Kékszakállu ? J’y ai d’abord vu un mot forgé à la manière de Raymond Queneau avec le célèbre Doukipudonktan qui ouvre en fanfare Zazie dans le métro. Erreur, comme je m’en suis vite aperçue en parcourant ce dernier opus de Valérie Rouzeau. C'est un mot hongrois qui signifie Barbe-Bleue, allusion au titre de l'opéra de Béla Bartok, Le Château de Barbe-Bleue, A Kékszakállú, Herceg Vara (kek, bleu, zakall, barbe, herceg, duc et vara, château), qui fait l'objet d'un court poème dans ce recueil.
Kékszakállu ? : vingt-deux poèmes seulement, vingt-deux instants-instantanés comme autant de coupes, au sens où on parle de coupe en biologie, coupe histologique, coupe de tissus, coupe dans l’instant présent, dans l’épaisseur de l’instant présent et surtout de tout ce qui l’habite, filtré par un cerveau humain. Et peu importe que ce soit celui de Valérie Rouzeau : elle dissèque l’instant d’une façon telle que bien que les allusions soient strictement liées à sa culture, à son histoire, à sa sensibilité, à sa façon d’appréhender le monde, à ses goûts et tropismes, chacun peut s’y reconnaître. Parce que précisément sa poésie rend compte de cet amalgame inouï que sont nos instants, amalgame dont tout nous a dressés à nous méfier, pour en extraire une dominante claire et affirmée au détriment de tout le non-dit des sensations, des impressions et associations subliminales. En ce sens et en ce sens seulement sans doute, Valérie Rouzeau évoque certains aspects de Nathalie Sarraute mettant au jour tout ce qui se passe réellement dans l’esprit et le corps de chacun des deux protagonistes d’un dialogue.
Tout l’art de Valérie Rouzeau est de trouver une traduction de cet amalgame, de transcrire par le frottement des mots et surtout par une sorte de rythme battant souvent saccade la complexité des perceptions entées sur la mémoire, le vécu individuel, l’inconscient.
Ce recueil traduit ainsi l’extraordinaire « oreille » de Valérie Rouzeau. Pas uniquement au travers des allusions très nombreuses à la musique qui l’émaillent mais par tout ce qu’elle entend et donne à entendre de et dans la cacophonie du monde intérieur et extérieur de chacun. C’est magistral.
Valérie Rouzeau, Kékszakállú, Valérie Rouzeau et les Faunes, 2004
Rédigé par : padiou | vendredi 08 avril 2005 à 12h55
Rédigé par : padiou h | jeudi 07 avril 2005 à 16h00
Rédigé par : florian MOR | vendredi 01 avril 2005 à 21h13
Rédigé par : florian MOR | vendredi 01 avril 2005 à 21h08