Beaucoup de monde avant-hier soir, 29 juin 2005, à la librairie Tschann à Paris, pour écouter le poète Jean Louis Giovannoni lire des extraits de ses deux derniers livres, Le lai du solitaire, paru chez Léo Scheer et danse dedans (Éditions Prétextes).
Jean-Louis Giovannoni a été présenté par le jeune romancier Arno Bertina* qui bien que n’écrivant pas de poésie se dit d’emblée nourri par l’œuvre du poète. Œuvre qu’il décrit en terme de combat. Il s’agit, dit-il, "d’aller contre soi et d’en tirer quelque jouissance", sans concession, sans jamais s’installer dans un état établi. Il distingue ainsi dans l’œuvre "les dix premières années", gouvernées par l’insatisfaction, notamment sur le plan de la forme, marquées aussi par un certain attrait pour la philosophie et la psychanalyse, à une époque ou Giovannoni avait fondé la revue Les cahiers du double. Puis un tournant s’est fait dans l’œuvre qui s’est trouvée dominée de plus en plus par l’humour et une auto-dérision souvent très grinçante. Les titres parlent d’eux-mêmes, Journal d’un veau en 1996 et Traité de la toile cirée en 1998.
Il semblerait que l’auteur se trouve aujourd’hui à la jonction d’une nouvelle période dont la lecture d’avant-hier a donné un aperçu saisissant, en opposant ces deux livres.
Le lai du solitaire est en effet sous-titré "roman intérieur" comme le Journal d’un veau et l’un et l’autre récit sont attribués à des narrateurs animaux, au discours abondant et prolifique tandis que avec
danse dedans apparaît une sorte de sécheresse qui témoigne de la tension générée par ce nouveau passage comme s’il agissait de "s’arracher à un mouvement qui vous rattrape"L’auteur s’attaque là au corps, à tout ce qui dans ce corps fait violence, mais surtout en terme d’énergie, qui passe et détruit, mais qu’il ne s’agit de domestique mais d’orienter.
photos : en haut la vitrine de la librairie Tschann, boulevard Raspail, à Paris, en bas, à gauche Arno Bertina et à droite Jean-Louis Giovannoni lors de la lecture.
Jean-Louis Giovannoni a commencé sa lecture par la très
étonnante 2ème introduction de Le
Lai du solitaire, ou le dit solitaire ( qui est un ver !) expose
comment il s’est formé à la littérature et comment il va s’introduire chez un
jeune auteur un peu "invertébré" pour lui donner du souffle et lui
apprendre, bien entendu à ver….sifier. C’est à la fois grinçant, désopilant,
c’est un fleuve, une coulée de mots lus très vite mais très clairement par un
admirable lecteur dont la voix porte et suit en souplesse tous les tours (au
double sens du mot !) et détours du texte. Il a ensuite lu, toujours dans
la même veine, le chapitre IV qui est un dialogue extraordinaire entre le ver
et la mère du jeune auteur, le Maître du ver, ver lui même bien sûr, l’ayant dûment mis en garde contre cette
engeance et lui ayant conseillé de l’amadouer.
Et puis soudain, contraste complet, après une pause, un
ver(re) d’eau, Jean Louis Giovannoni ouvre son petit recueil danse dedans. Contraste complet certes
mais transition savante puisqu’il s’agit là aussi d’une histoire de mère.
Mais à la coulée du texte succède le haché des mots, au
glissant le rugueux, aux longues phrases des petits vers courts, drus, bien
coupés par le ton presque haletant du poète qui va ménager un superbe
crescendo. C’est une Montée, la
dernière des cinq Montées qui composent le livre, une Montée dont la tension augmente sans cesse et où l’on croit
déceler, intriqués, le récit d’une gestation et d’une naissance traduits en
même temps par la mère et par l’enfant à naître. C’est très impressionnant.
Lire la fiche bio-bibliographique de Jean-Louis Giovannoni
*Arno Bertina : Le
dehors ou la migration des truites, Actes Sud, 2001, Appoggio, Actes Sud, 2003, La
déconfite gigantale du sérieux, Léo Scheer, 2004.
Premier extrait, 2e introduction de Le Lai du solitaire (où le Maître du
jeune ver l’envoie en mission)
"Les hommes sont des fourreaux sensibles. Sans nous,
ils tourneraient à vide en ne caillant jamais. Tu verras comme ils s’agitent,
s’inventent des dialogues sans pouvoir les fixer ; tapissant le monde
alentour pour ne pas tomber, accumulant des barrières, des caches, des écrans,
mais pour céder à la moindre avarie, tout lâcher en pure perte.
Nous seuls pouvons les combler, leur donner une assise.
Il désigna dans son élan l’énorme anthologie. Tu y trouveras
le nom des poètes disponibles et toujours en fonction, fais ton choix…. (p. 31)
Deuxième extrait, Montée V de danse dedans
se hissant
cherchant le trou
pour faire grappe
et gaine
dans la respiration
glissée
calme
j’ai pressé
mère
et son os
[...]
et ce fut
hurlement
dans les bois
les ventres
tous se jetant
sur moi
cherchant
mon visag
(p. 89)
Lire la fiche bio-bibliographique de Jean-Louis Giovannoni
*Arno Bertina : Le dehors ou la migration des truites, Actes Sud, 2001, Appoggio, Actes Sud, 2003, La déconfite gigantale du sérieux, Léo Scheer, 2004.
Photos : en haut Jean-Louis Giovannoni, en bas Arno Bertina
Rédigé par : poezibao | vendredi 01 juillet 2005 à 18h01