Le matin, lorsque je me lève, j’ai la sensation d’avoir été mise sur la terre pour travailler. A quoi ? Je me sers des mots sur la feuille patiente comme le marteau sur le fer et la pioche sur la terre. Je me sers du silence pour filer. Il est probable que durant la nuit, comme Pénélope, je défasse mon ouvrage afin de le recommencer à l’aube : « C’est ainsi que ses jours passaient à tisser l’ample voile/et ses nuits à défaire cet ouvrage sous les torches »1
Travail de vivre, travail de mourir. L’excuse de ce travail
est de le poursuivre aveuglément. Je suis venue au monde pour m’acquitter de
cette tâche : poursuivre un travail, le mien, certes, et celui des autres.
C’est elle, toi, nous penchés sur une immense toile que les vents de la nuit
défont. Nous reprenons le tissage à l’aube. Nous tirons sur des fils où
brillent les reflets de l’Atlantique. Les vents de la mer entrouvrent ses
portes et, sans bouger, nous avons l’illusion de retrouver la liberté.
Silvia Baron Supervielle, Le Pays
de l’écriture, le Seuil, 2002, p. 108
1Homère Odyssée, chant II, traduction de
Philippe Jaccottet
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