Lettre à mes lecteurs français
Sortons un peu de nos chaumières,
ai-je envie de dire parfois à mes amis français tant je prends plaisir,
personnellement et tant j’ai envie de faire partager ce bonheur aux lecteurs de
Poezibao en allant à la rencontre des auteurs de poésie d’autres
langues. Paris (et la France) sont [encore ?] suffisamment cosmopolites et attrayantes pour
que nos amis étrangers y viennent lire leurs œuvres. Et les organisateurs de
ces lectures, associations ou libraires, font souvent l’effort de proposer des lectures
en bilingue.
Ainsi hier soir, au cœur de Paris,
peu après que Saint Sulpice a sonné l’angélus, la librairie
anglophone Village Voice de la rue Princesse (17 000 titres et une vraie spécialité de littérature et de sciences humaines en langue anglaise) réunissait non seulement deux
grandes dames de la poésie américaine (il y avait aussi dans
l'assistance plusieurs poètes, écrivains et artistes, russes, anglais et
américains et même quelques français audacieux !) mais aussi une très grande
figure de la poésie française et pas seulement de la poésie : Claude
Vigée. Claude Vigée qui a traduit en 2003 pour le Cheyne Éditeur une sélection
de poèmes de Shirley Kaufman sous le titre Un abri pour nos têtes. Et je
crois pouvoir dire qu’ici la traduction est une œuvre à part entière au même
titre que l’original.
Claude Vigée dont il faut rappeler qu’il est issu d'une famille juive établie en Alsace depuis plus de trois
siècles et que son œuvre hantée par sa judéité et par le génocide
rencontre ici en
écho très profond l’œuvre de Shirley Kaufman notamment
dans plusieurs poèmes sur des thèmes bibliques (Poezibao promet quelques
exemples au cours des mois à venir ainsi qu’une fiche de lecture de Un abri
pour nos têtes).
La réunion, présentée par la
directrice de Village Voice Odile Hellier et par le poète américain Cyrus
Cassells a commencé avec une autre femme poète, Sandra Gilbert qui a composé
une lecture très émouvante à partir de textes élégiaques et notamment une
couronne de sonnets rédigée après la mort de sa mère et appartenant à son dernier
recueil paru aux Etats-Unis, Belongings (non encore traduit). Elle a
raconté comment cette forme s’était imposée à elle dans son livre et que
ce n’est qu’a posteriori qu’elle s’est aperçue que dans la cohorte des
prénoms de sa mère, d’origine sicilienne, il y avait Incoronata, écho de la
"couronne" de sonnets ! Elle avait introduit sa lecture par un autre poème de deuil en mémoire
de son mari mais elle a tenu à la terminer sur une note plus gaie, en hommage
là encore à sa mère qui lui disait « mais pourquoi écris-tu toujours des
choses tristes alors que tu as eu une enfance si heureuse ?! ». Ce
dernier poème et une évocation ludique de son petit-fils, ravi de découvrir que
dans la maison à la campagne ce sont les moutons qui font office de tondeuse à
gazon…
Belle note finale aussi pour
Shirley Kaufman et Claude Vigée qui ont lu un merveilleux poème, évocation
d’une histoire authentique, celle du parapluie qu’Ungaretti avait oublié chez
Shirley Kaufman, à Jérusalem, que Claude Vigée découvre disant à Shirley
« ça, c’est le parapluie d’Ungaretti », etc. Poème permettant aussi
de situer leur rencontre dans le temps et de lui donner une profondeur
historique très émouvante.
photos de haut et bas et de gauche à droite
Odile Hellier
Cyrus Cassells, Shirley Kaufman et Sandra Gilbert
Claude Vigée
Shirley Kaufman
Sandra Gilbert
Claude Vigée et Shirley Kaufman
©Florence Trocmé
Commentaires