« À imaginer pétrifiés les premiers spectateurs, il ne faudrait pas croire la scène taillée dans un silence de marbre. L’image n’est jamais allée sans le son.
Le tonnerre, cette crue de lumière, est aussi un vacarme. Une machine le déclenche, une plaque de cuivre ou un châssis tendu de peau d’âne que les poings martèlent à l’instant fatal. Mais il y en a d’autres qui servent à simuler les phénomènes naturels pour que le spectateur entende siffler le vent, l’ouragan, la pluie, la grêle, voie par l’ouïe les débordements de la nature. Dans les coulisses, des ustensiles y pourvoient, des engrenages, des cylindres cloutés comme des presses d’imprimerie ou des boîtes de carton bourrées de pois secs choisis bien ronds.
Les bruitages comportent un double bénéfice. Ils sont une ombre supplémentaire qui voile l’opérateur car ils distraient l’attention de ses manipulations. Ils sont aussi un moyen de façonner la sensibilité du spectateur. Pour le faire aller du gel au feu, il n’y a rien de tel que de lui toucher l’oreille, remarque Robertson. Par le son, voici atteints les nerfs de l’homme ou de la femme venu au spectacle surnaturel, l’organisme insensiblement transformé en planche d’anatomie, en figure de supplice. Avec son consentement, on en retire l’écorché.
J’ai observé que la monotonie du son était favorable aux illusions de la fantasmagorie. Le bruit uniforme endort, pour ainsi dire, la pensée : toutes les idées semblent rappelées à un seul et même objet, à une seule et même impression.
Qu’il provoque soit l’assoupissement soit le guet, le son crée cette focalisation, ce terrain favorable à l’effet des images. D’où la prédilection du fantasmagore pour les instruments de musique à corde, la célestine, la trompe, l’harmonica surtout qui prépare « non seulement les esprits, mais les sens même à des impressions étranges par une mélodie si douce qu’elle irrite quelquefois très énergiquement le système nerveux. »
Quant à l’autre accessoire indispensable, le gong ou le tamtam chinois qui troue l’espace, qu’on use avec réserve de cet instrument au bruit éclatant et terrible, et seulement dans les moments importants. Un objet quelconque, la tête de Méduse, par exemple, qui aura l’air de venir de loin pour se jeter sur le public, produira plus d’effet si cet instrument est frappé violemment au moment où cette tête aura acquis son plus grand grossissement. »
Jérôme Prieur, Lanterne magique. Avant le cinéma, Éditions Fario, 2021, pp. 153-154.
Contribution d’Olivier Koettlitz