résume. On songe alors immédiatement à Robert Schumann ne serait qu’en raison de l’inspiration qu’on dira fulgurante, car brève, à chaque fois aussitôt renouvelée, aux écarts d’intensité, sans que pour autant la maîtrise d’ensemble de l’écriture se relâche.
Stanislaw Skrowaczewski est ce qu’on appelle un illustre inconnu. Toutefois, honte à notre temps, la qualité d’un artiste, mais c’est un trait général, ne se mesure pas à sa notoriété. C’est là une règle qu’on pourra estimer malheureuse, alors qu’elle peut très bien avoir permis une créativité qu’on découvrira un jour. Et c’est aujourd’hui le cas, saisi que l’on est par la tension de cette œuvre de chambre (écoutons le début avec la clarinette de la Musica a quattro, et le début magnifique, adagio, de la Fantasie per sei). Tension ? Oui, mais sans la moindre crispation, une qualité que l’on remarque également dans la gestuelle du chef que l’on peut constater dans la vidéo de la IX° Symphonie de Bruckner à laquelle on renvoie ci-dessous et qui est, on en conviendra, d’une très grande qualité. Et, puisqu’il faut y revenir, romantisme ? Là aussi, oui, tellement la musique est organique, sans calcul, « fantaisie », c’est-à-dire libre. L’intellect ne bride pas la sensibilité, mais la sensibilité s’est hissée à la grande intelligence, et à la pensée.
© André Hirt
La IX° symphonie de Bruckner par Stanislaw Skrowaczewski :Le coffret
en l’honneur
du 90° anniversaire :