Une couverture
noire ; une photo, petite et belle, celle d’un homme appuyé dos contre un
mur ; un nom rouge sur le fond noir, Jude Stefan, un sous-titre blanc, rencontre avec Tristan Hordé et en bas, Argol, autre nom très évocateur, celui que Catherine Flohic a donné à sa nouvelle
maison d’édition ; à mon sens,
même si ce livre n’est pas le tout premier qu’elle publie sous le nom d’Argol
et sans doute parce qu’elle a déjà une très belle expérience précisément de la
« rencontre »*, ce coup d’essai est un coup de maître.
On ne peut pas dire que
le concept de ce livre soit entièrement nouveau. Il me fait penser au principe
de la collection Découvertes inventé jadis par le regretté Pierre Marchand chez
Gallimard. Un texte courant et tout un hors-texte, fait à la fois de textes et
d’images. Mais les Gallimard sont d’un petit format, en couleur et souvent la
lecture en est riche mais très fatigante. Ici rien de tout cela. Ce livre est un
régal et j’espère qu’il sera suivi par d’autres rencontres aussi riches et
aussi belles. Le format, 22 x 17 cm, est très agréable et se prête bien au jeu
des textes. Car jeu il y a, très subtil. Tristan Hordé mène en effet ses
rencontres avec Jude Stéfan sur des thèmes : le nom et le pseudonyme, les
apprentissages, les genres, les langues, l’enseignement, les femmes, les chiens
et la mort, parmi d’autres. Les questions sont précises et délicieusement
courtes (j’ai en mémoire trop de ces entretiens où les questions sont
interminables, presque plus longues que les réponses de l’auteur !) et
Jude Stéfan répond franchement, sans souci de plaire. Il dit ce qu’il a à dire,
comme il le dit au fond dans sa poésie. Et c’est là l’autre mérite de ce livre,
le montage des textes de Stefan proposé en regard de chaque entretien, avec une
pertinence et une cohérence formidables. Je ne sais si c’est Tristan Hordé qui
les a choisis, ce qui suppose une connaissance très intime et très profonde
d’une œuvre riche de nombreux opus mais aussi de facettes diversifiées ou si
cela s’est fait avec l’aide de Jude Stéfan, mais c’est très éclairant. Se
construit ainsi un véritable cheminement qui fait peut faire office aussi
d’introduction à l’œuvre. La lecture, contrairement à ce que je disais des
Découverts de Gallimard, est extrêmement agréable et on se laisse absorber par
le jeu des échos entre les questions/réponses et les poèmes, les proses
proposés en contrepoint. A la fin du livre Jude Stéfan dresse une de ces
petites biographies marquées par l’auto-dérision dont il a le secret et Tristan
Hordé donne lui avec le plus grand sérieux une magnifique et très complète
bibliographie. Le livre est émaillé de photos, des maisons, des épouses et
amies, de Jude Stefan lui-même, de jardins, de livres et bien sûr de chiens.
Ce livre peut permettre à
ceux qui la connaissent bien de revisiter l’œuvre de Stéfan ou d’en découvrir
des pans cachés et à ceux qui la connaissent encore peu ou mal de découvrir son
ampleur, sa force âpre et sa nécessité. Un très beau travail pour lequel il
faut saluer tant l’éditrice que les auteurs, Jude Stefan et Tristan Hordé. Cet
ouvrage puisse-t-il inaugurer une vraie série de rencontres de ce niveau.
©florence
trocmé
Jude Stéfan, rencontre avec Tristan Hordé
Argol, 2005
ISBN : 2-915978-02-6, 23 €
voir la fiche
bio-bibliographique de Jude Stéfan
Lire un article de
Jacques Drillon sur ce livre dans le Nouvel Observateur
Rédigé par : Tristan Hordé | lundi 19 septembre 2005 à 22h38