« Des récits subjectifs, à mille lieux de la biographie traditionnelle » c’est ce que stipule le « cahier des charges » de la collection l’Un et l’autre dirigée par Jean-Bertrand Pontalis. Impératif non catégorique mais respecté de façon magistrale cependant par Guy Goffette dans ce beau récit qu’il consacre à Wystan Auden, emmêlant leurs deux vies ou plutôt tissant sa vie à celle du poète anglais dont longtemps il ne sut rien, rien sauf un poème, su par cœur et fondateur.
Un récit en neuf étapes, neuf stations (le chiffre neuf semble important puisqu’il ouvre à l’intérieur de la section La chute d’Icare, le chapitre où le fameux poème emblématique est enfin donné, quelque quatre-vingt-sept pages après le début du récit). Où il est question d’abord de la baleine du titre, baleine fantasmée, illusion d’optique suscitée par une carte postale. Pas n’importe quelle carte postale, qu’on en juge : reproduisant une photo de Richard Avedon, elle représente Wystan Auden et a été envoyée à Guy Goffette par la grande poète américaine Marilyn Hacker « l’effet de ce cadeau sur moi, elle ne pouvait pas l’imaginer, elle qui avait rencontré le modèle de son vivant » alors que lui, Guy Goffette avait oublié presque jusqu’au nom d’Auden « cet inconnu au nom de fabrique et de mélancolie » qu’il avait « laissé peu à peu s’endormir dans (sa) mémoire à l’ombre du seul poème de lui »…..
Et pas n’importe quel poème qu’on en juge : alors qu’il traverse une « période noire : le cœur à vau-l’eau, la plume cassée », c’est Jacques Borel, qui l’a traduit, qui le choisit pour lui et qui lui envoie. « Longtemps, longtemps, dans les hivers de l’Est, dans le vent, la pluie et les étés pourris, dans les montées et les creux de l’âme (…) j’ai tenu avec ce poème-là pour seul viatique ».
Alors, vingt ans plus tard, en compagnie de la baleine et d’Icare, Guy Goffette dans ce livre part à la rencontre d’Auden, le découvre, reconstruit sa vie et son itinéraire en nous entraînant à sa suite. Il nous raconte son Auden, une vie où très mystérieusement on retrouve une baleine et Icare , comme dans un jeu de miroirs, une vie marquée par une quête spirituelle intense dont Goffette exhume les prémices et montre l’épanouissement et les conséquences.
L’Un et l’Autre ? Oui car ici le lecteur est bien
invité à une double rencontre poétique, celle d’un poète français d’aujourd’hui
(Guy
Goffette est né en 1947) et d’un des plus grands poètes modernes de langue
anglaise (Wystan Auden
est né en 1907).
©florence
trocmé
Guy
Goffette, Auden ou l’œil de la baleine, Gallimard, 2005. ISBN : 2-07-077335-3
Rédigé par : Sabine Bourgois | vendredi 11 mars 2005 à 13h45