En janvier 2002, commençant tout juste l’aventure de l’anthologie permanente de poésie (sur le site zazieweb.fr), j’écrivais : j'ai été très frappée ce matin par quelques lignes de George Steiner dans son livre Grammaires de la création à propos de Paul Celan. J'ai donc décidé aujourd'hui de consacrer ma contribution à l'almanach poétique à Paul Celan, avec un poème en bilingue et un extrait des pages de Georges Steiner.
PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau dans la terre et
l'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
personne.
C'est pour toi que nous voulons
fleurir
A ta
rencontre.
Un rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la rose de Rien, la
rose de Personne
Avec
la clarté d'âme du pistil
l'âpreté céleste de l'étamine,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.
Paul Celan, in Anthologie bilingue de la poésie allemande,
bBbliothèque de la Pléiade 1993, page 1188.
PSALM
Niemand knetet
uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand bespricht
unsern Staub.
Niemand.
Gelobt seist du,
Niemand.
Dir zulieb wollen
wir blühn.
Dir
entgegen
Ein Nichts
waren wir, sind
wir, werden wir
bleiben, blühend
:
die Nichts-, die
Niemandsrose
Mit
dem Griffel
seelenhell,
dem Staubfaden
himmelswüst,
der Krone rot
vom Purpurwort,
das wir sagen
über, o über
dem Dorn.
"Un poème de Celan est un absolu, bien que lui-même en
soit venu à postuler et à décréter sa réalisation impossible. C'est un absolu
brouillé avec le langage, brouillé avec l'entreprise littéraire ; brouillé avec
les critères et les pratiques dominants de la communication.
Polyglotte — Celan est un traducteur magistral de six ou
sept langues —, le plus novateur et le plus grands des poètes lyriques
allemands après Hölderlin a vécu comme presque insupportable son propre recours
à la langue allemande [...] L'allemand est la langue des bouchers qui
exterminèrent ses parents, la prodigalité humaine du monde dans lequel lui-même
grandit. L'allemand est la langue qui a formulé des obscénités antisémites et
une volonté d'anéantissement sans précédent. [...] Pour Celan, aucun artifice
de purgation, aucun oubli conditionné, ne saurait débarrasser l'allemand du virus
de l'infernal. [...] Comment une poésie, une prose dont la parataxe subtile,
dont la précision radicale confine à la magie, mais dont la source et le
sous-texte durables sont Auschwitz et la condition spectrale du Juif par la
suite, peut-elle orner, enrichir, perpétuer la vie de la langue allemande ?
"
George Steiner, extrait de pages consacrées à l'insoluble
dilemme de Paul Celan, dans Grammaires de la Création,Gallimard 2001,
page 241 et suivantes.
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