Très souvent déjà, sur le site zazieweb.fr, j’ai eu l’occasion de dire à quel point j’admirais le concept qui a présidé à la naissance de cette collection anthologique chez l’éditeur Jean Michel Place. Zéno Bianu, directeur de la collection poésie a eu en effet l’idée très forte de demander systématiquement à un poète d’écrire sur un autre poète. Tout l’art, on s’en doute, repose sur le choix des couples ainsi formés. Impossible de les citer tous ici, il y en a déjà plus de vingt, mais j’attirerai l’attention par exemple sur l’André du Bouchet d’Antoine Emaz, Le Roberto Juarroz de Michel Camus, le Gherasim Luca d’André Velter, le Sylvia Plath de Valérie Rouzeau ou encore le Marina Tsvétaïeva de Lindé Lè.
Très beau « couple » aussi que celui formé ici par Franck Venaille et Pierre Jean Jouve.
Pierre Jean Jouve l’Homme
grave, titre Franck Venaille avant de dresser un portrait fouillé, prenant,
impressionnant de l’homme et de l’écrivain Jouve « cet esprit lucide et
exigeant » qui fut pour lui une « fréquentation ahurissante »
alors même que de nombreux points, et notamment les opinions politiques
conservatrices de Jouve (et son amitié pour De Gaulle) le séparent de lui. Et
de s’interroger en toute lucidité sur ses « rencontres avec Jouve, cette
sorte de convive de pierre parfois inhumain ».
Loin des anecdotes, à l’écart même du biographique traité
simplement en fin de volume, Venaille explore une à une quelques dimensions
fondamentales de Jouve, par exemple le reniement en 1928 par le poète de toute
son œuvre antérieure « c’est en revendiquant le droit (le devoir plutôt)
de souffrance que Jouve, dès lors, existe. Les maîtres mots sont alors Rejet,
Reniement, Rupture, Sacrifice auxquels très vite vont se joindre selon la
formule qui deviendra célèbre « Inconscient, spiritualité,
catastrophe ». L’œuvre est alors entièrement entrée dans sa vraie
dimension : « Avec Les noces, Sueur de sang, puis Matière
céleste, Jouve, devenu l’autre Jouve, celui de l’aventure intérieure, de la
blessure exposée, celui également qui a su faire remonter à la surface sa
tendance obscène et mettre en valeur l’instinct, accepte de recevoir l’inconscient
dans son œuvre ». Venaille explore aussi les rapports, ô combien
importants, de Jouve avec la musique (Jouve qui écrivit si magistralement sur
le Don Giovanni de Mozart ou sur Wozzeck). Et se livre enfin à une exploration
tout à fait passionnante de la langue de Jouve. En quarante petites pages, ce
texte est une superbe introduction à l’œuvre de Jouve et prélude parfaitement
aux choix opérés dans l’œuvre poétique par Venaille. Le livre est illustré de
photos de Jouve lui-même, prises notamment dans cette Engadine qui lui fut si
importante et complété par une biographie et une bibliographie.
« Oui, Jouve ne fait qu’écrire cela, l’histoire d’un
long conflit entre deux forces dominatrices : la mort et le sexe. " Je
vois se détacher sur un fond sanglant mes deux grands besoins : c’est
aimer et mourir " »
©Florence
Trocmé
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