« Neuf, étant le dernier de la série des chiffres, annonce à la fois une fin et un recommencement »*
Comment ne pas chercher quelle signification peut revêtir aux yeux de Jacques Ancet ce chiffre neuf, lorsque l’on découvre que le présent recueil comporte 108 neuvains en ennéasyllabes (vers de 9 syllabes). On peut aller plus loin encore : le livre est composé en fait de deux textes, deux thrènes (lamentations poétiques) : le premier, intitulé On cherche quelqu’un a été écrit à la mémoire du grand poète espagnol José Ángel Valente, mort le 18 juillet 2000 et dont Jacques Ancet est le traducteur en français. Il compte 27 poèmes. Le second, qui donne son titre au livre, rassemble neuf séries de neuf neuvains en ennéasyllabes et a été écrit du 18 octobre 2000 au 27 juin 2001 en mémoire de Louis Ancet, le père de l’auteur.
Par delà cette savante et complexe arithmétique, ce qu’il faut souligner par dessus tout c’est la beauté bouleversante de cette poésie qui scrute et interroge le mystère de l’absence de l’autre, aimé et mort. Qui fouille inlassablement, à la limite de l’obsession, la question de la trace, la trace mnésique et ses mystères, la trace laissée dans le monde par celui qui a disparu, « la mémoire de l’oubli » : […] une porte/s’ouvre sur d’étranges mécaniques,/une autre se ferme sur son ombre/On cherche ses doigts pour la pousser ».
Ce texte vient ainsi rejoindre les poèmes de deuil d’un Michel Deguy (A ce qui n’en finit pas), d’un Jacques Roubaud (Quelque chose noir), d’une Valérie Rouzeau (Pas revoir) et sans doute de bien d’autres tels Valente lui-même hanté jusqu’à la fin par le fantôme d’Antonio, son fils…. comme autant de fragiles stèles de mots dressées au bord de l’abîme de la mort.
« Voilà vingt-sept ans que je mets mes mots dans les tiens », disait Jacques Ancet lorsqu’il préfaçait le dernier livre de Valente Fragments d’un livre futur, préface dans laquelle il évoquait la tentative du poète de laisser une trace de cette « buée évaporée qu’est toute vie ». Avec son livre La Dernière phrase Jacques Ancet tente à son tour de saisir l’indicible, l’insaisissable, « l’infime vertige » dans le jour. « On appelle/, mais sans la bouche, d’un petit coin/quelque part entre mémoire et corps ».
Oui, neuf exprime aussi « l’achèvement d’une course, la fermeture d’une boucle »*
Jacques Ancet, La dernière phrase, Editions Lettres Vives 2004, Terre de Poésie.
*Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins, édition revue et augmentée de 1982, p. 665.
Rédigé par : Yves Thomas | lundi 13 décembre 2004 à 16h44