Un texte de José Ángel Valente à qui il sera rendu hommage à Paris ce soir.
ODE
À LA SOLITUDE
Ah solitude,
ma vieille, ma seule compagne,
salut.
Ecoute-moi maintenant que
l’amour
comme par noire magie de la main gauche
est tombé de son ciel,
chaque fois plus radieux, pareil à une pluie
d’oiseaux brûlés,
battu jusqu’au brisement, et tous ses os
à la fin furent brisés,
pour une déesse adverse et jaune.
Et toi, ô mon âme,
prends en compte, médite le nombre de fois
que nous avons péché en vain contre personne
et une fois de plus nous fûmes ici jugés,
une fois de plus, ô dieu, sur le banc
de l’infidélité et de l’irrévérence
Ainsi donc, prends en compte,
prends-toi en compte, ô mon âme,
pour qu’un jour tu sois pardonnée,
pendant qu’en cet instant tu écoutes impassible
ou détachée enfin
de ta mortelle misère
la cascade infinie
de la sonate opus
cent vingt-six
de Mozart
qui efface dans une si étrange
suspension des temps
l’image successive de ta faute.
Ah solitude,
solitude mon amie, lave-moi,
comme celui qui naît, dans tes eaux lustrales,
que je puisse te rencontrer,
et, te donnant la main, descendre,
plonger dans cette nuit,
dans cette nuit, à présent,
dans cette nuit septuple du sanglot,
à travers les sept cercles eux-mêmes qui gardent
au cœur de l’air
ton enceinte scellée.
José Ángel Valente, Trois leçons de ténèbres, suivi
de Mandorle et de l’éclat, traduction et présentation de Jacques
Ancet, Poésie/Gallimard n° 321, 1998, p. 121 et 122.
Né à Orense le 25 avril 1929, José Angel Valente a passé son
enfance en Galice avant de se rendre à Madrid où il fit ses études de
philologie romane. Il fut membre du département d'Etudes Hispaniques de
l'Université d'Oxford et en 1958 il se fixa à Genève où il travailla comme
fonctionnaire des Nations Unies jusqu'en 1975. Par la suite il partagea sa vie
entre Genève, Paris et sa maison d'Almeria.
Son oeuvre poétique, couronnée par de nombreux prix dont, récemment, le Prix
Prince des Asturies, en 1988 et le Prix National de Poésie, en 1993, a été
réunie presque en totalité dans Punto cero (" Point zéro
") (1953-1979) et Material memoria (1979-1992) et a été traduite
pour sa plus grande part en français par Jacques
Ancet aux éditions Unes, Corti et Gallimard. Dans Chansons d'au-delà,
il a réuni sa poésie en langue galicienne. De son oeuvre plus proprement
narrative, il faut citer La fin de l'âge d'argent (1973).
Dans son abondante oeuvre d'essayiste, attentive aussi bien à la tradition
hispanique et européenne qu'aux apports les plus significatifs de l'art et de
la pensée contemporaine, il faut citer La pierre et le centre (1982) et Variations
sur l'oiseau et le filet (1991), où se manifeste le plus clairement son
intérêt pour les traditions mystiques aussi bien occidentales que moyennes et
extrêmes orientales.
Il est mort en juillet 2000.
biographie extraite d'une très
belle page consacrée à Valente :
A noter plus particulièrement Fragments d'un livre futur chez
José Corti et deux recueils disponibles en Poésie/Gallimard, Trois leçons de
ténèbres, suivi de Mandorle et de l'Eclat, traduction et
présentation de Jacques Ancet. et Nuit obscure, Cantique Spirituel.
Une fiche sur
Valente sur le site de José Corti :
Une très
belle page de Ronald Klapka sur le site remue.net :
Rédigé par : JC-Milan | mardi 26 avril 2005 à 21h32