Ausculter les titres et les thèmes de l’œuvre d’Annie Le Brun, c’est un bon moyen de se donner quelques clés pour mieux entrer dans sa poésie. Parmi les titres récents Du trop de réalité qui fit un certain bruit ou De l’éperdu ; parmi les principales affinités électives et les thèmes dominants, Sade, Raymond Roussel, Breton, le surréalisme, la « catastrophe yougoslave », Aimé Césaire.
A vif, intolérante absolument à
toute concession, à toute compromission, polémique dès ses débuts dans les
années soixante, Annie Le Brun reste étonnamment inchangée depuis ses premiers
essais poétiques en 1967 jusqu’à ses derniers écrits présentés dans Ombre
pour Ombre et datés de 2003. Le style est bien ici reflet de l’être, qui ne
change pas même si on peut trouver dans les textes les plus anciens certains
éléments qui semblent « dater » un peu….. : vocabulaire d’une
extrême richesse, images explosives nées du rapprochement de réalités, termes
ou idées antagonistes, jamais encore associés, formules abruptes, violence
apparente ou contenue. Accumulations verbales enchâssant des sentences, presque
des aphorismes, parfois sidérants : « nous n’avons rien à perdre mais
tout à égarer » (71) « Il y a
des fesses belles comme l’ombre des pierres sous les pieds brûlants de midi,
furtivement » (57) « les rampements du brouillard ne
contiendraient-ils pas les secrets de l’amour absolu ? » (97) mais
surtout, ma préférée : « qui
a eu seulement l’idée de calculer la vitesse de l’ombre ? » (87).
Ombre pour ombre dressé contre « l’ennui jeté en
chiffons plein de craie [qui] bâillonnait les bouches, ensevelissait les
oreilles » charcute les mots, réveille les sens et les endormis, prend le
lecteur à partie et lui interdit toute faiblesse « si la personne que vous
aimez vous quitte un instant pour le journal, quittez-la pour la vie ».
Les recueils repris ici sont Sur le champ (1967), Les pâles et
fiévreux après-midi des villes (1972) Tout près, les
nomades (1972), Les écureuils de l’orage (1974) Annulaire de lune
(1977).
Je pense qu’il est préférable de lire ces textes peu à peu.
On est ici dans le règne de l’excès, les images sont fortes, c’est une poésie
qu’il faut prendre avec précautions (à moins d’être à la recherche,
principalement, d’expériences déstabilisantes). Lire ainsi, époque par époque,
permet de découvrir les splendides formulations et trouvailles dont cette
poésie est si riche qu’il serait dommage de suivre l’injonction formulée
quelque part par Annie Le Brun « Enfants du siècle, détournez vos
regards ».
©florence trocmé
Appendice
Je reproduis ici la Note sur l’auteur qui figure au
début de Ombre pour Ombre :
Née en 1942, Annie Le Brun a participé aux dernières années
du mouvement surréaliste. Parallèlement aux textes lyriques réunis ici, elle a
publié, entre autres, des essais dont Lâchez tout (1977) contre
l’embrigadement idéologique du néoféminisme, suivi par Les châteaux de la
subversion (1982) à propos du roman noir, puis en introduction à leurs
œuvres complètes Soudain un bloc d’acîme, Sade (1985) et Vingt mille
lieues sous les mots, Raymond Roussel (1994). Concernant la poésie, on se
référera à Appel d’air (1988) et Qui vive (1991) ; signalons
enfin Du trop de réalité
(2000), une analyse critique de ce temps passé maître dans l’art "réduire
les réserves d’irréalité, les poches d’obscurité, les archipels de ténèbres".
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