Il est très fort Guy Goffette ! Pour parler d’Auden, il n’a pas son pareil. Après Auden ou l’œil de la baleine*, c’est un vrai bonheur de le retrouver dans la préface du recueil Auden qui vient de sortir en Poésie/Gallimard (W.H. Auden, Poésies choisies*, c’est le numéro 401 et je pense à cette amie qui me disait rêver de posséder l’intégralité de la collection, rêve que je partage avec elle !). En quelques phrases, Goffette campe le personnage et sa problématique. En une « tourne », on passe de Auden « lutin, farfadet, gai luron » qui « met l’élégie en pièces et faite de la poésie réaliste et clinique » à celui qui au cours d’un voyage en Islande « sur les traces des elfes ses ancêtres » fait l’expérience de sa vie, un massacre de baleines qui soudain lui révèle, chemin de Damas à l’envers en quelque sorte, « la froide férocité de l’espèce humaine », férocité dont il prendra mieux conscience encore l’année suivante dans l’Espagne de 1937 du côté des Brigades internationales, au milieu des Rouges qui s’entre-tuent : « Adieu Marx, adieu slogans, adieux amis : voici venu le temps où le poème ne peut plus rien », démontre en un raccourci saisissant Goffette. Auden quitte alors l’Europe pour les États-Unis, revient à la religion de ses pères et se retrouve le cœur brisé mais « libre et chantant ». Intérêt de la démonstration de Goffette : elle donne les clés de la double orientation de l’œuvre, « la première à gauche toute », la seconde « ironique, métaphysique, pacifiée, virtuose »…. ; ironie aussi de la réception en France d’Auden, considéré longtemps comme un « nain » mais découvert via Quatre mariages et un enterrement, le film où l’on entend un de ses plus beaux poèmes (j'en publie un extrait dans l'almanach du lundi 14 février), adieu de l’amant à l’ami brutalement décédé ! La préface de Goffette est complétée, épaulée par une étude plus classique de Claude Guillot.
Il ne reste plus qu’à plonger dans la poésie d’Auden.
A la suite de Goffette puisque je choisis cet extrait du poème
qui le sauva et qui est au cœur de son récent récit autour d’Auden*.
Dans l’Icare de Bruegel, par exemple : comme
tout se détourne
De la catastrophe sans se presser : le laboureur a pu
entendre
Le floc dans l’eau, le cri de désespoir
Mais pour lui ce n’étais pas un échec important ; le
soleil brillait
Comme il devait sur la blancheur des jambes disparaissant
dans l’eau verte,
Et le coûteux, le délicat navire qui avait dû voir
Quelque chose de stupéfiant, un garçon précipité du ciel,
Avait quelque part où aller et poursuivait tranquillement sa
course. (54)
In
Brueghel's Icarus, for instance: how everything turns away
Quite leisurely from the disaster; the ploughman may
Have heard the splash, the forsaken cry,
But for him it was not an important failure; the sun shone
As it had to on the white legs disappearing into the green
Water; and the expensive delicate ship that must have seen
Something amazing, a boy falling out of the sky,
Had somewhere to get to and sailed calmly on.
©florence trocmé
*Guy Goffette, Auden ou l’œil de la baleine, Gallimard 2005. ISBN 2-07-077335-3
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