C’est un bel ensemble, très cohérent, que vient de proposer l’éditrice Laurence Teper autour de Hölderlin. Deux contributions originales à la connaissance du grand poète allemand. Un double texte de Michèle Desbordes d’une part, Dans le temps qu’il marchait et les Poèmes fluviaux d’autre part.
Michèle Desbordes construit une sorte de rêverie autour de Hölderlin comme elle a su en construire de si belles autour de Léonard de Vinci ou bien encore autour de Camille Claudel. Elle donne le sentiment d’avoir accueilli le poète dans son for intérieur et d’être entrée dans l’intime de son esprit, de son cœur. Elle retrace ce voyage qu’Hölderlin accomplit de mai à juillet 1802 de Bordeaux à Nürtingen, alors que la femme qu’il aimait venait de mourir. « Quelques jours après avoir écrit à sa mère de ses bonnes nouvelles, il quittait Bordeaux où il venait de passer cinq mois […] Quand il arriva à Nürtingen, il n’était plus le même au point qu’elle confia que son fils était devenu fou ». C’est sur l’énigme de ce voyage que Michèle Desbordes a composé un court texte en prose, collection de fragments qui ébauchent un portrait de Hölderlin. Mais le texte le plus impressionnant, le plus beau, le plus fort est le long poème en neuf séquences qu’elle a élaboré autour de ce voyage-errance, évocation scandée par la récurrence de l’étrange et belle expression « tout ce qu’il y avait », expression qui revient comme un leit-motiv : « marchant tout ce qu’il y avait de bleu dans le ciel », « marchant tout ce qu’il y avait d’herbes, de craies et de collines », « marchant tout ce qu’il y avait de matin », comme si ce « marchant » et ce « tout ce qu’il y avait » faisaient entrer le lecteur dans le mouvement même de la marche, dans cette sorte d’interrogation-épuisement du réel par le poète sidéré par la perte, l’absence, le deuil qui emportent une raison déjà fragile, « et depuis quand allait-on sur les routes, sur les chemins ». Marchant, revenant vers le Nord parce « Qu’elle Diotima mourût ne pût que mourir/Dans le temps qu’il marchait dans les jardins à travers prés à travers champs jusqu’à certaines nuits marcher dans sa tête ne plus pouvoir s’empêcher… ». Le poème épouse l’errance de l’âme, épouse l’errance du marcheur, se fait errance et en même temps chemin, chemin du retour, chemin vers le renoncement, chemin vers la tour sur le Neckar, la chambre chez le menuisier Zimmer qu’il ne quittera plus désormais. « Plus rien à chercher plus rien à marcher/ni étoiles ni bleu d’été/ni fleuve dans la lumière ».
Fleuve, justement, voilà le thème qui a soudain semblé au jeune poète et traducteur Nicolas Waquet tellement emblématique de la poésie d’Hölderlin qu’il eut cette idée de rassembler tous les poèmes de l’œuvre qui ont trait au fleuve : « les fleuves [qui ont]accompagné le poète toute sa vie : le Rhin, dans son enfance qui l’éveilla au sacré » mais aussi le Main qui vit le développement de son amour pour Suzanne Gontard, la Garonne auprès de laquelle son esprit commença à chanceler et le Neckar au bord duquel il passa les quarante dernières années de sa vie : « La vie de Hölderlin, sa quête spirituelle et surtout son cheminement poétique prirent alors sens à mes yeux dans la figure du fleuve ». Nicolas Waquet propose ici une nouvelle traduction de ces textes qu’il accompagne d’une postface, qui est en fait un véritable essai dans lequel il explore cette thématique du fleuve chez Hölderlin, en montre les sources notamment chez Sophocle, Tibulle, Hésiode, Virgile, « car ces textes dialoguent constamment avec l’Antiquité, à partir de laquelle ils s’élèvent vers le lyrisme moderne » et en analyse les grands courants.
Je conseille vivement la lecture d’un bel article de Ronald Klapka sur remue.net où l’on retrouve Hölderlin, Nicolas Waquet, Michèle Desbordes et un très beau poème de Heather Dohollau sur le poète dans sa tour.
©Florence Trocmé
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