"Si par définition, il n’y a pas de mot pour dire
l’indicible, il peut en être (des mots) pour en approcher. Sinon nous
n’écririons pas" (Été, séquence 215)
Je ne sais pas si c’est parce que Prévert et Vian ont habité
juste au-dessus de l’espace Boris Vian, l’endroit où Marc Delouze organise ses
Parvis Poétiques, mais il se passe souvent là de grandes choses.
Un dimanche par mois environ, à Paris, fin d’après-midi, à deux pas des odeurs de
frites et de la foule de la Place Clichy, tout au fond de l’incroyable petit
passage Véron, tout bucolique, il invente des alliages, des rencontres assez
extraordinaires. Il vient de modifier un peu sa formule. En première partie de cette bonne heure de
poésie (mais pas plus, une très bonne mesure), une grosse dizaine de minutes
est dévolue à quelqu’un qui n’a pas encore publié ou de façon très
confidentielle, disons par quelques passages en revues. Ensuite quarante-cinq
minutes avec souvent un tandem poète/musicien.
En première partie, ce dimanche 29 mai 2005, Evelyne
Boix-Moles lit quelques-uns de ses textes dont certains viennent d’être
rassemblés dans un cahier de la collection Encres blanches de l’éditeur Encres
vives. Des textes émouvants, des arrêts sur instant, des moments comme
contemplatifs « une feuille seule sur le labyrinthe des branches, noire
loque, elle a la beauté d’une main… », quelque chose du « partage,
rarissime, compassif, semble-t-il ».
Et puis ce fut le tandem Chambaz/Kassap. Une fois de plus,
je vais employer le terme "bouleversant" (quelqu’un m’a écrit anonymement
et très gentiment que j’étais un bad writer) mais c’est que la poésie
EST souvent bouleversante…. Bernard Chambaz, Sylvain Kassap… Bernard Chambaz,
le poète, pas assez connu sans doute en tant que poète mais beaucoup plus connu
pour le livre qu’il a publié en 1994, Martin cet été, livre écrit après
la mort de son jeune fils de seize ans dans un accident de voiture. Mort qui
depuis ne cesse d’habiter/vider, nourrir/hanter, irriguer/assécher, terrasser/bâtir son œuvre poétique.
Œuvre qui semble soudain prendre une dimension supplémentaire avec cet objet
qu’il publie aujourd’hui Été et que j’ai déjà présenté brièvement sur Poezibao.
Recueil de 500 séquences, première livraison d’une collection/collecte de 1000
séquences, tel est le projet, 500 séquences de poésie qui mélangent tout depuis
le bref récit jusqu’au poème, l’évocation, la remémoration des grands auteurs,
surtout américains, Carlos Williams, Zukofsky, Ginsberg, Cummings, Pound,
Olson, mais aussi Mallarmé (à cause d’Anatole), Ponge, Malherbe (pour Du
Périer)….., les voyages, partout dans le monde et puis la vie qui essaie de
continuer, avec ceux qui sont là (quatre au lieu descinq d’avant, souvent
évoqués), l’amour, les deux fils et celui qui est mort appelé simplement de
façon bouleversante le m- pêcheur, et puis des chiffres, des dates,
des anniversaires, le
décompte des jours sans « 1er décembre/3431e
jour »…. comme diastole/systole, dans un cœur, mort/vie-vie/mort, tout
le temps, partout, mais amour aussi.
Et Bernard Chambaz lit cette troisième partie de son livre
qui s’intitule A partir de rien tandis que Sylvain Kassap, qu’il cite
dans cette troisième partie et qui est aussi son ami « toi grand
Kassap que nous venons écouter dans la cave des 7 lézards » (séquence
274), lisant par dessus son épaule, improvise et joue, joue de ses deux
clarinettes, la clarinette en si b et la clarinette basse, emmêle son souffle,
ses mélodies, ses mélopées, ses battements et ses claquements (mais comment
fait-il pour obtenir de pareils sons sur une clarinette et lui donner par
moment un son de contrebasse ? ), ses hoquets, ses feulements aux mots de
Chambaz (féru de jazz, soit dit en passant !). On voudrait citer, citer,
citer, on le fera, Poezibao le fera par bribes, par fragments, il y a de
quoi faire.
Mais surtout achetez ce livre, lisez-le, faites le circuler,
vous qui lisez, vous qui écrivez, lisez Été. Une lectrice de Poezibao
m’écrivait récemment que Claude Mettra (dont je signalais la toute récente
disparition) avait « changé sa vie ». Je pense qu’un livre comme Été
a aussi ce pouvoir, pour certains. Pour ma part, je sais déjà ce qu’il
m’apprend (et je suis loin de l’avoir fini) et qui deviendra sans doute
perceptible petit à petit dans l’écriture journalistique (Poezibao) ou
dans l’écriture plus personnelle (dans le Flotoir).
©florence trocmé
photos de haut en bas : 1. dans l'espace Boris Vian, 2. Marc Delouze, 3. Evelyne Boix-Moles, 4. Bernard Chambaz et Sylvain Kassap, 5. Bernard Chambaz, 6. Sylvain Kassap.
Rédigé par : tavinho paes | lundi 06 juin 2005 à 12h48
Rédigé par : Dominique Hasselmann | mardi 31 mai 2005 à 10h51