Deux réflexions sur le SILENCE
(2)* Le silence, ses formes, et la musique
Dans un livre étonnant, vraiment, mêlant avec science et tact moments d’étude concernant Hölderlin, ses poèmes comme sa propre mythologie, dont surtout et même essentiellement la construction de la figure de Diotima, de son nom profane Suzette Gontard, la mère mariée dont le poète était follement amoureux alors qu’il était précepteur de ses enfants, et considérations musicales très détaillées, qui furent celles de Luigi Nono en écrivant l’extraordinaire pièce pour quatuor à cordes créée en 1980 par le quatuor LaSalle (pourquoi d’ailleurs un quatuor, si ce n’est en référence à Beethoven et au quatuor op. 132 ?), Laurent Feneyrou ouvre un très large horizon de pensée pour lequel on ne peut que le remercier. Et on se prend à rêver que d’autres livres de ce genre puissent exister et être offerts… C’est pourquoi on doit également remercier les éditions Contrechamps d’avoir eu non seulement le courage mais aussi la classe d’avoir accordé l’existence à cet ouvrage par les temps qui courent, pour lesquels autant Hölderlin que Luigi Nono, sans même parler du genre quatuor à cordes, n’existent tout simplement pas et n’entrent même plus en compte. C’est pourtant dans ce type d’ouvrage que résonne, fût-ce en contrepoint, dans un hors-champ insistant, notre époque. C’est en eux qu’on peut réfléchir et penser ce qu’il y a à penser. En somme, le contraire absolu, comme un absolu, du bavardage.
Certainement, chaque lecteur opérera son propre parcours, compte tenu de son savoir et de ses moyens, dans ce livre, de surcroît fort précieux s’agissant des analyses et même seulement des informations qu’il recèle autant concernant l’œuvre de Hölderlin que celle de Nono, la poésie, la philosophie en raison de ses réflexions sur la forme, le silence, et bien évidemment la musique. Mais personne ne peut quitter cet ouvrage sans aller écouter l’œuvre de Nono, disponible dans bon nombre de versions et d’interprétations à commencer par celle du quatuor LaSalle, et sans chercher à lire et à relire les extraits et fragments de Hölderlin qui s’y trouvent évoqués.
Voici comment Luigi Nono présente ses Fragmente-Stille, an Diotima. À elles seules, ces notations concentrent tous les commentaires qu’on peut faire de l’œuvre. Il les présente comme des indications et des principes à suivre impérativement aux LaSalle qui va assurer leur création :
« Les fragments, tous extraits de poèmes de Friedrich Hölderlin, inscrits dans cette partition :
ne doivent en aucun cas être dits pendant l’exécution ;
ne sont en aucun cas une indication naturaliste, programmatique, pour l’exécution ;
mais de multiples instants, pensées, silences, « chants », d’autres espaces, d’autres cieux,
pour redécouvrir autrement le possible ne pas
« dire adieu à l’espoir ».
Les interprètes les « chantent » intérieurement
dans leur autonomie,
dans l’autonomie des sons en quête d’une « harmonie »
délicate de la vie intérieure ».
Un poème, un grand et beau poème, n’est-ce pas ?
Comment le simple amateur de musique, et des poèmes de Hölderlin, de sa pensée aussi, de son aura, de sa polyphonie ainsi produite en contrepoint, devinée en tout cas, avec la musique (on avoue avoir toujours entendu les quatuors et quelques morceaux des sonates de Beethoven à même la lecture de ses textes, en un mouvement en quelque sorte inverse de celui que propose ici Luigi Nono…), peut-il recevoir, rendre écoutable – ne le nions pas avec superbe, ça n’est guère évident – et finalement entendre cette musique de Luigi Nono, passionnante, consacrée à l’amoureux adressant ses poèmes à Diotima, le nom donné à Suzette Gontard et qui apparaît également, en même temps, dans le roman Hypérion ? On l’ignore. Ce dont on se doute, en revanche, c’est que l’œuvre produit une stupéfaction, un arrêt, un silence, et précisément par ses silences mêmes, si expressifs, si chargés, si intenses et stridentes comme des comètes. Dans les faits, ils sont comparables à des phrases, celles de Kafka par exemple, qui vous traversent. Qu’est-ce qui en un éclair parvient au plus profond de soi qu’un mot ou qu’une phrase vraie, de poète, ou qu’un silence, de musicien ?
Le silence. Donc le silence. Et pourquoi ? C’est en effet toute la question autour de laquelle le langage s’efforce d’entendre ce qui y résonne et de lui répondre. Le plus remarquable, c’est que Luigi Nono n’illustre rien ni ne « met en musique » – Dieu soit loué ! – la poésie et les fragments qui sont choisis et extraits, mais les « traduit du silence » après les avoir fréquentés et fait l’expérience des silences autour desquels ils furent eux-mêmes élaborés, dans l’expérience amoureuse, celle de la détresse aussi, de l’impossibilité d’une amour public, celle de la mort de l’aimée et du sentiment même de l’abandon. Au-delà de cet ensemble d’expériences subjectives, aussi extrêmes qu’elles aient pu être dans la profondeur du sentiment et de la pensée, c’est du langage et de la musique qu’il est sans cesse question, c’est-à-dire du silence dont ils forment chacun une mesure, autour duquel ils tournent et duquel en réalité ils proviennent. Ce qui signifie que c’est le silence qui constitue et demeure, au-delà de toutes les apparences et de toutes les formes d’oubli, la clef, peut-être introuvable mais d’une réalité non moins certaine, de leur raison d’être et certainement davantage encore de leur sens.
Mais ça n’est pas uniquement le silence en soi qui fait l’objet de l’œuvre de Luigi Nono, ce sont les silences qu’on a évoqués, qui forment le tissu obscur des expériences, ce sont aussi les fragments explicitement sonores, la plupart fort brefs, qui enveloppent les fragments poétiques de Hölderlin. Ils sont enveloppés en effet, non-dits et pour cette raison même exprimés (Luigi Nono insiste, avec radicalité : ils doivent être incorporés, pensés !) L’ambition du musicien est, on le note, extrême, puisqu’elle tente de dénoyauter les mots, les syntagmes et les vers du poète pour les faire résonner. Dans ces silences ont lieu leurs explosions. Qu’elles soient sonores ou à la limite du silence n'est pas la question, seulement le cas.
Comment écouter cette œuvre, en effet ? Par le disque, essentiellement. Le phonographe, dans « la forme du disque », on a envie de dire le phonophane, ce qui fait apparaître le son, le sigéphane, ce qui fait entendre le silence... Ce qui est certain, et on rendra grâce au disque, c’est que l’on peut écouter l’œuvre de Nono comme un poème, c’est-à-dire qu’il est possible de le relire et de le creuser puisque, en cela, la musique, par le disque, s’approche comme jamais du poème écrit. Le disque n’est à cet égard pas seulement un enregistrement (ce qu’il est par ailleurs, immédiatement), mais il est la forme réflexive de l’écoute, son approfondissement pour dire son oreille la plus attentive. Et c’est dans la répétition de l’écoute que l’œuvre et ce qu’elle exprime se dévoilent. Ce ne sont pas les notes et les phrases musicales que l’on peut réentendre à volonté, mais des différences, des degrés d’attention, des épaisseurs d’écoutes. Entre ces dernières, la musique se fraie son chemin, elle parle et discourt, elle fait entendre des silences et des interrogations.
Les silences ... Les moments de césure dans l’existence existent au gré des événements qui arrivent à chacun, et même s’ils sont vécus collectivement, lors d’une catastrophe par exemple, ils appartiennent à l’incommunicable. C’est à cette condition et dans cette mesure qu’ils se mettent au travail, qu’ils acquièrent des formes et nous transforment parce qu’ils habitent nos moindres paroles. Ils deviennent des formes du silence qu’on appelle expression. Car dans l’absolu, cet incommunicable de la césure communique néanmoins un langage, une pure expression, qui seule mérite d’être dite parce qu’elle est la seule à se dire réellement et vraiment au creux de son silence. C’est en effet à une œuvre, un poème, une composition, une peinture peut-être aussi, mais à des conditions qui sont celles d’un contournement de la représentation immédiate, qu’il appartient d’exprimer cette expression et de prononcer ce langage qui n’est jamais venu à la moindre parole. Et c’est pourtant comme parole césurée que l’expression apparaît dans l’œuvre. C’est du lointain qu’elle parvient à l’oreille.
Le silence est un des noms de ce que la philosophie de Heidegger nomme de façon innommable « l’être ». Non pas la substance, ni l’essence, ni le fondement, mais précisément ce qui se trouve derrière en (n’) étant pourtant « rien », ce qui ouvre, en se fermant ou s’évanouissant, derrière tout étant parce qu’il aura été défoncé. C’est ce bruit de l’être, ce klingen, ce Klang, ces résonances qu’on peut appeler silence(s), et qui sont faits de crissements et de grincements, de raclements et de frottements, de couinements et chuchotements (des fragments de Kafka sont, entre autres également présupposés par Luigi Nono), de soupirs et de hurlements… En d’autres termes, ce silence s’exprime sans intention bien qu’il soit nécessairement reçu comme adressé au moment d’un événement ou d’une interruption lorsque ce qui arrive comme ce qui est et ce qui cherche à le rapporter dans le langage ne coïncident pas. Cette interruption ou cette césure-là déjouent le mythe selon lequel la parole est en mesure de rejoindre l’origine en épuisant le contenu de ce qui est comme de ce qui a lieu. L’interruption de la césure forme précisément l’espace s’ouvrant ainsi de l’œuvre d’art. Et celle-ci se tient au plus près, se surprenant à pratiquer une mimèsis singulière, de ce que l’existence dans ses moments de fracture et d’ouverture à elle-même, à sa propre défondation, délivre, c’est-à-dire exprime et donc envoie dans un langage qu’à la fois elle découvre comme ne le connaissant pas et que néanmoins elle se met, avec stupéfaction, à formuler.
L’origine ? (Comme on parle de « l’origine de l’œuvre d’art »…). Car l’origine ne désigne aucunement un lieu, pas davantage un moment qui la ferait se confondre avec un commencement. En même temps qu’un jaillissement, qui se manifeste de façon répétée à toutes les étapes de la création, également de l’existence, l’origine est un élan et une énergie, une poussée et une percée. Même, et parfois surtout, un moment d’angoisse est une brèche qui s’ouvre sous la poussée de l’origine, autrement dit de ce qui vient de se révéler dans le sanglot d’un chagrin intense, ou bien à la suite d’un deuil, au creux d’un amour qui aura fendu l’existence en deux périodes asymétriques.
Car l’origine s’étend autant vers le passé que vers le futur. Ainsi, dans un amour d’une nature exceptionnelle, comme celui de Hölderlin pour Suzette Gontard-Diotima, le point de naissance du sentiment, la profondeur de l’affect étant d’une violence telle (l’intensité est chauffée tellement à blanc, comme une couleur peut être portée à son sommet par un peintre) qu’il ne cesse de se rappeler avec fracas, qu’il ne cesse de faire retour de façon obsessionnelle, qu’il ne cesse d’annoncer sa survenue en écoutant ses signes annonciateurs, qu’il entend de partout, depuis tous les étages du temps et en chaque lieu le contenu de l’amour résonner, sonner et cogner. À ces expériences s’ajoute cette oreille tendue vers, on a envie de dire dans, la mort, elle-même conçue comme un espace qui sonne et résonne depuis le vide d’une citerne, en tout cas depuis l’espace d’en bas, de quelque coulisse, si cela peut se concevoir, du monde tel qu’il apparaît aux vivants.
Parvenir à se tenir ainsi au bord de l’expression, sur sa limite comme à sa naissance même si c’est là aussi possible et concevable, c’est le propre de la tenue du grand artiste, à la limite en effet, celle de l’expression de l’expression, comme s’il s’agissait, mais c’est bien cela, d’un soupir, d’une expiration, d’une mort pour vivre dans un mouvement comparable à celui de notre respiration à chaque instant lorsqu’il faut reprendre, recommencer ou reprendre son élan. On croirait une répétition du mouvement de l’existence elle-même, lorsqu’on souligne l’expulsion, le projet ou l’envoi en quoi consiste, en sa différence constituante, notre être. Cette limite en tout cas nécessite la saisie de la brièveté, la captation de ce qui, là, à cet instant, s’expulse, se soupire, se détend au sein de sa tension, cherche néanmoins à se formuler mais s’effondre au bord de la forme. C’est alors un langage inchoatif qui explose et se tait dans sa naissance même. L’origine a lieu dans sa distanciation sans retour, cela pour amener à la conscience que l’expression est en excès sur elle-même et ne peut s’emporter, encore moins s’épuiser dans une forme aboutie. À la fin des fins, l’expression n’est jamais que ce fil ténu qui s’est déjà brisé. Elle est cette brisure, avec au cœur d’elle-même sa différence, sa profération et son retrait. Et c’est alors cela que Luigi Nono est parvenu lui-même à faire s’exprimer, dans une œuvre, cette expression de l’existence en dépliant la palette de ses tonalités.
On n’est jamais suffisamment attentif à ce que recèlent les très grandes œuvres. Leur signification apparente ou plus ou moins explicite voile leur sens. On veut dire ce qui les traverse, ce qui les porte jusqu’au-delà d’elles-mêmes. Ainsi, Luigi Nono avait noté, indiqué et recommandé ceci dans une lettre aux LaSalle : « Les sons aussi beaux aussi fascinants aussi pleins d’attrait que vous le pouvez – bien sûr la qualité du son change, mais aussi beaux qu’étranges font apparaître un amour – Hölderlin – Diotima. Diotima vient d’avant, du Banquet de Platon. » D’avant, pour ce qui arrive ! Car Diotima annonce, elle est elle-même un daimon, c’est-à-dire un intermédiaire manifeste entre le mortel et le divin. Son nom recèle ce que Robert Musil, qui inspire ici Luigi Nono (et n’oublions jamais, ça n’est que très rarement souligné, que Diotima est un personnage central de L’Homme sans qualités !) appelle « le sens du possible ». Insistons ici davantage sur « sens » que sur « possible », car c’est le sens qui indique, certes, mais qui, plus est, porte le contenu de ce qui va se révéler, à savoir la beauté, le chemin de vie, à travers l’eros, cet autre nom du sens, le revers de l’existence présente qui, jusque-là, rendait un tel déplacement inconcevable. Et le plus étonnant, et aussi le plus important est alors la superposition du sens, du possible et du silence. L’amour est silencieux à cet égard, ne serait-ce que parce qu’il modifie le régime courant du langage. Et en rester aux formules toutes faites, du reste si difficiles à prononcer parce qu’elles se révèlent inadéquates (« je t’aime », essentiellement, quasiment imprononçable, et surtout incompréhensible pour soi-même, une simple formule, « faute de mieux »…), c’est ne pas aimer. L’amour est inversement en exigence d’un silence très singulier dont la musique est l’équivalent. Et qu’est-ce que le silence, au fond ? L’absence d’intermédiaire entre moi et les choses, entre moi et autrui comme entre moi et moi. Le daimon, ou l’intermédiaire érotique, n’a de statut et de valeur que de ne pas en être un, comme le langage, qui inversement produit un écran devant celle ou celui à qui on s’adresse. La musique, on le sait bien, ne procède pas comme ce langage-là. Et lorsque dans le Banquet de Platon, il est dit que l’amour produit de « beaux discours », ça n’est pas le langage courant, précisément, qui est parlé, mais il s’agit d’un « tout autre langage » (la formule est de Platon autour de laquelle il tourne sans cesse, en particulier dans sa Lettre VII), celui en l’occurrence de la philosophie (la philosophie qui n’a pas vraiment de nom !), qui est eros, comme le rappelle souvent Socrate. Et, pour preuve si l’on veut, voici ce qu’écrit Suzette Gontard : « Plus on a à se dire, moins on peut le dire, c’est cela que je sens à nouveau et je me dis : “Silence, ce n’est pas cela” » (in Hölderlin, Œuvres, La Pléiade, p. 1082).
On ne négligera pas, concernant ce point, qu’il convient d’ajouter un autre terme à la série nominale dont « sens » et eros sont les premiers maillons. Il faut prononcer du bout des lèvres, parce que le terme n’est pas adéquat, il est même la démonstration de cette inadéquation, le mot de « folie », celle que l’on évoque à propos des poèmes de la dernière période de Hölderlin. Il s’agit, dit-on, de l’échec de l’échange verbal, de la disparition de toute forme d’intermédiaire, de la destruction de la réciprocité langagière, alors qu’il est question, au sens propre, physique d’abord, d’un retrait, d’un simple retrait, d’un pas en arrière, dans l’ombre, dans le hors-champ du langage en circulation et par conséquent de la fréquentation humaine.
Laurent Feneyrou, à travers sa riche et précieuse documentation, désire, on le croit, désigner cela. Il rappelle la phrase de Jakobson à propos de ce dernier poème de Hölderlin, intitulé Die Aussicht (la vue, au sens d’un regard sur, d’une perspective) que « sa [celle du poète] compétence dialogique est anéantie ». Le poète serait dans la monologie et cette monologie serait telle qu’elle se passerait du langage. Laurent Feneyrou cite à ce propos ce passage de Hypérion, comme une anticipation de la monologie, mais, ajouterons-nous, de la « folie » : « Le langage est chose superflue. Le meilleur reste toujours pour soi et repose dans sa profondeur comme une perle au fond de la mer ». Et cette dernière formule, qu’on se permet de souligner, im Grunde des Meers, constitue la toute dernière « citation » des Fragmente-Stille.
Dans le propos de l’auteur de l’ouvrage, le point central paraît être cette remarque que Hölderlin, et Jean Laplanche dans sa thèse Hölderlin et la question du père, l’avait déjà relevé, parle de loin, et nous ne savons plus vraiment d’où. « Nous », oui, parce que nous parlons dans un cercle que le poète a franchi en résidant désormais dans un tout autre régime de langage et de parole, celui du poème, celui du « silence », qui, négativement défini, est le milieu d’expression qui s’est soustrait à la communication ordinaire, celui de la musique à vrai dire qui en constitue le régime de fond, la basse continue. Cet ensemble de termes, sens-eros-silence-musique, constitue le « chant » et ce sont ses termes que Luigi Nono veut « entendre » dans la musique, non comme son illustration, on espère l’avoir assez fait comprendre, mais comme son envoi expressif. Le chant est ce silence qui sous-tend et même tend la parole. Il est lui-même déjà « dialogue » avec les autres comme avec les choses, avant toute parole, il est l’Innigkeit (ce grand mot de Hölderlin-Rilke-Heidegger qui ne désigne pas seulement l’intériorité la plus profonde, mais le rassemblement harmonieux, bien rythmé et mis en forme de toute chose en soi, leur reconnaissance réciproque et la tendresse qui les unit dans leurs différences) le faire-monde tel que la pensée et le chant en forment le recueil. Luigi Nono se réfère en effet au quatuor op 132, au « chant de reconnaissance d’un convalescent », comme l’indique Beethoven, et aussi au 3ème mouvement de la sonate pour piano op. 109 : Gesangvoll, mit innigster Empfindung.
Le 10 novembre 1980, Luigi Nono écrit aux LaSalle : « Ici : silence [Stille] : pas seulement là où il y a des silences (Pausen], mais bien plutôt là où quelque chose sonne ». Si on n’en a jamais pris conscience dans son existence, à l’occasion de cette œuvre de Luigi Nono, on a compris, définitivement, en passant de la connaissance au savoir, d’une information à une dimension incorporée, que la musique est la condition rigoureuse de la parole, que l’amusicalité, essentiellement contemporaine, même chez de prétendus poètes qui luttent dans le langage contre le langage, qui butent et piétinent, tient, par un écart pris par rapport à celui-ci et par sa mise en abyme, à la mise au premier plan de la musique qui tapisse le langage qui, en effet, ne se soutient en vérité que de ce dont il est l’expression.
© André Hirt
Laurent Feneyrou, Luigi Nono, Fragmente-Stille, an Diotima, Contrechamps Poche, 2021, 280 p., 15€
*Première partie de cette réflexion sur le silence
Le quatuor LaSalle joue Fragmente-Stille, an Diotima de Luigi Nono.
L’écoute se fait en deux parties :
A
B
Laurent Feneyrou, Luigi Nono, Fragmente-Stille, an Diotima, Contrechamps Poche, 2021.