“ Certes, / ma génération a rêvé : mais elle a rêvé / mal,
sans savoir qu’elle rêvait, sans la conscience, la culture / et la poésie qui
sont nécessaires au rêve / pour qu’il ne devienne pas cauchemar… ” La poésie de
Gianni D’Elia est placée tout entière sous le signe de la déception et de la
désillusion politiques, deux termes qui confluent en italien dans le mot delusione,
titre du poema, le long poème, qu’il publia en 1991. Soucieux, comme l’était Pasolini,
du dialogue entre la poésie de langue nationale et une création poétique en
dialecte, D’Elia se réclame encore davantage de l’auteur de Théorème
lorsqu’il pratique lui-même une poésie “ civile ”, non pas “ engagée ”, occupée
à transcrire obstinément les heures d’une histoire personnelle et collective,
dans l’espoir, souvent rageur, qu’un lien véritable subsiste, en dehors du
poème, entre ces deux sphères.
Un autre versant de sa production dialogue avec Franco
Fortini bien davantage qu’avec Pasolini : ce sont alors des compositions dont
l’exigence plastique et la ferme scansion évoquent un classicisme que rongerait
encore la courbe baroque. Souvent constitués de trois quatrains riches en
hendécasyllabes et septénaires, ces poèmes conservent, du ton oraculaire
fortinien, une prédisposition à l’allégorie, un âpre travail de la syntaxe,
mais l’amertume n’y est plus prophétique, simplement automnale et méditative,
capable de secrètes résistances et d’imprécations contrôlées. “ Dans le
bruissement des feuilles sèches / on entendait certes l’écho des luttes
passées, / de toutes les beautés escomptées, / l’étreinte juvénile accueillant
/ toutes choses qui furent et ne furent pas… ” C’est l’action, et l’énigme de
son utopie, que D’Elia, dans ces strophes nettes et sourdes, soumet au lent
travail du deuil.
Congé de la vieille Olivetti, paru aux éditions Einaudi en
1996, s’organise autour d’un dialogue - celui du poète et de sa machine à
écrire - qui devient lecture du présent et du passé dans le souvenir de quelques
maîtres (notamment le poète et critique Franco Fortini, auquel on doit d’avoir
inventé, dans les années cinquante, alors qu’il était un des collaborateurs de
la firme Olivetti, le nom Lettera 32 que porte la machine en question). Mais on
peut voir aussi dans Congé un art poétique en forme de bilan existentiel,
historique et générationnel.
Retrouver l’intégralité
de cet article de Bernard Simeone sur le site des éditions Comp’Act où l’on
peut aussi consulter une fiche avec cinq poèmes du recueil (présentation
bilingue).
Gianni D’Elia, Congé de la vieille Olivetti
Édition bilingue (italien - français)
Introduction et
traduction de Bernard Simeone
Poésie
Collection La Polygraphe
ISBN 2-87661-336-0
192 pages, 15 x 21 cm, 21 €
Rédigé par : JC-Milan | vendredi 01 avril 2005 à 23h36